La mise en cause du général et ministre de la Défense à la retraite Khaled Nezzar par la justice suisse pour crime de guerre commis entre 1992 et 1999 en Algérie ne manquera pas de susciter une controverse doctrinale certaine et mérite corrélativement un examen et des développements d’un point de vue strictement juridique, loin de toute considération politique ou factuelle.
Il est bon de rappeler ici que la poursuite des hauts responsables civils et militaires pour des crimes touchant l'ensemble de la communauté internationale est incontestablement une véritable révolution en droit international public. C'est ainsi que l'immunité, l'une des plus anciennes institutions de droit international général, se trouve, depuis maintenant près d'un siècle, au cœur d'un conflit direct avec les développements normatifs et jurisprudentiels récents du droit international pénal. La présente contribution sera donc consacrée, dans son ensemble, à une question à la fois classique et assez complexe en droit international public, à savoir l'immunité de juridiction pénale des hauts responsables dans la hiérarchie de l'Etat devant les tribunaux pénaux étrangers.
I- Un bref rappel des faits et de la procédure
Suite à la démission du président Chadli Bendjedid, le Haut-Conseil de sécurité (HCS) installa le 14 janvier 1992 le Haut-Comité d'Etat (HCE). Cette institution est un organe collégiale chargé d'assurer la continuité de l'Etat, pour reprendre les termes de la déclaration du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1992 par laquelle il recommande aux institutions investies des pouvoirs constitutionnels de veiller à la continuité de l'Etat et de réunir les conditions nécessaires au fonctionnement normal des institutions et de l'ordre constitutionnel. Le HCE a été présidé par Mohamed Boudiaf (entre le 16 janvier et le 29 juin 1992), et Ali Kafi (entre le 2 juillet 1992 et le 30 janvier 1994). Khaled Nezzar fut entre 1992 et 1994 l'un des cinq membres de cet organe de transition, où il occupa le poste de ministre de la Défense pour une durée d'une année (entre 1992 et 1993). Le mis en cause occupe donc un poste très élevé au sein d'un organe collégial national habilité à exercer l'ensemble des pouvoirs confiés par la Constitution au président de la République, suivant la proclamation du 14 janvier 1992 instituant le HCE. Qui plus est, Khaled Nezzar était ministre de la Défense au moment des faits dont il est soupçonné. A l’occasion d’un voyage en Suisse pour des raisons médicales, l’ancien ministre de la Défense avait été arrêté à Genève le 20 octobre 2011, en application d'un mandat d’amener du 19 octobre 2011 du ministère public de la Confédération suisse (MPC), et ce, suite à une plainte déposée contre lui pour crimes de guerre par l’association Trial de lutte contre l’impunité et par deux Algériens résidant en Suisse. Le ministère public de la Confédération l'avait auditionné pendant deux jours, soit le 20 et le 21 octobre, il a été ensuite mis en liberté sur une promesse de participer à la suite de la procédure. En date du 12 décembre 2011, la défense du mis en cause a saisi le tribunal d'un recours en annulation de la procédure en invoquant l'immunité dont bénéficie l'inculpé en sa qualité de ministre de la Défense et membre du Haut-Comité d’Etat au moment des faits. Dans sa décision du 25 juillet 2012, le Tribunal fédéral suisse déclara la recevabilité de la plainte et rejeta le recours de la défense fondée sur l'immunité de juridiction pénale. Selon les juges fédéraux, «il serait à la fois contradictoire et vain si, d’un côté, on affirmait vouloir lutter contre ces violations graves aux valeurs fondamentales de l’humanité, et, d’un autre côté, l’on admettait une interprétation large des règles de l’immunité fonctionnelle pouvant bénéficier aux anciens potentats ou officiels dont le résultat concret empêcherait, ab initio, toute ouverture d’enquête.» A ce stade de procédure, il convient de signaler que cette décision ne concerne que l'aspect procédural de l'affaire. Ainsi, le procès pourra suivre son cours et le tribunal fédéral suisse se penchera désormais sur l'aspect substantiel de l'affaire en enquêtant sur les allégations de crimes de guerre. La question qui se pose désormais est celle de savoir quelle est la nature et l'étendue de la protection qu'accorde le droit international aux ministres devant les tribunaux étrangers ?
