« Qui veut faire tomber le gouvernement Benkirane ? »… Ceci est la question de ceux qui sentent que quelque chose se trame dans l’ombre, et que ce quelque chose est sérieux, très sérieux même. Mais la grande surprise provient du fait que celui qui se pose cette question est Abdelilah Benkirane lui-même. Il l’a même posée plusieurs reprises, et de façon différente à chaque fois. Lorsqu’il était allé défendre ses candidats à Tanger et Marrakech voici deux semaines, le chef du gouvernement la posait encore aux nombreuses personnes venues l’écouter, avant d’entendre cette réponse « non, non ! », et d’envoyer son message à qui de droit : « Ce gouvernement est celui du peuple, il est choisi par le peuple, et il restera en place jusqu’à ce que le peuple change d’avis ».
Le débat autour de la chute du gouvernement n’est donc plus une discussion de salons, car Benkirane ne lui aurait pas donné tout cet écho s’il n’avait pas compris que quelque chose se préparait en coulisses. Et ce quelque chose, qui en est l’auteur, ou l’instigateur ? « Les ennemis », ceux-là qui avaient parié sur un effondrement de la popularité du PJD, qui avaient envisagé leur vengeance sur ce parti – selon les militants islamistes du moins –, mais voilà, Benkirane a répondu avec force à ceux-là, et cette réponse est intervenue alors qu’il se trouvait en immersion dans les meetings populaires : « Je dis aux ‘ennemis’, regardez donc à droite et à gauche pour comprendre ce que veut dire le mot popularité ; la popularité requiert de la crédibilité, demande du sérieux », puis le chef du gouvernement a poursuivi comme s’il visait quelqu’un de particulier : « Je ne reculerai pas, je ne céderai rien, et je ne crains pas les perturbations ou les perturbateurs, car je connais très bien mes adversaires. Et je peux vous dire que nous vaincrons ! ».
Ce terme de « perturbation », ou d’ « agitation » dont Benkirane se sert pour définir ce qui arrive à son gouvernement du fait de ses adversaires, signifie surtout que ce qui se produit actuellement n’est qu’un départ, un commencement, et cela laisse croire que la décision de l’hallali n’est pas encore prise, que le feu vert ne lui a pas encore été donné… Mais l’agitation est un indicateur du fait que d’autres actions vont suivre, que tout cela n’est qu’une introduction. On attendait peut-être les résultats des élections partielles de Tanger et Marrakech pour en faire le point de rupture à l’issue duquel les contempteurs de Benkirane allaient passer à l’étape suivante, celle-là même qui a été qualifiée par les médias de « plan secret » pour faire tomber le gouvernement. Las… les résultats ont porté un coup très dur à ces adversaires de l’expérience en cours, stoppant net leur plan et leur élan… provisoirement, dans l’attente d’autres jours meilleurs.
Mais pourquoi donc cette insistance à faire capoter le gouvernement, une dizaine de mois seulement après son installation ? Qui cela sert-il ? Comment réaliser ce plan ? Quelle serait les conséquences d’une crise gouvernementale sur la stabilité politique du pays ? Une telle entreprise n’entraînera-t-elle pas le Maroc vers l’inconnu, comme l’en a menacé Benkirane lui-même ?
Les dessous de cette attitude
Maâti Mounjib, professeur d’histoire politique à l’Université Mohammed V, estime que « il existe une volonté de se débarrasser de ce gouvernement à la première occasion », et plusieurs raisons concourent à cela, entre autres parce que « cette expérience est dérangeante pour plusieurs parties », dont « le palais, auquel Benkirane a confisqué ce ‘prestige’ sur lequel il s’appuie depuis tant de siècles pour gouverner ». Toutefois, et à l’opposé, pour le dirigeant de gauche qu’est Saïd Saïdi, « Benkirane a manqué de respect à la personne du roi dont il parle comme d’un ami auquel il raconte des blagues osées ».
