Le Peuple Saharaoui - Les Nations-Unis -Le Maroc
Khadija Mohsen-Finan est chercheure associée à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et maître de conférences à l’Université Paris VIII. Spécialiste du Maghreb et des questions méditerranéennes, elle travaille également sur l’intégration des populations musulmanes en Europe. Elle a dirigé en 2011 la publication de Le Maghreb dans les relations internationales (CNRS éditions).
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Khadidja Finan : « les envoyés spéciaux n’ont pas vocation à séduire ou à être désavoués »
Pourquoi le Maroc a-t-il décidé de « retirer sa confiance » à l’ambassadeur Christopher Ross, l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon? A-t-il été vraiment « partial » comme l’affirme le gouvernement marocain ? Quel impact peut avoir cette décision alors que Ban Ki-moon et les Etats-Unis ont réaffirmé leur confiance dans l’émissaire de l’Onu. La politologue Khadija Mohsen-Finan (*), spécialiste du dossier du Sahara Occidental apporte, ici, des éclairages instructifs.
Comment interprétez-vous la décision du Maroc de retirer sa confiance à l'émissaire des Nations unies pour le Sahara occidental, Christopher Ross ?
Le désaveu de Christopher Ross par le Maroc n’est pas une surprise. Rabat avait envoyé son ministre des Affaires étrangères, Saad Eddine El Othmani, à Washington une semaine avant son annonce pour demander le renvoi de Christopher Ross. Mais cela n’avait pas été efficace car le sous-secrétaire d’Etat américain, William Burns, s’était opposé à la demande du ministre des Affaires étrangères marocain .
Pourquoi la décision du Maroc intervient à ce moment-là ?
Il est possible que Rabat ait attendu un mois après la parution du rapport pour signifier au nouveau gouvernement français dirigé par le socialiste François Hollande la fermeté de sa position, après le départ de Nicolas Sarkozy qui soutenait la position du Maroc. Mais c’est peut-être aussi un message envoyé à Christopher Ross qui prévoyait un voyage au Sahara occidental en mai.
Christopher Ross a-t-il vraiment été « partial » comme lui reproche le Maroc ?
Je ne crois pas que l’on puisse parler d’impartialité mais les Marocains ne sont pas habitués à ce que l’ONU remette en cause leurs méthodes. Or, je dois avouer que dans ce dernier rapport les griefs sont nombreux et énoncés avec précision. Le Maroc fait l’objet de deux types d’accusations : il entrave le travail de la mission des Nations Unies pour l'organisation d'un référendum au Sahara (la Minurso) au point d’en entamer la crédibilité, et brouille la lisibilité du conflit en agissant comme le maître des lieux au Sahara occidental, alors qu’il s’agit d’un territoire sur lequel l’ONU n’a pas statué.
Pour étayer ces accusations, Christopher Ross est très précis, il donne de nombreux exemples comme l’organisation au Sahara du référendum du 1er juillet relatif à la modification de la Constitution (dont le texte contient des dispositions sur la régionalisation au Sahara), même chose pour les élections législatives du 24 novembre, l’obligation de faire porter des plaques d’immatriculation diplomatiques marocaines aux véhicules de la Minurso, le déploiement de drapeaux marocains autour du quartier général de la Mission, bref autant d’éléments qui sont susceptibles de remettre en question la neutralité de la Minurso. Mais le rapport accuse également les Marocains d’espionner les casques bleus, de compromettre la confidentialité des communications téléphoniques entre le quartier général de la Minurso à Laayoun et le bâtiment des Nations unies à New York, ou encore le recours à des tribunaux militaires marocains pour juger des Sahraouis civils…
Bien sûr tout cela n’est pas nouveau, ce qui est nouveau c’est qu’un fonctionnaire onusien le dénonce et que ce soit repris aussi clairement et explicitement dans le rapport du secrétaire général.
Il faut que les deux parties comprennent que l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon a une tâche bien particulière à remplir : il doit maintenir le dossier dont il est en charge sur l’agenda international et doit aussi attirer l’attention de sa hiérarchie sur les conséquences des difficultés rencontrées sur le terrain, les défis ou les blocages. C’est exactement ce que fait Christopher Ross en 2012. Mais ce qui est nouveau, c’est que cette fois ses remarques sont inscrites dans le rapport et il a l’appui de Ban Ki-moon. Ce dernier ne s’est pas abrité derrière la fin d’un mandat ou encore en lui demandant de démissionner, il cautionne ses remarques.
