Monde
«Je suis toujours rattrapé par l’Algérie»
16 novembre 2012 à 20:06
Interview Benjamin Stora retrace les vies d’exil des Algériens en France et sa trajectoire d’historien porté par «le retour de la question algérienne».
Recueilli par Corinne Bensimon Photo Manuel Braun
Benjamin Stora.Benjamin Stora (photo Manuel Braun pour Libération)
Ils étaient 220 000 à la veille de la guerre d’Algérie en 1954, le double à l’indépendance en 1962. Ils vivaient dans les bidonvilles de Nanterre, Gennevilliers, les cafés, hôtels et garnis de Paris, Lyon, Marseille, aux confins de la société française en pleine expansion. Des hommes, jeunes, ouvriers, sans statut clair - ni étrangers puisque leur Algérie natale était la France, ni vraiment français puisqu’ils étaient classés «Français musulmans d’Algérie». «Des invisibles», dit l’historien Benjamin Stora, dont «l’invasion» était pourtant redoutée.
Le récent hommage rendu par François Hollande aux victimes de la répression de la manifestation appelée le 17 octobre 1961 par le Front de libération nationale (FLN), qui avait rassemblé des dizaines de milliers d’Algériens, a remémoré leur existence, et leur engagement pour l’indépendance au cœur même de la puissance coloniale.
Mais qui étaient-ils, ces migrants qui ont nourri à la fois les usines des Trente Glorieuses et le nationalisme algérien ? Et pourquoi nombre d’entre eux sont-ils restés en France après l’indépendance, en exil de l’avenir qu’ils avaient dessiné, formant le socle de l’immigration algérienne (aujourd’hui la plus importante de France) et le creuset de la génération «beur», première à dénoncer les limites du modèle assimilationniste français ? Qu’est donc devenue leur histoire ?
«Vies d’exil, 1954-1962. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie», l’exposition proposée jusqu’en mai par la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) au Palais de la Porte Dorée, à Paris, met pour la première fois en lumière cette population qui a vécu au centre du théâtre métropolitain de la guerre d’Algérie. Inaugurée par Aurélie Filippetti, dans ce musée dont le baptême en 2007 avait été boudé par les ministres de Sarkozy, elle est signée par deux commissaires : la jeune chercheuse Linda Amiri et Benjamin Stora (1). Ce dernier, professeur à l’université Paris-XIII et à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), auteur d’une trentaine de livres sur le Maghreb et la guerre d’Algérie, est l’historien phare de cette année anniversaire de l’indépendance algérienne. Un sujet qui enflamme - encore - les politiques, et passionne les Français, comme en témoigne le succès de ses dernières productions (2).
Dans son bureau où veille une photo de la ville où il est né en 1950, Constantine, il a évoqué pour Libération les traces de cette immigration singulière et l’évolution de la société française face à un passé colonial qui est également l’objet de son dernier livre, Voyages en postcolonies. Il raconte aussi sa trajectoire de chercheur, longtemps solitaire avant d’être porté par «le retour de la question algérienne» et son parcours politique de jeune trotskiste des années 70 devenu proche de François Hollande.
On découvre, au fil de l’exposition, ces Algériens qui viennent toujours plus nombreux trimer en métropole et aspirent en même temps à l’indépendance de leur pays. Quel est donc leur rapport à la France ?
Dual. Il est la combinaison d’une fidélité au nationalisme algérien et d’une forme d’attachement à la culture française, son mode de vie, ses libertés. C’est là un trait majeur de l’immigration algérienne, qu’on ne trouve dans aucune autre, qu’elle soit polonaise, italienne, portugaise, arménienne, marocaine ou tunisienne. Cette dualité particulière est liée à la durée de la colonisation de l’Algérie - cent trente-deux ans, c’est énorme, sans commune mesure avec celle du Maroc ou de la Tunisie - et au formidable pouvoir d’attraction et d’assimilation qu’avait la France à l’époque. On oublie trop souvent que, durant tout ce temps, la culture française a aussi pénétré la société musulmane en Algérie. Ainsi s’est créé très tôt un espace culturel mixte qui, à l’insu de la métropole, a nourri les aspirations nationalistes algériennes. Car la France a un double visage : elle est la puissance coloniale, l’oppresseur, l’occupant, mais aussi la patrie des droits de l’homme.
