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« Il faut un contrôle populaire direct sur nos hydrocarbures »

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  • « Il faut un contrôle populaire direct sur nos hydrocarbures »

    Maamar Benguerba (Ancien ministre du Travail et ancien expert à l’Opep)
    « Il faut un contrôle populaire direct sur nos hydrocarbures »
    Ancien ministre du Travail et des Affaires sociales sous le gouvernement de Belaïd Abdesselam, expert en énergie ayant exercé pendant une dizaine d’années à l’Opep, ancien député, Maamar Benguerba, versé aujourd’hui dans le consulting, analyse dans cet entretien les enjeux et les retombées de la loi sur les hydrocarbures et des amendements apportés à cette loi endossés il y a quelques jours par le Conseil des ministres. Il plaide ouvertement pour l’abrogation de cette loi et le réexamen du statut de société par actions de Sonatrach. Tout comme il en appelle à un contrôle populaire de la gestion de cette ressource vitale pour la nation en imposant aux candidats à la présidence de la République le principe de s’engager dans leur programme sur un niveau d’exploitation de nos hydrocarbures durant le mandat présidentiel pour préserver cette ressource non renouvelable pour les générations futures.

    Le Conseil des ministres a endossé il y a quelques jours une série d’amendements relatifs à la loi sur les hydrocarbures de 2005. Quel commentaire faites-vous d’abord sur l’économie générale de cette loi et ensuite sur les changements introduits qui visent, selon les explications du ministre de l’Energie, à conforter la position de Sonatrach. Ce recul serait-il le fruit de résistances ou un geste populiste et électoraliste ?

    Je crois que si l’on devait résumer, en une phrase, la nature de la loi sur les hydrocarbures, datée d’avril et promulguée en juillet, on pourrait dire qu’elle représente un danger ultime pour la stabilité du pays et pour sa sécurité, voire pour son unité. Maintenant, les amendements qui lui ont été apportés par le Conseil des ministres ne sont pas connus précisément. Le communiqué publié proclame la nécessité de sauvegarder des ressources au profit des générations montantes, ce qui est déjà en soi un aveu d’une grave méprise. Est-ce que les explications du ministre de l’Energie, rapportées par la presse, correspondent au principe proclamé ? Il importe d’abord de s’interroger sur son absence lors du débat sur un texte qui fonde son action depuis qu’il est en charge du secteur. Ensuite, pourquoi le communiqué ne donne aucune indication précise. Des tractations se sont-elles poursuivies après son retour ? En fait, pour juger pleinement de la nature des changements apportés et de leurs implications, il convient d’attendre la publication de l’ordonnance. Mais, à mon avis, le maintien des objectifs de production affichés depuis longtemps et défendus encore dernièrement par le ministre contrarie le principe proclamé. De ce point de vue, il n’y a donc aucun recul. Il s’agit d’un nouveau compromis de circonstance entre différentes positions défendues. Mais ce compromis représente un répit pour le pays. Les différents protagonistes comptent sur le temps pour imposer définitivement leur point de vue. En réalité, il n’y a aucune autre solution satisfaisante que l’abrogation pure et simple de la dernière loi et le réexamen du statut de société par actions de Sonatrach. La mesure de taxation des superprofits est la bienvenue. Mais une disposition de la loi de finances suffirait pour l’établir.

    La loi sur les hydrocarbures autant que les amendements apportés à cette loi n’ont pas suscité de grands remous dans la société. Les orientations franchement libérales de la loi de 2005 sont passées comme une lettre à la poste. Après un semblant de contestation, l’UGTA a applaudi des deux mains l’adoption de cette loi et approuvé les amendements apportés à cette loi. Alors, vrai ou faux unanimisme ?

    Il faut souligner, tout d’abord, que la question des hydrocarbures dépasse largement les positionnements idéologiques. Dans les pays les plus libéraux, lorsqu’il s’agit de la sécurité des approvisionnements en produits énergétiques, tous les clivages politiques s’estompent. Pour nous, le sort du pays est encore plus intimement lié aux décisions qui concernent le secteur. Les discussions qui eurent lieu furent soustraites de la sphère politique pour être mieux contrôlées par les instruments de direction de la société. A mon avis, la direction de l’UGTA fut instrumentalisée. Consentante ou pas, c’est une autre question. Les appareils politiques partisans, hormis en particulier le PT et le FFS, durent s’incliner, sans débattre. La base militante syndicale ou partisane ne fut pas associée. Il y eut une confiscation du débat. Privée de relais, la société ne put se saisir de façon organisée de ce dossier. Mais l’inquiétude était et reste perceptible partout.

    Compte tenu du caractère stratégique du secteur des hydrocarbures, partagez-vous l’avis de ceux qui considèrent que ce dossier qui touche à la souveraineté nationale doit être soumis à référendum populaire au lieu de relever d’une décision politique ?

