POURQUOI ne pas réglementer la culture du kif, puis d’en faire un produit à utiliser dans les domaines médical et pharmaceutique, ainsi que cela se fait dans les pays européens?». C’est le député istiqlalien, Noureddine Mediane, qui a jeté ce pavé dans la mare il y a trois mois. Il s’était adressé directement au ministre de l’Intérieur, Mohand Laenser et au ministre délégué à l’Intérieur, Charki Draiss lors d’une séance des questions orales devant la Chambre des représentants.
Un autre député, Tarik Kabbaj de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), a été plus précis et est allé encore plus loin: «Avez-vous pensé à inclure la culture du kif dans le Plan Maroc Vert, et à créer des coopératives des exploitants de cette plante ?», avait-il dit à l’adresse du ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, Aziz Akhannouch. Il a même indiqué une «sérieuse» piste au ministre de l’Agriculture, si jamais on décidait de légaliser le commerce du kif. «Savez-vous, monsieur le ministre, que le Canada a essayé d’encourager la culture du kif sur ses terres glaciales, mais n’y a pas réussi, pourquoi donc ne pas leur exporter notre produit?», a tout simplement proposé Kabbaj.
Jusqu’à aujourd’hui, les deux députés n’ont toujours pas reçu de réponses à leurs propositions. Mais, il faut leur reconnaître le mérite d’avoir étalé sur les tapis du Parlement un linge sale dont on évite de parler. Sauf quand on organise des opérations de destruction de champs ou encore quand les services concernés procèdent à la saisie de quantités de résine de cannabis.
Pourtant, le problème est bel et bien là. Encore faut-il le formuler dans les formes qui tiennent compte aujourd’hui de l’évolution du coût de la vie et surtout de se poser une question, ô combien cruciale en ces temps modernes où la demande sur le hashish ne cesse d’augmenter. Il faut se demander tout simplement «à qui profite la culture du kif?».Ce n’est certainement pas à ceux qui le cultivent, mais à ceux qui le transforment en hashish et le commercialisent hors frontières, principalement en Europe.
Dans la montagne, au bout d’une piste sinueuse, une silhouette tellement maigre et chétive qu’un cèdre arrive à la cacher, scrutait la route. Mon compagnon, qui a organisé cette rencontre, m’annoncera que nous devons laisser la voiture et continuer notre chemin à pied. Il est vrai que les racines risquent d’endommager moteur et amortisseurs de notre véhicule, fait surtout pour circuler sur l’asphalte. La silhouette avança vers nous, ses traits deviennent plus distincts, plus nets. El Haj Abdeslam nous dévisage. D’un regard profond, il semblait nous «scanner». Encore une fois, mon compagnon intervient: «El Haj doit s’assurer que tu n’es pas de la gendarmerie». Pour le mettre en confiance, je lui ai présenté ma carte de presse et ce n’est qu’après coup que je me suis souvenu que El Haj ne sait pas lire, comme la majorité des populations de cette région. Il nous souhaita la bienvenue et nous invita à le suivre. Nous avons marché derrière lui entre les cèdres dont l’ombre nous procurait quelque fraîcheur en ce jour d’été particulièrement chaud.
El Haj marchait devant nous d’un pas alerte nous indiquant le chemin et surtout les grosses racines à éviter pour ne pas faire de chutes. Il s’appuyait sur un bâton dont la tête est sertie de gros clous. On le suivait comme on pouvait, il est clair que, même plus jeunes que lui, nous n’avions ni son souffle, ni sa souplesse. Il m’apprit alors qu’il est un vétéran de la «guerre du Rif» et y avait même laissé l’œil droit. El Haj est borgne et c’est pour cette raison qu’il porte de grosses lunettes noires qui lui cachent presque la moitié du visage. Il me dira aussi que le bâton n’était pas seulement pour l’aider à marcher, il n’en a pas besoin. C’est surtout une arme qui ne le quitte jamais car les «gens ne respectent plus rien, même pas mon âge». «Nous approchons de ma maison, je sais que vous êtes fatigués alors que vous n’avez même pas parcouru un kilomètre. Il faut arrêter la cigarette et ne plus fumer que du kif, comme moi», dit-il en riant dévoilant un dentier impeccable.
