"Ah'na manestahlouche !", peste un jeune chauffeur de taxi algérois. “Nous, nous ne méritons pas un coup de peinture. Normal. Toi, tu ne t'appelles pas François. Tu t'appelles Mohamed !”, lâche-t-il chemin faisant, en longeant le cimetière chrétien de Saint-Eugène l'une des escales prévues de François Hollande, lors de son séjour algérois [19-20 décembre]. Alors que des peintres en bâtiment s'employaient à blanchir le mur d'enceinte du cimetière, notre chauffeur renchérit : “Ils n'auraient pas fait ça pour un cimetière musulman. Nous, nous comptons pour du beurre.” Puis, en passant devant une école au mur extérieur décrépi, il lance : “La preuve, cette école ne mérite-t-elle pas une couche d'enduit ? Le budget embellissement, il va dans leur poche !” Ce type de réactions revient dans la bouche de nombre d'Algérois pour qui la visite de Hollande se résume à une couche de vernis étalé sur les murs d'“Alger la grise”. Une histoire de “cosmétique”, en somme. Et qu'il suffit de gratouiller ce fard pour que la ville se montre sous son vrai visage. A Alger, d'aucuns sont outrés, en effet, de voir que les autorités déploient autant d'efforts pour “maquiller” la capitale, en délaissant ces mêmes quartiers le reste du temps. Depuis quelques jours, on s'échine, à grand renfort de manœuvres et de matériels, à ravaler les façades, refaire les trottoirs, réparer les lampadaires et pavoiser les grands boulevards. En traversant Alger-Centre, on est d'emblée interpellé par cette débauche d'énergie pour le revêtement des immeubles ponctuant le parcours de François Hollande. “Que va nous apporter cette visite?” Sur certaines artères, un dispositif de sécurité exceptionnel est visible à l'œil nu, comme aux abords du cimetière chrétien de Bologhine où plusieurs véhicules de police quadrillent le périmètre. Une longue haie de barrières de police est déjà alignée. Des caméras de vidéo-surveillance ont été vissées aux remparts du cimetière. “Je n'ai jamais vu ces caméras auparavant”, assure un habitant du quartier, avant de lancer : “Sans cette visite, on n'aurait pas vu tous ces travaux d'embellissement de sitôt.” Sur la place faisant face à l'hôtel Aletti, trois jeunes normaliens, tous étudiants à l'ENS de Bouzaréah, devisent allègrement en contemplant le port. Pour eux, la visite de François Hollande est un non événement. “C'est quel jour déjà ?”, s'enquiert malicieusement l'un d'eux. ”Ils sont en train de repeindre les bâtiments de la France”, jette, ironiquement, l'un de ses acolytes. Allusion à l'architecture coloniale qui domine le paysage. «Que va nous apporter concrètement cette visite ? Des visas ? Faut pas rêver ! Des excuses officielles ? La France ne va jamais s'excuser. Ils viennent avant tout pour leur business”, assène Amine, 21 ans, originaire de Tissemssilt, avant d'ajouter : “Donc, pour nous, gens du peuple, c'est la hadath (non-événement).” “Ils maquillent la ville pour leur hôte. Pas pour nous. Vous n'avez qu'à voir la gueule de nos villes dès qu'il pleut. Venez voir l'état de nos routes à Tissemssilt !” Et d'asséner : “Une bonne partie du peuple n'a pas encore accédé à l'indépendance.” Même son de cloche chez cet homme en colère, “un pur enfant de La Casbah”, comme il dit. “Moi j'avais 6 ans pendant la Bataille d'Alger [1957]. J'ai tout vu. Ma famille a tout donné à la Révolution. Regardez dans quel état se trouve La Casbah. Après, on donne un coup de pinceau pour les beaux yeux de leurs parrains pendant que nos lieux historiques tombent en ruine. Ma Yahachmouche ! Ils n'ont décidément pas honte ! En 2012, nous sommes encore des indigènes. En quoi je suis citoyen algérien ? En quoi je suis indépendant ? Je n'ai pas de travail, je n'ai pas de logement, je n'ai pas de dignité. Si ça ne tenait qu'à moi, j'aurais écrit à l'ONU et j'aurais demandé la nationalité terrienne. C'est tout ce que je suis : un Terrien !”
Mustapha Benfodil
Mustapha Benfodil
Commentaire