M. Brahim Benjelloun Touimi, Administrateur directeur général délégué de BMCE Bank, n’est pas seulement un banquier éprouvé et un financier émérite. Il est également économiste avéré comme le montrent ses réponses aux questions posées par La Nouvelle Tribune et qui dépassent largement le cadre stricto sensu de la Banque et de la Finance.
La Nouvelle Tribune :
Après avoir fait preuve d’une certaine résilience, l’économie marocaine a fini par être sérieusement touchée par la crise européenne. Dans quelle mesure selon vous, la dynamique économique interne suffira-t-elle à vaincre cette dernière ?
M. Brahim Benjelloun Touimi :
Votre appréciation que l’économie marocaine ait fini par être ‘’sérieusement’’ touchée par la crise européenne est sévère.
Certes, les secteurs tournés vers la demande étrangère – sans en stigmatiser de quelconques – sont impactés. Pour autant, les différentes institutions économiques tant nationales qu’internationales comme le FMI, témoignent régulièrement de la confiance que leur inspirent les fondamentaux de l’économie marocaine. Leurs prévisions de croissance pour 2012 s’établissent entre 2 % et 3 %, mais sont plus optimistes pour l’année prochaine, puisque les estimations sont comprises entre 4 % et 5 %.
Cela inspire la réflexion que les opinions-makers, comme les dirigeants et autres responsables économiques, se trouvent soigneusement peser leurs appréciations de la situation réelle de l’économie marocaine pour ne pas disséminer des sentiments de ‘’morosité européo-occidentale’’. Autrement, par l’effet de pro-cyclicité, de légitimes inquiétudes peuvent être davantage suscitées et pourraient sérieusement refréner alors les décisions d’investissement ou la mise en œuvre de projets, induisant un véritable ralentissement de l’économie marocaine.
Par rapport à la dynamique économique interne, elle est réelle au Maroc grâce à une politique volontariste menée par les pouvoirs publics. A preuve, le taux d’investissement, rapporté au PIB, est de 35 % pour la 6ème année consécutive, ce qui représente une performance assez inédite dans l’histoire économique du pays. Dans le même temps, cette dynamique interne est « contrainte » par les capacités budgétaires de l’Etat. D’où la nécessité d’une recherche tous azimuts de nouveaux marchés porteurs dans les pays émergents. Dans les prochaines années, en effet, 90 % de la croissance mondiale seront générés en dehors de l’Europe, principal partenaire économique et commercial du Maroc. L’Afrique, plus précisément, représente la ‘’première frontière’’ du développement à l’international pour l’économie marocaine. Des Groupes nationaux, comme le Groupe BMCE Bank, montrent clairement la voie à cet égard.
La crise en question se manifeste au Maroc, tout particulièrement par une crise de liquidités. Pouvez-vous en expliquer, à nos lecteurs, les conséquences au niveau de l’Etat et du financement de l’économie ?
Parlons, si vous le voulez bien, plutôt que de “crise”, de “tensions” sur les liquidités bancaires. Elles ne procèdent pas de la situation économique internationale. La dynamique nationale est en cause : c’est celle des avoirs extérieurs nets du Maroc induite par la hausse des volumes et des prix des importations, notamment des produits pétroliers et céréaliers. Les besoins de financement de l’Etat ainsi que d’autres facteurs restrictifs, comme l’augmentation de la circulation de la monnaie fiduciaire en dehors du circuit bancaire peuvent également être à l’œuvre dans ces tensions.
Concernant leur impact sur le financement de l’économie, observons les chiffres de croissance des crédits à l’économie pour l’ensemble du secteur bancaire. Ils sont éloquents. Selon les statistiques du GPBM, les taux de croissance en glissement annuel a fin septembre 2012 des crédits bancaires a l’économie sont de +5,7 % voire +6,5 % pour les crédits à la clientèle.
Cette tendance positive devrait se maintenir en raison des besoins de financement de secteurs à fort potentiel au Maroc, comme le logement social, les énergies renouvelables, l’automobile ou l’aéronautique.
Dans ce contexte, les banques bénéficient du soutien constant de la Banque Centrale qui les alimente régulièrement en liquidités. La récente baisse du taux de réserve monétaire de 6 % à 4 % en donne une illustration supplémentaire, le taux directeur BAM affichant, pour sa part, une stabilité à 3 %.
Les solutions d’une telle crise de liquidités sont étroitement liées aux rentrées de devises, sauf que les transferts des MRE baissent de façon structurelle. L’Etat français par exemple songe à les limiter et les banques françaises sont très actives dans ce sens. Comment le Maroc pourra-t-il solutionner ce manque de liquidités sur le long terme ?
Les transferts des MRE ont enregistré, depuis le début de l’année, un repli de -3 % en glissement annuel à fin septembre 2012. Cependant, la tendance structurelle de long terme demeure la croissance, même si elle décélère. Depuis près de 9 ans, les transferts des MRE croissent en moyenne de plus 6 % et depuis le déclenchement de la crise internationale en 2008, le chiffre est, certes moins élevé, mais il s’établit tout de même à 3,4 %.