Les Algériens qui viennent y travailler sont comme tous les immigrés, ils fuient la misère, mais ils y découvrent aussi des libertés inconnues dans l’Algérie coloniale. Ils chercheront donc, d’une certaine façon, à s’intégrer tout en étant fidèles au nationalisme algérien. Un film de fiction a réussi à montrer ce dualisme : Vivre au paradis, de Bourlem Guerdjou (1997). On y voit un Algérien qui vit dans le bidonville de Nanterre, verse sa cotisation au FLN, et dont l’obsession est de s’insérer socialement en France, de trouver un trois pièces dans un HLM pour sa femme et ses enfants.
Comment s’est construit ce lien si particulier ?
Il faut se rendre compte que tout cela se fait sur un temps long. L’immigration algérienne en France est aussi très ancienne. En 1939, elle compte déjà 100 000 personnes, venues en majorité de Kabylie. Mais elle a commencé bien avant, au début du XXe siècle, avec la participation des soldats et travailleurs coloniaux en 1914-1918. Ils entendront, en France, l’appel aux peuples lancé par le président Wilson, les échos du mouvement ouvrier issu de la révolution russe de 1917 et de la révolution kémaliste en Turquie. Et c’est à Paris, en 1926, que naîtra le mouvement nationaliste algérien, avec l’Etoile nord-africaine créée par Messali Hadj, auquel restera fidèle la grande majorité des Algériens travaillant en France dans les années 50.
Ainsi, durant toute la guerre d’Algérie, la métropole est le lieu de la légitimation du combat politique. C’est là que viennent vivre des intellectuels et écrivains nationalistes, comme Kateb Yacine ou Mohammed Dib. Cette coexistence entre fierté nationaliste et proximité culturelle avec la France va durer très longtemps - Ferhat Abbas, premier président de l’Assemblée constituante en 1962, prononce son discours en français. Ce rapport dual est transmis aux enfants, et habite aussi les immigrations suivantes, celles d’après l’indépendance.
Ces travailleurs ne sont pourtant pas français…
Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils sont, comme tous les musulmans d’Algérie, des «sujets français», en vertu de ce grand paradoxe qui veut que la République française, laïque, détermine alors la citoyenneté en fonction de la religion… En 1947, un pas est franchi vers leur intégration, que réclament des oulémas et des notables comme Ferhat Abbas depuis les années 30 : ils deviennent des «Français musulmans d’Algérie», des FMA, acquérant un droit de vote qui est restreint pour ceux vivant en Algérie - où les élections seront truquées dès 1948 - et total pour ceux travaillant en France. Mais c’est trop tard. Les Algériens résidant en métropole boudent les élections de 1951. Ils sont le symbole de la contradiction infernale qu’est l’Algérie française : ils viennent d’un pays considéré comme la France, mais sont vus comme des Français de seconde zone.
La solution à ce problème, ils l’ont : le nationalisme. Et lorsque l’insurrection éclate en 1954 dans les Aurès et en Kabylie, sur les 220 000 Algériens vivant en France, plus de 10 000 sont des militants aguerris. C’est énorme. Ce chiffre détruit l’image de l’immigré algérien assommé de travail qui rentre et dort. Ils avaient en réalité «la double vie» : après l’usine, ils allaient, le soir, aux réunions politiques, clandestines, dans les cafés, les hôtels et ailleurs. D’où le couvre-feu imposé par le préfet de police Papon pour défaire les réseaux [et contre lequel riposte l’appel du FLN à manifester le 17 octobre 1961, ndlr]. Les Algériens étaient écrasés socialement, mais la seule façon d’être dignes, d’être libres, c’était d’être militants.
