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Festival international de danse contemporaine d'Alger

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    Ambivalence». Le jeune chorégraphe algérien, Sofiane Drissi, a probablement trouvé le mot juste pour monter son premier spectacle, expression ouverte d’un certain état d’âme.

    Lundi soir, au Palais de la culture Moufdi Zakaria, le public du 4e Festival international de danse contemporaine d’Alger l’a beaucoup applaudi, félicité même au sortir de la salle. Ce danseur du Ballet national algérien depuis bientôt dix ans, s’est appuyé sur un texte du palestinien Mahmoud Youcef Chahata pour dire, devant le monde entier, sa propre ambivalence, «Siraou el dhat» en arabe. «J’étais partagé entre la conscience, le cœur et l’envie. Dans la vie, on est presque en conflit entre ces trois éléments. Au final, il n’y aucune victoire», nous a déclaré Sofiane Drissi après le spectacle.

    Une musique romantique, des images vidéo sur l’aube boréale et les forêts du Nord constituent le début de ce spectacle d’apparence coloré. Assis à la manière d’un poète, Mahmoud Chahata exprime son spleen : «J’ai vu au loin une gazelle qui me regardait derrière un voile dense. Les volcans de mes désirs explosaient au plus profond de mon orgueil. Mes sentiments s’étaient rebellés contre moi et le cœur a osé l’insoumission. Mon âme était partie écouter les anges démons dans les dédales de l’imaginaire. Mon cœur a faim d’amour et de beauté et mon esprit refuse de tomber dans le tourbillon de l’amour inconnu.»

    Esprit et cœur en conflit ? Le cœur est supposé contrôler presque tout. L’esprit se tient en hauteur, garde le cap. Toute cette philosophie est étalée par deux danseurs, ou plutôt un danseur, l’auteur n’étant que la doublure, l’ombre. «Laisse-moi devenir l’ombre de ton ombre», disait le chanteur. Ce duel entre le désir et l’abstinence, entre le plaisir et la rigueur, entre la jouissance et la retenue, entre la haine et l’amour, tout cela est déroulé, nerveusement, sur la scène. Sofiane Drissi s’est dévoilé, a presque tout dit sur ce déchirement interne, sur ce tendre drame, sur ce beau secret. Sans être nu, le poète se met presque dans la posture du «Penseur» d’Auguste Rodin, main sur le genou, livré à ses tourments, à un dilemme.

    Existe-il une réconciliation possible entre le cœur et l’esprit ? Les couleurs de l’ambivalence sont là, jaune, vert, blanc, rouge. Une danseuse, qui représente peut-être la tentation, entre au milieu du duo, déjà en «crise». Les ombres sont projetées sur un tableau blanc, comme des témoins mouvants de la faiblesse des hommes. Et de leur cruauté aussi. «C’est une expérience très dure. J’ai préparé le spectacle en un mois. Je me suis représenté. J’étais déprimé. De tout. J’ai reproduit ce que je ressentais. Il y a quelque chose de personnel dedans», a confié Sofiane Drissi.

    «Le haut n’est pas clair»


    «Aaleef», le spectacle de la compagnie Anania, du marocain Taoufiq Izeddiou, présenté lundi soir, reprend également l’idée du conflit. Cette fois-ci plus profond : la tradition et la modernité. Là, on est à l’échelle Alpha. Le chorégraphe s’est tout permis. Pourquoi
    pas ? Le jeu est physique et dense. Il se met dès le début, au milieu d’une lumière absente, sur un cube ou une estrade. Il aurait aimé être sur une enceinte sono. Une drôle de voix comme sortie des ténèbres. Il bouge, fait des mouvements aléatoires, tire les mains vers le haut, cherche quelque chose, se déhanche, lève le pied, donne l’impression de chuter… Au fond, des sons, des bruits d’une ville, des voix de foules, des cris d’enfants, d’El Adhan, un poème de Mahmoud Derwiche, un coup de feu, un chant de Fela Kuti, une complainte… Un cafouillage. Le plat varié de la vie ? Le danseur avance comme vers une destinée. Il est bientôt accompagné par un air reggæ, des rires, puis par le jeu vivant du gumbri de Maâlem Adil Amimi. Taoufiq Izeddiou, l’enfant de Marrakech, ne s’éloigne pas de la culture gnawie.

    Le musicien lui-même devient élément chorégraphique. Le danseur s’accroche à son dos, le suit, avance, recule. Cette quête toujours obsédante de l’identité, de l’origine. Et puis, le danseur change d’attitude, de posture, de corps… Il enlève le pantalon et le tricot et dévoile une tenue féminine, un fuseau rouge, un sac rouge… Il court se mettre derrière le mur de lumière, représentée par une perche de projecteurs qui se balance. L’autre, c’est qui ? Le danseur met une série de grosses lunettes de scène pour suggérer que les humains, malgré la sincérité de certains d’entre eux, ont plusieurs masques. Il prend ensuite un parapluie, accentue la gestuelle selon une chanson curieuse. Il s’agit-là probablement d’un hommage au danseur japonais Kazuo Ohno, un adepte de la technique du travestissement. Il y a une part d’onirique dans l’expression de Taoufiq Izeddiou.

    L’artiste ne s’en cache pas. La semi-obscurité choisie pour le spectacle s’inscrit dans ce désir de laisser l’imagination «faire» son travail. «Aaleef» va probablement plus loin que l’expression contemporaine elle-même, aux limites de l’irréel, de la métaphysique. Après tout, pourquoi se dresser des frontières ? Taoufiq Izeddiou ouvre un couloir dans le vide. Libre à chacun de s’y engouffrer ou pas. «C’est une danse, un transe instantanée, c’est quelque part moi. Je réagis par rapport au monde d’aujourd’hui. Et comme a dit l’autre, ‘‘Je vous demande d’arrêter, je veux descendre’’. Oui, mais si tu descends, tu vas aller où ? Je veux descendre, j’ai peur. Le danseur est là, perd l’équilibre, peut tomber. Il est en danger. Et, en même temps, il a les pieds de l’arbre. Il y a les racines mais en même temps le haut n’est pas clair. Plus on monte, cela devient fragile, plus douloureux», nous a déclaré Taoufiq Izeddiou après le spectacle.

    Aaleef, neuvième création du chorégraphe marocain, a été présentée partout dans le monde : au Brésil, en Afrique du Sud, en France, au Maroc, en Territoires palestiniens. «Cœur sans corps», «Déserts désirs» et «Aataba» sont les derniers spectacles de
    Taoufiq Izeddiou, venu à l’art chorégraphique par le plus joli des ponts, le jazz classique.


    Fayçal Métaoui, El Watan
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