Etonnant Chadli Bendjedid ! Durant les 12 années qu’il passera au pouvoir entre février 1979 et janvier 1992, l’ex-président s’est montré d’une extrême discrétion à l’égard de son prédécesseur Houari Boumediene.
Pendant le règne de Chadli, Boumediene sera effacé de la mémoire, disparaitra de la télé, Chadli étant même accusé d’avoir « déboumedienisé » le système mis en place par le colonel. A l’occasion de la parution des mémoires de Chadli, on découvre que les deux hommes étaient presque les meilleurs amis du monde.
Ils sont enfin disponibles ces fameux mémoires de Chadli ! Entamé depuis presque cinq ans avec la collaboration d’un journaliste, retardé de parution pendant au moins deux ans, l’ouvrage, conçu en deux tomes (le premier est sorti ce mercredi 24 octobre), retrace la vie de l’ancien raïs emporté par un cancer le 6 octobre dernier à l’âge de 83 ans.
On attendait que Chadli, l’homme qui s’est muré dans le silence pendant 20 ans, fende l’armure, qu’il dévoile ses secrets, qu’il réponde à ses détracteurs, mais lui a choisi de pas ne fâcher.
Et Chadli Bendjedid avertira d’emblée les lecteurs qu’il a délibérément éludé certains pans de sa vie si riche et si tumultueuse pour ne pas donner l’impression de régler des comptes personnels, pour ne pas porter atteinte à des personnes.
• Lire →Ce qu’on ne lira pas dans le livre de Chadli : Bouteflika un «caporal», Nezzar «une petite créature»
Volonté personnelle de ne pas blesser et froisser les esprits, pression sur la famille pour garder les cadavres dans les placards et de ne pas susciter des rancoeurs inutiles, on se saura peut-être jamais pourquoi Chadli a décidé d'expurgé de ses mémoires tout ce qui pourrait fâcher.
Pas de règlements de comptes donc, mais d’étonnantes confessions sur ses relations avec Houari Boumediene.
Etonnantes car autant on apprendra dans ce premier tome que les deux hommes étaient proches, voire très amis, autant Chadli s’emploiera durant son règne à effacer les traces du passage à la tête de l’Etat de ce vieil ami.
Patron de la deuxième région militaire, l’Oranie, Chadli Bendjedid participe à la conjuration qui mettra un terme à la présidence d’Ahmed Ben Bella, destitué par un coup d’Etat le 19 juin 1965.
• Lire →Enquête : Dans les coulisses du coup d'Etat a qui renversé Ben Bella samedi 19 juin 1965
Boumediene prend alors le pouvoir et n’aura de cesse d’entretenir une solide et riche amitié avec Chadli.
Deux ans après le putsch de 1965, des officiers de l'armée, à leur tête Tahar Zbiri, celui-là même qui fut chargé de l’arrestation de Ben Bella, prépare une autre conjuration, cette fois-ci contre Boumediene.
Mis dans la confidence, Chadli s’y oppose. Dans ses mémoires, il raconte avoir pris ses devants en rencontrant Boumediene au siège de la présidence sans pour autant éventer le complot qui se tramait contre ce dernier.
« Je retourne aujourd'hui à Oran, dit Chadli à Boumediene. Sache que ta position sera la mienne et que tu me trouveras toujours à tes côtés. »
• Lire →Algérie : L'ancien président de la république Chadli Bendjedid est mort
Jusqu’à la mort de Boumediene en décembre 1978, les deux hommes entretiendront des rapports de confiance et de déférence.
C’en est apparemment vrai dès lors que Chadli révèle avoir conseillé un jour à Boumediene de prendre épouse, lui le célibataire endurci, l’austère qui ne profite pas de la vie.
Chadli se chargera même de lui trouver l’âme sœur avant de se raviser, « convaincu, écrit-il, que le mariage devait être fondé sur le libre choix ».
Boumediene se mariera avec Anissa En Mensali, une avocate qui partagera sa vie jusqu’à sa disparition.
Chadli, un menteur, dit Anissa
Plus tard, la veuve de Boumediene accusera Chadli Benjedid d’être un « menteur », d’avoir débranché en décembre 1978, sans la consulter, les appareils qui maintenaient en vie son mari, hospitalisé à Mustapha Bacha. Et donc d’avoir précipité sa mort.
Elle accusera également Chadli d’avoir détruit les réalisations accomplies par Boumediene entre 1965 et 1978 et d’être à l’origine du terrorisme qui a frappé l’Algérie durant les années 1990.
