Dans cette interview, Meryam Demnati, de l’Observatoire amazigh des droits et libertés au Maroc, souligne que la question de la graphie fut l’objet d’un débat houleux en 2002, lorsque l’IRCAM devait trancher entre la transcription de tamazight en arabe, en caractères latins et en tifinagh.
Selon elle, la langue de Massinissa doit être généralisée à tous les cycles d’enseignement, du préscolaire au baccalauréat et standardisée sur le plan graphique. Elle estime aussi que l’officialisation de tamazight au Maroc est un acquis et une avancée importante au regard des énormes sacrifices consentis par des générations de militants de la cause amazighe. Toutefois, Meryam Demnati ajoute que les médias publics ne jouent pas le rôle de promoteur de la diversité culturelle et linguistique stipulée dans la nouvelle Constitution du Maroc.
- Pouvez-vous nous retracer brièvement l’itinéraire de la revendication amazighe au Maroc ?
Dès l’indépendance, la langue amazighe, qui ne disposait d’aucun statut dans la Constitution, sera bannie de l’école, des médias et de tous les autres domaines publics ou privés. L’arabisme et l’islamisme ont été les seules normes de référence.
Dans ce contexte, le mouvement amazigh, dès sa naissance, fera l’objet d’une répression officielle sévère de la part de l’administration et des services de police (obstacles administratifs ou autres aux activités, associations ou activités inquiétés ou interdites, emprisonnements ou intimidations des militants…). Entre 1965 et 1988, le Mouvement amazigh utilisait dans son discours les concepts de culture populaire et de patrimoine national, la conjoncture politique ne permettant pas celui du mot «amazigh», considéré comme une menace par le pouvoir policier réactionnaire en place et fortement réprimé.
Dès la moitié des années 1980, le Maroc connaît alors une relative ouverture politique qui permettra à un débat public plus audacieux de s’installer et qui contribuera à l’apparition de nouveaux concepts, tels que culture amazighe, identité amazighe, langue amazighe, ainsi que droits linguistiques et culturels en tant que droits humains. Cette période est aussi celle des grandes polémiques avec les panarabistes et les nationalistes conservateurs, ce qui a permis au Mouvement amazigh de remettre en cause le concept de nationalisme traditionnel, rattaché désormais aux concepts de citoyenneté, de pluralisme et de diversité. C’est alors que dans les années 1990, des associations issues de toutes les régions du Maroc présenteront les revendications du Mouvement amazigh dans la Charte d’Agadir (1991).
Puis, les associations amazighes se sont multipliées sur tout le territoire et des coordinations d’associations régionales et nationales voient le jour entre 1993 et 1997, ce qui a donné un nouvel élan au mouvement. Le concept de peuple autochtone apparaît lorsqu’une délégation de la Coordination des associations amazighes se rend à Genève pour travailler dans les commissions de l’ONU ainsi que le concept de développement lié à la culture. C’est alors le début de l’internationalisation de la question amazighe. La création du Congrès mondial amazigh contribuera aussi à élargir la vision restreinte du mouvement amazigh marocain à une vision plus élargie. (Afrique du Nord+ diaspora). En 1995, un débat entre le mouvement amazigh et le mouvement islamique remet en cause les concepts de langue sacrée et de l’histoire préislamique. En mars 2000, le document «Manifeste pour la reconnaissance de l’amazighité du Maroc» déclenche une évolution rapide et qualitative et politise alors le discours. Le Manifeste, signé par des milliers d’imazighens, donne naissance à plusieurs propositions de plateforme, dont la création d’associations à caractère politique, de partis politiques et la création d’associations culturelles et de développement.
Les associations s’inspireront dans leurs actions des chartes et des conventions internationales des droits de l’homme et des peuples tels que : la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention internationale de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination en 1965 et de l’Unesco en 1960, la Déclaration de l’ONU et ses recommandations en 1982 et 1992, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Déclaration universelle des droits linguistiques à Barcelone 1996, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en 2005…
A l’aboutissement de cette évolution, apparaissent les concepts suivants : les Etats-Unis des régions, l’Etat fédéral, la laïcité et le droit à la terre.
