Barika est une ville comme n’importe quelle autre d’Algérie. Métissage de vestiges coloniaux et de nouvelles constructions inachevées. Mais dans ce paysage de no man’s land rocheux, rien ne ressemble au reste du pays. Nous sommes sur la route des trafiquants d’armes. Depuis la révolution tunisienne, la chute du régime libyen et l’essor du terrorisme au Sahel, c’est ici que convergent les plus importants contrebandiers du Maghreb, mais aussi terroristes, particulier et archs pour se procurer mitrailleuses, kalachnikov, RPG... Il est 6h quand, sur la nationale encore déserte, je rencontre Ali pour un rendez-vous organisé par mon fixeur. La quarantaine, moustache fournie mais bien soignée, il arrive dans une vieille berline. «Ne vous inquiétez pas, elle est en bon état», rassure-t-il d’emblée.
Pour lui, officiellement, je suis un potentiel acheteur d’armes qu’il doit emmener en «visite de routine» auprès de ses contacts. Je lui ai avancé 5000 DA pour qu’il me prenne en charge. La veille, il a pris soin d’interdire tout bagage, même un sac à dos. Direction Khenchela, sur la RN28. Après 35 minutes de route, Ali s’arrête devant une ferme abandonnée à quelques kilomètres de Aïn Touta. A priori rien de suspect, mais la ferme renferme un atelier artisanal de confection d’armes «pour les fêtes du baroud», nous dit-on. En clair, des armes de chasse utilisées lors de fêtes chaouies, notamment par les grandes familles des archs de la région. Ali trouve que ce n’est pas «normal» que les autorités interdisent la fabrication de fusils artisanaux prisés par les familles.
«Avant, posséder une bachtola (arme en chaoui), était une fierté pour ses propriétaires et un objet qu’on exhibe lors des mariages», se désole-t-il. Durant la décennie noire, «cela était considéré comme une arme dissuasive contre les terroristes», explique-t-il encore. Des ateliers de confection d’armes artisanales, il en existe beaucoup dans la région, jusqu’à Annaba. L’année dernière, les services de sécurité avaient découvert plusieurs ateliers clandestins, notamment à Bir El Ater, et ont arrêté leurs propriétaires après les aveux d’un trafiquant appréhendé à Annaba. D’après une source sécuritaire locale, ce démantèlement continue et devrait s’étendre aux wilayas limitrophes. «Nous soupçonnons ces ateliers d’être connectés avec les réseaux maffieux de trafics d’armes et dans un certain degré de connivence avec les groupes terroristes. Car en plus de la confection d’armes, ils fabriquent des cartouches, un gisement de munitions important pour les terroristes. Ces ateliers peuvent aussi servir à la maintenance et à la réparation d’armes de poing», révèle un gendarme bien au fait de ce dossier.
Ateliers artisanaux
Nous sommes à l’entrée de Batna. Le chauffeur marque une halte encore une fois devant un café qui sert de relais pour les routiers. Son contact semble, de loin, lui dicter la route à parcourir pour arriver au lieu des transactions. Nous reprenons la route vers Khenchela en empruntant la RN83, traversant le plateau caillouteux surplombé de blocs montagneux. Tout au long de la route, Ali raconte sa vie, son destin. «Je n’ai pas trouvé quoi faire pour nourrir mes enfants. Avant, je travaillais à l’usine de N’gaous, puis j’ai perdu mon travail à la fin des années 1990, suite à un malentendu avec la direction. Depuis, je n’ai jamais pu retrouver un emploi.» Il fait alors la connaissance de Moussa, un importateur connu des magnats de l’Est algérien. «Il m’a embauché comme routier pour l’acheminement de sa marchandise vers les marchés de la région. Et un jour, il m’a proposé une nouvelle tâche. Je suis devenu son chauffeur personnel et presque son bras droit. Je m’occupais presque de tout», lance fièrement Ali.
Les kilomètres défilent, Ali est à l’affût d’un repère qu’il refuse de révéler pour l’instant. Soixante-dix kilomètres passés, à quelques lieues de l’ex-Youks-les-Bains, plus connu sous le nom de Youkous, le chauffeur ralentit. Il vient de repérer ses pierres superposées sous forme de pyramide. A quelques mètres se trouve l’entrée d’une piste. Un code utilisé par les trafiquants d’armes emprunté à celui des contrebandiers : un intermédiaire ou un lieu d’échange se trouve tout près. Si une pierre est posée à gauche de la pyramide, cela veut dire : prendre l’entrée à droite et vice-versa. D’autres signaux son utilisés : des pierres jetées sur la chaussée, par exemple, indiquent la présence de gendarmes ou de l’armée.
