Le plus vieux métier du monde prospère dans toutes les villes du Maroc. La pauvreté continue d’être le facteur dominant de la prostitution, mais, société de consommation oblige, le goût du luxe pousse nombre de femmes à vendre leurs corps.
Le plus vieux métier du monde a encore de beaux jours devant lui. On n’a plus le «bousbir» (célèbre quartier de maisons closes) d’antan, cette antre de la prostitution légalisée du temps du Protectorat installée dans l’ancienne médina de Casablanca, où les soldats français, et autres marocains en mal de plaisir, venaient se divertir, mais le commerce du sexe fleurit toujours dans toutes les villes du pays. «Durant les années 1970, raconte ce témoin sexagénaire, il n’existait pas de quartier où il n’y avait pas une maison close, sous la houlette d’une entremetteuse, pour accueillir les clients à longueur de journée. La passe ne coûtait pas plus de dix dirhams, et les jeunes y venaient vivre leur première expérience sexuelle. Les hôtels avaient aussi leur lot de prostituées, jeunes, belles et moins belles, l’entremetteuse les présentait au client, qui faisait son choix. On y proposait même des garçons». La loi interdisait, comme d’ailleurs de nos jours, la prostitution, mais, comme à l’époque, elle était pratiquée à grande échelle, pauvreté et précarité obligent. Mais pas seulement.
La nouveauté en effet en ce début de XXIe siècle est que le plus vieux métier du monde devient un business lucratif et une voie facile et rapide d’enrichissement, pour celles et ceux qui offrent leur corps comme marchandise, sur un marché de plus en plus demandeur. Ceci dit, la pratique de la prostitution comme on le sait est condamnée par les mœurs, abhorrée par la religion, interdite par la loi. Cela va de l’article 497 à l’article 504 du code pénal. Les peines d’emprisonnement vont de deux à dix ans et les amendes de 5 000 DH à un million de dirhams.
La prostituée et le client sont punis selon les dispositions de l’article 490 du code pénal, qui stipule que «toute relation sexuelle extraconjugale entre un homme et une femme est considérée comme prostitution et punie d’une peine d’emprisonnement ferme allant d’un mois à un an». Si une des personnes est mariée, c’est l’article 491 qui est appliqué et qui «punit d’une peine d’emprisonnement ferme d’un an à deux ans tout conjoint impliqué dans une affaire d’adultère». La poursuite est annulée si la conjointe annule la plainte. D’un autre côté il n’existe pas d’étude sur le sujet pour éclairer nos lanternes d’une manière scientifique, ni de statistiques officielles pour estimer le nombre de ces vendeurs de sexe.
«A défaut de ces statistiques officielles, nous ne disposons que de monographies préparées par nos étudiants sur le sujet, et elles montrent, toutes, que la prostitution est pratiquée partout au Maroc. Nouveauté : elle a changé de forme. La précarité et la pauvreté constituent toujours la cause principale, mais les choses ont évolué ces dernières années avec une société de consommation qui crée de plus en plus de frustrations», remarque Jamal Khalil, sociologue (voir entretien). Le phénomène touche désormais toutes les catégories sociales, milieu estudiantin compris, et la misère n’en est plus le principal moteur. Les quelques fines études sur le sujet dont on dispose sont le produit d’associations de lutte contre le sida, car, elles savent que le principal facteur de propagation de cette maladie est la prostitution, et les enquêtes qu’elles mènent sur ce milieu sont riches d’enseignements. L’une d’elles, menée en 2008 par l’Organisation panafricaine de lutte contre le sida (OPALS), a révélé des réalités insoutenables. D’abord le jeune âge des prostituées : sur un échantillon de 500 travailleuses du sexe ayant fait l’objet de cette enquête, 32,6% ont eu leur premier rapport sexuel entre 6 et 15 ans (peut-on parler de rapport sexuel à cet âge ?), 59,4% ont été payées pour la première fois entre l’âge de 9 et 15 ans, et 90% des interrogées déclarent avoir intégré le monde de la prostitution avant l’âge de 20 ans. Ensuite, sur la manière dont des enfants sont exploités sexuellement : 13% de l’échantillon, ajoute l’enquête, sont des petites filles vierges qui proposent sodomie, fellation ou encore «coups de pinceaux» à la va-vite (voir encadré).