La politisation est massive, mais les luttes intestines terribles…
Quand la guerre d’indépendance commence, les Algériens en France pensent que le très charismatique Messali Hadj est le grand leader du mouvement nationaliste. Il est le seul qu’ils vénèrent, d’autant plus qu’il a fondé, à Paris, son parti, qui deviendra le MNA [Mouvement national algérien]. Ils ignorent tout du FLN qui vient de faire ses premiers coups d’éclat, et qui va lutter, en France, pour prendre le pouvoir sur cette immigration algérienne qui s’acquittera de cotisations substantielles, volontairement ou sous la menace - nombre de témoins cités dans l’exposition en parlent. Messali était pour le pluralisme, pour la Constituante. Il estimait que la démocratie ne se négocie pas, et était soutenu par une poignée d’intellectuels français comme Albert Camus, André Breton, les surréalistes… Le FLN, lui, était dans une orientation de parti unique, justifiée par le fait que le colonialisme était si puissant qu’il fallait un front unique centralisé. Il avait avec lui une grande partie de l’intelligentsia française, outre d’importants soutiens à l’étranger, à commencer par celui de Nasser.
S’engage alors, dès 1956 en France, une guerre intestine meurtrière que la presse populaire métropolitaine qualifie de «règlements de comptes», traités dans les colonnes des faits divers. Elle culmine en octobre 1957 : le FLN assassine à Paris dix responsables du MNA ; le parti de Messali est décapité. En 1961, le FLN compte 130 000 adhérents en France, un nombre phénoménal. Mais cette guerre a fait 4 000 morts algériens dans la seule métropole. Si on ne la connaît pas, on ne peut pas comprendre ce qui se passe après l’indépendance, quand une grande partie des ouvriers algériens reste en France. Or cet épisode fratricide a été longtemps mis sous le boisseau des deux côtés de la Méditerranée.
Pourquoi ce long silence ?
A l’indépendance, tous les Algériens de France font la fête. Ils partagent cette fierté nationaliste, immense. Ils la transmettront à leurs enfants. Alors, comment leur dire qu’on était pour l’indépendance algérienne, mais pas forcément pour le FLN qui a gagné ? Et pour ceux qui étaient au FLN, comment expliquer cette guerre des frères ? Donc, le silence. D’autant plus épais que le nouveau pouvoir algérien s’efforce d’effacer l’origine du mouvement nationaliste, de faire oublier qu’il était aussi né en France.
«Je suis toujours rattrapé par l’Algérie»
16 novembre 2012 à 20:06
Interview Benjamin Stora retrace les vies d’exil des Algériens en France et sa trajectoire d’historien porté par «le retour de la question algérienne».
Recueilli par Corinne Bensimon Photo Manuel Braun
Benjamin Stora.Benjamin Stora (photo Manuel Braun pour Libération)
Ils étaient 220 000 à la veille de la guerre d’Algérie en 1954, le double à l’indépendance en 1962. Ils vivaient dans les bidonvilles de Nanterre, Gennevilliers, les cafés, hôtels et garnis de Paris, Lyon, Marseille, aux confins de la société française en pleine expansion. Des hommes, jeunes, ouvriers, sans statut clair - ni étrangers puisque leur Algérie natale était la France, ni vraiment français puisqu’ils étaient classés «Français musulmans d’Algérie». «Des invisibles», dit l’historien Benjamin Stora, dont «l’invasion» était pourtant redoutée.
Le récent hommage rendu par François Hollande aux victimes de la répression de la manifestation appelée le 17 octobre 1961 par le Front de libération nationale (FLN), qui avait rassemblé des dizaines de milliers d’Algériens, a remémoré leur existence, et leur engagement pour l’indépendance au cœur même de la puissance coloniale.
Mais qui étaient-ils, ces migrants qui ont nourri à la fois les usines des Trente Glorieuses et le nationalisme algérien ? Et pourquoi nombre d’entre eux sont-ils restés en France après l’indépendance, en exil de l’avenir qu’ils avaient dessiné, formant le socle de l’immigration algérienne (aujourd’hui la plus importante de France) et le creuset de la génération «beur», première à dénoncer les limites du modèle assimilationniste français ? Qu’est donc devenue leur histoire ?