II- La protection internationale des ministres étrangers
Suivant un principe de droit international universellement admis, les chefs d'Etat, les chefs de gouvernement, les ministres, ainsi que les envoyés diplomatiques ne peuvent être soumis pénalement à aucune juridiction autre que celle de leur propre pays, et ce, pour toute infraction qu’ils auraient pu commettre, quelles qu'en soient la nature et la gravité. Ce traitement privilégié n'est pas un avantage personnel au profit des bénéficiaires ; il trouve son origine d'abord dans le respect du principe de l'égalité souveraine des Etats (par in parem non habet imperium) énoncé dans l’article 2/7 de la Charte des Nations unies, ensuite dans le souci de permettre aux fonctionnaires investis de charges internationales de s’acquitter librement de leurs fonctions pour le compte de l’Etat qu’ils représentent, il vise enfin à assurer la stabilité et la continuité des relations pacifiques et amicales entre les Etats. La jurisprudence nationale et internationale est riche en la matière. Pour ne citer qu'un seul exemple, la Cour internationale de justice (CIJ) avait affirmé dans son arrêt du 14 février 2002 (RDC c. Belgique) qu'«(…) il est clairement établi en droit international que, de même que les agents diplomatiques et consulaires, certaines personnes occupant un rang élevé dans l’Etat telles que le chef d’Etat, le chef du gouvernement ou le ministre des Affaires étrangères, jouissent dans les autres Etats d’immunités de juridiction, tant civiles que pénales». Une distinction doit être faite, cependant, entre les actes accomplis à titre officiel (jure imperii) et ceux accomplis à titre privé (jure gestionis). En effet, pour la première catégorie, le titulaire d'une haute charge au sein de l'Etat bénéficie d'une immunité fonctionnelle totale, absolue et perpétuelle, il ne peut être poursuivi en raison de ces actes officiels, même après la cessation des ses fonctions. La raison d'être de cette immunité substantielle (ratione materiae) est simple : l'acte est imputable à l'Etat et non pas à la personne privée. Nous y reviendrons. S'agissant de la deuxième catégorie d'actes, les hauts fonctionnaires étatiques jouissent de la protection immunitaire que leur accorde le droit international coutumier dès lors qu'ils sont en poste. Une fois que leurs fonctions prennent fin, ils cesseront d'en tirer profit. Cette immunité procédurale (ratione persona) ne protège le titulaire d'une fonction représentative internationale que pendant la durée de sa charge, au-delà, il pourrait faire l'objet de poursuites judiciaires. Dans ce cas précis, l'acte privé est imputable à la personne physique et non pas à l'Etat. Dans cet ordre d'idées et sur demande du ministère public de la Confédération, la direction du droit international public (MAE) estime dans ses observations du 21 novembre 2011 qu'«(…) en sa qualité d'ancien ministre de la Défense de la République algérienne, continue à jouir d'une immunité de juridiction devant les instances helvétiques pour tous les actes qu'il a accomplis dans le cadre de ses fonctions officielles, mais que tel n'est pas le cas pour les actes qu'il a accomplis à titre privé durant la période de son mandat officiel(…)». Ainsi, en sa qualité d'ancien ministre de la Défense et ancien membre d'une haute institution exécutive nationale, Khaled Nezzar ne bénéficie systématiquement d'aucune immunité devant les tribunaux pénaux étrangers pour des actes qu'il aurait commis durant ses fonctions. Il convient donc au préalable d'examiner une autre question, la plus délicate d'ailleurs, celle de savoir la nature des actes reprochés à Khaled Nezzar. S'agit-il d'actes à caractère officiel ou privé ?
Il est bon de rappeler ici que la poursuite des hauts responsables civils et militaires pour des crimes touchant l'ensemble de la communauté internationale est incontestablement une véritable révolution en droit international public. C'est ainsi que l'immunité, l'une des plus anciennes institutions de droit international général, se trouve, depuis maintenant près d'un siècle, au cœur d'un conflit direct avec les développements normatifs et jurisprudentiels récents du droit international pénal. La présente contribution sera donc consacrée, dans son ensemble, à une question à la fois classique et assez complexe en droit international public, à savoir l'immunité de juridiction pénale des hauts responsables dans la hiérarchie de l'Etat devant les tribunaux pénaux étrangers.
I- Un bref rappel des faits et de la procédure
Suite à la démission du président Chadli Bendjedid, le Haut-Conseil de sécurité (HCS) installa le 14 janvier 1992 le Haut-Comité d'Etat (HCE). Cette institution est un organe collégiale chargé d'assurer la continuité de l'Etat, pour reprendre les termes de la déclaration du Conseil constitutionnel du 11 janvier 1992 par laquelle il recommande aux institutions investies des pouvoirs constitutionnels de veiller à la continuité de l'Etat et de réunir les conditions nécessaires au fonctionnement normal des institutions et de l'ordre constitutionnel. Le HCE a été présidé par Mohamed Boudiaf (entre le 16 janvier et le 29 juin 1992), et Ali Kafi (entre le 2 juillet 1992 et le 30 janvier 1994). Khaled Nezzar fut entre 1992 et 1994 l'un des cinq membres de cet organe de transition, où il occupa le poste de ministre de la Défense pour une durée d'une année (entre 1992 et 1993). Le mis en cause occupe donc un poste très élevé au sein d'un organe collégial national habilité à exercer l'ensemble des pouvoirs confiés par la Constitution au président de la République, suivant la proclamation du 14 janvier 1992 instituant le HCE. Qui plus est, Khaled Nezzar était ministre de la Défense au moment des faits dont il est soupçonné. A l’occasion d’un voyage en Suisse pour des raisons médicales, l’ancien ministre de la Défense avait été arrêté à Genève le 20 octobre 2011, en application d'un mandat d’amener du 19 octobre 2011 du ministère public de la Confédération suisse (MPC), et ce, suite à une plainte déposée contre lui pour crimes de guerre par l’association Trial de lutte contre l’impunité et par deux Algériens résidant en Suisse. Le ministère public de la Confédération l'avait auditionné pendant deux jours, soit le 20 et le 21 octobre, il a été ensuite mis en liberté sur une promesse de participer à la suite de la procédure. En date du 12 décembre 2011, la défense du mis en cause a saisi le tribunal d'un recours en annulation de la procédure en invoquant l'immunité dont bénéficie l'inculpé en sa qualité de ministre de la Défense et membre du Haut-Comité d’Etat au moment des faits. Dans sa décision du 25 juillet 2012, le Tribunal fédéral suisse déclara la recevabilité de la plainte et rejeta le recours de la défense fondée sur l'immunité de juridiction pénale. Selon les juges fédéraux, «il serait à la fois contradictoire et vain si, d’un côté, on affirmait vouloir lutter contre ces violations graves aux valeurs fondamentales de l’humanité, et, d’un autre côté, l’on admettait une interprétation large des règles de l’immunité fonctionnelle pouvant bénéficier aux anciens potentats ou officiels dont le résultat concret empêcherait, ab initio, toute ouverture d’enquête.» A ce stade de procédure, il convient de signaler que cette décision ne concerne que l'aspect procédural de l'affaire. Ainsi, le procès pourra suivre son cours et le tribunal fédéral suisse se penchera désormais sur l'aspect substantiel de l'affaire en enquêtant sur les allégations de crimes de guerre. La question qui se pose désormais est celle de savoir quelle est la nature et l'étendue de la protection qu'accorde le droit international aux ministres devant les tribunaux étrangers ?