Seigneur ou poltron, Chadli Bendjedid ne répondra jamais en public aux accusations d'Anissa Boumediene bien que celles-ci soient graves.
• Lire →Bouteflika et Chadli : Avant les hommages, il y avait insultes, moqueries et persiflages
Il n’empêche. Cette confiance, cette amitié, cette proximité entre les deux hommes sont telles que Boumediene se confiera souvent à Chadli notamment à propos de cette étrangère maladie qui le frappe dès l’été 1978 et qui l'emportera quelques mois plus tard.
« Chadli, veille sur le pays et la Révolution! »
Sentant sans doute sa mort prochaine, Boumediene nommera Chadli coordinateur des corps de sécurité, avec cette recommandation que ferait un père à son fils : « Chadli, veille sur le pays et la Révolution! »
Houari Boumediene disparu, le colonel Chadli Bendjedid est désigné par ses pairs de l’armée comme successeur en 1978. Il restera à la tête de l’Etat jusqu’à janvier 1992 date de sa démission.
Durant ses douze années au pouvoir, Chadli s’emploiera à asseoir son système, à renoncer aux choix économiques portés par Boumediene et à placer ses hommes en écartant en douceur ceux de son prédécesseur.
Certains collaborateurs de l’ex-président, à l’instar de Belaid Abdesselam, Sid Ahmed Ghozali ou Abdelaziz Bouteflika seront trainés devant la Cour des Comptes.
• Lire →Paris, 7 avril 1987, 22 h 35 : Ali Mecili, opposant algérien, exécuté de 3 balles dans la tête
Certes c’est sous Chadli que l’aéroport international d’Alger est rebaptisé en 1979 du nom de Houari Boumediene, mais celui-ci sera progressivement effacé de l’histoire officielle au point où l’on accusera plus tard Bendjedid d’avoir entrepris la « déboumedienisation » du pays.
Boumediene sous Chadli? Il disparaitra de la télévision et des journaux. L’anniversaire de sa mort ? Elle ne plus commémorée par les officiels et l’évocation de son nom devient presque un tabou en Algérie.
Sous Chadli, la mémoire de Boumediene sera cultivée le temps d'une saison avant qu'elle ne disparaisse. Ou presque.
Il aura fallu l’ouverture démocratique de 1989 et l’émergence d’une presse libre pour que Houari Boumediene refasse enfin surface. Il n'était plus possible de cacher Houari Boumediene.
Farid Alilat
DNA - Dernières nouvelles d'Algérie
Pendant le règne de Chadli, Boumediene sera effacé de la mémoire, disparaitra de la télé, Chadli étant même accusé d’avoir « déboumedienisé » le système mis en place par le colonel. A l’occasion de la parution des mémoires de Chadli, on découvre que les deux hommes étaient presque les meilleurs amis du monde.
Ils sont enfin disponibles ces fameux mémoires de Chadli ! Entamé depuis presque cinq ans avec la collaboration d’un journaliste, retardé de parution pendant au moins deux ans, l’ouvrage, conçu en deux tomes (le premier est sorti ce mercredi 24 octobre), retrace la vie de l’ancien raïs emporté par un cancer le 6 octobre dernier à l’âge de 83 ans.
On attendait que Chadli, l’homme qui s’est muré dans le silence pendant 20 ans, fende l’armure, qu’il dévoile ses secrets, qu’il réponde à ses détracteurs, mais lui a choisi de pas ne fâcher.
Et Chadli Bendjedid avertira d’emblée les lecteurs qu’il a délibérément éludé certains pans de sa vie si riche et si tumultueuse pour ne pas donner l’impression de régler des comptes personnels, pour ne pas porter atteinte à des personnes.
• Lire →Ce qu’on ne lira pas dans le livre de Chadli : Bouteflika un «caporal», Nezzar «une petite créature»
Volonté personnelle de ne pas blesser et froisser les esprits, pression sur la famille pour garder les cadavres dans les placards et de ne pas susciter des rancoeurs inutiles, on se saura peut-être jamais pourquoi Chadli a décidé d'expurgé de ses mémoires tout ce qui pourrait fâcher.
Pas de règlements de comptes donc, mais d’étonnantes confessions sur ses relations avec Houari Boumediene.
Etonnantes car autant on apprendra dans ce premier tome que les deux hommes étaient proches, voire très amis, autant Chadli s’emploiera durant son règne à effacer les traces du passage à la tête de l’Etat de ce vieil ami.
Patron de la deuxième région militaire, l’Oranie, Chadli Bendjedid participe à la conjuration qui mettra un terme à la présidence d’Ahmed Ben Bella, destitué par un coup d’Etat le 19 juin 1965.
