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Il y a un demi-siècle, le 14 octobre 1962, les renseignements américains découvraient des missiles nucléaires soviétiques à Cuba. Cet épisode a failli déclencher une guerre nucléaire et l'évolution comme l'issue de la situation ont préfiguré le monde contemporain.
Une surprise dans la cour arrière
14 octobre 1962. Le vol de reconnaissance de l'avion U-2 au-dessus de Cuba rapporte l'impensable. Essuyant leurs sueurs froides, les analystes découvrent, sur la photo décryptée, des rampes de lancement pour les missiles soviétiques R-12 à moyenne portée (code Otan: SS-4 Sandal).
Depuis San Cristobal, les R-12 pouvaient atteindre Washington et Dallas. Ces vols ont également permis de découvrir d'autres missiles, R-14, dont la portée couvrait l'ensemble du territoire américain à l'exception de l'Alaska, d’Hawaii et d'une partie de la côte Pacifique entre San Francisco et Seattle. Temps de vol des missiles : inférieur à 10 minutes.
Les Etats-Unis, bordés par les océans, ont été soudainement menacés par une attaque face à laquelle ils étaient totalement impuissants. Cette situation était à la fois douloureuse, scandaleuse et lourde de conséquences. Peu avaient osé tirer le tigre atlantique par la moustache directement dans son antre.
Cet épisode a déclenché l'une des périodes les plus tendues de l'histoire du monde, surnommée plus tard "Treize jours", "Crise d'octobre", "Crise des missiles de Cube" et "Crise des Caraïbes".
Anadyr dans les tropiques
A la fin des années 1950, l'Union soviétique s'était retrouvée dans une situation très inconfortable. Elle était encerclée par des bases américaines - d'abord aériennes, puis de lancement de missiles - et n'avait presque aucun moyen d'atteindre le territoire de l'"éventuel ennemi" avec les moyens nucléaires dont elle disposait alors.
Les autorités soviétiques étaient particulièrement préoccupées par les missiles PGM-19 Jupiter à moyenne portée, déployés en Italie (en 1959) et en Turquie (en 1961). Depuis la Turquie, près d'Izmir, ces armes couvraient pratiquement toute la partie européenne du pays et pouvaient facilement atteindre Moscou, Leningrad et Kouïbychev. Sans compter le groupe très puissant de bombardiers stratégiques transportant l'arme nucléaire en veille opérationnelle le long des frontières soviétiques.
L'URSS n'avait pas beaucoup de moyens pour résister à un tel siège. Le missile R-7 - la fusée qui a permis d'envoyer Iouri Gagarine dans l'espace - était le premier dispositif intercontinental pour l'arme nucléaire mais il était peu pratique et déployé en très faible quantité. Les missiles opérationnels et tactiques R-12 et R-14 étaient également une base fiable pour les forces nucléaires de l'URSS mais leur portée ne dépassait pas 2 000 et 4 500 kilomètres respectivement.
Ce tableau recèle l'origine de l'opération Anadyr – le plan audacieux de Nikita Khrouchtchev pour déployer des missiles nucléaires de moyenne portée sur le territoire cubain, où la révolution communiste venait de l'emporter. Personne ne s'attendait à une telle audace de la part de l'URSS et les renseignements américains eux-mêmes étaient convaincus que les Soviets ne sortaient pas l'arme nucléaire en dehors du pays. Pour cette raison, l'Union soviétique a pu envoyer des missiles à Cuba sans encombre.
16 rampes de lancement pour R-14 (dotées de 24 missiles) et 24 pour R-12 (36 missiles) avaient été déployées à Cuba. Chaque missile R-12 portait une ogive d'environ 1Mt, et la puissance des R-14 dépassait 2 Mt.
Les troupes soviétiques de Cuba, commandées par le général Issa Pliev, disposaient également de moyens tactiques d'armement nucléaire pour protéger le territoire de l'île : 12 missiles à courte portée 2K6 Luna, 80 missiles nucléaires de croisière FRK-1 (KS-7), six bombardiers Il-28 équipés de 6 bombes nucléaires et 6 missiles antinavires Sopka à tête nucléaire.
L'URSS avait également prévu d'envoyer à Cuba une brigade de missiles tactiques R-11M chargés de 18 missiles nucléaires mais l'évolution de la situation n'a pas permis de le faire.
Les premiers missiles R-12 sont arrivés à Cuba le 8 septembre 1962. Ils auraient pu être remarqués bien avant, quand les rampes de lancement n'avaient pas encore été complètement mises en place. Mais le 5 septembre 1962, Kennedy a décidé de ne pas aggraver les relations et a interdit les vols de reconnaissance au-dessus de Cuba.