« Le prestige », « l’autorité », deux mots lourds de sens dans la tradition du makhzen, des concepts que Maâti Mounjib considère comme « des fondamentaux du pouvoir » qui reflètent le véritable rapport de forces symbolique. Et ce rapport se fonde sur l’histoire et la religion pour préserver sa puissance, instrumentalisant une véritable machine médiatique à cet effet. Le prestige du Sultan, ou du Roi, est celle de l’Etat mais en réalité, il s’agit de celle « du palais, qui tient à garder cette puissance matérielle entre ses mains », et a pour cela recours à la « force symbolique ». C’est à partir de cette idée que l’entourage du palais estime que Benkirane, depuis son arrivée à la tête du gouvernement, a « nui à cette autorité et réduit ce prestige car il présente le roi comme un acteur politique comme les autres et ce faisant, lui retire son ‘aura sacrée’ aux yeux du peuple ».
L’entourage du palais a donc des comptes à régler avec Benkirane et son gouvernement, et ces comptes ne se limitent pas seulement aux rapports de force matérielle, mais aussi et surtout symbolique. Benkirane fait sa prière sur une simple natte, il communique de cette façon si spontanée et si fougueuse avec les populations, il fait montre d’une simplicité dans son discours, avec toute la spontanéité qui le caractérise, une sincérité qui ne sied pas à ses adversaires… Tous ces éléments font que le gens du palais voient en Benkirane un concurrent symbolique du roi ; ils se sont donc empressés de mettre sur pied une cellule de communication au sein même du palais dont la fonction est la promotion des activités du roi et du roi lui-même, pour braquer un peu moins de projecteurs sur Benkirane et un peu plus sur le palais. Mais ce dirigeant du PJD ne paraît pas tellement convaincu par ce raisonnement, affirmant que « ces gens emploient toutes leurs armes, et encore plus de ficelles, pour nuire et détériorer la relation établie entre le gouvernement et l’institution royale ».
Mais les choses ne s’arrêtent pas là, les partis d’opposition ne sont pas en reste, eux qui suivent de près les évolutions des relations entre le gouvernement et le palais. Ainsi, depuis l’installation de ce gouvernement et le début de la mise en œuvre de la constitution, ce sont au moins trois grandes crises qui sont survenues entre les deux protagonistes.
Le premier différend est né lorsque le roi était intervenu, en sa qualité d’arbitre, dans l’affaire des cahiers des charges, et qu’il avait convoqué au palais le chef du gouvernement, son ministre d’Etat Abdellah Baha et le ministre de la Communication, Mustapha el Khalfi ; le roi avait alors formulé des critiques sur certains points des cahiers et, ce faisant, il avait pris fait et cause pour les adversaires d’el Khalfi, appelant le gouvernement à tenir compte des avis des uns et des autres.
Et depuis cette date, les cahiers des charges ne cessent de faire des allers-retours entre le gouvernement et l’Autorité de l’audiovisuel, la HACA ; initialement prévus pour entrer en application en avril, les cahiers ont été amendés suite à l’intervention royale et devaient par la suite être validés pour début septembre mais la HACA avait un autre avis sur la question, voulant démontrer son rôle au gouvernement, et ainsi de suite…
Benkirane essaie donc d’aplanir tous les différends et malentendus qui pourraient naître avec le palais, mais quand il sent que les choses prennent une direction donnée, difficilement supportable, il se révolte à la manière qui est la sienne.
La seconde crise, qui montre bien cet état d’esprit, revient à cette fameuse lettre d’excuses que tout le monde se rappelle et qui avait été adressée par le chef du gouvernement au roi et à ses conseillers. Au début de cette affaire, les choses n’étaient pas très claires, mais en réalité, c’était Benkirane qui avait tiré le premier, et son attaque lui était revenue à la figure. Tout avait commencé lorsque le chef du gouvernement avait déclaré à un hebdomadaire francophone que ses relations avec l’entourage royal n’étaient pas au beau fixe. Son propos était de signifier aux concernés qu’il refusait les interventions directes des conseillers du roi auprès des ministres, sans passer par la présidence du gouvernement ; ce faisant, Benkirane entendait simplement que ces relations soient clarifiées entre les deux institutions que sont le palais et la présidence du gouvernement, rompant avec la pratique à laquelle s’étaient habitués les gens de l’entourage royal.
