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17 Octobre 1961, crime d’Etat… à Paris

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  • 17 Octobre 1961, crime d’Etat… à Paris

    Ce jour-là, il pleuvait sur Paris. Le soir venu, dans le ciel, les étoiles de la veille avaient cédé la place à des nuages annonçant un orage. Dans les rues et les boulevards, pour que le soleil brille sur leur pays, des femmes et des hommes, des Algériens manifestaient pacifiquement.

    Les aventuriers de la nuit, autochtones et touristes mêlés, se bousculaient dans les lieux des vacarmes habituels des nuits parisiennes. Les premiers, mains nues, bravant la meute des policiers, revendiquaient uniquement le droit élémentaire de circuler librement dans la ville… Les seconds festoyaient dans les boîtes de nuit et les restaurants alors que les rues offraient le sinistre spectacle d’une répression sanglante contre ces parias qui osaient déranger la «tranquillité» du Paris by night. 17 Octobre 1961, ce jour-là, les démons faisaient de l’ombre aux anges de la ville des lumières, et seules les flammes des fusils éclairaient les berges de la Seine où des Algériens furent tués, ligotés et jetés dans le Styx, ce fleuve de la haine dans la Grèce antique que l’on croyait enseveli sous les décombres de l’histoire.

    Ce jour-là, le fleuve parisien servait de cimetière à des anonymes qui portaient en eux l’identité nationale de tout un peuple. Aujourd’hui, ces femmes et ces hommes nous demandent de faire reconnaître ce crime d’Etat en guise de sépulture. Une sépulture que lui a refusé la nuit coloniale que certains trouvent qu’elle n’était pas si noire. Un crime d’Etat perpétré en plein Paris, sous le regard du monde entier et sous l’autorité d’un préfet. Et comme le hasard fait bien les choses, ce même préfet était connu pour avoir gagné ses galons de chef de gare à Drancy d’où partaient en 1942 les trains de la déportation. Et comme par hasard, ce même préfet ne fut jamais titillé pour les exploits de ses policiers dans les rues de Paris, dans les camps d’internement de Vincennes et du Parc des expositions de la porte de Versailles. Il ne fut pas inquiété (il est même devenu ministre dans plusieurs gouvernements) et il ne fut condamné qu’en 1998 après de rudes et multiples batailles juridiques pour son rôle dans la déportation des juifs de France. Il avait échappé à toute poursuite pendant près de 50 ans parce que «simple» fonctionnaire de l’Etat. Dans un pays où le raisonnement de «jésuites» est élevé en un sublime art, il est des gens qui inventent des arguties pour justifier une chose et son contraire en fonction d’intérêts mesquins et de leur minable lâcheté. Ainsi, François Mitterrand, une fois devenu président de la République, invoqua-t-il la thèse selon laquelle la déportation des juifs de France ne pouvait être qualifiée de crime d’Etat sous prétexte que l’Etat à cette époque ne représentait pas la République et la France «éternelle». Logiquement, si l’on suit ce raisonnement, en 1961, la France étant représentée par un Etat légitime, tout aussi logiquement les agissements criminels des fonctionnaires devraient être reconnus comme crimes d’Etat.

    Mais comme les «jésuites» ont plusieurs cartes dans leurs besaces, on avança aussi pour justifier les «bavures» du 17 Octobre 1961, un montage juridique selon lequel le désordre public engendré par les manifestants encadrés par des hommes armés du FLN (un mensonge éhonté) n’était pas admissible et la force devait rester à la loi. Non seulement, les tueries de cette funeste journée ne sont pas reconnues comme crime d’Etat, mais pendant longtemps, on organisa un embargo sur les informations, preuve que la transparence est une épreuve pour ceux qui redoutent la vérité. Nous ne devons pas nous laisser distraire par ceux qui accouchent de mensonges enrobés de mots qui sonnent «vrai» pour faire oublier le côté sombre de leur propre conduite aussi bien durant la Seconde Guerre mondiale que pendant de la guerre d’Algérie. Heureusement, ces faiseurs de confusion se heurtent au travail des historiens qui, dans leur quasitotalité, ont réussi à révéler des fragments de vérités disséminés ici et là, à recouper des témoignages qui en disent long sur les actes des hommes agissant au nom de la loi.