«Vies d’exil, 1954-1962. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie», l’exposition proposée jusqu’en mai par la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI) au Palais de la Porte Dorée, à Paris, met pour la première fois en lumière cette population qui a vécu au centre du théâtre métropolitain de la guerre d’Algérie. Inaugurée par Aurélie Filippetti, dans ce musée dont le baptême en 2007 avait été boudé par les ministres de Sarkozy, elle est signée par deux commissaires : la jeune chercheuse Linda Amiri et Benjamin Stora (1). Ce dernier, professeur à l’université Paris-XIII et à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco), auteur d’une trentaine de livres sur le Maghreb et la guerre d’Algérie, est l’historien phare de cette année anniversaire de l’indépendance algérienne. Un sujet qui enflamme - encore - les politiques, et passionne les Français, comme en témoigne le succès de ses dernières productions (2).
Dans son bureau où veille une photo de la ville où il est né en 1950, Constantine, il a évoqué pour Libération les traces de cette immigration singulière et l’évolution de la société française face à un passé colonial qui est également l’objet de son dernier livre, Voyages en postcolonies. Il raconte aussi sa trajectoire de chercheur, longtemps solitaire avant d’être porté par «le retour de la question algérienne» et son parcours politique de jeune trotskiste des années 70 devenu proche de François Hollande.
On découvre, au fil de l’exposition, ces Algériens qui viennent toujours plus nombreux trimer en métropole et aspirent en même temps à l’indépendance de leur pays. Quel est donc leur rapport à la France ?
Dual. Il est la combinaison d’une fidélité au nationalisme algérien et d’une forme d’attachement à la culture française, son mode de vie, ses libertés. C’est là un trait majeur de l’immigration algérienne, qu’on ne trouve dans aucune autre, qu’elle soit polonaise, italienne, portugaise, arménienne, marocaine ou tunisienne. Cette dualité particulière est liée à la durée de la colonisation de l’Algérie - cent trente-deux ans, c’est énorme, sans commune mesure avec celle du Maroc ou de la Tunisie - et au formidable pouvoir d’attraction et d’assimilation qu’avait la France à l’époque. On oublie trop souvent que, durant tout ce temps, la culture française a aussi pénétré la société musulmane en Algérie. Ainsi s’est créé très tôt un espace culturel mixte qui, à l’insu de la métropole, a nourri les aspirations nationalistes algériennes. Car la France a un double visage : elle est la puissance coloniale, l’oppresseur, l’occupant, mais aussi la patrie des droits de l’homme.
Les Algériens qui viennent y travailler sont comme tous les immigrés, ils fuient la misère, mais ils y découvrent aussi des libertés inconnues dans l’Algérie coloniale. Ils chercheront donc, d’une certaine façon, à s’intégrer tout en étant fidèles au nationalisme algérien. Un film de fiction a réussi à montrer ce dualisme : Vivre au paradis, de Bourlem Guerdjou (1997). On y voit un Algérien qui vit dans le bidonville de Nanterre, verse sa cotisation au FLN, et dont l’obsession est de s’insérer socialement en France, de trouver un trois pièces dans un HLM pour sa femme et ses enfants.
Comment s’est construit ce lien si particulier ?
Il faut se rendre compte que tout cela se fait sur un temps long. L’immigration algérienne en France est aussi très ancienne. En 1939, elle compte déjà 100 000 personnes, venues en majorité de Kabylie. Mais elle a commencé bien avant, au début du XXe siècle, avec la participation des soldats et travailleurs coloniaux en 1914-1918. Ils entendront, en France, l’appel aux peuples lancé par le président Wilson, les échos du mouvement ouvrier issu de la révolution russe de 1917 et de la révolution kémaliste en Turquie. Et c’est à Paris, en 1926, que naîtra le mouvement nationaliste algérien, avec l’Etoile nord-africaine créée par Messali Hadj, auquel restera fidèle la grande majorité des Algériens travaillant en France dans les années 50.
Ainsi, durant toute la guerre d’Algérie, la métropole est le lieu de la légitimation du combat politique. C’est là que viennent vivre des intellectuels et écrivains nationalistes, comme Kateb Yacine ou Mohammed Dib. Cette coexistence entre fierté nationaliste et proximité culturelle avec la France va durer très longtemps - Ferhat Abbas, premier président de l’Assemblée constituante en 1962, prononce son discours en français. Ce rapport dual est transmis aux enfants, et habite aussi les immigrations suivantes, celles d’après l’indépendance.