Pendant cette période, la majorité des missiles soviétiques a été déployée comme prévu.
Ce sont eux qui ont été découvert dès le premier vol de reconnaissance après la levée du moratoire présidentiel, le 14 octobre 1962.
L'entonnoir des hiérarchies
Les généraux américains ont immédiatement poussé Kennedy vers une opération militaire contre les missiles soviétiques. Maxwell Taylor, commandant du comité des chefs d'états-majors interarmées, et Curtis Lemay, commandant des forces aériennes stratégiques, préconisaient une frappe aérienne préventive contre les missiles et une intervention à Cuba.
Curtis Lemay a assuré à Kennedy que le premier raid permettrait d'anéantir près de 90% des rampes de lancement. "Et les autres ?", a demandé le président. Lemay, architecte de la guerre aérienne contre le Japon (son palmarès contient l'incendie de Tokyo en mars 1945, ainsi que les bombes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki), a fait semblant de ne pas comprendre quel était le problème.
Effectivement, quatre ou cinq têtes nucléaires de plusieurs mégatonnes tombant sur le territoire américain, puis quatre ou cinq mégapoles qui cessent d'exister ne sont que des broutilles.
"On a des bolcheviques dans l'arrière-cour, alors que ces Kennedy viennent non seulement de remporter les élections, mais ils posent des questions stupides".
Après avoir écouté les propositions des généraux, Kennedy a compris qu'il était pris au piège et qu'on le poussait dans l'entonnoir du respect aveugle de la hiérarchie; du commandement purement militaire. Les procédures, les instructions et ses mécanismes forgés par la Seconde guerre mondiale étaient soudainement devenus archaïques dans le contexte nucléaire global.
Kennedy a définitivement compris, avec une certaine irritation, qu'il ne contrôlait pas en réalité l'arme nucléaire de son pays : son droit d'utilisation, formellement concentré entre les mains du président depuis 1948, était restreint par une série de directives, règlements et procédures, ce qui érodait dangereusement la transparence et la netteté de la prise de cette décision difficile.
Tout n'était pas rose, non plus, côté soviétique. On estime que le chef des troupes soviétiques à Cuba, le général Issa Pliev, avait personnellement le droit d'utiliser l'arme nucléaire. Ce n'est pas le cas : les instructions interdisaient l'installation des missiles nucléaires sans ordre direct de Moscou.
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Une surprise dans la cour arrière
14 octobre 1962. Le vol de reconnaissance de l'avion U-2 au-dessus de Cuba rapporte l'impensable. Essuyant leurs sueurs froides, les analystes découvrent, sur la photo décryptée, des rampes de lancement pour les missiles soviétiques R-12 à moyenne portée (code Otan: SS-4 Sandal).
Depuis San Cristobal, les R-12 pouvaient atteindre Washington et Dallas. Ces vols ont également permis de découvrir d'autres missiles, R-14, dont la portée couvrait l'ensemble du territoire américain à l'exception de l'Alaska, d’Hawaii et d'une partie de la côte Pacifique entre San Francisco et Seattle. Temps de vol des missiles : inférieur à 10 minutes.
Les Etats-Unis, bordés par les océans, ont été soudainement menacés par une attaque face à laquelle ils étaient totalement impuissants. Cette situation était à la fois douloureuse, scandaleuse et lourde de conséquences. Peu avaient osé tirer le tigre atlantique par la moustache directement dans son antre.
Cet épisode a déclenché l'une des périodes les plus tendues de l'histoire du monde, surnommée plus tard "Treize jours", "Crise d'octobre", "Crise des missiles de Cube" et "Crise des Caraïbes".
Anadyr dans les tropiques
A la fin des années 1950, l'Union soviétique s'était retrouvée dans une situation très inconfortable. Elle était encerclée par des bases américaines - d'abord aériennes, puis de lancement de missiles - et n'avait presque aucun moyen d'atteindre le territoire de l'"éventuel ennemi" avec les moyens nucléaires dont elle disposait alors.
Les autorités soviétiques étaient particulièrement préoccupées par les missiles PGM-19 Jupiter à moyenne portée, déployés en Italie (en 1959) et en Turquie (en 1961). Depuis la Turquie, près d'Izmir, ces armes couvraient pratiquement toute la partie européenne du pays et pouvaient facilement atteindre Moscou, Leningrad et Kouïbychev. Sans compter le groupe très puissant de bombardiers stratégiques transportant l'arme nucléaire en veille opérationnelle le long des frontières soviétiques.
