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Notre ami Bourges

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  • Notre ami Bourges

    Quand j’ai dit, dans une récente interview accordée au Soir d’Algérie , que je n’étais pas dans l’écriture stakhanoviste, tout le monde aura, certainement, compris que cette affirmation s’applique, uniquement, au travail littéraire que j’accomplis, depuis quelques années, avec une relative liberté de gestion de mon temps. Ce qui n’est, évidemment, pas le cas de l’actualité qui m’interpelle, elle, très fréquemment, me soumettant à la dictature de l’instantané et m’obligeant, par conséquent, à réagir à chaud et donc à produire des textes, à un rythme soutenu, à la façon de Stakhanov… sans, toutefois, participer de ses motivations et, cela va sans dire, sans bénéficier de ses gratifications, autrement qu’en termes de satisfaction morale et de paix avec ma conscience.
    Je m’en excuse, par avance, auprès de mes amis lecteurs, tenu, même, de les prendre à témoin de ce que ce n’est pas moi qui vais chercher ou choisir, délibérément ou avec préméditation, mes sujets et leurs personnages, mais ce sont eux qui se jettent, sous ma plume, sans avertir, m’enjoignant de les traiter, sans coup férir. Et comme je n’aime pas faire dans la discrimination, je les entreprends tous, sur un pied d’égalité, tels qu’ils se présentent, sans les sélectionner et sans faire la différence entre leurs origines ou leur appartenance politique et idéologique.

    A plus forte raison, lorsqu’il s’agit de faits, d’événements et de personnages qui cultivent, en ce cinquantenaire de l’indépendance de notre pays, un rapport direct ou indirect avec l’Histoire de l’Algérie. Et puis, n’ai-je pas le devoir moral du journaliste, exigeant et vivace qui survit en moi, d’analyser, indistinctement, avec le recul et l’honnêteté intellectuelle voulus, tout ce qui se dit ou se montre sur mon pays, que cela provienne de ses adversaires ou émane de ses amis ? L’occurrence fait qu’aujourd’hui, je sois, vivement et fortement, questionné par le documentaire «L’Algérie à l’épreuve du pouvoir» d’Hervé Bourges, l’ancien président du CSA et l’actuel dirigeant de l’Union internationale de la presse francophone et dans une autre vie, successivement et étrangement, militaire du contingent de l’armée française à Aïn Arnat pendant la guerre de Libération nationale, membre du cabinet d’Edmond Michelet, chargé de la pacification et, sans transition, conseiller spécial du président Ahmed Ben Bella, aux côtés de Pablo Raptis, le chef de l’Internationale trotskyste, lui aussi, comme d’autres, inexplicablement, absent du film diffusé le 30 septembre 2012, à une heure de grand écoute, sur l’antenne de la 5, une chaîne du service public français.


    A la fin du visionnage de ce qui apparaît, franchement, comme un montage, bâclé, d’archives connues, vues et revues, comparables à celles déjà utilisées, par ailleurs, et auxquelles l’auteur a accolé des témoignages hachés, recueillis, pour la plupart, l’année dernière, et classés, selon un ordre donné, répondant à une logique politique sous-jacente plus qu’à celle d’une ligne éditoriale journalistique, désintéressée et équidistante, on en sort avec une impression de grand malaise qui surprend, venant de celui qui fut un gourou du journalisme audiovisuel de l’Hexagone.

    Face à tant de raccourcis, de schématisations, de choix partiaux d’acteurs, de témoins et de commentateurs, d’impasses sur certaines institutions nationales de premier plan et d’occultation de rôles, à commencer par celui de l’auteur lui-même, dont on sait qu’il a pesé sur nombre de décisions dans les cercles les plus proches du pouvoir, le premier réflexe qui s’impose aux téléspectateurs est celui du doute sur la sincérité de ce travail ou, à tout le moins, sur sa valeur ajoutée historique, par rapport à ce que l’on sait déjà, depuis longtemps, et qui a été livré par nombre de protagonistes des événements évoqués et par des historiens algériens, autrement plus crédibles, au vu du résultat des courses.