Enfin, avec le mouvement de la rue du 20 février 2011, le mouvement amazigh s’est trouvé dans un autre tournant de l’histoire. Avec toutes ses composantes, il intègre ce courant de révolte revendiquant une Constitution démocratique incluant tamazight officiel. Il est alors à l’avant-garde avec les autres forces progressistes de la société civile, appelant à l’édification d’une société juste et égalitaire, considérant la cause amazighe comme partie intégrante du projet démocratique. Les amazighs seront ainsi présents dans toutes les coordinations du 20 février et ses manifestations. Les drapeaux amazighs flotteront dans toutes les villes. Dernièrement, un mouvement contestataire pour une réelle officialisation de la langue amazighe au Maroc, appelé « Tawada», est né. Il est porté principalement par la jeunesse amazighe. Deux marches nationales ont été organisées, à Rabat le 15 janvier 2012 puis à Casablanca le 22 avril 2012. D’autres marches et actions sont prévues.
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Quels sont, selon vous, les principaux acquis enregistrés dans le cadre de la promotion de la langue et de la culture amazighes ?
Les principaux acquis dans l’enseignement de tamazight sont : la généralisation verticale et horizontale, obligation à tous les Marocains sans exception, standardisation progressive de la langue amazighe et transcription de la langue amazighe dans la graphie tifinagh aménagée. Elaboration de manuels scolaires du primaire (06) et du collège, précis de grammaire, lexiques spécialisés (géologie, médias, scolaires…), recherche sur la langue, élaboration de plans de formation des enseignants et des inspecteurs, élaboration de modules de langue et didactique dans les centres de formation des instituteurs et élaboration de modules pour les universités, supports didactiques audio et audiovisuels, supports didactiques parascolaires (contes, BD, chansons, comptines, CD Roms…). Formation des enseignants du primaire (environ 4800), formation des inspecteurs, formation des formateurs (environ 422) et création de filières et masters amazighs dans plusieurs universités du Maroc (Agadir, Fès, Oujda, Rabat...). Tout cela élaboré par l’IRCAM ou l’IRCAM en collaboration avec le MEN. Quant à la situation de tamazight dans les médias, le lancement de la télévision amazighe est certes un acquis, mais les revendications des amazighs ne sont pas pour autant concrétisées. Après plusieurs mois d’existence, beaucoup de défaillances dans les programmes, émissions souvent pauvres en budget qui se déroulent généralement dans les studios et aucune accession terrestre pour une grande partie du public qui n’a ni parabole ni TNT. On assiste même à une régression dans la 1 et la 2 dont les cahiers des charges stipulent pourtant que 30% des programmes seront en langue amazighe, contrat qui n’a jamais été respecté. Quant à la radio nationale amazighe, elle n’est toujours pas captée sur l’ensemble du territoire et les autres radios publiques ou privées ne prennent aucunement en compte la diversité culturelle et linguistique de notre pays.
Selon elle, la langue de Massinissa doit être généralisée à tous les cycles d’enseignement, du préscolaire au baccalauréat et standardisée sur le plan graphique. Elle estime aussi que l’officialisation de tamazight au Maroc est un acquis et une avancée importante au regard des énormes sacrifices consentis par des générations de militants de la cause amazighe. Toutefois, Meryam Demnati ajoute que les médias publics ne jouent pas le rôle de promoteur de la diversité culturelle et linguistique stipulée dans la nouvelle Constitution du Maroc.
- Pouvez-vous nous retracer brièvement l’itinéraire de la revendication amazighe au Maroc ?
Dès l’indépendance, la langue amazighe, qui ne disposait d’aucun statut dans la Constitution, sera bannie de l’école, des médias et de tous les autres domaines publics ou privés. L’arabisme et l’islamisme ont été les seules normes de référence.
Dans ce contexte, le mouvement amazigh, dès sa naissance, fera l’objet d’une répression officielle sévère de la part de l’administration et des services de police (obstacles administratifs ou autres aux activités, associations ou activités inquiétés ou interdites, emprisonnements ou intimidations des militants…). Entre 1965 et 1988, le Mouvement amazigh utilisait dans son discours les concepts de culture populaire et de patrimoine national, la conjoncture politique ne permettant pas celui du mot «amazigh», considéré comme une menace par le pouvoir policier réactionnaire en place et fortement réprimé.
Dès la moitié des années 1980, le Maroc connaît alors une relative ouverture politique qui permettra à un débat public plus audacieux de s’installer et qui contribuera à l’apparition de nouveaux concepts, tels que culture amazighe, identité amazighe, langue amazighe, ainsi que droits linguistiques et culturels en tant que droits humains. Cette période est aussi celle des grandes polémiques avec les panarabistes et les nationalistes conservateurs, ce qui a permis au Mouvement amazigh de remettre en cause le concept de nationalisme traditionnel, rattaché désormais aux concepts de citoyenneté, de pluralisme et de diversité. C’est alors que dans les années 1990, des associations issues de toutes les régions du Maroc présenteront les revendications du Mouvement amazigh dans la Charte d’Agadir (1991).