Quelques dizaines de mètres encore et nous voilà devant une maison toute peinte de bleu. Ici, on évite la couleur blanche, histoire de ne pas trop se faire repérer. L’habitation, construite en dur, surplombe une pente. «Voici mon domaine, mon palais et ma ferme», ironise El Haj Abdeslam. Il nous demande de le suivre. «Regardez, voici mes champs, là où je cultive l’unique plante capable de pousser dans ces montagnes, le kif», indique-t-il. Ses champs ? De petites parcelles sur un terrain escarpé cultivé en terrasses. Les pousses de kif sont déjà assez grandes en cette deuxième quinzaine de juillet. Notre hôte nous apprend qu’il va pouvoir entamer la récolte dès la fin août. «Elle sera bonne», dit-il.
Une voix l’appelle de l’intérieur de la maison. C’est l’heure du thé du matin. On est invité à y prendre part. En plus, nous étions tellement fatigués que un peu de repos est le bienvenu.
Nous entrons dans la maison et notre hôte nous invite à le suivre dans une pièce assez large et austèrement meublée. Notre regard est attiré par un vieux fusil accroché sur le mur du milieu. «C’est un Benini à deux coups», nous informe notre hôte qui nous montre son arme. «J’ai un permis de chasse et de port d’arme, mais j’utilise rarement ce fusil pour chasser, je n’ai qu’un seul œil et ma vue a beaucoup baissé», poursuit-il.
Le fusil lui sert, en fait, à se protéger contre les voleurs. «Trois à quatre fois par semaine, je charge mon fusil et je sors devant la maison. Je tire alors deux coups de feu en l’air. Cela dissuade les éventuels rôdeurs et les voleurs de kif», ajoute-t-il. Des voleurs, raconte-t-il, il y en a dans cette région surtout pendant la période des récoltes. Ils sont attirés par les sacs de kif entreposés dans les maisons. «Ils ne prennent rien d’autre, seul le kif les intéresse», nous confie El Haj Abdeslam tout en nous invitant à prendre place sur des sortes de paillasses rembourrées de paille et de halfa. Sa fille de 14 ans est en train de déposer sur une table basse des plateaux contenant du fromage frais de chèvre, de l’huile d’olive, du miel, du beurre salé (smen) et des œufs durs. Le plateau de thé est posé à même le sol. On avait tellement faim que nous n’avions pas attendu qu’El Haj nous invite pour faire honneur aux contenus savoureux, frais et du terroir, de ces plateaux. De longues minutes de silence, El Haj préparait le thé. La menthe et l’absinthe viennent du verger qu’il a aménagé de l’autre côté de la maison. Il y cultive aussi du persil, des carottes, des navets et parfois des pommes de terre et des oignons. «Je m’en occupe parallèlement aux champs du kif. Comme cela, je ne sens pas le temps passer», dit-il. El Haj a également une dizaine de chèvres qui couvrent ses besoins en lait et lui permettent de fabriquer son fromage. Pour ses autres besoins, principalement alimentaires, il se rend au souk hebdomadaire tous les samedis. Là, il se procure sucre, thé, café, huile, épices, viande rouge, légumes, semoule, savon, détergent…Tous les samedis, dans la maison d’El Haj Abdeslam, c’est le dîner du «jour du souk», c’est-à-dire qu’il y a du couscous au menu.
«Goûtez à ce miel, il est bon pour la santé. Les abeilles se nourrissent des champs sauvages de thym des environs», nous dit-il. Et c’est vrai, il était bon ce miel dégageant un arôme naturel si fort et si sucré. Notre hôte nous apprend qu’il a quelques ruches dans la forêt de cèdres qui entoure sa maison.
Alors que, repus, nous sirotions nos verres de thé, El Haj sort sa longue pipe à fumer le kif. En remplissant son «sebsi», il nous explique que c’est grâce à la culture du kif qu’il arrive à subvenir aux besoins de sa famille. «Les temps sont de plus en plus durs et les besoins des enfants de plus en plus importants. Certes, seule la petite que vous venez de voir continue à vivre avec nous, mais ses frères ont préféré vivre à Chaouen et à El Hoceima. Ils sont quatre et un seulement a un travail stable», avoue-t-il. Alors, comment il fait ?
