Annonce

Réduire
Aucune annonce.

« Ils nous tirent dessus puis courent se cacher dans les égouts. »

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • « Ils nous tirent dessus puis courent se cacher dans les égouts. »

    par Robert Fisk pour The Independent

    Autour de nous, dans les rues bourgeoises, des mortiers fracassés et un char T-72 calciné dans la chaleur sous un viaduc, mais l’officier opérationnel le plus gradé de Bachar el-Assad à Alep – un général de division de 53 ans, qui est depuis 33 ans dans l’armée et porteur de deux blessures par balles depuis la bataille du mois dernier à Damas – prétend qu’il peut « nettoyer » toute la province d’Alep des « terroristes » dans les 20 jours. Bon, c’est plutôt de la vantardise, surtout que dans le quartier de Seif el-Dawla, où les tirs des snipers claquent dans les rues ombragées. Car la bataille d’Alep est loin d’être terminée ! Mais quelle sensation étrange que d’être assis dans une demeure privée, réquisitionnée par l’armée syrienne – avec des gravures du XIXe siècle toujours accrochées aux murs et les tapis immaculés – et de parler aux généraux accusés par les dirigeants occidentaux d’être des criminels de guerre !

    Je me trouvais, pour ainsi dire, dans « le repaire de l’ennemi », mais le général chauve extrêmement grand – ses officiers ajoutant leurs impressions à chaque fois qu’on les leur demandait – avait beaucoup à raconter sur la guerre qu’ils mènent et le mépris avec lequel ils considèrent leurs ennemis. Ce sont des « souris », a dit le général – il n’a pas donné son nom. « Ils nous tirent dessus et puis ils courent se cacher dans les égouts. Des étrangers, des Turcs, des Tchétchènes, des Afghans, des Libyens, des Soudanais ». Et des Syriens, dis-je. « Oui, des Syriens aussi, mais des trafiquants et des criminels », a-t-il précisé.
    J’ai posé des questions à propos des armes des rebelles et du groupe d’appelés qui entraient d’un pas chancelant dans la pièce sous le poids des roquettes, des fusils, des munitions et des explosifs. « Prenez ceci », dit le général en souriant tandis qu’il me tendait un émetteur-récepteur, un HD668 de fabrication Hongda prélevé deux jours auparavant sur le cadavre d’un combattant turc à Seif el-Dawla, à quelques centaines de mètres d’où nous étions assis. « Mohamed, me reçois-tu ? » demandait la radio. « Abul Hassan, as-tu entendu ? » Les officiers syriens riaient à gorge déployée en entendant la voix déconfite de leur ennemi, lequel se trouvait peut-être dans le même pâté de maisons.

    Nous avons prélevé cette identité sur le « terroriste », a dit le général. « Citoyen de la République Turque » était écrit sur la carte, au-dessus de la photo d’un homme arborant une fine moustache. Né à Bingol (Turquie) le 1er juillet 1974. Nom : Remziye Idris Metin Ekince. Religion: Islam.
    Nous avions soudain un nom pour l’un de ces mystérieux « étrangers » qui – au moins dans l’imagination populaire baasiste – pourvoient en personnel l’armée « terroriste » que les militaires syriens combattent. Et beaucoup d’autres noms qui ont une signification beaucoup plus grande. Tandis que je furetais autour des armes – toutes capturées au cours de la semaine passée, selon les officiers syriens – j’ai trouvé des bâtons d’explosifs suédois dans des enveloppes de plastique, datés de février 1999 et fabriqués par Hammargrens, adresse sur l’étiquette : 434-24 Kingsbacka, Suède. Les mots « made in USA » étaient inscrits sur chaque bâton.
    Il y avait également : un fusil belge, un fusil d’assaut de FN-Herstal, No de série 1473224 ; un lot de grenades de provenance incertaine numérotées HG 85, SM8-03 1 ; un fusil à lunette russe ; un pistolet 9mm de fabrication espagnole – modèle 28 1A – fabriqué par Star Echeverria SA Eibar Espana ; un fusil automatique ancien ; une mitraillette du millésime 1948 ; une quantité de grenades à autopropulsion et des lanceurs russes ; et des boîtes et des boîtes de réserves médicales.

