«La Banque d’Algérie pousse le degré d’opacité au point de ne pas respecter la loi»
Nour Meddahi. professeur à l’université de Toulouse, spécialiste en économétrie et finances
Le 01.10.12
Spécialiste en économétrie et finances, Nour Meddahi estime, dans l’entretien accordé à El Watan Economie, que la Banque d’Algérie a fait une erreur de diagnostic pour calculer le taux d’inflation. Pis encore, outre le diagnostic peu reluisant qu’il fait des banques publiques et de la Banque d’Algérie quant à leur apport à l’économie algérienne, il fustige la politique monétaire de la Banque d’Algérie, qu’il taxe par ailleurs de «banque hors-la-loi» !
-Selon la Banque d’Algérie, la forte inflation de cette année est due à la désorganisation des marchés et à la spéculation. Qu’en pensez-vous ?
Selon l’ONS, l’inflation, d’août 2011 à août 2012, était de 8,1%. C’est l’alimentation (9,8%) et l’habillement (8,1%) qui expliquent cette forte inflation, ces secteurs représentant à eux deux près de 50% de l’indice des prix. Les marchés de ces produits ne sont pas plus désorganisés cette année que par le passé et aucune étude n’a montré qu’il y ait eu cette année plus de spéculation. L’explication de la Banque d’Algérie (BA) n’est donc pas convaincante. L’inflation est élevée à cause de la forte augmentation du SNMG (20%) et des salaires dans le secteur public (150% pour certaines catégories). C’est une onde de choc qui s’est propagée et continue partout dans l’économie. Tout le monde a ou va augmenter son salaire et ses bénéfices pour garder le même train de vie que sa catégorie sociale. Ceci implique que les prix de tous les biens produits en Algérie ont ou vont augmenter, créant de l’inflation. Les augmentations étant élevées, en plus des rappels sur plusieurs années pour certains fonctionnaires, les revenus des ménages ont augmenté, créant ce que les économistes appellent un choc de demande. Il est d’une amplitude et d’une brutalité inouïes, que l’économie nationale doit absorber.
Les économistes savent depuis longtemps que dans ces circonstances, l’inflation finira par exploser si aucun ajustement de la politique monétaire n’est appliqué. C’est à ce niveau que la BA doit intervenir pour inciter les ménages à consommer moins et à épargner plus. Le seul moyen d’y arriver est d’augmenter les taux d’intérêt des dépôts, en particulier le taux d’intérêt à un an qui doit être supérieur à l’inflation anticipée à court terme. Ce choc est malicieux car il peut créer une spirale inflationniste, c’est-à-dire amener de nouvelles augmentations salariales. La BA doit prendre les mesures adéquates pour stopper la spirale inflationniste et arrêter de trouver de fausses excuses. En juin dernier, elle a expliqué la forte inflation par l’expansion monétaire. A présent, elle nous dit que la faute incombe en fait à la désorganisation des marchés et aux spéculateurs, c’est-à-dire que c’est la faute aux autres. Cette déclaration est un aveu d’échec et un désastre en termes de communication.
Récemment, le chairman de la Banque centrale américaine (FED) a rappelé l’importance de la communication pour la crédibilité d’une Banque centrale. La communication indique le chemin que la Banque centrale compte suivre, ce qui aide les agents économiques, dont les ménages, à former et changer leurs anticipations et donc leurs dépenses et leur épargne. C’est particulièrement important depuis 2010, puisque l’inflation est devenue l’objectif ultime de la politique monétaire de la BA et qu’elle doit la cibler. Cette cible est de 4%. Nous sommes très loin du compte. En Angleterre, lorsque l’inflation est supérieure de 1% à sa cible, le gouverneur de la Banque centrale doit écrire une lettre publique à sa tutelle pour expliquer le pourquoi d’un tel échec.
Par ailleurs, la BA a renoncé depuis des années à utiliser les taux d’intérêt dans sa politique monétaire et se focalise sur le retrait des liquidités dans sa gestion de l’inflation. Je pense que c’est une erreur de diagnostic car cette politique a du sens quand la croissance économique est forte, comme en Chine. Ce n’est pas le cas de l’Algérie où elle est plutôt faible au vu des énormes investissements publics. Depuis 2006, année qui coïncide avec la baisse de production des hydrocarbures, le taux de croissance annuel de l’économie se situe entre 2 et 3% et est à plus de 2% en dessous de la moyenne de la zone MENA.
-Qu’est-ce qui explique la faible croissance de ces dernières années ?
Une des principales raisons de la mollesse de la croissance est la faiblesse de l’investissement privé. Le montant des crédits au secteur privé est très bas, autour de 15% du PIB, alors qu’il varie entre 65 et 75% du PIB au Maroc et en Tunisie et entre 45 et 55 % du PIB dans les pays pétroliers comme l’Arabie Saoudite et l’Iran. Toute action qui contribue à réduire les crédits nuit à la croissance. C’est le cas des retraits de liquidités de la BA dont l’encours est de 1350 milliards de dinars. Depuis plusieurs années, le ratio dépôt sur crédit se situe autour 60%. La BA prive donc chaque année l’économie du pays de 810 milliards de dinars de financement, soit 8 milliards d’euros. Ce sont des milliers de projets créateurs de richesse et d’emplois qui ne sont ainsi pas financés. La BA a même retiré 250 milliards de dinars en avril dernier, à un moment où les dépenses publiques qui soutiennent la croissance subissent de fortes tensions.