«C’est simple, dit-il. Nous récoltons le kif et l’ensachons avant d’entreposer les sacs dans une sorte de remise en attendant l’arrivée des services de la Régie des tabacs qui nous l’achète». Apparemment, il ne sait pas que la régie n’existe plus et qu’elle a été privatisée. Il continue: «Ils venaient souvent, mais des semaines après la récolte, pour peser les sacs avant de les brûler. Ils ne viennent jamais au moment de la cueillette. Ils attendent que les tiges de kif, qui est une plante comme une autre, s’assèchent. Comme cela, leur poids baisse et donc cela leur coûte moins cher», ajoute-t-il avec regret. Un regret qu’il explique par la contrainte de vendre quelques sacs aux trafiquants. «On ne peut pas attendre des semaines pour que la Régie se manifeste. Nous avons besoin d’argent, alors on vend deux ou trois sacs que l’on nous paye 1.200 à 1.500 DH l’unité».
El Haj Abdeslam n’a pas d’états d’âme. Il n’a pas non plus de signes qui le distinguent ou le différencient des petits fellahs de la Chaouia ou du Gharb. «Si quand même», se rebiffe-t-il. «Ces fellahs peuvent obtenir des crédits auprès des banques, pas nous car nous sommes considérés comme des personnes insolvables», dit-il avec une voix amère.
El Haj Abdeslam est parmi les rares personnes qui ne sont pas inquiétées par les autorités. Cet ancien combattant des armées d’Abdelkrim El Khattabi dispose, en effet, d’un document qui date de la fin des années cinquante l’autorisant à s’adonner à la culture du kif, mais à la condition de ne vendre sa récolte qu’à la Régie des tabacs. Cette dernière étant privatisée, aujourd’hui plus personne d’officiel ne se présente chez El Haj Abdeslam pour acheter sa récolte.
C’est connu, les régions de Ketama et de cette partie du Nord du Maroc vivent depuis des décennies de la culture du kif. Mais, cette culture ne profite pas aux petits fellahs semblables à El Haj Abdeslam. Ces derniers n’en tirent que le minimum vital dont ils ont besoin pour survivre. La manne du kif profite exclusivement aux «barons» qui sont à la tête des filières de transformation du kif en hachich et de ses circuits de commercialisation. Et là commence une autre histoire.
Jamal Eddine HERRADI l'economiste
Un autre député, Tarik Kabbaj de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), a été plus précis et est allé encore plus loin: «Avez-vous pensé à inclure la culture du kif dans le Plan Maroc Vert, et à créer des coopératives des exploitants de cette plante ?», avait-il dit à l’adresse du ministre de l’Agriculture et de la Pêche maritime, Aziz Akhannouch. Il a même indiqué une «sérieuse» piste au ministre de l’Agriculture, si jamais on décidait de légaliser le commerce du kif. «Savez-vous, monsieur le ministre, que le Canada a essayé d’encourager la culture du kif sur ses terres glaciales, mais n’y a pas réussi, pourquoi donc ne pas leur exporter notre produit?», a tout simplement proposé Kabbaj.
Jusqu’à aujourd’hui, les deux députés n’ont toujours pas reçu de réponses à leurs propositions. Mais, il faut leur reconnaître le mérite d’avoir étalé sur les tapis du Parlement un linge sale dont on évite de parler. Sauf quand on organise des opérations de destruction de champs ou encore quand les services concernés procèdent à la saisie de quantités de résine de cannabis.
Pourtant, le problème est bel et bien là. Encore faut-il le formuler dans les formes qui tiennent compte aujourd’hui de l’évolution du coût de la vie et surtout de se poser une question, ô combien cruciale en ces temps modernes où la demande sur le hashish ne cesse d’augmenter. Il faut se demander tout simplement «à qui profite la culture du kif?».Ce n’est certainement pas à ceux qui le cultivent, mais à ceux qui le transforment en hashish et le commercialisent hors frontières, principalement en Europe.
