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Entretien avec le philosophe et sociologue français Edgar Morin, invité de la 12e édition du FIFM

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  • Entretien avec le philosophe et sociologue français Edgar Morin, invité de la 12e édition du FIFM

    À l’occasion de la 12e édition du FIFM, le philosophe et sociologue français Edgar Morin était de passage dans la ville ocre pour animer une rencontre autour du 7e art. Un invité de marque qui, à travers son exceptionnel bagage intellectuel, porte un regard particulier aussi bien sur le FIFM que sur le monde du cinéma. Rencontre.



    Le Matin : Quel regard portez-vous en tant que philosophe et amoureux du Maroc sur
    le festival de Marrakech ?
    Edgar Morin : Un regard toujours extrêmement heureux et l’impression que j’apprends quelque chose du monde dans lequel je vis parce que la vertu de ce festival est de nous ouvrir à des pays, à des sociétés différentes à travers le cinéma. On découvre la personnalité profonde des gens puisque nous sommes dans une époque de floraison du cinéma multiple dans la planète qui n’avait pas vu le jour jusqu’à présent, et c’est là la vertu du festival de Marrakech. C’est une façon de connaître le monde à travers le cinéma. Il se trouve que depuis longtemps nous avons été sous la domination du cinéma d’Hollywood, français, italien et c’est tout. Maintenant il y a le cinéma marocain, d’ailleurs j’ai été très heureux de participer au festival du court métrage de Tanger où j’ai découvert la richesse du cinéma marocain. On découvre le cinéma coréen, iranien, chinois, c’est une façon de connaître le monde grâce au 7e art. Ce dernier nous fait sortir du simple regard touristique, extérieur et superficiel. C’est une expérience qui devrait sortir du divertissement pour marquer les esprits. À Marrakech, on va à la rencontre d’autres civilisations, d’autres cultures…
    Pour moi Marrakech est un festival merveilleux. On a compris des choses très profondes, ce n’est pas uniquement du divertissement.

    Avez-vous eu l’occasion d’assister à la projection de films marocains ?
    Cette fois-ci malheureusement non. Mais heureusement qu’il y avait certains films que j’ai eu l’occasion de voir à Tanger lors du Festival du court métrage comme le long métrage «La route vers Kaboul». Par contre, je n’ai pas vu «Les chevaux de Dieu» du réalisateur Nabil Ayouch dont j’ai beaucoup entendu parler. Je trouve que l’histoire est absolument admirable… Comme je suis arrivé en retard, j’étais en Équateur, j’ai donc raté les premiers jours du festival.

    Que pensez-vous de cette relève du cinéma marocain ?
    À mon avis, il exprime une très grande diversité d’inspiration et il doit veiller à garder cette liberté et cette diversité, c’est primordial. Il y a une génération multiple de réalisateurs qui sont vraiment doués. Ce sont des réalisateurs qui ont du talent, des choses intéressantes à dire et un message pertinent à faire passer. Dans ce sens, c’est une véritable découverte pour le cinéma mondial depuis ces dernières années…

    À votre avis, quel impact peut avoir le cinéma, en tant que médium, sur notre société ?
    Je pense que si le cinéma a un message trop explicite, cela devient de la propagande et de l’idéologie. Le cinéma doit donc donner à voir les choses pour amener le spectateur à s’interroger, il faut que ce dernier découvre la misère ou la pauvreté des gens dont il ne connaît pas l’existence parce qu’ils vivent dans des bidonvilles ignorés.
    Il faut qu’il puisse découvrir ces bas fonds où des jeunes sont conduits à la délinquance et au fanatisme, tous les aspects de la société qui nous plongent dans les réalités qui nous entourent. Après, il appartient à chacun de réfléchir. Aussi, la particularité du cinéma par rapport aux autres arts réside-t-elle dans le fait que lorsqu’on regarde un film, on est très compréhensif, on voit ce personnage complexe et on se rend compte qu’il a des aspects sympathiques, mais une fois que nous quittons la salle, nous oublions tout cela. Autrement dit, le moment où nous voyons les films nous sommes meilleurs, plus intelligents et dès qu’on retourne dans la vie de tous les jours, on redevient borné et intolérant.
    Il faudra donc que nous puissions nous approprier le grand message de compréhension que véhicule l’art du cinéma. Ce qui nous amène à parler du grand problème de l’absence d’éducation dans ce sens. Pour les enfants, dès l’école, il faut leur apprendre à tirer des leçons de l’art, que ce soit le cinéma, le théâtre ou autre. Le cinéma en tant que forme d’art et médium n’est pas que divertissement et loisir en ce sens qu’il peut être un révélateur important de nos propres vérités.
    À ce stade, je peux vous dire que j’ai été moi-même marqué par des films qui ont carrément changé ma façon de penser.

    Selon vous, quelle différence y a-t-il entre le cinéma d’antan et celui d’aujourd’hui ?
    Si vous parlez du cinéma marocain, il est évident que les conditions de création et de production se sont beaucoup plus ouvertes et que l’art du cinéma qui se nourrit de liberté a pu s’épanouir. Maintenant, si vous parlez du cinéma planétaire, le grand changement réside dans le fait qu’il y a eu une époque dominée par le film nord-américain, Hollywood. Ensuite vous avez eu une floraison assez récente des films dans le monde entier où nous avons assisté à l’émergence de cinémas multiples aux visions différentes, de Chine, de Corée, du Japon, d’Iran, du Tibet... nous découvrons le monde. À partir de là, c’est une occasion merveilleuse de nous situer comme citoyen de la planète. Certes, nous sommes différents, mais nous avons les mêmes passions et sentiments.

    Repères

    • Né à Paris le 09 juillet 1921, Edgar Morin est un philosophe et sociologue français, il détient une licence en histoire géographie ainsi qu’en droit.
    • Aujourd’hui directeur de recherche émérite au CNRS, Edgar Morin est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde.
    • Son dernier ouvrage sorti en 2011 s’intitule «la Voie» et propose des voies de sorties de la crise que traverse la planète.


    Publié le : 12 Décembre 2012 - Propos recueillis par Afaf Sakhi, LE MATIN
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