Notre guide refuse de nous initier davantage au langage des contrebandiers. Pour les lieux d’échange, des pierres entreposées des deux côtés de la chaussée, accompagnées d’un tronc d’arbre, renseignent sur un lieu d’échange proche. D’ailleurs, nous apercevons de loin deux voitures qui procèdent à une transaction. Ali emprunte la piste à la rencontre d’un berger. La discussion ne prend que quelques minutes. De loin, il surveille mes moindres faits et gestes. Ali vient de passer commande auprès du faux berger, intermédiaire lui aussi d’un célèbre marchand d’armes de la région. Ali refuse de révéler son identité. «Il s’agit de mon gagne-pain», se défend-il fermement. Le lieu ainsi que la date de la transaction lui seront communiqués plus tard par le biais d’un autre intermédiaire, probablement le cafetier rencontré au relais routier de Batna. Ali n’utilise jamais son téléphone portable pour ses opérations de transaction. «Cet outil ne me sert que pour joindre la famille», précise-t-il.
Il nous apprend que le faux berger propose des Beretta 9 mm en bon état pour 100 000 DA. Les neufs peuvent coûter un peu plus cher. «N’était la garantie de Moussa, je ne vous aurais jamais accompagné. Dès le départ, je voyais bien que vous n’aviez rien de quelqu’un d’intéressé par l’achat d’une arme.» A Khenchela, les bars clandestins grouillent de nouveaux marchands qui se tiennent aux côtés des anciens. Ali profite pour saluer ses contacts, pour la plupart des jeunes vendeurs d’armes en provenance de Libye.
Le Smith& Wesson d’El Gueddafi
«Des armes de grande qualité esthétique et technique. Certaines proviennent des stocks personnels des Gueddafi. Elles sont très recherchées par les hommes d’affaires de l’Est, voire des hauts gradés militaires.» Un Smith & Wesson orné d’or massif est proposé à plus de 1 million de dinars. Son propriétaire refuse de le céder pour l’instant, car il a beaucoup de demandes. D’autant que «cette arme, qui a appartenu à El Gueddafi, a une charge symbolique importante. Elle est considérée comme une arme de collection», précise un des jeunes. Ces derniers temps, exit les Berreta et les PA, la mode dans le milieu est aux armes de collection, notamment celles qui arrivent directement des Gueddafi. Selon certains témoignages, Seïf El Gueddafi se serait fourni, avant la chute du régime libyen, auprès des marchands locaux via des réseaux maffieux.
Principaux produits proposés par ces derniers : grenades, kalachnikov de fabrication coréenne et fusils à jumelle. Les prix du moment sont alléchants : 200 000 DA la kalachnikov ou quelque 300 000 DA la mitrailleuse. Après ces échanges fructueux entre Ali et ses acolytes, nous prenons la direction de Tébessa. «Vous n’avez encore rien vu», promet notre chauffeur. En cours de route, Ali nous parle des armes recherchées par les archs. «Wallah, la situation est devenue préoccupante, confie-t-il. Les conflits entre tribus ou membres de tribus font parfois l’objet de litiges – sur la délimitation des parcelles de terrains arides – qui se règlent avec des kalachnikov. Une situation dangereuse où des tribus entières sont devenues de vraies milices prêtes à tout.» Arrivés à Tébessa ville, la Mecque des trafiquants de tout acabit, nous faisons une halte avant de reprendre la route en direction des frontières tunisiennes, d’ou proviennent les armes. Ici, on parle ouvertement du business des armes et de la contrebande.
180 000 DA la kalachnikov
Dans un bar clandestin, les trafiquants se réunissent, échangent et proposent en toute liberté leur marchandise. Un contrebandier offre pour 1 million de dinars 10 Beretta 9 mm. Un autre, des kalachnikov en bon état à 180 000 DA. Chacun d’eux est armé. «Normal, entre les terroristes d’un côté et les militaires de l’autre, ils doivent se protéger. Pratiquement aucune semaine ne passe sans qu’un échange de tirs ne soit signalé, relève Ali. Les forces de sécurité ont beaucoup de difficultés à les appréhender. Ce sont de véritables milices aujourd’hui surarmées.»