    « Chaque unité terroriste dispose d’une ambulance de campagne », m’a dit un officier du renseignement. « Ils volent des médicaments dans nos pharmacies mais emportent avec eux d’autres paquets ». Vrai, semble-t-il. Il y avait des analgésiques du Liban, des pansements du Pakistan, et une grande partie de ces marchandises provenait de Turquie.
    Il serait intéressant de savoir à qui les fabricants espagnols, suédois et belges ont vendu ces fusils et ses explosifs à l’origine. Le butin était conséquent. Une carte Visa récemment expirée au nom de Ahed Akrama, une carte d’identité syrienne au nom de Widad Othman – « kidnappé par les terroristes », a marmonné un autre officier – et des milliers de cartouches. Le général a admis que certaines armes avaient peut-être été prises sur les cadavres de soldats syriens qui avaient été capturés. Il y a bien des déserteurs, a-t-il dit, mais ce sont des « marginaux, des soldats qui ont raté les examens de base et qui ne sont motivés que par l’argent ». C’est ce qu’ils disent lors des interrogatoires, affirma-t-il.

    Il n’était pas difficile de comprendre comment les combats à Alep se développent. Marchant dans les rues pendant plus d’une heure avec une patrouille de l’armée syrienne, des snipers isolés tiraient depuis des maisons puis disparaissaient avant que les soldats du gouvernement n’arrivent. L’armée a descendu un homme qui tirait depuis le minaret de la mosquée El-Houda. Le quartier de Salaheddine a été « libéré », a dit l’officier syrien, et le quartier de Seif el-Dawla n’était qu’à deux pâtés de maisons d’une « libération » similaire.
    Au moins une douzaine de civils sont sortis de chez eux, des retraités septuagénaires, des commerçants et des entrepreneurs locaux avec leurs familles et, non conscients qu’un journaliste étranger regardait, ils ont mis leurs bras autour des soldats syriens. L’un d’eux m’a dit qu’il était resté dans sa maison tandis que des combattants « étrangers » utilisaient sa cour pour tirer sur les soldats du gouvernement. « Je parle turc et la plupart d’entre eux parlaient le turc, mais quelques-uns avaient de longues barbes et des pantalons courts, comme en portent les Saoudiens, et ils avaient d’étranges accents arabes ».
    Ainsi, de nombreux habitants d’Alep, loin des oreilles des soldats, m’ont parlé des « étrangers » armés dans leurs rues, accompagnés de Syriens « venant de la campagne », et m’ont dit que la présence d’un nombre considérable d’hommes armés non-syriens semblait être vraie. Tandis qu’une grande partie de la ville continue de vivre sous les tirs de mortiers occasionnels, des dizaines de milliers de civils déplacés par les combats entre l’Armée Syrienne Libre et ce que le gouvernement a toujours appelé l’ « Armée arabe syrienne » sont à présent hébergés dans les dortoirs inoccupés du campus de l’université d’Alep. Et les ennemis du Président Assad ne sont jamais bien loin.

    Retournant dans le centre-ville hier après-midi, j’ai découvert cinq soldats syriens – exténués, avec le regard perçant et tendu – retournant à pieds vers leur caserne avec un civil du nom de Badriedin. Il avait alerté les soldats lorsqu’il a vu « 10 terroristes » dans la rue El-Hattaf, et les troupes gouvernementales en ont tué plusieurs – leurs corps emmenés sur des scooters, a dit Badriedin – et les autres se sont échappés. Les soldats étaient fermes sur leur récit, racontant comment ils s’étaient retrouvés en infériorité numérique mais qu’ils avaient combattu leurs ennemis. Même le commandant opérationnel d’Alep m’a dit qu’une bataille majeure commençait dans une zone comprenant une mosquée et une école chrétienne, où ses hommes avaient encerclé un grand nombre de « terroristes ». « L’Armée syrienne ne tue pas les civils – nous sommes venus, à leur demande, pour les protéger », a-t-il dit. « Nous avons essayé de faire sortir les civils de la zone de combat et nous lançons beaucoup d’alertes par hauts-parleurs ».
    Je préfère les mots inscrits sur le tee-shirt d’un jeune homme qui a dit vouloir essayer d’accéder à son appartement dans la zone des snipers pour voir s’il en avait réchappé. Sur son tee-shirt était écrit : « Il y a ceux qui voient les choses telles qu’elles sont et se demandent pourquoi, et il y a ceux qui imaginent les choses telles qu’elles pourraient être et se disent… pourquoi pas ? – George Bernard Shaw ». Ce n’est pas une mauvaise devise pour Alep par les temps qui courent.
    (paru le 22/08/2012)
    « En politique, on ne flétrit le mensonge d’hier que pour flatter le mensonge d’aujourd’hui » (Jean Rostand).
Chargement...
X