    Toutes les révélations qui ne manqueront pas de surgir une fois les archives libérées des tiroirs cadenassés, permettraient, il faut l’espérer, aux tribunaux et aux institutions politiques de qualifier les assassinats de cette journée de crime d’Etat, ce qui rendrait sa dignité à un pays qui se glorifie d’être la patrie des droits de l’homme. Mais pourquoi donc ce refus obstiné de reconnaître ce crime d’Etat, une réclamation faite chaque année lors de la commémoration de cette journée par les émigrés et leurs enfants soutenus par une partie du peuple français ? Il y a bien sûr les motivations bassement politiciennes pour aller à la pêche des voix de l’électorat des nostalgiques de l’Algérie française. Mais il y a aussi et surtout les idées, enfouies au plus profond des méandres de la longue histoire de la France, des idées qui se lovent encore dans l’esprit de certaines catégories sociales. C

    elles qui pensent toujours que leur pays avait la raison et le devoir pour lui d’aller porter la «civilisation» à des peuples victimes des torpeurs de l’histoire. Cette croyance, un ramassis de balivernes, a été cultivée depuis longtemps, entre autres par d’éminents personnages comme Jules Ferry et Victor Hugo qui avaient cautionné la «mission civilisatrice » de la France. Et puis plus près de nous, rappelons-nous d’un certain Sarkozy qui va chez les gens et se permet de les insulter chez eux : l’Africain n’est pas encore entré dans l’histoire. Heureusement la France n’est pas moisie (comme dirait Philippe Sollers) dans la totalité de sa population et de son histoire.


    Pour faire reconnaître ce crime d’Etat, les Algériens doivent chercher l’aide des autres catégories sociales des Français qui ne se reconnaissent ni dans les exactions de leur armée ni dans le récit historique écrit comme toujours par les vainqueurs. Il faut nous battre contre cette écriture de l’histoire qui donne à certains Français le prétexte de «comprendre» sinon de légitimer l’insoutenable conduite de l’armée et de la police françaises. Le prétexte en question : il y a eu des deux côtés des exactions, donc match nul. Ce genre d’insanités tenues par des philosophes de salon, comme Bernard Henry Lévy et Michel Onfray, font hélas mouche auprès du citoyen lambda. Aux mots sans saveur de ces histrions de la pensée, opposant le verbe poétique ciselé par Kateb Yacine :

    La Seine rougissante
    n’a pas cessé les jours suivants
    de vomir à la face
    du peuple de la commune
    ces corps martyrisés
    qui rappelaient aux Parisiens
    leurs propres révolutions
    leur propre résistance.
    Peuple français, tu as tout vu
    oui tout vu de tes propres yeux.
    Et maintenant vas-tu parler ?

    Et maintenant vas-tu te taire ? pour contrer leur argument selon lequel la violence a été déclenchée par les Algériens (une contre-vérité évidente) mais aussi faire avaler à ces idéologues révisionnistes la fabrique de leurs mensonges. Comment des intellectuels nés et élevés sous les lumières de Rousseau, de Voltaire et de Diderot peuvent-ils nier que la colonisation est dès le départ, dans sa nature, un VIOL à la fois historique (contre un pays) et physique (les enfumages et empoisonnement des puits, bref la terre brûlée chère à Bugeaud) ? Comment après ça, osent-ils refuser à ce peuple le droit de prendre les armes après avoir épuisé toutes les maigres ressources de la «démocratie» en pays colonisé ? Ces «intellectuels» aux ordres, pour accomplir leur sale besogne, s’appuient sur l’existence d’archaïsmes dans notre société, sur les échecs et autres turpitudes du régime algérien d’aujourd’hui pour trouver une porte de sortie honorable aux faits et méfaits de la colonisation. Là aussi, il faut les renvoyer à leurs études pour qu’ils apprennent que rien, absolu rien ne peut justifier l’occupation d’un pays, quand bien même celui-ci patauge dans le sous-développement ou bien subit le joug d’un dictateur…

    Le combat va être long et rude pour faire reconnaître le crime d’Etat du 17 Octobre 1961. La victoire n’est pas assurée, car l’issue d’un combat est toujours le produit d’un rapport de forces lui-même fruit de pressions politiques, économiques et idéologiques. L’Allemagne et le Japon, auteurs de tant de massacres en Europe et en Asie, ont dû, une fois défaits, reconnaître, d’une manière ou d’une autre, les comportements criminels de leurs armées. Le temps est un sérieux allié pour faire éclater la vérité et l’histoire est une amie fidèle des causes justes. Alors aidons à accélérer le temps pour que l’histoire rende la justice. En brisant le silence par un travail inlassable, par une mobilisation sans relâche avec toutes les armes et outils de notre époque, pour que les générations futures imposent la condamnation et la reconnaissance de ce crime d’Etat… pour le droit à la vérité que l’on doit au peuple algérien, pour l’honneur de ces Français qui ont aidé notre pays à se libérer, soigner et protéger les Algériens ce 17 Octobre 1961 devenu Journée nationale de l’émigration, une émigration qui a tant donné pour effacer la sinistre date du 5 juillet 1830.


    Ali Akika Réalisateur du film Enfants d’Octobre 61., Le Soir
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