Dans la montagne, au bout d’une piste sinueuse, une silhouette tellement maigre et chétive qu’un cèdre arrive à la cacher, scrutait la route. Mon compagnon, qui a organisé cette rencontre, m’annoncera que nous devons laisser la voiture et continuer notre chemin à pied. Il est vrai que les racines risquent d’endommager moteur et amortisseurs de notre véhicule, fait surtout pour circuler sur l’asphalte. La silhouette avança vers nous, ses traits deviennent plus distincts, plus nets. El Haj Abdeslam nous dévisage. D’un regard profond, il semblait nous «scanner». Encore une fois, mon compagnon intervient: «El Haj doit s’assurer que tu n’es pas de la gendarmerie». Pour le mettre en confiance, je lui ai présenté ma carte de presse et ce n’est qu’après coup que je me suis souvenu que El Haj ne sait pas lire, comme la majorité des populations de cette région. Il nous souhaita la bienvenue et nous invita à le suivre. Nous avons marché derrière lui entre les cèdres dont l’ombre nous procurait quelque fraîcheur en ce jour d’été particulièrement chaud.
El Haj marchait devant nous d’un pas alerte nous indiquant le chemin et surtout les grosses racines à éviter pour ne pas faire de chutes. Il s’appuyait sur un bâton dont la tête est sertie de gros clous. On le suivait comme on pouvait, il est clair que, même plus jeunes que lui, nous n’avions ni son souffle, ni sa souplesse. Il m’apprit alors qu’il est un vétéran de la «guerre du Rif» et y avait même laissé l’œil droit. El Haj est borgne et c’est pour cette raison qu’il porte de grosses lunettes noires qui lui cachent presque la moitié du visage. Il me dira aussi que le bâton n’était pas seulement pour l’aider à marcher, il n’en a pas besoin. C’est surtout une arme qui ne le quitte jamais car les «gens ne respectent plus rien, même pas mon âge». «Nous approchons de ma maison, je sais que vous êtes fatigués alors que vous n’avez même pas parcouru un kilomètre. Il faut arrêter la cigarette et ne plus fumer que du kif, comme moi», dit-il en riant dévoilant un dentier impeccable.
Quelques dizaines de mètres encore et nous voilà devant une maison toute peinte de bleu. Ici, on évite la couleur blanche, histoire de ne pas trop se faire repérer. L’habitation, construite en dur, surplombe une pente. «Voici mon domaine, mon palais et ma ferme», ironise El Haj Abdeslam. Il nous demande de le suivre. «Regardez, voici mes champs, là où je cultive l’unique plante capable de pousser dans ces montagnes, le kif», indique-t-il. Ses champs ? De petites parcelles sur un terrain escarpé cultivé en terrasses. Les pousses de kif sont déjà assez grandes en cette deuxième quinzaine de juillet. Notre hôte nous apprend qu’il va pouvoir entamer la récolte dès la fin août. «Elle sera bonne», dit-il.
Une voix l’appelle de l’intérieur de la maison. C’est l’heure du thé du matin. On est invité à y prendre part. En plus, nous étions tellement fatigués que un peu de repos est le bienvenu.
Nous entrons dans la maison et notre hôte nous invite à le suivre dans une pièce assez large et austèrement meublée. Notre regard est attiré par un vieux fusil accroché sur le mur du milieu. «C’est un Benini à deux coups», nous informe notre hôte qui nous montre son arme. «J’ai un permis de chasse et de port d’arme, mais j’utilise rarement ce fusil pour chasser, je n’ai qu’un seul œil et ma vue a beaucoup baissé», poursuit-il.