Le débat autour de la chute du gouvernement n’est donc plus une discussion de salons, car Benkirane ne lui aurait pas donné tout cet écho s’il n’avait pas compris que quelque chose se préparait en coulisses. Et ce quelque chose, qui en est l’auteur, ou l’instigateur ? « Les ennemis », ceux-là qui avaient parié sur un effondrement de la popularité du PJD, qui avaient envisagé leur vengeance sur ce parti – selon les militants islamistes du moins –, mais voilà, Benkirane a répondu avec force à ceux-là, et cette réponse est intervenue alors qu’il se trouvait en immersion dans les meetings populaires : « Je dis aux ‘ennemis’, regardez donc à droite et à gauche pour comprendre ce que veut dire le mot popularité ; la popularité requiert de la crédibilité, demande du sérieux », puis le chef du gouvernement a poursuivi comme s’il visait quelqu’un de particulier : « Je ne reculerai pas, je ne céderai rien, et je ne crains pas les perturbations ou les perturbateurs, car je connais très bien mes adversaires. Et je peux vous dire que nous vaincrons ! ».
Ce terme de « perturbation », ou d’ « agitation » dont Benkirane se sert pour définir ce qui arrive à son gouvernement du fait de ses adversaires, signifie surtout que ce qui se produit actuellement n’est qu’un départ, un commencement, et cela laisse croire que la décision de l’hallali n’est pas encore prise, que le feu vert ne lui a pas encore été donné… Mais l’agitation est un indicateur du fait que d’autres actions vont suivre, que tout cela n’est qu’une introduction. On attendait peut-être les résultats des élections partielles de Tanger et Marrakech pour en faire le point de rupture à l’issue duquel les contempteurs de Benkirane allaient passer à l’étape suivante, celle-là même qui a été qualifiée par les médias de « plan secret » pour faire tomber le gouvernement. Las… les résultats ont porté un coup très dur à ces adversaires de l’expérience en cours, stoppant net leur plan et leur élan… provisoirement, dans l’attente d’autres jours meilleurs.
Mais pourquoi donc cette insistance à faire capoter le gouvernement, une dizaine de mois seulement après son installation ? Qui cela sert-il ? Comment réaliser ce plan ? Quelle serait les conséquences d’une crise gouvernementale sur la stabilité politique du pays ? Une telle entreprise n’entraînera-t-elle pas le Maroc vers l’inconnu, comme l’en a menacé Benkirane lui-même ?
Les dessous de cette attitude
Maâti Mounjib, professeur d’histoire politique à l’Université Mohammed V, estime que « il existe une volonté de se débarrasser de ce gouvernement à la première occasion », et plusieurs raisons concourent à cela, entre autres parce que « cette expérience est dérangeante pour plusieurs parties », dont « le palais, auquel Benkirane a confisqué ce ‘prestige’ sur lequel il s’appuie depuis tant de siècles pour gouverner ». Toutefois, et à l’opposé, pour le dirigeant de gauche qu’est Saïd Saïdi, « Benkirane a manqué de respect à la personne du roi dont il parle comme d’un ami auquel il raconte des blagues osées ».