Centre-ville de Casablanca, un quartier de la prostitution bas de gamme
L’enquête de l’OPALS a touché la catégorie démunie de la population qui vend son corps pour gagner sa vie. On la trouve dans toutes les villes du Maroc, c’est la plus courante. «La grande majorité des prostituées ne l’est pas devenue par choix, ni par goût de luxe. Elles y ont échoué après une longue dérive et n’ont que leur corps comme source de revenus», coécrivent les deux sociologues, Soumia Naâmane et Chakib Guessous dans leur livre Grossesses de la honte (Ed. Afrique Orient, 2011). Mais, selon la catégorie sociale des vendeuses de sexe et de leurs clients, cette prostitution peut être «bon marché», comme elle peut être de luxe.
Commençons par la première, la prostitution dite «bon marché» : Casablanca, Boulevard Mohammed V. Les travaux du tramway ont eu un impact négatif sur les commerces de cette artère principale du centre-ville. Mais, s’il y a une activité qui n’a pas été touchée par ce remue-ménage, c’est bien la prostitution. Sur l’artère principale mais également dans les ruelles adjacentes, vers Mers Sultan, le centre-ville historique et ses multiples cafés sont les endroits du business de la chair. «A la terrasse des cafés, une clientèle normale vient s’attabler. Pour le reste et à l’étage, ce sont des lieux de marchandage pour des passes», explique Rachid, serveur dans une crémerie de Mers Sultan. Dans cet univers, le prix d’une passe est de 100 DH et les ébats se déroulent en majorité dans des appartement à proximité du café. Dans chaque quartier, c’est une entremetteuse qui assure le bon fonctionnement de ce système et qui se fait payer également pour la transaction sexuelle. «C’est 60 DH pour moi et 60 DH pour l’entremetteuse», avoue, Hanane, 30 ans, qui vend sa chair depuis déjà plusieurs années.
Mais, d’où viennent ces femmes qui se prostituent pour moins de 100 DH la passe ? Qui les a poussées à devenir des professionnelles de la prostitution ? En fait, on trouve de tout dans ce marché de la chair. Notamment des quadragénaires, voire des quinquagénaires, qui travaillaient, plus jeunes, dans des bars, mais que la flétrissure de l’âge a fait dégringoler au bas de l’échelle. Une marchandise usée, à prix bas. On y retrouve également des mères célibataires, des filles violées et abandonnées par leurs familles… «Moi, je travaillais dans une usine de textile à Lissasfa pour 1 200 DH par mois. Mais je devais coucher impérativement avec le chef pour garder mon boulot. Coucher pour coucher, autant le faire pour de l’argent», explique Hanane, qui habite encore le même quartier. Les prostituées qui exercent au centre-ville vivent en général dans les quartiers périphériques de Casablanca, souvent à plusieurs sous un même toit. Elles choisissent également de vivre dans les zones surpeuplées, une façon de se noyer dans la masse et passer inaperçues.
Au centre de Casablanca, tout près du Marché central, nous avons rencontré Najiba, la quarantaine, affublée d’une djellaba. Elle y vient chaque jour chercher du «travail» : «Si c’est pour le ménage, c’est tant mieux. Mais si c’est pour une passe, je ne dis jamais non», lance-t-elle. Elle est de mèche avec une entremetteuse du quartier qui lui assure le gîte pour la passe. Cette dernière «arrose» les policiers et ces derniers ferment les yeux. Najiba, mère célibataire, deux enfants, vit avec cinq autres femmes dans une même maison à Sidi Elkhadir, à Sidi Maârouf. «Nous avons toutes des enfants. On doit payer 300 DH pour la propriétaire, 300 DH pour la personne qui nous garde les enfants. Il faut nourrir ces enfants, leur acheter des vêtements, les envoyer à l’école… Vous comprenez pourquoi je vends mon corps à 100 DH la passe», avoue Najiba, dépitée. Le lieu de la passe ? Chez l’entremetteuse, chez le client, ou encore dans certaines salles de cinéma. Les séances de l’après-midi servent à accueillir les ébats sexuels de ceux qui ne peuvent se payer une chambre chez l’entremetteuse. Une bonne partie des salles de cinéma, du moins celles encore ouvertes, sont concernées par ce business. D’ailleurs, il n’est pas rare de trouver à proximité de ces salles des femmes reconnaissables à leurs regards aguichants et à leur démarche provocante.
