Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Manifestation «salafiste» à Paris : retour sur un emballement

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Manifestation «salafiste» à Paris : retour sur un emballement

    Interpellation d'un manifestant devant le ministère de l'Intérieur, le 15 septembre 2012. (Photo Benoît Tessier. Reuters)
    -

    Le rassemblement de samedi devant l'ambassade américaine, qui s'est soldé par 152 interpellations, n'était pas autorisé. Depuis, la polémique monte entre le gouvernement et l'opposition.

    Par SYLVAIN MOUILLARD, WILLY LE DEVIN
    C'est samedi après-midi que la France a connu sa première manifestation en réaction au pamphlet «Innocence of muslims». Malgré l'impact modéré du rassemblement qui s'est tenu devant l'ambassade des Etats-Unis à Paris (200 à 250 manifestants, pas de dégradations), la classe politique ne cesse d'alimenter la polémique.

    Que s’est-il passé samedi après-midi ?

    Dès jeudi, un appel à manifester en protestation au film «Innocence of muslims» circule sur Internet. «Je vous propose de manifester à 17 h vendredi si vous le pouvez rendez vous à METRO CONCORDE PASSER LE MESSAGE CAR IL FAUT PROTEGER L’HONNEUR DE L’ISLAM ET DE SON PROPHÈTE», peut-on lire sur le site Ansar al-Haqq.

    L’initiative, qui n’aboutit pas vendredi, se concrétise le lendemain. Aux alentours de 16h30 samedi, 200 à 250 personnes convergent vers la place de la Concorde, à Paris, alertés par les réseaux sociaux ou par textos. Le site islamenfrance.fr publie un SMS, présenté comme d’origine, appelant au rassemblement.

    «Slm alkm [Rassemblement UNIQUEMENT pour les frères] Assalamou alaykoum, un rassemblement aura lieu le samedi 15 septembre 2012 devant le consulat des Etats-Unis à Paris Place de la Concorde, dès 15h inchaaLlah (adresse : 18 avenue Gabriel ). Ceci fait suite à l’ignoble film réalisé par un chien américain sur notre bien-aimé, la prunelle de nos yeux, notre Prophète, Messager et guide, Mohammed Ibn AbdiLlah, sallaLlahou 3alahyi wa salam. A transferer en masse par sms, email, facebook, etc. Pour votre sécurité, les soeurs n’y sont pas conviées. Ceci dit, votre participation dans la propagation de ce message est importante. Ne les laissez pas nous humilier et profaner la personne qui nous est le plus cher au monde, tout en restant en silence ! Puisse Allah azawajal vous recompenser pour cela et vous réunir auprès de lui, fier d’avoir un jour défendu son honneur. Wa salamou alaykoum.»

    Contacté par Libération.fr, Abderrahim, responsable du site L’Islam en France, livre une interprétation différente : «Ce rassemblement se voulait au départ une réponse à une "importation en France" de l’affaire du film islamophobe par la presse française ; en premier lieu, les propos de Ivan Rioufol et de Christophe Barbier [éditorialistes au Figaro et à l'Express, ndlr]. De plus, notre site internet relaye plusieurs évènements chaque week-end à titre d’information et de partages de "bon plans".»

    A LIRE AUSSI : «Innocence of Muslims», film de la haine

    Reste que le rassemblement est illégal, car il n’a pas fait l’objet d’une demande d’autorisation préalable auprès de la préfecture. Alors qu’ils se dirigent vers l’ambassade des Etats-Unis, les manifestants sont «maintenus au niveau des Tuileries». Des petits groupes éclatés se dispersent, notamment en direction de la place Beauvau. Ils sont rapidement bloqués par d’importants effectifs policiers, déployés pour les journées du patrimoine.

    Les forces de l’ordre procèdent à de nombreuses arrestations. Vers 20 heures, les derniers manifestants font leur prière, encerclés par les forces de l’ordre, avant d'être à leur tour conduits dans un commissariat. Au total, 151 personnes sont interpellées pour «participation à une manifestation non déclarée», et un jeune de 16 ans pour «violence sur personne dépositaire de l’autorité publique», selon un communiqué de la préfecture de police. Celle-ci se félicite du fait qu'«aucune dégradation n’a été commise ; à aucun moment l’Ambassade des Etats-Unis n’a été sous la pression d’un quelconque manifestant et force est restée à la loi». Les personnes interpellées ont été relâchées dans la soirée de samedi, après que leurs identités ont été contrôlées.