Le véritable business commence la nuit. Les routes qui mènent vers la zone frontalière deviennent un souk à l’armement à ciel ouvert. Ainsi, les itinéraires autrefois empruntés pour le trafic de stupéfiants sont désormais empruntés pour le trafic d’armes. Sur la RN10, après le check point de la gendarmerie dressé à la sortie de la ville, la route, qui ressemble à un circuit pour courses sauvages, appartient aux contrebandiers qui y font régner leurs lois. Idem pour la RN16. Pas besoin de repères ou d’indices pour trouver la route au milieu de la forêt. Les trafiquants connaissent les lieux «mieux qu’un GPS», ironise Ali. Des casemates nouvellement créées abritent des quantités impressionnantes d’armes. On y trouve de tout, du simple PA 15 coups à la RPG. «Bientôt on vendra ici des missiles sol-air», commente notre guide. Les ânes sont utilisés comme moyen de transport pour traverser la frontière.
Complicités
Pour les gros bonnets, «des complicités avec les services de sécurité leur permettent d’acheter les routes et de ne pas être inquiétés», révèle un jeune nouveau marchand. Pour être acheminées vers les villes et les centres urbains, les armes sont cachées sous le châssis et les banquettes. Mais les trafiquants choisissent le timing, quand la garde baisse, surtout les week-ends ou la saison des rotations des casernes. «Les militaires sont beaucoup plus préoccupés par la protection du transfert des leurs que par le trafic et les terroristes», nous assure Ali. L’aventure ne s’achève pas là. De retour à Tébessa ville, Ali nous propose une virée du côté des montagnes.
Douaibia, à quelque 30 km au nord-est de Tébessa, se trouve le marché des munitions. «Depuis un certain temps, chaque marché a trouvé sa vocation ou son créneau. Le marché des munitions à lui seul représente des milliards.» Des voitures sont stationnées les unes à côté des autres, coffres ouverts en guise de vitrine. Les clients arrivent en voiture, les uns derrière les autres, sans s’arrêter – pour prendre la poudre d’escampette plus vite au cas où les gendarmes arriveraient, ce qui arrive, de l’aveu des contrebandiers, assez rarement. Les contrebandiers paient de la drogue et de l’alcool aux jeunes de Tébessa pour qu’ils servent de leurre, à «l’entrée», en cas d’arrivée des forces de l’ordre. «En cas de pépin, les contrebandiers n’hésitent pas à tirer».
Pour lui, officiellement, je suis un potentiel acheteur d’armes qu’il doit emmener en «visite de routine» auprès de ses contacts. Je lui ai avancé 5000 DA pour qu’il me prenne en charge. La veille, il a pris soin d’interdire tout bagage, même un sac à dos. Direction Khenchela, sur la RN28. Après 35 minutes de route, Ali s’arrête devant une ferme abandonnée à quelques kilomètres de Aïn Touta. A priori rien de suspect, mais la ferme renferme un atelier artisanal de confection d’armes «pour les fêtes du baroud», nous dit-on. En clair, des armes de chasse utilisées lors de fêtes chaouies, notamment par les grandes familles des archs de la région. Ali trouve que ce n’est pas «normal» que les autorités interdisent la fabrication de fusils artisanaux prisés par les familles.
«Avant, posséder une bachtola (arme en chaoui), était une fierté pour ses propriétaires et un objet qu’on exhibe lors des mariages», se désole-t-il. Durant la décennie noire, «cela était considéré comme une arme dissuasive contre les terroristes», explique-t-il encore. Des ateliers de confection d’armes artisanales, il en existe beaucoup dans la région, jusqu’à Annaba. L’année dernière, les services de sécurité avaient découvert plusieurs ateliers clandestins, notamment à Bir El Ater, et ont arrêté leurs propriétaires après les aveux d’un trafiquant appréhendé à Annaba. D’après une source sécuritaire locale, ce démantèlement continue et devrait s’étendre aux wilayas limitrophes. «Nous soupçonnons ces ateliers d’être connectés avec les réseaux maffieux de trafics d’armes et dans un certain degré de connivence avec les groupes terroristes. Car en plus de la confection d’armes, ils fabriquent des cartouches, un gisement de munitions important pour les terroristes. Ces ateliers peuvent aussi servir à la maintenance et à la réparation d’armes de poing», révèle un gendarme bien au fait de ce dossier.
