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Les passeurs de la mort...

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  • Les passeurs de la mort...

    Plus de 200 émigrés clandestins ont été interceptés au large des côtes annabies, en moins d'un mois. Le phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur. De l'acharnement des passeurs, aux regrets des harraga.

    Tous les candidats à l'émigration illégale ont-ils recours à des passeurs? Oui, même si les personnes qui tentent l'expérience par leurs propres moyens sont moins nombreuses, le recours aux filières organisées est plus fréquent. C'est tout le relief maritime du pays qui est sous l'emprise de passeurs. C'est le cas à l'est du pays, Annaba, El Kala, Skikda, où les prétendants à l'émigration clandestine, recourent aux passeurs. Faisant de l'émigration clandestine un marché juteux, les passeurs skikdis sont à la tête des réseaux les plus tenaces au nord de l'Algérie.

    Bien organisé, ce filon de la mort, ayant pour seule motivation le gain facile, emploie des dizaines de jeunes, tous sexes confondus. C'est pour dire qu'il existe plusieurs filières «mafieuses», spécialisées dans les traversées de la mort.

    Le passage des harraga y est très structuré. Il existe des intermédiaires pour les candidats au départ vers la rive sud de la Méditerranée. Ce sont ces intermédiaires qui prennent en charge les candidats à l'émigration clandestine, depuis les négociations du prix jusqu'à leur départ, en passant par leur arrivée à Annaba.

    Les filières

    Avec un organigramme bien étudié, il est difficile d'avoir des chiffres sur ces filières en dehors du nombre de clandestins arrêtés par les services des gardes-côtes.

    Les têtes des réseaux de passeurs ne sont qu'une «ombre» que les harraga voient à travers leurs intermédiaires. «Mon patron n'est pas un criminel, c'est quelqu'un qui aide les jeunes désoeuvrés à quitter le pays, vers une vie meilleure», déclare un passeur de la wilaya de Skikda. Mettant en relief, les conditions socioéconomiques du pays, un passeur de la wilaya de Skikda, justifie son commerce.

    «L'étau se resserre autour de ces milliers de jeunes. Entre les conditions socioéconomiques déplorables et le défaut de visa, il est tout à fait normal de trouver une échappatoire», devait expliquer notre interlocuteur qui a requis l'anonymat. «Il y a des chantiers navals, pour la construction des embarcations», explique un passeur d'El Bouni, dans la wilaya d'Annaba.
    «L'argent que nous percevons pour chaque traversée, va en grande partie à la construction d'autres embarcations, que les gardes-côtes saisissent souvent, ou, qui atteignent la Sardaigne et qui seront ensuite abandonnées. Nous ne bénéficions que d'une infime partie de gain», devait-il ajouter. Comme quoi, ici on ne fait qu'atténuer la souffrance de ces dizaines de jeunes candidats à l'aventure. L'un des passeurs contacté par nos soins, nous explique l'opération depuis le premier contact jusqu'au jour j. Ce qui représente une à deux semaines de planification Après le départ des harraga à bord d'embarcations, ils sont à la merci de leur destin face au grand bleu.

    Une fois arrivés à destination, ils sont livrés à eux-mêmes, dans le cas où ils échappent aux gardes-côtes italiens. En d'autres termes, les réseaux de passeurs agissent dans l'impunité totale et sans être inquiétés par la justice.
    Cette même justice qui condamne les harraga, une fois cueillis par les gardes-côtes du pays d'accueil ou à leur retour en Algérie. Ainsi, soit ils se retrouvent dans des centres de rétention, soit en détention dans leur pays. Et là, leur regret est le maître-mot chez la plupart des candidats à l'émigration clandestine.

    La double peine

    Ces derniers mois, l'émigration clandestine a refait surface. De nombreux candidats à la harga ont été secourus et/ou arrêtés en pleine mer. C'est le cas de 16 harraga interceptés au large du Cap de Garde par les gardes-côtes, et qui ont été déférés au parquet. Lors de leur tentative de rejoindre les côtes italiennes, ils étaient à bord de deux embarcations. Il y a eu encore le cas des 42 autres interceptés au large d'El Chatt. Parmi les harraga figuraient des mineurs, alors que les passeurs ou les intermédiaires n'ont pas été arrêtés.