Le plus vieux métier du monde a encore de beaux jours devant lui. On n’a plus le «bousbir» (célèbre quartier de maisons closes) d’antan, cette antre de la prostitution légalisée du temps du Protectorat installée dans l’ancienne médina de Casablanca, où les soldats français, et autres marocains en mal de plaisir, venaient se divertir, mais le commerce du sexe fleurit toujours dans toutes les villes du pays. «Durant les années 1970, raconte ce témoin sexagénaire, il n’existait pas de quartier où il n’y avait pas une maison close, sous la houlette d’une entremetteuse, pour accueillir les clients à longueur de journée. La passe ne coûtait pas plus de dix dirhams, et les jeunes y venaient vivre leur première expérience sexuelle. Les hôtels avaient aussi leur lot de prostituées, jeunes, belles et moins belles, l’entremetteuse les présentait au client, qui faisait son choix. On y proposait même des garçons». La loi interdisait, comme d’ailleurs de nos jours, la prostitution, mais, comme à l’époque, elle était pratiquée à grande échelle, pauvreté et précarité obligent. Mais pas seulement.
La nouveauté en effet en ce début de XXIe siècle est que le plus vieux métier du monde devient un business lucratif et une voie facile et rapide d’enrichissement, pour celles et ceux qui offrent leur corps comme marchandise, sur un marché de plus en plus demandeur. Ceci dit, la pratique de la prostitution comme on le sait est condamnée par les mœurs, abhorrée par la religion, interdite par la loi. Cela va de l’article 497 à l’article 504 du code pénal. Les peines d’emprisonnement vont de deux à dix ans et les amendes de 5 000 DH à un million de dirhams.
La prostituée et le client sont punis selon les dispositions de l’article 490 du code pénal, qui stipule que «toute relation sexuelle extraconjugale entre un homme et une femme est considérée comme prostitution et punie d’une peine d’emprisonnement ferme allant d’un mois à un an». Si une des personnes est mariée, c’est l’article 491 qui est appliqué et qui «punit d’une peine d’emprisonnement ferme d’un an à deux ans tout conjoint impliqué dans une affaire d’adultère». La poursuite est annulée si la conjointe annule la plainte. D’un autre côté il n’existe pas d’étude sur le sujet pour éclairer nos lanternes d’une manière scientifique, ni de statistiques officielles pour estimer le nombre de ces vendeurs de sexe.
«A défaut de ces statistiques officielles, nous ne disposons que de monographies préparées par nos étudiants sur le sujet, et elles montrent, toutes, que la prostitution est pratiquée partout au Maroc. Nouveauté : elle a changé de forme. La précarité et la pauvreté constituent toujours la cause principale, mais les choses ont évolué ces dernières années avec une société de consommation qui crée de plus en plus de frustrations», remarque Jamal Khalil, sociologue (voir entretien). Le phénomène touche désormais toutes les catégories sociales, milieu estudiantin compris, et la misère n’en est plus le principal moteur. Les quelques fines études sur le sujet dont on dispose sont le produit d’associations de lutte contre le sida, car, elles savent que le principal facteur de propagation de cette maladie est la prostitution, et les enquêtes qu’elles mènent sur ce milieu sont riches d’enseignements. L’une d’elles, menée en 2008 par l’Organisation panafricaine de lutte contre le sida (OPALS), a révélé des réalités insoutenables. D’abord le jeune âge des prostituées : sur un échantillon de 500 travailleuses du sexe ayant fait l’objet de cette enquête, 32,6% ont eu leur premier rapport sexuel entre 6 et 15 ans (peut-on parler de rapport sexuel à cet âge ?), 59,4% ont été payées pour la première fois entre l’âge de 9 et 15 ans, et 90% des interrogées déclarent avoir intégré le monde de la prostitution avant l’âge de 20 ans. Ensuite, sur la manière dont des enfants sont exploités sexuellement : 13% de l’échantillon, ajoute l’enquête, sont des petites filles vierges qui proposent sodomie, fellation ou encore «coups de pinceaux» à la va-vite (voir encadré).
