Entretien réalisé par Mokhtar Benzaki
PARTENARIAT STRATÉGIQUE AVEC LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
«Ni un mal absolu, ni un bien absolu»
A l’occasion de la visite express que Madame Hillary Clinton, secrétaire d’Etat américaine, avait effectuée en février 2012 à Alger, le Soir d’Algérie avait sollicité Mohamed Chafik Mesbah, ami et collaborateur extérieur, à l’effet de commenter l’évènement.
Il avait réservé sa réponse, préférant se détacher de l’épisode factuel — la visite proprement dite de Mme Hillary Clinton — pour se consacrer, à la lumière de ce qui est communément appelé «le printemps arabe», à un éclairage plus circonstancié de l’évolution des rapports algéro-américains. Dans l’intervalle, Mme Hillary Clinton a effectué, tout récemment, une deuxième visite à Alger après qu’un «dialogue stratégique » algéro-américain se soit ouvert à Washington. Le tout, avec pour arrière-fond, la crise persistante au Mali. L’enjeu des relations algéro-américaines n’en devient que plus important. D’où l’intérêt de l’analyse de Mohamed Chafik Mesbah que nous livrons à nos lecteurs.
Le Soir d’Algérie: Vous aviez estimé que la récente visite de Mme Hillary Clinton, en février dernier, à Alger, était dénuée de grande signification. Comment pouviez-vous être aussi catégorique ?
Mohamed Chafik Mesbah : Parce que, tout simplement, les relations internationales ne peuvent être ramenées à des scènes de spectacle. Dans l’ère moderne que nous vivons, les politiques étrangères nationales s’articulent, forcément, autour d’enjeux majeurs qui s’expriment à travers des stratégies fondées sur le long cours et articulées autour d’une évaluation précise, actualisée en permanence, des rapports de force entre protagonistes dans le monde. Ce sont, ainsi, des think tanks, souvent privés qui, à un premier stade, avec des pôles de recherche universitaires qualifiés, animent le processus de réflexion académique sur les grands défis qui, au plan international, interpellent les Etats-Unis d’Amérique. Le meilleur exemple de ces think tanks c’est, probablement, la Rand Corporation-Research and Developmentqui emploie 1 500 analystes et chercheurs et qui dispose d’un budget annuel avoisinant les 230 millions de dollars. Même si ce think tank a pour centre d’intérêt principal la défense et la sécurité, les questions de relations internationales figurent toujours dans son plan de charges. Ce sont, à un deuxième stade, les appareils administratifs publics – ministères et agences spécialisées à l’instar de la CIA – qui exploitent les analyses disponibles pour élaborer des hypothèses de travail opératoires. Il ne faut pas, cependant, oublier le rôle essentiel des lobbies qui sont devenus un acteur, non gouvernemental, certes, mais tout de même essentiel dans la formulation de la politique étrangère américaine. Ces lobbies, qui ne sont ni plus ni moins que des groupes de pression organisés autour d’intérêts déterminés, influent sur le processus de prise de décision diplomatique à tous les niveaux – opinion publique, Parlement et présidence des Etats-Unis en particulier —. Le meilleur exemple de ces lobbies c’est, sans doute, l’AIPAC (American Israel Public Affairs Comitee). L’AIPAC regroupe 100 000 membres et emploie 165 personnes tout en disposant d’un budget annuel de 45 millions de dollars. L’objectif essentiel de l’AIPAC consiste à surveiller tous les processus de prise de décision visant Israël pour les faire évoluer, systématiquement, dans un sens favorable à l’Etat sioniste. C’est tout ce processus complexe qui, en dernier ressort, débouche sur une procédure d’arbitrage politique impliquant les structures du pouvoir exécutif et législatif — Conseil national de sécurité, présidence des Etats-Unis d’Amérique ainsi que commissions spécialisées du Parlement, Congrès et Sénat —. Voilà, en bref, le processus d’élaboration de la politique étrangère américaine où la place des responsables officiels, comme vous pouvez vous en douter, n’est pas, nécessairement, la plus déterminante. Les secrétaires d’Etat successifs donnent, probablement, à cette politique une tonalité personnelle, plus ou moins avérée. Tenons-en-nous, pour la démonstration, au conflit du Sahara occidental. Mme Hillary Clinton ne s’est pas gardée de manifester son appui à la politique marocaine vis-à-vis de cette question. Force est de constater, pourtant, que sa position de secrétaire d’Etat n’a pas eu raison de la politique traditionnelle d’équilibre suivie par l’administration américaine qui tente de garder une certaine équidistance entre thèses marocaines et algériennes. En dernier ressort, c’est l’intérêt de puissance des Etats-Unis d’Amérique qui s’impose, pas les inclinations des responsables du moment. Imaginer, à cet égard, que la simple visite à Alger de Mme Hillary Clinton allait influer sur la substance de la politique des Etats-Unis d’Amérique vis-à-vis de l’Algérie, cela relève de l’ingénuité.