Puis, les associations amazighes se sont multipliées sur tout le territoire et des coordinations d’associations régionales et nationales voient le jour entre 1993 et 1997, ce qui a donné un nouvel élan au mouvement. Le concept de peuple autochtone apparaît lorsqu’une délégation de la Coordination des associations amazighes se rend à Genève pour travailler dans les commissions de l’ONU ainsi que le concept de développement lié à la culture. C’est alors le début de l’internationalisation de la question amazighe. La création du Congrès mondial amazigh contribuera aussi à élargir la vision restreinte du mouvement amazigh marocain à une vision plus élargie. (Afrique du Nord+ diaspora). En 1995, un débat entre le mouvement amazigh et le mouvement islamique remet en cause les concepts de langue sacrée et de l’histoire préislamique. En mars 2000, le document «Manifeste pour la reconnaissance de l’amazighité du Maroc» déclenche une évolution rapide et qualitative et politise alors le discours. Le Manifeste, signé par des milliers d’imazighens, donne naissance à plusieurs propositions de plateforme, dont la création d’associations à caractère politique, de partis politiques et la création d’associations culturelles et de développement.
Les associations s’inspireront dans leurs actions des chartes et des conventions internationales des droits de l’homme et des peuples tels que : la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la Convention internationale de l’ONU sur l’élimination de toutes les formes de discrimination en 1965 et de l’Unesco en 1960, la Déclaration de l’ONU et ses recommandations en 1982 et 1992, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981, la Déclaration universelle des droits linguistiques à Barcelone 1996, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en 2005…
A l’aboutissement de cette évolution, apparaissent les concepts suivants : les Etats-Unis des régions, l’Etat fédéral, la laïcité et le droit à la terre.
Enfin, avec le mouvement de la rue du 20 février 2011, le mouvement amazigh s’est trouvé dans un autre tournant de l’histoire. Avec toutes ses composantes, il intègre ce courant de révolte revendiquant une Constitution démocratique incluant tamazight officiel. Il est alors à l’avant-garde avec les autres forces progressistes de la société civile, appelant à l’édification d’une société juste et égalitaire, considérant la cause amazighe comme partie intégrante du projet démocratique. Les amazighs seront ainsi présents dans toutes les coordinations du 20 février et ses manifestations. Les drapeaux amazighs flotteront dans toutes les villes. Dernièrement, un mouvement contestataire pour une réelle officialisation de la langue amazighe au Maroc, appelé « Tawada», est né. Il est porté principalement par la jeunesse amazighe. Deux marches nationales ont été organisées, à Rabat le 15 janvier 2012 puis à Casablanca le 22 avril 2012. D’autres marches et actions sont prévues.
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Quels sont, selon vous, les principaux acquis enregistrés dans le cadre de la promotion de la langue et de la culture amazighes ?
Les principaux acquis dans l’enseignement de tamazight sont : la généralisation verticale et horizontale, obligation à tous les Marocains sans exception, standardisation progressive de la langue amazighe et transcription de la langue amazighe dans la graphie tifinagh aménagée. Elaboration de manuels scolaires du primaire (06) et du collège, précis de grammaire, lexiques spécialisés (géologie, médias, scolaires…), recherche sur la langue, élaboration de plans de formation des enseignants et des inspecteurs, élaboration de modules de langue et didactique dans les centres de formation des instituteurs et élaboration de modules pour les universités, supports didactiques audio et audiovisuels, supports didactiques parascolaires (contes, BD, chansons, comptines, CD Roms…). Formation des enseignants du primaire (environ 4800), formation des inspecteurs, formation des formateurs (environ 422) et création de filières et masters amazighs dans plusieurs universités du Maroc (Agadir, Fès, Oujda, Rabat...). Tout cela élaboré par l’IRCAM ou l’IRCAM en collaboration avec le MEN. Quant à la situation de tamazight dans les médias, le lancement de la télévision amazighe est certes un acquis, mais les revendications des amazighs ne sont pas pour autant concrétisées. Après plusieurs mois d’existence, beaucoup de défaillances dans les programmes, émissions souvent pauvres en budget qui se déroulent généralement dans les studios et aucune accession terrestre pour une grande partie du public qui n’a ni parabole ni TNT. On assiste même à une régression dans la 1 et la 2 dont les cahiers des charges stipulent pourtant que 30% des programmes seront en langue amazighe, contrat qui n’a jamais été respecté. Quant à la radio nationale amazighe, elle n’est toujours pas captée sur l’ensemble du territoire et les autres radios publiques ou privées ne prennent aucunement en compte la diversité culturelle et linguistique de notre pays.
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