    Bref, du pain rassis à la sauce tomate, la vieille recette que nos grands-mères nous servaient, tout petits, pendant les jours sans, pour tromper notre faim.
    Une telle approche, en surface, des événements ramenés à de simples confrontations de personnes et de clans est coutumière des journalistes et des historiens idéologues français qui se sont penchés sur l’Histoire de la guerre comme sur l’Histoire de l’Algérie post-indépendance, sans s’être donné la peine d’aller au fond de la problématique de la construction de l’Etat national, comme se sont essayés à le faire, avec quelque rigueur, Jean Lacouture pour l’Égypte et le Vietnam, Edgar Snow pour la Chine et Paul Balta, précisément, pour l’Algérie. Cette façon de faire se regarder les Algériens dans un miroir déformant, à travers le défilé, sur un canapé de psy, d’un certain nombre de leurs anciens ou actuels dirigeants, entraînés — malgré eux ? — dans un chassé-croisé d’anathèmes et dans une séance de défoulement collectif, alors qu’ils ont, à quelques exceptions près, bparticipé à l’exercice, à part entière, du pouvoir qu’ils critiquent, me semble relever d’une schizophrénie et d’une palinodie condamnables, à plus d’un égard.

    Et dire que l’intéressé avait eu le toupet de vouloir y convier le Président de la République algérienne démocratique et populaire, en personne, disant, dans une interview, regretter qu’il n’ait pas donné suite à sa demande et ne pas le comprendre, confondant amitié et sens des hautes responsabilités du premier magistrat de l’Etat. La première conclusion provisoire à laquelle on est forcé de parvenir, à l’issue de la projection de cette première partie, est que la finalité de la démonstration a consisté à faire pénétrer notre esprit de l’idée qu’au bout du compte, l’indépendance, chèrement acquise, ne nous a servi à rien du tout et que notre pays n’est que ruines et discorde, ainsi que l’a attesté un «historien » invité qui a déclaré, sans pleurer, que «l’armée des frontières avait achevé le travail de l’armée coloniale» un Rubicon que Benjamin Stora, encore défendu par de petits télégraphistes spécialistes du baise-main marocain, n’aurait pas, lui-même, osé franchir. Il est vrai que les tonneaux vides ce sont ceux qui font le plus de bruit.

  • #2
    Ces éclaircissements indispensables à l’analyse étant posés, qu’en est-il du fond de la question ?

    D’abord, le titre du film qui reprend celui de l’ouvrage publié, par le même auteur, chez Grasset, en 1967, tellement loin dans le temps, qu’on avait failli l’oublier comme on a oublié ceux commis par Gérard Challiand, un autre «ami» de notre pays, de l’époque des pieds rouges, met, comme il fallait s’y attendre, «l’Algérie à l’épreuve du pouvoir». Notre pauvre Algérie est, toujours, mise à l’épreuve de quelque chose, comme si les autres Etats du monde vivaient sous le régime du Contrat social de Jean- Jacques Rousseau, dans les contrées de l’Utopie de Robert Owen ou dans le pays du Grand Blond de Gad Al Maleh, toujours tiré à quatre épingles, la chevelure lisse ne laissant dépasser aucun épi et qui, en vacances, plonge dans la piscine olympique, les pieds droits et propres, sans faire d’éclaboussures. Mais tous les pays, cher Hervé Bourges, ont été, sont et seront à l’épreuve du pouvoir, une constante de l’Histoire des luttes entre les idéologies, les classes et les cultures. A quoi ont, alors, servi Les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun, La République de Platon, les œuvres de Tite-Live et de Tacite, Le Prince de Machiavel, les variations de Dante, de Shakespeare et de Gœthe sur la tragédie et la comédie humaines, Le Capital de Karl Marx, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, La métamorphose de Frantz Kafka jusqu’à Du Pouvoir de Bertrand de Jouvenel, sinon à nous rappeler les folles turpitudes sanguinaires des Tamerlan, Gengis Khan, Attila, Alexandre, Néron, César, Ivan le Terrible, Robespierre, Napoléon Bonaparte, Hitler, Staline, et à nous éclairer sur la longue et pénible marche de l’Humanité vers moins d’autocratie et plus de démocratie ?