« Le prestige », « l’autorité », deux mots lourds de sens dans la tradition du makhzen, des concepts que Maâti Mounjib considère comme « des fondamentaux du pouvoir » qui reflètent le véritable rapport de forces symbolique. Et ce rapport se fonde sur l’histoire et la religion pour préserver sa puissance, instrumentalisant une véritable machine médiatique à cet effet. Le prestige du Sultan, ou du Roi, est celle de l’Etat mais en réalité, il s’agit de celle « du palais, qui tient à garder cette puissance matérielle entre ses mains », et a pour cela recours à la « force symbolique ». C’est à partir de cette idée que l’entourage du palais estime que Benkirane, depuis son arrivée à la tête du gouvernement, a « nui à cette autorité et réduit ce prestige car il présente le roi comme un acteur politique comme les autres et ce faisant, lui retire son ‘aura sacrée’ aux yeux du peuple ».
L’entourage du palais a donc des comptes à régler avec Benkirane et son gouvernement, et ces comptes ne se limitent pas seulement aux rapports de force matérielle, mais aussi et surtout symbolique. Benkirane fait sa prière sur une simple natte, il communique de cette façon si spontanée et si fougueuse avec les populations, il fait montre d’une simplicité dans son discours, avec toute la spontanéité qui le caractérise, une sincérité qui ne sied pas à ses adversaires… Tous ces éléments font que le gens du palais voient en Benkirane un concurrent symbolique du roi ; ils se sont donc empressés de mettre sur pied une cellule de communication au sein même du palais dont la fonction est la promotion des activités du roi et du roi lui-même, pour braquer un peu moins de projecteurs sur Benkirane et un peu plus sur le palais. Mais ce dirigeant du PJD ne paraît pas tellement convaincu par ce raisonnement, affirmant que « ces gens emploient toutes leurs armes, et encore plus de ficelles, pour nuire et détériorer la relation établie entre le gouvernement et l’institution royale ».
Mais les choses ne s’arrêtent pas là, les partis d’opposition ne sont pas en reste, eux qui suivent de près les évolutions des relations entre le gouvernement et le palais. Ainsi, depuis l’installation de ce gouvernement et le début de la mise en œuvre de la constitution, ce sont au moins trois grandes crises qui sont survenues entre les deux protagonistes.
Le premier différend est né lorsque le roi était intervenu, en sa qualité d’arbitre, dans l’affaire des cahiers des charges, et qu’il avait convoqué au palais le chef du gouvernement, son ministre d’Etat Abdellah Baha et le ministre de la Communication, Mustapha el Khalfi ; le roi avait alors formulé des critiques sur certains points des cahiers et, ce faisant, il avait pris fait et cause pour les adversaires d’el Khalfi, appelant le gouvernement à tenir compte des avis des uns et des autres.
Et depuis cette date, les cahiers des charges ne cessent de faire des allers-retours entre le gouvernement et l’Autorité de l’audiovisuel, la HACA ; initialement prévus pour entrer en application en avril, les cahiers ont été amendés suite à l’intervention royale et devaient par la suite être validés pour début septembre mais la HACA avait un autre avis sur la question, voulant démontrer son rôle au gouvernement, et ainsi de suite…
Benkirane essaie donc d’aplanir tous les différends et malentendus qui pourraient naître avec le palais, mais quand il sent que les choses prennent une direction donnée, difficilement supportable, il se révolte à la manière qui est la sienne.
La seconde crise, qui montre bien cet état d’esprit, revient à cette fameuse lettre d’excuses que tout le monde se rappelle et qui avait été adressée par le chef du gouvernement au roi et à ses conseillers. Au début de cette affaire, les choses n’étaient pas très claires, mais en réalité, c’était Benkirane qui avait tiré le premier, et son attaque lui était revenue à la figure. Tout avait commencé lorsque le chef du gouvernement avait déclaré à un hebdomadaire francophone que ses relations avec l’entourage royal n’étaient pas au beau fixe. Son propos était de signifier aux concernés qu’il refusait les interventions directes des conseillers du roi auprès des ministres, sans passer par la présidence du gouvernement ; ce faisant, Benkirane entendait simplement que ces relations soient clarifiées entre les deux institutions que sont le palais et la présidence du gouvernement, rompant avec la pratique à laquelle s’étaient habitués les gens de l’entourage royal.
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