Ateliers artisanaux
Nous sommes à l’entrée de Batna. Le chauffeur marque une halte encore une fois devant un café qui sert de relais pour les routiers. Son contact semble, de loin, lui dicter la route à parcourir pour arriver au lieu des transactions. Nous reprenons la route vers Khenchela en empruntant la RN83, traversant le plateau caillouteux surplombé de blocs montagneux. Tout au long de la route, Ali raconte sa vie, son destin. «Je n’ai pas trouvé quoi faire pour nourrir mes enfants. Avant, je travaillais à l’usine de N’gaous, puis j’ai perdu mon travail à la fin des années 1990, suite à un malentendu avec la direction. Depuis, je n’ai jamais pu retrouver un emploi.» Il fait alors la connaissance de Moussa, un importateur connu des magnats de l’Est algérien. «Il m’a embauché comme routier pour l’acheminement de sa marchandise vers les marchés de la région. Et un jour, il m’a proposé une nouvelle tâche. Je suis devenu son chauffeur personnel et presque son bras droit. Je m’occupais presque de tout», lance fièrement Ali.
Les kilomètres défilent, Ali est à l’affût d’un repère qu’il refuse de révéler pour l’instant. Soixante-dix kilomètres passés, à quelques lieues de l’ex-Youks-les-Bains, plus connu sous le nom de Youkous, le chauffeur ralentit. Il vient de repérer ses pierres superposées sous forme de pyramide. A quelques mètres se trouve l’entrée d’une piste. Un code utilisé par les trafiquants d’armes emprunté à celui des contrebandiers : un intermédiaire ou un lieu d’échange se trouve tout près. Si une pierre est posée à gauche de la pyramide, cela veut dire : prendre l’entrée à droite et vice-versa. D’autres signaux son utilisés : des pierres jetées sur la chaussée, par exemple, indiquent la présence de gendarmes ou de l’armée.
Notre guide refuse de nous initier davantage au langage des contrebandiers. Pour les lieux d’échange, des pierres entreposées des deux côtés de la chaussée, accompagnées d’un tronc d’arbre, renseignent sur un lieu d’échange proche. D’ailleurs, nous apercevons de loin deux voitures qui procèdent à une transaction. Ali emprunte la piste à la rencontre d’un berger. La discussion ne prend que quelques minutes. De loin, il surveille mes moindres faits et gestes. Ali vient de passer commande auprès du faux berger, intermédiaire lui aussi d’un célèbre marchand d’armes de la région. Ali refuse de révéler son identité. «Il s’agit de mon gagne-pain», se défend-il fermement. Le lieu ainsi que la date de la transaction lui seront communiqués plus tard par le biais d’un autre intermédiaire, probablement le cafetier rencontré au relais routier de Batna. Ali n’utilise jamais son téléphone portable pour ses opérations de transaction. «Cet outil ne me sert que pour joindre la famille», précise-t-il.
Il nous apprend que le faux berger propose des Beretta 9 mm en bon état pour 100 000 DA. Les neufs peuvent coûter un peu plus cher. «N’était la garantie de Moussa, je ne vous aurais jamais accompagné. Dès le départ, je voyais bien que vous n’aviez rien de quelqu’un d’intéressé par l’achat d’une arme.» A Khenchela, les bars clandestins grouillent de nouveaux marchands qui se tiennent aux côtés des anciens. Ali profite pour saluer ses contacts, pour la plupart des jeunes vendeurs d’armes en provenance de Libye.
Le Smith& Wesson d’El Gueddafi
«Des armes de grande qualité esthétique et technique. Certaines proviennent des stocks personnels des Gueddafi. Elles sont très recherchées par les hommes d’affaires de l’Est, voire des hauts gradés militaires.» Un Smith & Wesson orné d’or massif est proposé à plus de 1 million de dinars. Son propriétaire refuse de le céder pour l’instant, car il a beaucoup de demandes. D’autant que «cette arme, qui a appartenu à El Gueddafi, a une charge symbolique importante. Elle est considérée comme une arme de collection», précise un des jeunes. Ces derniers temps, exit les Berreta et les PA, la mode dans le milieu est aux armes de collection, notamment celles qui arrivent directement des Gueddafi. Selon certains témoignages, Seïf El Gueddafi se serait fourni, avant la chute du régime libyen, auprès des marchands locaux via des réseaux maffieux.
