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Où il est question d'une citation

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    ICI MIEUX QUE LA-BAS


    Mon ami Abdelmadjid Kaouah, toujours très précis, m'a téléphoné l'autre matin pour attirer mon attention sur la citation que j'ai attribuée dans la chronique de la semaine dernière à Sacha Guitry.

    Il me disait qu'il lui semblait qu'elle n'était pas de lui mais plutôt de Cocteau qui l'avait empruntée lui-même à Gaston Leroux. Vérification faite, Abdelmadjid Kaouah a tout à fait raison.

    C'est à l'auteur du Mystère de la chambre jaune que nous devons cette phrase sagace : «Il n'y a pas d'amour, il n'y a que des preuves d'amour». Elle est tirée justement de son roman policier publié en feuilleton dans L'illustration en 1907, Le mystère de la chambre jaune qui a pour personnage principal le célèbre Rouletabille. Elle fut reprise par Jean Cocteau qui, ayant eu un coup de cœur pour le roman, le préfacera lorsqu'il paraîtra en volume. Puis le poète Pierre Reverdy se l'appropria à son tour.

    Dans le cours sinueux des citations, on a fini par tout confondre et par déposséder Gaston Leroux de sa trouvaille pour l'attribuer à plus huppé. Comme quoi, même en littérature, on ne prête qu'aux riches. Quand on produit une réflexion qui devient un poncif, il y a risque de détournement.

    Ce n'est pas la première fois qu'un auteur est dessaisi de sa citation qui se voit imputée par l'usage à quelqu'un de plus visible ou de supposé plus à même de la produire. Autre dépossession célèbre, si on ose dire, cette phrase sibylline de Coco Chanel, la modiste et styliste française plus connue pour son parfum Chanel N°5, le préféré de Marylin Monroe, que pour ses cogitations littéraires. «La mode, c'est ce qui se démode», ce n'est ni de Cocteau, à qui on prête décidément bien des mots, ni de Salvador Dali, les deux artistes auxquels on attribue généralement cette sentence, mais bien de Chanel.

    Dans le même registre, voilà l'occasion de rappeler que le fameux «si tu parles tu meurs, si tu te tais, tu meurs, alors parle et meurs», attribuée à Tahar Djaout, est en réalité du poète et résistant palestinien Moueen Bessissou. Certes, Tahar Djaout aurait pu l'écrire

    . Il a même écrit plus fort mais le fait est que cet emblème de l'engagement au risque de sa vie n'est pas de lui.

    Le coup de fil de mon ami et confrère qui m'a décidé à faire de la réparation d'une citation tout une chronique m'a surpris en Kabylie. Sans Internet, coupé d'une certaine manière du monde, je n'avais pas accès à ma boîte aux lettres électronique pour réaliser que mon coup de gueule contre l'appropriation de la légitimité patriotique par auto-proclamation m'avait valu un courrier binaire : des supporters d'un côté et des détracteurs de l'autre. Normal, me direz-vous ? La hargne des points de vue révèle en tout cas que ce débat a besoin d'être mené. D

    e même que la définition constitutionnelle et ontologique de la nation algérienne a été concentrée entre quelques mains pas forcément les plus légitimes dans l'appréhension de la diversité qui constitue ce pays, le «débat» — le grand mot que voilà ! — sur la façon de parler de son pays se réduit à des soliloques parfois pathétiques de grands muphtis du minbar nationaliste dont le discours n'a de chance d'exister que dans la terreur exercée à l'encontre de possibles contradicteurs.

    La veille du coup de fil, nous avons passé la soirée à converser au clair de lune, à proximité d'un cimetière où une tombe sur deux contient un martyr pour l'indépendance et pour la liberté de l'Algérie et de l'Algérien.

    Ceux de 1857, de 1871, des premiers maquis de 1945, de 1954 puis enfin ceux tombés pour la liberté en 1963, en 1981, en 2001. L

    es témoignages, transmis à ce jour oralement, hérités des anciens, continuent à faire valoir qu'au fond, il y a plusieurs façons d'être algérien, et c'est une force, et que l'algérianité ne peut s'accommoder de patrons qui préparent les séries de prêt-à-porter.

    Quand on se bat pour sa liberté, ce n'est pas pour la mettre finalement entre les mains de planqués surgis sur des tourelles de chars à l'indépendance qui, par la force, s'arrogent le droit de dire comment on doit être algérien.

    Un des mails courroucés par mon «irresponsabilité» me met en garde de faire prévaloir l'idée «d'autoriser le premier venu à se dire algérien».

    Que ce premier venu soit né ici, que ses racines soient plongées profond dans la terre algérienne ne suffisent pas à l'imprécateur pour délivrer le certificat de nationalité. Bref, on n'est pas sorti de cette auberge-là. Ni des autres d'ailleurs.

    Déjà en 1952, Lacheraf et Sahli déniaient à Mammeri, jeune romancier qui venait de publier La Colline oubliée le droit d'être algérien parce qu'il parlait non pas de l'Algérie telle que dessinée par eux mais de l'Algérie dont faisait partie son village millénaire de Kabylie.

    On remet une tournée ? Ça semble être le cas. Revenons aux citations. Ce qui est fabuleux dans l'oralité, c'est qu'au lieu de la brouiller, elle favorise au contraire la citation précise en l'attribuant à ses véritables auteurs. La soirée passée avec les anciens m'a confirmé que les dépositaires du récit collectif sont d'une précision à faire rougir d'envie les plus scrupuleux historiens. Combien de fois j'ai entendu des répliques apportant des précisions sur une phrase, un mot. Il y a toujours quelqu'un dans le cercle des anciens pour rectifier une biographie, un contexte historique, un détail.

    Par Arezki Metref, Le soir
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