Nour Meddahi. professeur à l’université de Toulouse, spécialiste en économétrie et finances
Le 01.10.12
Spécialiste en économétrie et finances, Nour Meddahi estime, dans l’entretien accordé à El Watan Economie, que la Banque d’Algérie a fait une erreur de diagnostic pour calculer le taux d’inflation. Pis encore, outre le diagnostic peu reluisant qu’il fait des banques publiques et de la Banque d’Algérie quant à leur apport à l’économie algérienne, il fustige la politique monétaire de la Banque d’Algérie, qu’il taxe par ailleurs de «banque hors-la-loi» !
-Selon la Banque d’Algérie, la forte inflation de cette année est due à la désorganisation des marchés et à la spéculation. Qu’en pensez-vous ?
Selon l’ONS, l’inflation, d’août 2011 à août 2012, était de 8,1%. C’est l’alimentation (9,8%) et l’habillement (8,1%) qui expliquent cette forte inflation, ces secteurs représentant à eux deux près de 50% de l’indice des prix. Les marchés de ces produits ne sont pas plus désorganisés cette année que par le passé et aucune étude n’a montré qu’il y ait eu cette année plus de spéculation. L’explication de la Banque d’Algérie (BA) n’est donc pas convaincante. L’inflation est élevée à cause de la forte augmentation du SNMG (20%) et des salaires dans le secteur public (150% pour certaines catégories). C’est une onde de choc qui s’est propagée et continue partout dans l’économie. Tout le monde a ou va augmenter son salaire et ses bénéfices pour garder le même train de vie que sa catégorie sociale. Ceci implique que les prix de tous les biens produits en Algérie ont ou vont augmenter, créant de l’inflation. Les augmentations étant élevées, en plus des rappels sur plusieurs années pour certains fonctionnaires, les revenus des ménages ont augmenté, créant ce que les économistes appellent un choc de demande. Il est d’une amplitude et d’une brutalité inouïes, que l’économie nationale doit absorber.
Les économistes savent depuis longtemps que dans ces circonstances, l’inflation finira par exploser si aucun ajustement de la politique monétaire n’est appliqué. C’est à ce niveau que la BA doit intervenir pour inciter les ménages à consommer moins et à épargner plus. Le seul moyen d’y arriver est d’augmenter les taux d’intérêt des dépôts, en particulier le taux d’intérêt à un an qui doit être supérieur à l’inflation anticipée à court terme. Ce choc est malicieux car il peut créer une spirale inflationniste, c’est-à-dire amener de nouvelles augmentations salariales. La BA doit prendre les mesures adéquates pour stopper la spirale inflationniste et arrêter de trouver de fausses excuses. En juin dernier, elle a expliqué la forte inflation par l’expansion monétaire. A présent, elle nous dit que la faute incombe en fait à la désorganisation des marchés et aux spéculateurs, c’est-à-dire que c’est la faute aux autres. Cette déclaration est un aveu d’échec et un désastre en termes de communication.
Récemment, le chairman de la Banque centrale américaine (FED) a rappelé l’importance de la communication pour la crédibilité d’une Banque centrale. La communication indique le chemin que la Banque centrale compte suivre, ce qui aide les agents économiques, dont les ménages, à former et changer leurs anticipations et donc leurs dépenses et leur épargne. C’est particulièrement important depuis 2010, puisque l’inflation est devenue l’objectif ultime de la politique monétaire de la BA et qu’elle doit la cibler. Cette cible est de 4%. Nous sommes très loin du compte. En Angleterre, lorsque l’inflation est supérieure de 1% à sa cible, le gouverneur de la Banque centrale doit écrire une lettre publique à sa tutelle pour expliquer le pourquoi d’un tel échec.
Par ailleurs, la BA a renoncé depuis des années à utiliser les taux d’intérêt dans sa politique monétaire et se focalise sur le retrait des liquidités dans sa gestion de l’inflation. Je pense que c’est une erreur de diagnostic car cette politique a du sens quand la croissance économique est forte, comme en Chine. Ce n’est pas le cas de l’Algérie où elle est plutôt faible au vu des énormes investissements publics. Depuis 2006, année qui coïncide avec la baisse de production des hydrocarbures, le taux de croissance annuel de l’économie se situe entre 2 et 3% et est à plus de 2% en dessous de la moyenne de la zone MENA.
-Qu’est-ce qui explique la faible croissance de ces dernières années ?
Une des principales raisons de la mollesse de la croissance est la faiblesse de l’investissement privé. Le montant des crédits au secteur privé est très bas, autour de 15% du PIB, alors qu’il varie entre 65 et 75% du PIB au Maroc et en Tunisie et entre 45 et 55 % du PIB dans les pays pétroliers comme l’Arabie Saoudite et l’Iran. Toute action qui contribue à réduire les crédits nuit à la croissance. C’est le cas des retraits de liquidités de la BA dont l’encours est de 1350 milliards de dinars. Depuis plusieurs années, le ratio dépôt sur crédit se situe autour 60%. La BA prive donc chaque année l’économie du pays de 810 milliards de dinars de financement, soit 8 milliards d’euros. Ce sont des milliers de projets créateurs de richesse et d’emplois qui ne sont ainsi pas financés. La BA a même retiré 250 milliards de dinars en avril dernier, à un moment où les dépenses publiques qui soutiennent la croissance subissent de fortes tensions.
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