L'URSS n'avait pas beaucoup de moyens pour résister à un tel siège. Le missile R-7 - la fusée qui a permis d'envoyer Iouri Gagarine dans l'espace - était le premier dispositif intercontinental pour l'arme nucléaire mais il était peu pratique et déployé en très faible quantité. Les missiles opérationnels et tactiques R-12 et R-14 étaient également une base fiable pour les forces nucléaires de l'URSS mais leur portée ne dépassait pas 2 000 et 4 500 kilomètres respectivement.
Ce tableau recèle l'origine de l'opération Anadyr – le plan audacieux de Nikita Khrouchtchev pour déployer des missiles nucléaires de moyenne portée sur le territoire cubain, où la révolution communiste venait de l'emporter. Personne ne s'attendait à une telle audace de la part de l'URSS et les renseignements américains eux-mêmes étaient convaincus que les Soviets ne sortaient pas l'arme nucléaire en dehors du pays. Pour cette raison, l'Union soviétique a pu envoyer des missiles à Cuba sans encombre.
16 rampes de lancement pour R-14 (dotées de 24 missiles) et 24 pour R-12 (36 missiles) avaient été déployées à Cuba. Chaque missile R-12 portait une ogive d'environ 1Mt, et la puissance des R-14 dépassait 2 Mt.
Les troupes soviétiques de Cuba, commandées par le général Issa Pliev, disposaient également de moyens tactiques d'armement nucléaire pour protéger le territoire de l'île : 12 missiles à courte portée 2K6 Luna, 80 missiles nucléaires de croisière FRK-1 (KS-7), six bombardiers Il-28 équipés de 6 bombes nucléaires et 6 missiles antinavires Sopka à tête nucléaire.
L'URSS avait également prévu d'envoyer à Cuba une brigade de missiles tactiques R-11M chargés de 18 missiles nucléaires mais l'évolution de la situation n'a pas permis de le faire.
Les premiers missiles R-12 sont arrivés à Cuba le 8 septembre 1962. Ils auraient pu être remarqués bien avant, quand les rampes de lancement n'avaient pas encore été complètement mises en place. Mais le 5 septembre 1962, Kennedy a décidé de ne pas aggraver les relations et a interdit les vols de reconnaissance au-dessus de Cuba.
Pendant cette période, la majorité des missiles soviétiques a été déployée comme prévu.
Ce sont eux qui ont été découvert dès le premier vol de reconnaissance après la levée du moratoire présidentiel, le 14 octobre 1962.
L'entonnoir des hiérarchies
Les généraux américains ont immédiatement poussé Kennedy vers une opération militaire contre les missiles soviétiques. Maxwell Taylor, commandant du comité des chefs d'états-majors interarmées, et Curtis Lemay, commandant des forces aériennes stratégiques, préconisaient une frappe aérienne préventive contre les missiles et une intervention à Cuba.
Curtis Lemay a assuré à Kennedy que le premier raid permettrait d'anéantir près de 90% des rampes de lancement. "Et les autres ?", a demandé le président. Lemay, architecte de la guerre aérienne contre le Japon (son palmarès contient l'incendie de Tokyo en mars 1945, ainsi que les bombes nucléaires à Hiroshima et Nagasaki), a fait semblant de ne pas comprendre quel était le problème.
Effectivement, quatre ou cinq têtes nucléaires de plusieurs mégatonnes tombant sur le territoire américain, puis quatre ou cinq mégapoles qui cessent d'exister ne sont que des broutilles.
"On a des bolcheviques dans l'arrière-cour, alors que ces Kennedy viennent non seulement de remporter les élections, mais ils posent des questions stupides".
Après avoir écouté les propositions des généraux, Kennedy a compris qu'il était pris au piège et qu'on le poussait dans l'entonnoir du respect aveugle de la hiérarchie; du commandement purement militaire. Les procédures, les instructions et ses mécanismes forgés par la Seconde guerre mondiale étaient soudainement devenus archaïques dans le contexte nucléaire global.
Kennedy a définitivement compris, avec une certaine irritation, qu'il ne contrôlait pas en réalité l'arme nucléaire de son pays : son droit d'utilisation, formellement concentré entre les mains du président depuis 1948, était restreint par une série de directives, règlements et procédures, ce qui érodait dangereusement la transparence et la netteté de la prise de cette décision difficile.
Tout n'était pas rose, non plus, côté soviétique. On estime que le chef des troupes soviétiques à Cuba, le général Issa Pliev, avait personnellement le droit d'utiliser l'arme nucléaire. Ce n'est pas le cas : les instructions interdisaient l'installation des missiles nucléaires sans ordre direct de Moscou.
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