Le fusil lui sert, en fait, à se protéger contre les voleurs. «Trois à quatre fois par semaine, je charge mon fusil et je sors devant la maison. Je tire alors deux coups de feu en l’air. Cela dissuade les éventuels rôdeurs et les voleurs de kif», ajoute-t-il. Des voleurs, raconte-t-il, il y en a dans cette région surtout pendant la période des récoltes. Ils sont attirés par les sacs de kif entreposés dans les maisons. «Ils ne prennent rien d’autre, seul le kif les intéresse», nous confie El Haj Abdeslam tout en nous invitant à prendre place sur des sortes de paillasses rembourrées de paille et de halfa. Sa fille de 14 ans est en train de déposer sur une table basse des plateaux contenant du fromage frais de chèvre, de l’huile d’olive, du miel, du beurre salé (smen) et des œufs durs. Le plateau de thé est posé à même le sol. On avait tellement faim que nous n’avions pas attendu qu’El Haj nous invite pour faire honneur aux contenus savoureux, frais et du terroir, de ces plateaux. De longues minutes de silence, El Haj préparait le thé. La menthe et l’absinthe viennent du verger qu’il a aménagé de l’autre côté de la maison. Il y cultive aussi du persil, des carottes, des navets et parfois des pommes de terre et des oignons. «Je m’en occupe parallèlement aux champs du kif. Comme cela, je ne sens pas le temps passer», dit-il. El Haj a également une dizaine de chèvres qui couvrent ses besoins en lait et lui permettent de fabriquer son fromage. Pour ses autres besoins, principalement alimentaires, il se rend au souk hebdomadaire tous les samedis. Là, il se procure sucre, thé, café, huile, épices, viande rouge, légumes, semoule, savon, détergent…Tous les samedis, dans la maison d’El Haj Abdeslam, c’est le dîner du «jour du souk», c’est-à-dire qu’il y a du couscous au menu.
«Goûtez à ce miel, il est bon pour la santé. Les abeilles se nourrissent des champs sauvages de thym des environs», nous dit-il. Et c’est vrai, il était bon ce miel dégageant un arôme naturel si fort et si sucré. Notre hôte nous apprend qu’il a quelques ruches dans la forêt de cèdres qui entoure sa maison.
Alors que, repus, nous sirotions nos verres de thé, El Haj sort sa longue pipe à fumer le kif. En remplissant son «sebsi», il nous explique que c’est grâce à la culture du kif qu’il arrive à subvenir aux besoins de sa famille. «Les temps sont de plus en plus durs et les besoins des enfants de plus en plus importants. Certes, seule la petite que vous venez de voir continue à vivre avec nous, mais ses frères ont préféré vivre à Chaouen et à El Hoceima. Ils sont quatre et un seulement a un travail stable», avoue-t-il. Alors, comment il fait ?
«C’est simple, dit-il. Nous récoltons le kif et l’ensachons avant d’entreposer les sacs dans une sorte de remise en attendant l’arrivée des services de la Régie des tabacs qui nous l’achète». Apparemment, il ne sait pas que la régie n’existe plus et qu’elle a été privatisée. Il continue: «Ils venaient souvent, mais des semaines après la récolte, pour peser les sacs avant de les brûler. Ils ne viennent jamais au moment de la cueillette. Ils attendent que les tiges de kif, qui est une plante comme une autre, s’assèchent. Comme cela, leur poids baisse et donc cela leur coûte moins cher», ajoute-t-il avec regret. Un regret qu’il explique par la contrainte de vendre quelques sacs aux trafiquants. «On ne peut pas attendre des semaines pour que la Régie se manifeste. Nous avons besoin d’argent, alors on vend deux ou trois sacs que l’on nous paye 1.200 à 1.500 DH l’unité».
El Haj Abdeslam n’a pas d’états d’âme. Il n’a pas non plus de signes qui le distinguent ou le différencient des petits fellahs de la Chaouia ou du Gharb. «Si quand même», se rebiffe-t-il. «Ces fellahs peuvent obtenir des crédits auprès des banques, pas nous car nous sommes considérés comme des personnes insolvables», dit-il avec une voix amère.
El Haj Abdeslam est parmi les rares personnes qui ne sont pas inquiétées par les autorités. Cet ancien combattant des armées d’Abdelkrim El Khattabi dispose, en effet, d’un document qui date de la fin des années cinquante l’autorisant à s’adonner à la culture du kif, mais à la condition de ne vendre sa récolte qu’à la Régie des tabacs. Cette dernière étant privatisée, aujourd’hui plus personne d’officiel ne se présente chez El Haj Abdeslam pour acheter sa récolte.
C’est connu, les régions de Ketama et de cette partie du Nord du Maroc vivent depuis des décennies de la culture du kif. Mais, cette culture ne profite pas aux petits fellahs semblables à El Haj Abdeslam. Ces derniers n’en tirent que le minimum vital dont ils ont besoin pour survivre. La manne du kif profite exclusivement aux «barons» qui sont à la tête des filières de transformation du kif en hachich et de ses circuits de commercialisation. Et là commence une autre histoire.
Jamal Eddine HERRADI l'economiste
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