    Loin de moi l’idée de vouloir agiter, sous votre nez, un quelconque nationalisme, prétendument sourcilleux et chatouilleux ou une manifestation d’orgueil et d’amour propre excessifs. J’aurais, simplement, souhaité que vous introduisiez votre documentaire, en guise de préambule, par un bilan net et précis de la conquête de 1830, puis, de la colonisation, pendant plus d’un siècle et, enfin, de la guerre de 1954-1962, pour que le téléspectateur, surtout étranger, sache et comprenne dans quelles conditions «9 millions de mendiants» enguenillés, faméliques et exsangues ont accédé à l’indépendance, ainsi que l’a affirmé Zohra Drif, citant une tierce personne. En lieu et place, vous aviez préféré, pour ne pas déroger à l’immuable fable mise en circulation, en 1962, vous appesantir sur le départ massif des Européens dont Rédha Malek a dit qu’il rendit caduque une partie des Accords d’Evian et l’abandon des harkis aux mains du FLN que Bachir Boumaza a expliqué en disant que «lorsqu’il n’y a pas de pouvoir, les gens font des exactions que je ne justifierai pas et que je ne condamnerai pas». L’orientation générale du propos aurait pris davantage d’épaisseur et aurait été plus crédible si le cercle de vos invités avait été élargi à des personnalités, à des militants et à des syndicalistes représentatifs de la diversité politique et sociale de cette époque.

    Si je me fie à mes plus récentes informations, Mohamed Mechati, un des 22 qui ont déclenché la Révolution, est toujours en vie et parfaitement en mesure de témoigner de la même façon que Djamila Bouhired, Fatima Ouzeggane, Meriem Zerdani, Chadli Bendjedid, Tahar Zbiri, Lakhdar Bouragaâ, Youcef Khatib, Mohammed Salah Yahiaoui, Taleb Ahmed El Ibrahimi, Ali Haroun, Omar Boudaoud, une demi-douzaine de chefs de gouvernement, des leaders du PCA, de l’ONM, de l’UGTA, de l’UNEA historique, des écrivains comme Assia Djebbar, Mourad Bourboune, Leila Benmansour, Anouar Benmalek et des historiens connus pour leurs compétences académiques, leurs travaux et leurs recherches. Les téléspectateurs ne s’expliquent pas l’exclusion, d’office, des acteurs et des témoins arabophones, de journalistes comme Henri Alleg et le zapping sur un homme comme Mohamed Harbi dont le profil cadrait, dans un passé tout récent, avec les critères du casting, généralement retenus par ce type de productions. Dans le prolongement de cette option réductrice, ces mêmes téléspectateurs ont noté que des épisodes, probablement considérés comme gênants, n’ont pas, du tout, été effleurés.

    On pense, ici, à la condamnation à mort et à l’exécution du colonel Chaâbani et à l’assassinat de Krim Belkacem, sans parler de l’analyse, strictement événementielle et superficielle, de la genèse du fondamentalisme islamiste quand la naissance du Mouvement des journalistes algériens et l’apparition, dans la trajectoire du 5 Octobre 1988, de la presse écrite indépendante, une première dans le monde arabe, furent, superbement, ignorées.

    Que penser du recours au témoignage de l’épouse du président Houari Boumediène sur des faits qui remontent à la période d’avant son mariage ou quand elle déclare préférer taire les détails de la succession en 1978 sur laquelle a plané l’ombre de Kasdi Merbah présenté, par un des témoins, comme un faiseur de rois qui fait se lever et s’asseoir tout un congrès. Quant à la maladie et au décès du président, on se demande si Anissa Boumediène en a trop dit ou si elle n’a pas eu le courage d’aller au bout de sa pensée. Le sombre tableau dressé de cette période et la sémantique, mâtinée de paternalisme goguenard, employée me fait penser à l’admirable texte d’Hélène Cixous, publié dans Ce Jour-là, 5 Juillet 1962, paru aux éditions Chihab, en 2012, dans lequel elle rappelle le langage de «ces Français d’Algérie et Français de France qui parlaient le colonialiste, une langue lourde, aveugle, militarisée» et qui avaient forgé «une machination linguistique perverse» émaillée de mots comme «métropole », «lezarabes», le «tu» méprisant, «le yaouled », «la langue à leurres de la comédie tragique ». On ne peut, bien sûr, faire l’injure à Hervé Bourges de douter, un seul instant, de ses positions anti-colonialistes et de son algérianité, étant le bi-national qu’on connaît, mais il y a des scories qui n’ont pas tout à fait disparu de son langage, lorsqu’il parle – cela lui a-t-il échappé ? —de «jeune Nation algérienne» ou «d’Algérie algérienne», une terminologie loin d’être innocente dans la bouche d’un général de Gaulle ou d’un Giscard d’Estaing, en visite en Algérie, en 1975 qui faisait saluer «la jeune Nation algérienne » par «la France éternelle», alors que Cirta comptait, déjà, plusieurs siècles d’existence, au moment où Clovis, le premier roi des Francs, brisa le crâne de son soldat qui convoitait le vase de Soissons