    Qui est à l’origine du rassemblement et qui y a participé ?

    On ne sait pas grand chose de l’identité des manifestants présentés comme «proches des milieux salafistes» par des sources policières. En langage ministériel, cela donne de la part de Manuel Valls «des jeunes», ainsi que «des petits groupes agissants que nous connaissons dans nos quartiers, qui prônent un islamisme radical». Ou comment cataloguer rapidement des individus au prétexte que certaines femmes sont apparues «intégralement voilées» dans un reportage de France 3.

    En réalité, accoler le mot «salafiste» à ces manifestants ne semble pas très heureux. Depuis deux jours, les médias l’emploient pourtant à tout bout de champ. Au risque d’amalgamer tout et n’importe quoi, créant ainsi une masse informe et hostile. Pour Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne, «le terme salaf signifie à l’origine en arabe "pieux précurseur". Cela renvoie donc aux aînés, à ceux qui étaient là peu de temps après le prophète et qui sont donc détenteurs d’une foi originelle. Aujourd’hui, en revanche, l’interprétation du mot salafisme se rapproche plutôt de la notion de radicalité. En 2012, on qualifie de "salafiste" quelqu’un qui a une lecture littérale et littéraliste des textes fondateurs. Toutefois, un salafiste n’est pas forcément générateur de trouble à l’ordre public. C’est le terme qui est désormais connoté.» Lundi, plusieurs responsables musulmans expliquaient justement «que les salafistes, les vrais, ne prennent en général pas part aux revendications politiques».

    A LIRE AUSSI : Colère diffuse dans le monde arabe

    Dans un entretien au Monde.fr, Samir Amghar, sociologue spécialiste du salafisme en France, accréditait aussi cette position : «Je ne souscris pas à la thèse selon laquelle c’est une manifestation de radicaux musulmans ou une manifestation qui a été instrumentalisée par des leaders salafistes français. (...) Il s’agissait de jeunes entre 18 et 35 ans, issus de la seconde génération d’immigrés musulmans réislamisés et habitant les quartiers populaires. Ces jeunes, qui ont intériorisé les ressorts démocratiques et les modes d’expression à travers un prisme légaliste, ont manifesté parce qu’ils considéraient que leur identité musulmane était critiquée. On note un certain manque d’expérience des organisateurs qui n’avaient pas d’autorisation préalable pour manifester, n’avaient ni pancarte ni slogan construit. Ce sont des musulmans qui tentent, dans une tradition républicaine, de manifester mais n’en maîtrisent pas les codes.» Dès vendredi, sentant la tension monter, de nombreux imams ont pris appui sur le prêche pour relayer des appels au calme, insistant sur la nécessité de condamner «Innocence of muslims», mais de façon pacifique.

    Qu’a décidé la justice ?

    Dimanche, le parquet de Paris a ordonné une enquête sur cette «manifestation non autorisée sur la voie publique». Un délit passible de six mois de prison et de 7 500 euros d’amende. Pour retrouver et punir les éventuels contrevenants, les policiers disposent des identités des 152 personnes interpellées samedi, ainsi que d’images vidéo et de messages sur les réseaux sociaux.

    A noter également que des ressortissants tunisiens, égyptiens et syriens figureraient parmi les interpellés : des personnes qui devraient faire l’objet d’une «expulsion immédiate», s’il s’avérait qu’elles étaient en situation irrégulière, selon l’UMP Jean-François Copé. Une sortie qui inquiète l'anthropologue Dounia Bouzar : «La majorité des manifestants ne sont pas des gens de l'étranger. C’est beaucoup plus compliqué que cela. Ce sont des jeunes nés en France, persuadés que l’islam est victime d’une persécution. Cette situation n’est pas anodine : on ne laisse pas grandir une idéologie qui pense qu’il y a un complot contre elle.»
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
Chargement...
X