Principaux produits proposés par ces derniers : grenades, kalachnikov de fabrication coréenne et fusils à jumelle. Les prix du moment sont alléchants : 200 000 DA la kalachnikov ou quelque 300 000 DA la mitrailleuse. Après ces échanges fructueux entre Ali et ses acolytes, nous prenons la direction de Tébessa. «Vous n’avez encore rien vu», promet notre chauffeur. En cours de route, Ali nous parle des armes recherchées par les archs. «Wallah, la situation est devenue préoccupante, confie-t-il. Les conflits entre tribus ou membres de tribus font parfois l’objet de litiges – sur la délimitation des parcelles de terrains arides – qui se règlent avec des kalachnikov. Une situation dangereuse où des tribus entières sont devenues de vraies milices prêtes à tout.» Arrivés à Tébessa ville, la Mecque des trafiquants de tout acabit, nous faisons une halte avant de reprendre la route en direction des frontières tunisiennes, d’ou proviennent les armes. Ici, on parle ouvertement du business des armes et de la contrebande.
180 000 DA la kalachnikov
Dans un bar clandestin, les trafiquants se réunissent, échangent et proposent en toute liberté leur marchandise. Un contrebandier offre pour 1 million de dinars 10 Beretta 9 mm. Un autre, des kalachnikov en bon état à 180 000 DA. Chacun d’eux est armé. «Normal, entre les terroristes d’un côté et les militaires de l’autre, ils doivent se protéger. Pratiquement aucune semaine ne passe sans qu’un échange de tirs ne soit signalé, relève Ali. Les forces de sécurité ont beaucoup de difficultés à les appréhender. Ce sont de véritables milices aujourd’hui surarmées.»
Le véritable business commence la nuit. Les routes qui mènent vers la zone frontalière deviennent un souk à l’armement à ciel ouvert. Ainsi, les itinéraires autrefois empruntés pour le trafic de stupéfiants sont désormais empruntés pour le trafic d’armes. Sur la RN10, après le check point de la gendarmerie dressé à la sortie de la ville, la route, qui ressemble à un circuit pour courses sauvages, appartient aux contrebandiers qui y font régner leurs lois. Idem pour la RN16. Pas besoin de repères ou d’indices pour trouver la route au milieu de la forêt. Les trafiquants connaissent les lieux «mieux qu’un GPS», ironise Ali. Des casemates nouvellement créées abritent des quantités impressionnantes d’armes. On y trouve de tout, du simple PA 15 coups à la RPG. «Bientôt on vendra ici des missiles sol-air», commente notre guide. Les ânes sont utilisés comme moyen de transport pour traverser la frontière.
Complicités
Pour les gros bonnets, «des complicités avec les services de sécurité leur permettent d’acheter les routes et de ne pas être inquiétés», révèle un jeune nouveau marchand. Pour être acheminées vers les villes et les centres urbains, les armes sont cachées sous le châssis et les banquettes. Mais les trafiquants choisissent le timing, quand la garde baisse, surtout les week-ends ou la saison des rotations des casernes. «Les militaires sont beaucoup plus préoccupés par la protection du transfert des leurs que par le trafic et les terroristes», nous assure Ali. L’aventure ne s’achève pas là. De retour à Tébessa ville, Ali nous propose une virée du côté des montagnes.
Douaibia, à quelque 30 km au nord-est de Tébessa, se trouve le marché des munitions. «Depuis un certain temps, chaque marché a trouvé sa vocation ou son créneau. Le marché des munitions à lui seul représente des milliards.» Des voitures sont stationnées les unes à côté des autres, coffres ouverts en guise de vitrine. Les clients arrivent en voiture, les uns derrière les autres, sans s’arrêter – pour prendre la poudre d’escampette plus vite au cas où les gendarmes arriveraient, ce qui arrive, de l’aveu des contrebandiers, assez rarement. Les contrebandiers paient de la drogue et de l’alcool aux jeunes de Tébessa pour qu’ils servent de leurre, à «l’entrée», en cas d’arrivée des forces de l’ordre. «En cas de pépin, les contrebandiers n’hésitent pas à tirer».
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