    . Les seules minutes qui nous ont réconcilié avec le film furent celles qui ont permis aux jeunes Algériens d’entendre leurs anciens dirigeants dans un florilège de formules fracassantes, à inscrire dans la postérité de la langue de la liberté, à l’enseigne de : «Le destin s’arrête pour choisir son chemin» (Ahmed Ben Bella à l’ONU) ; «Je voulais faire la Révolution totale et nationaliser, dès 1962, les colons, nos ennemis » (Ben Bella, de nouveau) ; «L’indépendance n’est pas la Révolution» (Adresse de l’EMG à l’armée des frontières, le jour du cessez-le-feu ) ; «Un régime révolutionnaire a besoin d’un centralisme révolutionnaire » (Ahmed Ben Bella, encore) ; «La Révolution n’appartient pas à celui qui la déclenche mais à celui qui la termine» (Ali Yahia Abdennour) ; et, enfin, la palme revient à Rédha Malek qui a dit que «l’Histoire a avancé du mauvais pied, mais a avancé quand même».

    Un certain nombre d’invités, à l’instar de Lakhdar Brahimi, ont reconnu à Ahmed Ben Bella le mérite d’avoir assis les bases de l’Etat indépendant, dans un pays où il était difficile de succéder à la colonisation avec moins de 200 médecins et 2 architectes. Réussir la première rentrée scolaire, la première campagne de labours et entamer l’électrification d’un territoire dévasté par la guerre coloniale totale, n’était pas, dans ces conditions, une mince affaire. Mais cela s’est fait et le pays releva le défi de se redresser... Quelques clairières, seulement, concédées dans une forêt de formules lapidaires, genre «Nasser a demandé à Ben Bella de prendre l’armée et les services de renseignement » ; «La Révolution culturelle ce fut l’arabisation» et j’en passe. Connaissant sa pudeur et sa méfiance pour le prêt-à-porter, je ne sais pas si Serge Michel aurait épousé la même démarche que l’auteur pour traiter le sujet ou se serait-il, peut-être, fait excuser de ne pouvoir commettre une bévue qui aurait déteint sur sa postérité politique.

    A bien y réfléchir, ce n’est pas à Hervé Bourges qu’il faut, finalement, en vouloir, mais à certains de nos dirigeants qui ont, toujours, eu le chic de s’entourer de conseillers étrangers, une constante qu’on retrouve, tout au long de leur Histoire, lorsque nous revient, en mémoire, le rôle néfaste joué par Durand auprès de l’émir Abdelkader qui lui a concédé le monopole du commerce de blé dans l’Oranie, une faveur dont ont bénéficié, plus tard, les Bacri-Busnach, les négociants israélites auquel l’Histoire impute les démêlés de la France avec le dey Hussein et le fameux coup de chasse-mouches donné au consul Deval, l’émissaire du roi Charles X. En tous les cas, ce ne seront pas les conseillers étrangers du roi Mohammed V qui l’ont aidé à faire aboutir les négociations d’Aixles-Bains, menant à l’émancipation du Maroc ou, plus tard, André Azoulay, l’inamovible bras droit du souverain chérifien qui s’amuseraient à faire ce genres d’émission. Cela nous apprendra à «confier le pain de la maison aux étrangers» comme dit l’adage algérien, au lieu de concevoir et de réaliser ce type de programmes chez nous, avec nos équipes de journalistes — il y en a de bien plus compétents avec des archives en jachère, et ce, en renouant avec le précédent d’Octobre 1988, au lendemain duquel la Télévision nationale avait réalisé des triplex Alger-Rabat-Paris qui ont transporté, aux quatre coins du pays, la libre parole de Ben Bella, de Boudiaf, d’Aït Ahmed, de Ben Tobbal… sans que cela ait ébranlé les fondations de quoi que ce soit. Alors, sans attendre le 7 octobre prochain, pour voir la deuxième partie d’un produit que des journalistes du PAF français qui aiment chambrer l’ancien président du CSA pour son penchant moralisateur, auraient qualifié de spectacle d’Alice Sapritch revu et corrigé par Thierry Le Luron, prenons rendez-vous avec nous-mêmes et travaillons à préserver notre Histoire des manipulations qui veulent la rabaisser au niveau des commérages de concierges. Il y va de la grandeur de notre Nation.

    Badr’Eddine Mili.- Le Soir

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