Centre-ville de Casablanca, un quartier de la prostitution bas de gamme
L’enquête de l’OPALS a touché la catégorie démunie de la population qui vend son corps pour gagner sa vie. On la trouve dans toutes les villes du Maroc, c’est la plus courante. «La grande majorité des prostituées ne l’est pas devenue par choix, ni par goût de luxe. Elles y ont échoué après une longue dérive et n’ont que leur corps comme source de revenus», coécrivent les deux sociologues, Soumia Naâmane et Chakib Guessous dans leur livre Grossesses de la honte (Ed. Afrique Orient, 2011). Mais, selon la catégorie sociale des vendeuses de sexe et de leurs clients, cette prostitution peut être «bon marché», comme elle peut être de luxe.
Commençons par la première, la prostitution dite «bon marché» : Casablanca, Boulevard Mohammed V. Les travaux du tramway ont eu un impact négatif sur les commerces de cette artère principale du centre-ville. Mais, s’il y a une activité qui n’a pas été touchée par ce remue-ménage, c’est bien la prostitution. Sur l’artère principale mais également dans les ruelles adjacentes, vers Mers Sultan, le centre-ville historique et ses multiples cafés sont les endroits du business de la chair. «A la terrasse des cafés, une clientèle normale vient s’attabler. Pour le reste et à l’étage, ce sont des lieux de marchandage pour des passes», explique Rachid, serveur dans une crémerie de Mers Sultan. Dans cet univers, le prix d’une passe est de 100 DH et les ébats se déroulent en majorité dans des appartement à proximité du café. Dans chaque quartier, c’est une entremetteuse qui assure le bon fonctionnement de ce système et qui se fait payer également pour la transaction sexuelle. «C’est 60 DH pour moi et 60 DH pour l’entremetteuse», avoue, Hanane, 30 ans, qui vend sa chair depuis déjà plusieurs années.
Mais, d’où viennent ces femmes qui se prostituent pour moins de 100 DH la passe ? Qui les a poussées à devenir des professionnelles de la prostitution ? En fait, on trouve de tout dans ce marché de la chair. Notamment des quadragénaires, voire des quinquagénaires, qui travaillaient, plus jeunes, dans des bars, mais que la flétrissure de l’âge a fait dégringoler au bas de l’échelle. Une marchandise usée, à prix bas. On y retrouve également des mères célibataires, des filles violées et abandonnées par leurs familles… «Moi, je travaillais dans une usine de textile à Lissasfa pour 1 200 DH par mois. Mais je devais coucher impérativement avec le chef pour garder mon boulot. Coucher pour coucher, autant le faire pour de l’argent», explique Hanane, qui habite encore le même quartier. Les prostituées qui exercent au centre-ville vivent en général dans les quartiers périphériques de Casablanca, souvent à plusieurs sous un même toit. Elles choisissent également de vivre dans les zones surpeuplées, une façon de se noyer dans la masse et passer inaperçues.
Au centre de Casablanca, tout près du Marché central, nous avons rencontré Najiba, la quarantaine, affublée d’une djellaba. Elle y vient chaque jour chercher du «travail» : «Si c’est pour le ménage, c’est tant mieux. Mais si c’est pour une passe, je ne dis jamais non», lance-t-elle. Elle est de mèche avec une entremetteuse du quartier qui lui assure le gîte pour la passe. Cette dernière «arrose» les policiers et ces derniers ferment les yeux. Najiba, mère célibataire, deux enfants, vit avec cinq autres femmes dans une même maison à Sidi Elkhadir, à Sidi Maârouf. «Nous avons toutes des enfants. On doit payer 300 DH pour la propriétaire, 300 DH pour la personne qui nous garde les enfants. Il faut nourrir ces enfants, leur acheter des vêtements, les envoyer à l’école… Vous comprenez pourquoi je vends mon corps à 100 DH la passe», avoue Najiba, dépitée. Le lieu de la passe ? Chez l’entremetteuse, chez le client, ou encore dans certaines salles de cinéma. Les séances de l’après-midi servent à accueillir les ébats sexuels de ceux qui ne peuvent se payer une chambre chez l’entremetteuse. Une bonne partie des salles de cinéma, du moins celles encore ouvertes, sont concernées par ce business. D’ailleurs, il n’est pas rare de trouver à proximité de ces salles des femmes reconnaissables à leurs regards aguichants et à leur démarche provocante.
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