Ces travailleurs ne sont pourtant pas français…
Jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils sont, comme tous les musulmans d’Algérie, des «sujets français», en vertu de ce grand paradoxe qui veut que la République française, laïque, détermine alors la citoyenneté en fonction de la religion… En 1947, un pas est franchi vers leur intégration, que réclament des oulémas et des notables comme Ferhat Abbas depuis les années 30 : ils deviennent des «Français musulmans d’Algérie», des FMA, acquérant un droit de vote qui est restreint pour ceux vivant en Algérie - où les élections seront truquées dès 1948 - et total pour ceux travaillant en France. Mais c’est trop tard. Les Algériens résidant en métropole boudent les élections de 1951. Ils sont le symbole de la contradiction infernale qu’est l’Algérie française : ils viennent d’un pays considéré comme la France, mais sont vus comme des Français de seconde zone.
La solution à ce problème, ils l’ont : le nationalisme. Et lorsque l’insurrection éclate en 1954 dans les Aurès et en Kabylie, sur les 220 000 Algériens vivant en France, plus de 10 000 sont des militants aguerris. C’est énorme. Ce chiffre détruit l’image de l’immigré algérien assommé de travail qui rentre et dort. Ils avaient en réalité «la double vie» : après l’usine, ils allaient, le soir, aux réunions politiques, clandestines, dans les cafés, les hôtels et ailleurs. D’où le couvre-feu imposé par le préfet de police Papon pour défaire les réseaux [et contre lequel riposte l’appel du FLN à manifester le 17 octobre 1961, ndlr]. Les Algériens étaient écrasés socialement, mais la seule façon d’être dignes, d’être libres, c’était d’être militants.
La politisation est massive, mais les luttes intestines terribles…
Quand la guerre d’indépendance commence, les Algériens en France pensent que le très charismatique Messali Hadj est le grand leader du mouvement nationaliste. Il est le seul qu’ils vénèrent, d’autant plus qu’il a fondé, à Paris, son parti, qui deviendra le MNA [Mouvement national algérien]. Ils ignorent tout du FLN qui vient de faire ses premiers coups d’éclat, et qui va lutter, en France, pour prendre le pouvoir sur cette immigration algérienne qui s’acquittera de cotisations substantielles, volontairement ou sous la menace - nombre de témoins cités dans l’exposition en parlent. Messali était pour le pluralisme, pour la Constituante. Il estimait que la démocratie ne se négocie pas, et était soutenu par une poignée d’intellectuels français comme Albert Camus, André Breton, les surréalistes… Le FLN, lui, était dans une orientation de parti unique, justifiée par le fait que le colonialisme était si puissant qu’il fallait un front unique centralisé. Il avait avec lui une grande partie de l’intelligentsia française, outre d’importants soutiens à l’étranger, à commencer par celui de Nasser.
S’engage alors, dès 1956 en France, une guerre intestine meurtrière que la presse populaire métropolitaine qualifie de «règlements de comptes», traités dans les colonnes des faits divers. Elle culmine en octobre 1957 : le FLN assassine à Paris dix responsables du MNA ; le parti de Messali est décapité. En 1961, le FLN compte 130 000 adhérents en France, un nombre phénoménal. Mais cette guerre a fait 4 000 morts algériens dans la seule métropole. Si on ne la connaît pas, on ne peut pas comprendre ce qui se passe après l’indépendance, quand une grande partie des ouvriers algériens reste en France. Or cet épisode fratricide a été longtemps mis sous le boisseau des deux côtés de la Méditerranée.
Pourquoi ce long silence ?
A l’indépendance, tous les Algériens de France font la fête. Ils partagent cette fierté nationaliste, immense. Ils la transmettront à leurs enfants. Alors, comment leur dire qu’on était pour l’indépendance algérienne, mais pas forcément pour le FLN qui a gagné ? Et pour ceux qui étaient au FLN, comment expliquer cette guerre des frères ? Donc, le silence. D’autant plus épais que le nouveau pouvoir algérien s’efforce d’effacer l’origine du mouvement nationaliste, de faire oublier qu’il était aussi né en France.
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