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Syrie : le arhabi des uns, le chabbih des autres

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  • Syrie : le arhabi des uns, le chabbih des autres

    Le régime syrien ne reconnaît pas l’ampleur de la contestation qui secoue le pays depuis près de 18 mois et attribue les troubles à « des groupes terroristes armés ».
    Voici une phrase qui est censée résumer la très complexe situation syrienne et dont la seule valeur relative est le nombre de mois indiqué.
    D’apparence objectif et neutre, cet énoncé élevé au rang d’axiome par nos « experts » sur la Syrie tourne en boucle depuis 18 mois dans les dépêches tel un slogan publicitaire.
    Observons-le de plus près.
    C’est un copié-collé où il est question de la criminalisation d’une contestation de la part d’un Etat.
    Il est vrai que le gouvernement syrien a tendance à utiliser le terme « terroriste » (arhabi) de manière abusive et parfois caricaturale dans un but de disqualifier son adversaire.
    Mais peut-on raisonnablement attendre un traitement médiatique plus sympa à l’égard d’une opposition radicale, jusqu’auboutiste et largement instrumentalisée par les monarchies du Golfe, par Israël, la Turquie et les Empires occidentaux de la part d’un État qui résiste, dos au mur, face à ces mêmes États autrement plus puissants ?

    Croit-on franchement que les gouvernements européens sont plus cléments dans la présentation qu’ils font de « leurs » émeutiers ?
    Au moment de la révolte des banlieues en 2005, la presse « libre » de l’Hexagone a-t-elle eu l’audace de dire :
    « Le gouvernement français ne reconnaît pas l’ampleur de la contestation qui secoue ses banlieues depuis près d’un mois et attribue les troubles à des casseurs. »
    Membre de l’OTAN et garde-chiourme des intérêts occidentaux au Moyen-Orient, l’Etat turc utilise ad nauseam le mot « terroriste » pour calomnier ses opposants et justifier sa répression à leur encontre.
    Chaque jour, le premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, le président du Parlement Cemil Ciçek ou le chef d’état-major Necdet Özel promettent d’ « écraser les terroristes » et leurs soutiens. Pourtant, la presse occidentale ne dit jamais :
    « Le régime turc ne reconnaît pas l’ampleur de la contestation kurde qui secoue le pays depuis 28 ans et attribue les troubles à « des groupes terroristes armés ».

    La presse Française nous raconte par ailleurs que le régime syrien ne reconnaît pas la contestation qui secoue le pays.
    Cette assertion est fausse puisque le président syrien a aboli l’état d’urgence et limogé Fayçal Kalthoum et Iyad Ghazal, deux gouverneurs responsables de la répression, respectivement à Deraa et à Homs ainsi qu’Atef Najib, un chef de la sécurité autoritaire et par ailleurs, cousin du président.
    Bachar El-Assad a également adopté des projets de lois visant à abolir la très inique Haute Cour de sûreté de l’Etat et à licencier les fonctionnaires corrompus. Il a en outre fait adopter une nouvelle Constitution mettant fin à la suprématie du Parti Baas arabe socialiste.
    Malgré les railleries et la mauvaise foi d’une partie de l’opposition syrienne, ces réformes qui sont le fruit de la courageuse mobilisation populaire, ont eu l’effet d’une véritable révolution copernicienne dans ce pays peu habitué aux dynamiques démocratiques visant à étendre les libertés politiques.
    A présent, revenons à la version syrienne du slogan-culte de la presse Française et inversons-y les rôles.
    « L’opposition syrienne ne reconnaît pas l’ampleur de la popularité du régime qui défend un pays ravagé par les troubles depuis près de 18 mois et attribue les massacres à des chabbiha ».
    Aussi partisane soit-elle, cette antithèse est tout aussi correcte puisque l’opposition syrienne procède au même abus de langage à l’égard des sympathisants du gouvernement dans le chef du mot « chabbiha » (fantômes en arabe) qui désigne les milices supplétives de l’armée syrienne.

    En effet, tout sympathisant du régime de Damas, aussi civil et pacifique soit-il, est désigné par ce terme terrifiant.
    Des listes de supposés chabbiha circulent sur les réseaux sociaux et permettent à l’opposition de mener une véritable épuration politique voire ethnique dans tout le pays.
    Parmi les cibles désignées dans ces listes figurent un nombre incalculable de personnalités qui se cantonnent pourtant à soutenir politiquement le gouvernement.
    On s’en doutera, ces proscriptions qui rappellent les modalités de la guerre civile romaine que se livrèrent les hommes de Marius et de Sylla en -82 avant J-C n’intéressent guère la presse occidentale.
    Or, depuis le début de la tragédie syrienne, outre les 8.000 soldats de l’armée syrienne tués dans les attentats, les embuscades ou les accrochages et les dizaines d’agents du renseignement qui ont été la cible de balles vengeresses, des milliers de civils innocents, (ouvriers d’usine, employés de la poste, cinéastes, journalistes, étudiants, sportifs, universitaires, oulémas, chauffeurs de bus, ingénieurs, médecins ou villageois) ont été fusillés, égorgés, lynchés ou découpés en morceaux par des rebelles sous prétexte qu’ils étaient des « chabbiha ».

    Pire, après avoir fabriqué le mythe du chabbiha (qui-fait-le-sale-boulot-d’exécutions-et-de-pillage-après-le-passage-de-l’armée) à partir d’un phénomène relativement marginal dans le conflit syrien (*), la presse occidentale en vient à justifier le massacre d’innocents pro-régime au motif qu’ils seraient des chabbiha… d’après les rebelles et non d’après des tribunaux indépendants.
    Cela s’appelle des exécutions extrajudiciaires, crimes que notre presse ne manque pas de minorer et de cautionner dans sa défense inconditionnelle de l’opposition syrienne.
    Si l’on postule que nos journalistes sont assez perspicaces pour comprendre que la guerre militaire se poursuit aussi sur le terrain des médias, que le gouvernement syrien et l’opposition se rejettent mutuellement l’accusation de terroristes, que le « arhabi » des uns est le chabbih des autres, on est en droit de se demander pourquoi ils versent dans un tel parti pris.
    Peut-être est-ce leur intelligence morale qu’il faille questionner en leur demandant par exemple si le sang d’un opposant syrien a plus de valeur que le sang d’un sympathisant du gouvernement ou s’ils croient vraiment que l’escalade de la guerre amènera la paix en Syrie et sauvera les millions d’innocents qui se trouvent de part et d’autre de la barricade.
    Bahar Kimyongür
    « En politique, on ne flétrit le mensonge d’hier que pour flatter le mensonge d’aujourd’hui » (Jean Rostand).
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