Pourtant, le cérémonial protocolaire réservé par le président de la République à Mme Hillary Clinton laissait indiquer que la visite était bien d’intérêt exceptionnel…
Sans vouloir diminuer du statut de la secrétaire d’Etat aux Etats-Unis d’Amérique, ni minimiser de l’influence personnelle de Mme Hillary Clinton laquelle semble dominer le Conseil de sécurité national, il n’en reste pas moins que l’époque est révolue où le cérémonial diplomatique était au cœur de la politique étrangère des grandes puissances. Vous voulez être étonné de l’impact de ce fameux dîner offert par le président de la République ? La table d’honneur regroupant autour de Mme Hillary Clinton les principaux responsables des institutions nationales – pour la plupart du troisième âge — elle a pu noter qu’elle était la plus jeune des convives ! Mais revenons à l’objet principal de votre question. Penser que l’aspect ostentatoire du dispositif protocolaire mis en place pour l’accueil de Mme Hillary Clinton allait inciter cette dernière à exprimer de la sympathie pour «les réformes politiques» initiées en Algérie, cela procède de la candeur politique. Les hôtes américains ont pu noter, sans doute, que Mme Hillary Clinton a été accueillie au perron de la présidence de la République par M. Abdelaziz Bouteflika lui-même et qu’elle a eu droit aux honneurs d’un détachement de la Garde républicaine, voire à un déjeuner offert par le chef de l’Etat lequel pourtant — vu son état de santé – se limite à participer aux seuls dîners officiels. Cette hâte à vouloir accueillir Mme Hillary Clinton avec les honneurs dus à un chef d’Etat aura plutôt exacerbé l’attention des autorités américaines qui y auront décelé, forcément, une preuve supplémentaire que le régime algérien était en quête de caution internationale. Le ministre algérien des Affaires étrangères, lors de ses visites successives à Washington, n’a cessé, à cet égard, de manifester le plus grand empressement pour convaincre Mme Hillary Clinton d’accepter le principe d’un voyage en Algérie. Quel voyage ! Une visite de quatre heures, tout juste une escale. Faut-il s’en étonner ? Les secrétaires d’Etat américains successifs – Colin Powell, en 2002, Condoleezza Rice en 2008, Hillary Clinton cette année — ont tous séjourné pour la même durée dans notre pays. Cela doit, sans doute, revêtir une signification particulière dans le code diplomatique des Etats-Unis d’Amérique. Pays d’intérêt secondaire, l’Algérie ? Pas si sûr, pourtant ! Si vous voulez apprécier, vraiment, l’intérêt que les Etats-Unis d’Amérique accordent à la situation en Algérie, il faudrait focaliser l’attention sur les visites répétées en Algérie, depuis l’avènement de ce qui est appelé «le printemps arabe» et l’éclatement de la crise au Mali, de responsables civils et militaires américains de second rang certes, mais bien plus impliqués dans le processus de prise de décision diplomatique, sécuritaire et militaire.
