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Revisiter l’œuvre de Kateb Yacine est une urgence

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  • Revisiter l’œuvre de Kateb Yacine est une urgence

    Youcef Aït Mouloud a travaillé durant presque toute sa carrière avec l’auteur de “Nedjma”. Personnage très discret, il apporte ici un témoignage nécessaire sur un homme qu’il a bien connu et qui a choisi de vivre et de lutter avec son peuple.

    La rencontre a eu lieu en 1970, alors que Kateb Yacine revenait de l’exil. “Il avait conçu le projet de faire pénétrer le théâtre chez les travailleurs et les paysans. Il voulait un vrai théâtre qui s’adressait aux Algériens, avec la langue de tous les jours, celles de nos mères et de l’Algérie profonde, l’arabe dialectal et tamazight. Grâce au concours de Ali Zamoum, il sera en contact avec la jeune troupe du Théâtre de la Mer.

    C’est ainsi qu’il ma proposé de rejoindre l’équipe afin de suivre le travail de création et traduire le texte en kabyle de la célèbre pièce ‘Mohamed prends ta valise’, jouée en tamazight par un groupe d’étudiants de Ben Aknoun”, évoque-t-il. Et d’ajouter : “Ma première rencontre avec Kateb c’était à Kouba. Pas facile de reconnaître l’homme devant le groupe, tellement il était effacé.

    Il aurait pu être un maçon, un plombier ou un éboueur avec sa tenue bleu de Chine et ses sandales.” La rencontre a duré plus de trois heures, durant lesquels Aït Mouloud a eu droit à “un cours magistral sur l’histoire du Maghreb”, regrettant ainsi qu’Ibn Khaldoun ne soit pas étudié à l’école et l’université. “Une façon pour lui de tirer la sonnette d’alarme pour que l’Algérie retrouve son algérianité.

    C’est pourquoi je dirais que revisiter Kateb Yacine est une urgence, en particulier ses œuvres. Ce serait un salut pour l’avenir du théâtre, de la littérature et de la culture algérienne en général. Ce ne sont pas les textes de Kateb Yacine qui sont complexes, c’est l’Algérie elle-même qui l’est, depuis l’antiquité à ce jour. C’est cet amalgame de civilisations qui a fécondé cette lucidité insaisissable qu’on trouve dans le génie du peuple.
    Il y a quelque chose de sacré, un lien ombilical qui lie et divise le peuple algérien sans vraiment le diviser.

    C’est cette équation qui fait que cette diversité pose un problème, alors qu’en réalité, ce n’est qu’un écran de fumée qu’il faut franchir pour être soi-même, un Algérien tout simplement. C’est dans la simplicité de la vie et la limpidité de la nature que navigue Kateb. Une équation qu’on trouve d’ailleurs dans ‘Nedjma’”, estime notre interlocuteur. Selon Aït Mouloud, ce sont les Français qui ont mystifié l’œuvre à travers ses symboles, car ils n’ont rien compris à l’Algérie, un tabou à casser pour les générations à venir. “Tout Algérien peut comprendre ‘Nedjma’ s’il parle la langue de sa mère”, souligne-t-il. Kateb Yacine disait que pour construire la démocratie, il fallait que l’Etat restitue la parole confisquée depuis l’indépendance et que les intellectuels arrachent la liberté d’être eux-mêmes.

    Restituer la parole confisquée

    “La révolution, il en a fait un devoir et une religion. La douleur des opprimés l’a hanté et l’a rongé à chaque instant de sa vie”, dit-il. Aït Mouloud a dédié un poème à Kateb Yacine, au lendemain de son enterrement, le 2 novembre 1989, qu’il a intitulé “le Fou de l’Algérie profonde”. La même année, Aït Mouloud réalise “Dyouba, Ouchanene ou les chacals”, un album censuré à l’époque et vendu dans la clandestinité, indisponible actuellement sur le marché. Une œuvre réalisée avec Smain Abbar à “la mémoire des martyrs trahis”. Une année avant sa mort, Aït Mouloud revoit Yacine au théâtre de Sidi Bel-Abbès. La troupe venait juste de commencer les répétitions de “la Poudre d’intelligence”. “La seule intervention qu’il a faite, c’est d’intégrer une scène de 20 minutes qui ne figurait pas dans le texte officiel. Elle portait sur ‘la démystification des idoles ou la mise à nu du pouvoir’. Scène qui a été censurée dans la version filmée et diffusée par l’ENTV.

    Elle reste également la seule pièce filmée de Kateb Yacine, en raison des événements du 5 octobre 1988”. Rien ne présageait que Kateb Yacine était atteint d’une maladie incurable et condamné à une mort certaine, aucun signe ne trahissait sa force de caractère et sa douleur qu’il assumait avec dignité. “Le 29 octobre dans l’après-midi, ma femme m’a informé que Ali Zamoum a téléphoné pour m’aviser du décès de Yacine à l’hôpital de Grenoble. Il devait être rapatrié le lendemain, ainsi que la dépouille de son cousin Mustapha, le frère de ‘Nedjma’. Deux jours avant son enterrement, des milliers de gens sont venus lui rendre un dernier hommage au centre familial de Ben Aknoun, sa dépouille était exposée au restaurant du centre, puis dans une humble bicoque pour sa famille, ses amis et ses compagnons de lutte.” Le 31 octobre, l’imam El-Ghazali sortit une fatwa.
    Il disait que Kateb Yacine ne pouvait être enterré en Algérie.
    Cela sans que le pouvoir de l’époque ne réagisse à ce dépassement inqualifiable.

    “Le comble de l’ironie a atteint son paroxysme quand, au lieu d’un message de condoléances de la Présidence de la République, ce fut une invitation du président Chadli Bendjedid, sollicitant la présence de Yacine aux festivités du 1er novembre ! Kateb a préféré commémorer le 1er novembre à sa manière au cimetière d’El-Alia, avec les martyrs de ‘la révolution trahie’”, témoigne encore Aït Mouloud. “Des chants berbères et l’Internationale entonnés par la foule.

    Pour la première fois, le 1er novembre a été fêté à sa juste valeur ; les martyrs étaient à la fête grâce à l’un des leurs. Plusieurs années après sa mort, sa tombe est restée un amas de terre anonyme. Il a fallu que les ‘Compagnons de Nedjma’, chômeurs en majorité, se mobilisent pour lui ériger enfin une tombe plus ou moins décente.”


    Par : Kouceila Tighilt,Liberté
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