Notre conviction est que, la proximité géographique et culturelle avec les pays d’émigration, la stabilité institutionnelle dont jouit le Royaume, les dispositifs réglementaires et bancaires encourageant la bancarisation des MRE de ce cote-ci de la Méditerranée, concourront durablement à ce que la diaspora marocaine conserve des liens forts avec son pays d’origine. Nos compatriotes l’illustrent chaque jour par la poursuite des transferts de leur épargne vers le Maroc et par leurs investissements.
Comment le Maroc pourra -t-il solutionner le manque de liquidités sur le long terme ?
Les axes de développement de l’épargne longue sont autant de réponses structurelles à la faiblesse de l’épargne intermédiée, à l’origine des tensions sur les liquidités bancaires :
- la promotion du Low Income Banking, amorcée dans le pays pour favoriser l’accès aux services financiers de base auprès de couches plus élargies de la population,
- l’encouragement, comme le projet de Loi de Finance 2013 y conduit, de l’épargne salariale (Plan d’Epargne Entreprise),
- l’élargissement des régimes des retraites obligatoires et complémentaires, le développement des produits d’assurance-capitalisation,
- diverses incitations fiscales à l’épargne longue,
- l’offre additionnelle de produits au niveau des marchés de capitaux, (Titrisation de crédits, fonds d’investissement PME, obligations privées),
- ainsi que la promotion de canaux de bancarisation et d’inclusion financière, notamment de l’informel, tels la microfinance -microcrédit, micro-assurance-, la Finance Participative selon l’éthique islamique et le Mobile Banking.
Le système bancaire connaît un déficit en liquidités de près de 80 milliards de dirhams. Son recours au refinancement de BAM lui coûte en termes de marges d’intérêt qui se réduisent, mettant en cause l’équilibre des banques. Comment voyez vous cette situation, la solution de l’augmentation du capital étant très difficile à réaliser dans ces circonstances ?
La marge d’intermédiation des Banques s’est réduite ces dernières années, mais elle demeure correcte entre 4 et 5 %. C’est une concurrence plus vive parmi les banques qui en est à l’origine et certainement pas les conditions de refinancement auprès de l’Institut d’Emission lequel semble, plutôt, avoir accommodé l’expansion des liquidités bancaires.
Dans ce contexte, les augmentations de capital sont normalement opérées par les différentes institutions dans le cadre du renforcement de leur assise financière et d’accompagnement de leur plan de développement, à l’image de BMCE Bank qui a annoncé, à la fin du mois dernier, le renforcement de 2 Milliards de Dirhams de ses fonds propres – dont 1,5 Milliard auprès de sept actionnaires de référence – et de 2 autres milliards de ses quasi-fonds propres.
Comment appréhendez-vous l’avenir sur le plan économique global, européen, des pays émergents, du MENA et du Maroc ? Je vous pose cette question parce que l’on constate un dynamisme de plusieurs pays arabes qui jouent un rôle d’investisseurs important dans plusieurs pays y compris européens et qui le sont déjà chez nous ?
L’avenir devrait réserver à notre monde global, le déploiement d’un nouveau modèle de croissance économique. Certainement multipolaire, il sera de plus en plus basé sur l’économie du savoir, sur l’immédiateté – et sur davantage d’immatérialité – des échanges ainsi que sur les énergies renouvelables.
Dans ce contexte l’Europe, victime aujourd’hui d’une crise de confiance en elle-même autant qu’elle la subit, devrait s’en dégager progressivement, à la faveur du parachèvement de la construction européenne.
Ce sera sans doute une Union de ‘’cercles concentriques’’ basée sur des noyaux durs de pays à intégration plus ou moins avancée (l’intégration bancaire, fiscale, budgétaire…). Quant aux pays émergents, ils sont dissemblables. Les plus émergents d’entre eux sont désormais ces nouvelles puissances économiques du 21ème siècle telles les BRICs, venant se surajouter aux puissances traditionnelles du 20ème siècle. Ces dernières continueront de l’être pour autant qu’elles consolident leur Union dans des regroupements géographiques et géostratégiques qui puissent leur faire dépasser une taille nationale souvent étriquée.
Concernant les pays arabes de la région MENA, en dépit d’un ralentissement avéré de l’économie mondiale, la hausse continue du coût de l’énergie et des matières premières leur permet de dégager des liquidités abondantes. On doit s’en réjouir alors que les récentes visites royales parmi les pays du Golfe viennent souligner d’une manière solennelle l’engagement résolu du Maroc à développer plus intensivement ses relations avec ces pays.
Leur manne financière serait extrêmement bienvenue pour le financement de divers plans sectoriels marocains dans un contexte national de tensions sur l’Epargne. Ces pays représentent également des opportunités très intéressantes de diversification pour des industries comme l’Agro-industrie. Les talents marocains peuvent également y trouver d’intéressants débouchés professionnels.
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