PARTENARIAT STRATÉGIQUE AVEC LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE
«Ni un mal absolu, ni un bien absolu»
A l’occasion de la visite express que Madame Hillary Clinton, secrétaire d’Etat américaine, avait effectuée en février 2012 à Alger, le Soir d’Algérie avait sollicité Mohamed Chafik Mesbah, ami et collaborateur extérieur, à l’effet de commenter l’évènement.
Il avait réservé sa réponse, préférant se détacher de l’épisode factuel — la visite proprement dite de Mme Hillary Clinton — pour se consacrer, à la lumière de ce qui est communément appelé «le printemps arabe», à un éclairage plus circonstancié de l’évolution des rapports algéro-américains. Dans l’intervalle, Mme Hillary Clinton a effectué, tout récemment, une deuxième visite à Alger après qu’un «dialogue stratégique » algéro-américain se soit ouvert à Washington. Le tout, avec pour arrière-fond, la crise persistante au Mali. L’enjeu des relations algéro-américaines n’en devient que plus important. D’où l’intérêt de l’analyse de Mohamed Chafik Mesbah que nous livrons à nos lecteurs.
Le Soir d’Algérie: Vous aviez estimé que la récente visite de Mme Hillary Clinton, en février dernier, à Alger, était dénuée de grande signification. Comment pouviez-vous être aussi catégorique ?
Mohamed Chafik Mesbah : Parce que, tout simplement, les relations internationales ne peuvent être ramenées à des scènes de spectacle. Dans l’ère moderne que nous vivons, les politiques étrangères nationales s’articulent, forcément, autour d’enjeux majeurs qui s’expriment à travers des stratégies fondées sur le long cours et articulées autour d’une évaluation précise, actualisée en permanence, des rapports de force entre protagonistes dans le monde. Ce sont, ainsi, des think tanks, souvent privés qui, à un premier stade, avec des pôles de recherche universitaires qualifiés, animent le processus de réflexion académique sur les grands défis qui, au plan international, interpellent les Etats-Unis d’Amérique. Le meilleur exemple de ces think tanks c’est, probablement, la Rand Corporation-Research and Developmentqui emploie 1 500 analystes et chercheurs et qui dispose d’un budget annuel avoisinant les 230 millions de dollars. Même si ce think tank a pour centre d’intérêt principal la défense et la sécurité, les questions de relations internationales figurent toujours dans son plan de charges. Ce sont, à un deuxième stade, les appareils administratifs publics – ministères et agences spécialisées à l’instar de la CIA – qui exploitent les analyses disponibles pour élaborer des hypothèses de travail opératoires. Il ne faut pas, cependant, oublier le rôle essentiel des lobbies qui sont devenus un acteur, non gouvernemental, certes, mais tout de même essentiel dans la formulation de la politique étrangère américaine. Ces lobbies, qui ne sont ni plus ni moins que des groupes de pression organisés autour d’intérêts déterminés, influent sur le processus de prise de décision diplomatique à tous les niveaux – opinion publique, Parlement et présidence des Etats-Unis en particulier —. Le meilleur exemple de ces lobbies c’est, sans doute, l’AIPAC (American Israel Public Affairs Comitee). L’AIPAC regroupe 100 000 membres et emploie 165 personnes tout en disposant d’un budget annuel de 45 millions de dollars. L’objectif essentiel de l’AIPAC consiste à surveiller tous les processus de prise de décision visant Israël pour les faire évoluer, systématiquement, dans un sens favorable à l’Etat sioniste. C’est tout ce processus complexe qui, en dernier ressort, débouche sur une procédure d’arbitrage politique impliquant les structures du pouvoir exécutif et législatif — Conseil national de sécurité, présidence des Etats-Unis d’Amérique ainsi que commissions spécialisées du Parlement, Congrès et Sénat —. Voilà, en bref, le processus d’élaboration de la politique étrangère américaine où la place des responsables officiels, comme vous pouvez vous en douter, n’est pas, nécessairement, la plus déterminante. Les secrétaires d’Etat successifs donnent, probablement, à cette politique une tonalité personnelle, plus ou moins avérée. Tenons-en-nous, pour la démonstration, au conflit du Sahara occidental. Mme Hillary Clinton ne s’est pas gardée de manifester son appui à la politique marocaine vis-à-vis de cette question. Force est de constater, pourtant, que sa position de secrétaire d’Etat n’a pas eu raison de la politique traditionnelle d’équilibre suivie par l’administration américaine qui tente de garder une certaine équidistance entre thèses marocaines et algériennes. En dernier ressort, c’est l’intérêt de puissance des Etats-Unis d’Amérique qui s’impose, pas les inclinations des responsables du moment. Imaginer, à cet égard, que la simple visite à Alger de Mme Hillary Clinton allait influer sur la substance de la politique des Etats-Unis d’Amérique vis-à-vis de l’Algérie, cela relève de l’ingénuité.