• Lire →Enquête : Dans les coulisses du coup d'Etat a qui renversé Ben Bella samedi 19 juin 1965
Boumediene prend alors le pouvoir et n’aura de cesse d’entretenir une solide et riche amitié avec Chadli.
Deux ans après le putsch de 1965, des officiers de l'armée, à leur tête Tahar Zbiri, celui-là même qui fut chargé de l’arrestation de Ben Bella, prépare une autre conjuration, cette fois-ci contre Boumediene.
Mis dans la confidence, Chadli s’y oppose. Dans ses mémoires, il raconte avoir pris ses devants en rencontrant Boumediene au siège de la présidence sans pour autant éventer le complot qui se tramait contre ce dernier.
« Je retourne aujourd'hui à Oran, dit Chadli à Boumediene. Sache que ta position sera la mienne et que tu me trouveras toujours à tes côtés. »
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Jusqu’à la mort de Boumediene en décembre 1978, les deux hommes entretiendront des rapports de confiance et de déférence.
C’en est apparemment vrai dès lors que Chadli révèle avoir conseillé un jour à Boumediene de prendre épouse, lui le célibataire endurci, l’austère qui ne profite pas de la vie.
Chadli se chargera même de lui trouver l’âme sœur avant de se raviser, « convaincu, écrit-il, que le mariage devait être fondé sur le libre choix ».
Boumediene se mariera avec Anissa En Mensali, une avocate qui partagera sa vie jusqu’à sa disparition.
Chadli, un menteur, dit Anissa
Plus tard, la veuve de Boumediene accusera Chadli Benjedid d’être un « menteur », d’avoir débranché en décembre 1978, sans la consulter, les appareils qui maintenaient en vie son mari, hospitalisé à Mustapha Bacha. Et donc d’avoir précipité sa mort.
Elle accusera également Chadli d’avoir détruit les réalisations accomplies par Boumediene entre 1965 et 1978 et d’être à l’origine du terrorisme qui a frappé l’Algérie durant les années 1990.
Seigneur ou poltron, Chadli Bendjedid ne répondra jamais en public aux accusations d'Anissa Boumediene bien que celles-ci soient graves.
• Lire →Bouteflika et Chadli : Avant les hommages, il y avait insultes, moqueries et persiflages
Il n’empêche. Cette confiance, cette amitié, cette proximité entre les deux hommes sont telles que Boumediene se confiera souvent à Chadli notamment à propos de cette étrangère maladie qui le frappe dès l’été 1978 et qui l'emportera quelques mois plus tard.
« Chadli, veille sur le pays et la Révolution! »
Sentant sans doute sa mort prochaine, Boumediene nommera Chadli coordinateur des corps de sécurité, avec cette recommandation que ferait un père à son fils : « Chadli, veille sur le pays et la Révolution! »
Houari Boumediene disparu, le colonel Chadli Bendjedid est désigné par ses pairs de l’armée comme successeur en 1978. Il restera à la tête de l’Etat jusqu’à janvier 1992 date de sa démission.
Durant ses douze années au pouvoir, Chadli s’emploiera à asseoir son système, à renoncer aux choix économiques portés par Boumediene et à placer ses hommes en écartant en douceur ceux de son prédécesseur.
Certains collaborateurs de l’ex-président, à l’instar de Belaid Abdesselam, Sid Ahmed Ghozali ou Abdelaziz Bouteflika seront trainés devant la Cour des Comptes.
• Lire →Paris, 7 avril 1987, 22 h 35 : Ali Mecili, opposant algérien, exécuté de 3 balles dans la tête
Certes c’est sous Chadli que l’aéroport international d’Alger est rebaptisé en 1979 du nom de Houari Boumediene, mais celui-ci sera progressivement effacé de l’histoire officielle au point où l’on accusera plus tard Bendjedid d’avoir entrepris la « déboumedienisation » du pays.
Boumediene sous Chadli? Il disparaitra de la télévision et des journaux. L’anniversaire de sa mort ? Elle ne plus commémorée par les officiels et l’évocation de son nom devient presque un tabou en Algérie.
Sous Chadli, la mémoire de Boumediene sera cultivée le temps d'une saison avant qu'elle ne disparaisse. Ou presque.
Il aura fallu l’ouverture démocratique de 1989 et l’émergence d’une presse libre pour que Houari Boumediene refasse enfin surface. Il n'était plus possible de cacher Houari Boumediene.
Farid Alilat
DNA - Dernières nouvelles d'Algérie
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