II- La protection internationale des ministres étrangers
Suivant un principe de droit international universellement admis, les chefs d'Etat, les chefs de gouvernement, les ministres, ainsi que les envoyés diplomatiques ne peuvent être soumis pénalement à aucune juridiction autre que celle de leur propre pays, et ce, pour toute infraction qu’ils auraient pu commettre, quelles qu'en soient la nature et la gravité. Ce traitement privilégié n'est pas un avantage personnel au profit des bénéficiaires ; il trouve son origine d'abord dans le respect du principe de l'égalité souveraine des Etats (par in parem non habet imperium) énoncé dans l’article 2/7 de la Charte des Nations unies, ensuite dans le souci de permettre aux fonctionnaires investis de charges internationales de s’acquitter librement de leurs fonctions pour le compte de l’Etat qu’ils représentent, il vise enfin à assurer la stabilité et la continuité des relations pacifiques et amicales entre les Etats. La jurisprudence nationale et internationale est riche en la matière. Pour ne citer qu'un seul exemple, la Cour internationale de justice (CIJ) avait affirmé dans son arrêt du 14 février 2002 (RDC c. Belgique) qu'«(…) il est clairement établi en droit international que, de même que les agents diplomatiques et consulaires, certaines personnes occupant un rang élevé dans l’Etat telles que le chef d’Etat, le chef du gouvernement ou le ministre des Affaires étrangères, jouissent dans les autres Etats d’immunités de juridiction, tant civiles que pénales». Une distinction doit être faite, cependant, entre les actes accomplis à titre officiel (jure imperii) et ceux accomplis à titre privé (jure gestionis). En effet, pour la première catégorie, le titulaire d'une haute charge au sein de l'Etat bénéficie d'une immunité fonctionnelle totale, absolue et perpétuelle, il ne peut être poursuivi en raison de ces actes officiels, même après la cessation des ses fonctions. La raison d'être de cette immunité substantielle (ratione materiae) est simple : l'acte est imputable à l'Etat et non pas à la personne privée. Nous y reviendrons. S'agissant de la deuxième catégorie d'actes, les hauts fonctionnaires étatiques jouissent de la protection immunitaire que leur accorde le droit international coutumier dès lors qu'ils sont en poste. Une fois que leurs fonctions prennent fin, ils cesseront d'en tirer profit. Cette immunité procédurale (ratione persona) ne protège le titulaire d'une fonction représentative internationale que pendant la durée de sa charge, au-delà, il pourrait faire l'objet de poursuites judiciaires. Dans ce cas précis, l'acte privé est imputable à la personne physique et non pas à l'Etat. Dans cet ordre d'idées et sur demande du ministère public de la Confédération, la direction du droit international public (MAE) estime dans ses observations du 21 novembre 2011 qu'«(…) en sa qualité d'ancien ministre de la Défense de la République algérienne, continue à jouir d'une immunité de juridiction devant les instances helvétiques pour tous les actes qu'il a accomplis dans le cadre de ses fonctions officielles, mais que tel n'est pas le cas pour les actes qu'il a accomplis à titre privé durant la période de son mandat officiel(…)». Ainsi, en sa qualité d'ancien ministre de la Défense et ancien membre d'une haute institution exécutive nationale, Khaled Nezzar ne bénéficie systématiquement d'aucune immunité devant les tribunaux pénaux étrangers pour des actes qu'il aurait commis durant ses fonctions. Il convient donc au préalable d'examiner une autre question, la plus délicate d'ailleurs, celle de savoir la nature des actes reprochés à Khaled Nezzar. S'agit-il d'actes à caractère officiel ou privé ?
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