Pourtant, le cérémonial protocolaire réservé par le président de la République à Mme Hillary Clinton laissait indiquer que la visite était bien d’intérêt exceptionnel…
Sans vouloir diminuer du statut de la secrétaire d’Etat aux Etats-Unis d’Amérique, ni minimiser de l’influence personnelle de Mme Hillary Clinton laquelle semble dominer le Conseil de sécurité national, il n’en reste pas moins que l’époque est révolue où le cérémonial diplomatique était au cœur de la politique étrangère des grandes puissances. Vous voulez être étonné de l’impact de ce fameux dîner offert par le président de la République ? La table d’honneur regroupant autour de Mme Hillary Clinton les principaux responsables des institutions nationales – pour la plupart du troisième âge — elle a pu noter qu’elle était la plus jeune des convives ! Mais revenons à l’objet principal de votre question. Penser que l’aspect ostentatoire du dispositif protocolaire mis en place pour l’accueil de Mme Hillary Clinton allait inciter cette dernière à exprimer de la sympathie pour «les réformes politiques» initiées en Algérie, cela procède de la candeur politique. Les hôtes américains ont pu noter, sans doute, que Mme Hillary Clinton a été accueillie au perron de la présidence de la République par M. Abdelaziz Bouteflika lui-même et qu’elle a eu droit aux honneurs d’un détachement de la Garde républicaine, voire à un déjeuner offert par le chef de l’Etat lequel pourtant — vu son état de santé – se limite à participer aux seuls dîners officiels. Cette hâte à vouloir accueillir Mme Hillary Clinton avec les honneurs dus à un chef d’Etat aura plutôt exacerbé l’attention des autorités américaines qui y auront décelé, forcément, une preuve supplémentaire que le régime algérien était en quête de caution internationale. Le ministre algérien des Affaires étrangères, lors de ses visites successives à Washington, n’a cessé, à cet égard, de manifester le plus grand empressement pour convaincre Mme Hillary Clinton d’accepter le principe d’un voyage en Algérie. Quel voyage ! Une visite de quatre heures, tout juste une escale. Faut-il s’en étonner ? Les secrétaires d’Etat américains successifs – Colin Powell, en 2002, Condoleezza Rice en 2008, Hillary Clinton cette année — ont tous séjourné pour la même durée dans notre pays. Cela doit, sans doute, revêtir une signification particulière dans le code diplomatique des Etats-Unis d’Amérique. Pays d’intérêt secondaire, l’Algérie ? Pas si sûr, pourtant ! Si vous voulez apprécier, vraiment, l’intérêt que les Etats-Unis d’Amérique accordent à la situation en Algérie, il faudrait focaliser l’attention sur les visites répétées en Algérie, depuis l’avènement de ce qui est appelé «le printemps arabe» et l’éclatement de la crise au Mali, de responsables civils et militaires américains de second rang certes, mais bien plus impliqués dans le processus de prise de décision diplomatique, sécuritaire et militaire.
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