Dans tous les cas, nous sommes devant des pratiques qui gagneraient à être dépassées. Les envoyés spéciaux n’ont pas vocation à séduire ou à être désavoués, leur rôle est ailleurs. En outre, le rapport ne ménage pas non plus la partie adverse. Il faut sortir de cette lecture binaire qui consiste à croire que tous ceux qui ont des critiques à formuler au Maroc sont favorables au Front Polisario et inversement. D’ailleurs le diplomate américain Christopher Ross, fin connaisseur de la région, l’a bien compris en disant que les belligérants devaient prendre en compte « le peuple du Sahara ». Au final c’est à lui de se prononcer sur l’avenir de ce territoire.
Quel impact peut avoir une telle décision dans les relations entre le Maroc et l'ONU ?
On ne sait pas encore jusqu’où peuvent aller les tensions entre Rabat et l’ONU. Mais une chose est sûre, le rapport existe et les observations de Christopher Ross montrent clairement que la Minurso a dû mal à s’acquitter de sa mission sur le terrain.
Je crois que dernier rapport nous aide surtout à comprendre que l’ONU est peut-être toujours favorable à une autonomie, cela n’est pas exclue mais que le chemin pour y arriver n’est pas le même que celui que Rabat à imaginer. Le Maroc a présenté cette option comme un compromis entre l’annexion du Sahara au Maroc et l’indépendance. Or, c’est une décision unilatérale qui ne prend en compte ni l’autre belligérant ni, comme le précise le rapport « le peuple du Sahara ».
Là, je dois dire que le contenu du rapport montre que Christopher Ross a un temps d’avance sur les deux belligérants. Il tente d’extraire le conflit de son aspect figé et immobile et la place dans la dynamique des printemps arabe. Il pense qu’il faut sortir du tête-à-tête entre les parties et associer d’autres Maghrébins à une recherche de sortie de crise, sachant qu’au final et quel que soit la méthode retenue, c’est bien le « peuple du Sahara’ qui décidera de son avenir. C’est aussi une manière de dépasser les blocages et les vieux schèmes qui se sont avérés inopérants.
Je crois que c’est autant les griefs faits au Maroc que la volonté d’emprunter des voies nouvelles qui sont à l’origine de la colère de Rabat.
Quelles conséquences risquent d’avoir la décision du Maroc sur le processus de règlement du conflit ?
Je ne suis pas sûre que ça ait des conséquences majeures surle règlement du conflit. Toutefois, bien plus que ses prédécesseurs Christopher Ross, a ressenti le besoin de montrer que ce conflit ne pouvait pas rester indéfiniment l’otage de ceux qui en ont conçu la sortie il y a quelques décennies. Il prend appui sur le printemps arabe pour renouveler le registre de l’offre en matière de règlement. C’est la raison pour laquelle il parle de « peuple du Sahara » en référence à la société civile et qu’il évoque l’autodétermination, mais cela ne veut pas dire qu’il a troqué un belligérant à la place de l’autre. Il veut sortir du schéma binaire, sa hiérarchie le suit et c’est déjà un grand pas.
Les relations entre Rabat et Alger pourraient-elles être entravées par cette décision?
Je ne pense pas que cela puisse avoir un impact direct sur les relations entre le Maroc et l’Algérie, mais je crois que la leçon vaut pour tous, il nous faut sortir des schémas binaires qui nous ont enfermés dans une impasse et renouveler nos schémas de pensée.
Le nationalisme étroit qui a conditionné les débuts de ce conflit ne peut être dominant dans la recherche d’une sortie de crise. Nous vivons une autre époque, les jeunes ont des attentes précises et nous n’avons aucunement le droit de sacrifier leurs ambitions sur l’autel de quoi que ce soit.
L’histoire qui semblait figée a retrouvé une dynamique et le conflit saharien n’échappe pas à ces logiques nouvelles. Ce dossier comme les autres doivent être approchés par l’angle de la modernité politique, Christopher Ross l’a compris, sa hiérarchie l’a suivi nous ne pouvons que nous en réjouir, mais en interprétant justement les enjeux du désaveu marocain de Christopher Ross.
M-Emergent
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