    Les hommes de loi tirent la sonnette d'alarme. «La politique actuelle a failli à sa mission devant le boom démographique, la croissance économique sur tous les plans, ce qui a engendré le chômage, la déperdition scolaire, et des diplômés à la rue», Me B.B. un autre magistrat, que l'on présentera sous les initiales de L. B. s'est interrogé si le harrag est coupable ou victime. «Ce n'est pas mon rôle en ma qualité de magistrat d'analyser les causes de l'émigration clandestine, mais d'appréhender les causes pour comprendre pourquoi on quitte chez soi pour devenir étranger chez l'autre». Me L. B., a précisé que «cette traversée a un coût proportionnel, dû au caractère répressif des mesures prises par l'UE, et au fait que désormais l'émigration est devenue un projet économique coûteux qui endette les candidats à l'émigration et les pousse à accepter de travailler en Europe dans des conditions inhumaines...» Et notre interlocuteur de s'interroger: «Quelle politique préventive peut-on adopter?». D'autres magistrats n'ont pas manqué d'interpeller l'Etat à se pencher sérieusement sur ces cas. Rien ne permet de penser que le nombre de harraga va diminuer, puisque chaque semaine, des dizaines de jeunes et moins jeunes qui parviennent à rejoindre l'autre rive, se retrouvent dans des centres de rétention, vivant dans des conditions des plus lamentables. Le fléau de l'émigration clandestine est aussi important que celui de construire des milliers de logements sociaux. La lutte implacable des gardes-côtes qui ne cessent de faire avorter régulièrement des tentatives d'émigration témoigne de ce qu'endure la jeunesse algérienne. Selon des sources bien informées, les harraga ne sont pas paradoxalement les plus pauvres. Ils saisissent l'énorme fossé qui sépare leur réalité quotidienne de celle à laquelle ils pensent avoir droit et dont l'Europe, prospère, leur donne l'image. Ce sont des migrants d'itinéraire et non des migrants de subsistance comme en Afrique où seule l'exigence de survie pousse à l'exode.

    Les embarcations de la mort se multiplient et les passeurs trouvent une aubaine pour en tirer profit. Partir sans rien réclamer, sans rien revendiquer avec, pour seule certitude, la mort ou le retour forcé. Si on se réfère aux statistiques, on trouve que des centaines de candidats à l'émigration clandestine ont été arrêtées, alors que d'autres ont réussi à arriver à bon port, au moment où des centaines n'ont jamais été retrouvées, comme c'est le cas des 19 harraga disparus il y a 4 ans. Il s'agit en fait d'une traversée infernale, dont le candidat ignore les conséquences. Au niveau des côtes annabies comme ailleurs, on ne cesse de montrer le revers de la médaille à nos jeunes, sans leur parler des dangers en pleine mer. Nos côtes sont envahies par des personnes venues de tout l'Est du pays pour se lancer dans l'aventure de la mort.

    Témoignages d'un harrag

    Un ex-harrag raconte sa tragédie: «On rêvait d'une vie meilleure, mais croyez-moi nul n'aura l'occasion de la vivre, tout simplement parce qu'on n'est pas chez soi». Évoquant une embarcation archicomble en pleine mer, celle-ci a été interceptée par les gardes-côtes. «Conduits au port, dira-t-il, on a été soumis à un interrogatoire, puis présentés au procureur de la République près le tribunal d'Annaba, je me suis senti comme un malfaiteur qui devait répondre d'un crime».
    De son côté, Nabil évoque sa mésaventure:

    «Nous avons tenté de secourir une embarcation avec à son bord 24 harraga comme nous, malheureusement, ils ont péri tous noyés et nous n'avons rien pu faire. On ne pouvait pas les approcher car nous étions 22 dans notre embarcation». Il précisera que «seuls deux ont été sauvés, car ils sont restés accrochés pendant une heure à notre barque jusqu'à l'arrivée des gardes-côtes». «Tout le long de la traversée, raconte-t-il, la mort se trouvait, elle aussi, à bord. On regrette d'avoir pris une telle décision, c'est la plus folle qui soit». Plusieurs prétendants à l'émigration clandestine ont été interceptés, raconte-t-il, lors de la traversée par les éléments marins, juste à temps. Ils ont vécu les moments les plus pénibles de leur existence. Des embarcations surchargées chavirent dans une mer houleuse, un moteur coule, si ce n'est les conditions climatiques qui leur donnent le coup de grâce.
    La mort comme bagage et la peur dans la peau, certains harraga, regrettent leur tentative, mais surtout de s'être endettés.

    D'autres, par contre, blasés par leurs conditions de vie, ont refait la tentative qui a encore une fois échoué, et sont toujours prêts à la refaire. «Même si je dois y laisser ma vie, je referai la traversée. Je n'ai rien à perdre, à 42 ans je ne suis pas marié, pas de maison et un travail minable», nous dira Rabah, harrag récidiviste, avec amertume qui se lit sur le regard d'un homme sans passé, ni présent encore moins sans avenir.

    Les mots ne suffisent pas à apaiser l'endurance d'un quotidien au lendemain incertain, pour des milliers de jeunes comme Nabil, Rabah et les autres, que les mesures les plus dures, pour contrecarrer le phénomène de l'émigration clandestine et freiner quelque peu ce suicide collectif ne découragent pas.
    L'Italie, qui a été pendant longtemps la porte de l'Europe pour l'émigration, a pris des mesures draconiennes ces deux dernières années sans que le problème ne soit réglé pour autant. Quelles mesures a pris l'Etat algérien pour régler le problème? Pourtant, l'émigration clandestine coûte cher en vies humaines, si l'on se réfère uniquement au nombre des dernières victimes.
    Plusieurs drames ont été signalés, sans parler des disparus ou de ceux qui ont été la proie des vagues dans une mer trop agitée. Quotidiennement, on prend le large et quotidiennement les gardes-côtes appréhendent ces candidats à «l'Eldorado». Malgré tous ces dangers, on ne cesse de prendre le cap à destination de la Sardaigne, qui conduit le plus souvent vers le centre de... Lampedusa.

    Wahida BAHRI- l'expression
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