    Théoriquement, la question de la propriété des richesses naturelles du pays et de leur usage est réglée par la Constitution. Malheureusement, nous avons vu comment le principe constitutionnel fut contourné par la loi sur les hydrocarbures. Il y a donc nécessité d’imaginer et de définir des instruments efficaces de contrôle de la gestion de toutes les ressources naturelles et en particulier des hydrocarbures. Par exemple, il est possible de retenir le principe d’un contrôle populaire direct en imposant aux prétendants à la présidence de la République de s’engager, dans leur programme, sur un niveau d’exploitation des hydrocarbures sur la période qui couvrirait leur mandat. Tous les cinq ans, le pays serait informé des réserves qu’il détient et pourra, sur la base des informations obtenues, accorder sa confiance ou pas au candidat. Une telle procédure est simple à mettre en œuvre. L’on peut même imaginer une souplesse qui consisterait à autoriser, par référendum, un Président élu à accroître pour des raisons majeures la quote-part qu’il s’était engagé à ne pas dépasser. Ainsi, il sera possible de juger des performances du pouvoir politique habituellement masquées par la manne des recettes des hydrocarbures.

    Vous insistez beaucoup dans votre livre, L’Algérie en péril, paru cet été, sur la confiscation de la rente par « les tuteurs et leurs alliés » du pouvoir. Vous expliquez, entre autres, les émeutes du Sud et la révolte de la Kabylie par l’iniquité dans la redistribution des richesses du pays. Vous allez même plus loin en prévenant contre le risque d’une revendication autonomiste dans le Sud.

    Je ne crois pas qu’il faille être un fin observateur pour constater que la redistribution du revenu national profite plus à des clans qu’à des régions. La Kabylie demeure exportatrice de main-d’œuvre vers l’étranger et vers le reste des régions du pays. La malvie s’y propage et s’y exprime par la violence. Je crois que ce sont là des indicateurs éloquents d’une absence d’activités économiques suffisantes pour empêcher la paupérisation des populations et le développement des fléaux sociaux régulièrement rapportés par la presse nationale. Pour le Sud, la misère s’est fortement développée ces quelques dernières années. Depuis 2001, les émeutes sont cycliques et les solutions absentes. La prise de conscience au niveau le plus élevé de l’Etat commence à s’exprimer. Mais les diagnostics et les mesures retenues restent désespérément inadéquats. Le mécontentement s’élargit au sein de la jeunesse de la région qui inclut aujourd’hui des dizaines de milliers d’universitaires sans perspectives probantes. De plus, ces élites sont particulièrement inquiètes des implications, sur la région, de la loi sur les hydrocarbures. L’absence de solutions aux problèmes existants fait mûrir, en elles, le sentiment que des transformations institutionnelles sont incontournables. Je livre, dans mon ouvrage, des réflexions et je fais quelques propositions concrètes. Je pense aussi qu’il est temps d’évaluer sérieusement les insuffisances des performances de l’Etat et de ses représentants locaux dans la prise en charge des besoins des citoyens de cette région qui couvre plus de 80% du territoire national. Une vigoureuse politique de déconcentration et de décentralisation, attentive et mise en œuvre progressivement et à temps, pourrait contribuer à résoudre efficacement les problèmes qu’il rencontre dans son évolution. C’est un thème majeur qui pourrait alimenter les débats sur la révision constitutionnelle annoncée. Le Sud vit une période où de multiples interférences pourraient donner naissance à des mouvements pour le moins indésirables. L’évaluation des risques, par le pouvoir, de l’application de la loi sur les hydrocarbures, même telle qu’elle semble avoir été amendée, me paraît tout à fait insuffisante.

    Vous n’êtes pas particulièrement tendre à l’égard du pouvoir dont vous stigmatisez les « errements » de son système de gouvernance. Plus concrètement, que reprochez-vous au pouvoir en place et quelle alternative proposez-vous pour libérer les énergies créatrices et lever les entraves qui se dressent sur la voie de la construction d’une société démocratique ?

    Il ne s’agit pas de reproches, mais de constats. Il suffit de noter avec quelle désinvolture est traitée la question d’une ressource, aussi vitale pour le pays que les hydrocarbures, pour apprécier la qualité de la gouvernance du pays et les craintes qu’elle inspire quant à l’avenir. Que dire alors de la nature de la gestion des autres dossiers importants du pays. L’alternative consiste à faire prendre en charge les préoccupations du pays par l’ensemble des citoyens. A ce titre, ils devraient être pleinement informés pour débattre des problèmes qui les concernent. Sur cette base, il est possible de dégager les voies réalistes à retenir pour atteindre l’objectif, qui est l’édification d’un pays solidaire et prospère. Un pays où les libertés fondamentales ponctuent réellement la vie sociale et régulent le fonctionnement des institutions.
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