Pourquoi l'Algérie est restée à l'écart du printemps arabe ?
Par Jacques Hubert-Rodier Editorialiste aux « Echos »-19/12/2012
Le traumatisme de la guerre civile explique en partie la relative atonie d'une population algérienne manifestant un très fort sentiment sécuritaire.
http://www.lesechos.fr/medias/2012/1...8_web_tete.jpg
« Une révolution est une émeute réussie. Une émeute est une révolution qui a échoué. » L'Algérie, où se rend aujourd'hui le président François Hollande, a raté, une nouvelle fois depuis 1990, son rendez-vous avec l'histoire : celui du printemps arabe. A l'image de l'Arabie saoudite, elle est largement restée en dehors des convulsions qui ont bouleversé le monde arabe et conduit à la chute en janvier 2011 de Zine el-Abidine ben Ali en Tunisie, en février de Hosni Moubarak en Egypte, en octobre de Mouammar Kadhafi en Libye, en février 2012 d'Ali Abdallah Saleh au Yémen et, selon toute vraisemblance, dans les semaines à venir à celle de Bachar Al-Assad en Syrie.
Paradoxalement pourtant, tous les ingrédients d'un changement de régime sont réunis en Algérie. Comme en Egypte et dans de nombreux autres pays arabes, « l'Algérie est confrontée à une pression démographique, un Etat policier, une société fermée, et n'a connu aucune réforme importante », notait récemment Bruce Riedel de la Brookings Institution, un ancien de la CIA et ex-conseiller de la Maison-Blanche.
Mais ces ingrédients ont été insuffisants pour insuffler un mouvement d'ampleur. La contestation de janvier et de février 2011 en Algérie contre la flambée des prix des denrées alimentaires a certes été marquée par des émeutes et des manifestations malgré une forte présence policière. Mais elle n'a abouti à aucun changement institutionnel en profondeur, si ce n'est la levée de l'Etat d'urgence. A l'image de ce qu'a fait le roi du Maroc, le président Bouteflika a surtout donné « l'illusion de réformes » mais sans aucun bouleversement fondamental dans le pays, souligne Barah Mikail, de la Fride (1). Et si des mouvements sociaux sont fréquents (plus de 10.000 en 2012), « ils sont de courte durée, de faible intensité et géographiquement limités », soulignait dans une étude Louisa Dris-Aït Hamadouche (2). D'après cette politologue de l'université d'Alger, « ils peuvent naître sous n'importe quel prétexte : un match de football, la distribution de logements, une panne d'électricité ou simplement le retrait d'un permis de conduire ». Mais sans prendre finalement l'ampleur connue dans nombre de pays arabes.
La première raison de cette relative retenue tient évidemment au traumatisme de la « décennie noire » : cette guerre civile entre le gouvernement et les islamistes ayant coûté la vie à plus de 100.000 Algériens après l'annulation des élections de 1991, qui auraient dû être remportées par le FIS (Front islamique du salut). Raison pour laquelle, sans doute, il existe aujourd'hui en Algérie un si fort désir sécuritaire. La guerre en Libye et ses conséquences, avec le renforcement de cellules terroristes dans le Sahel comme au nord du Mali, ont encore renforcé ce sentiment. « Les Algériens préfèrent la stabilité. Ce qui explique une certaine adhésion de la population au régime actuel », affirme Barah Milkai. En témoigne la nette victoire de l'ancien parti unique, le FLN, aux élections de mai dernier.
Mais cela est insuffisant pour expliquer le relatif quiétisme de la population. L'Algérie reste un pays riche. D'après le Fonds monétaire international, qui vient de lui emprunter 5 milliards de dollars pour refinancer son fonds de secours d'urgence, ses réserves de change devraient se situer à la fin décembre à plus de 205 milliards de dollars, avec une dette publique inférieure à 9 % du PIB. Une situation financière qui permet au gouvernement d'assurer un matelas important de subventions à la population et de « s'acheter » ainsi - comme l'Arabie saoudite - une relative paix sociale. Pour nombre d'analystes, la situation des Algériens est meilleure, en moyenne, que celle des Marocains, même si cela ne masque pas d'immenses disparités notamment chez les jeunes, les plus touchés par le chômage.
L'atomisation de la représentation de la société joue aussi. Le gouvernement algérien a encouragé la multiplication des associations, des syndicats, sans qu'ils parviennent à se structurer en force commune. Un écrivain comme Mohamed Kacimi mettait aussi en cause l'absence de véritable élite en dépit de « l'existence de voix éparses et isolées qui s'expriment çà et là ». La société algérienne, disait-il dans une interview au journal « El Watan », « a été déstabilisée, démantibulée par la présence coloniale », puis par la guerre civile « qui a disloqué la société civile et décimé l'intelligentsia ». Une différence avec la Tunisie et l'Egypte, où « la charpente de la société est plus solide sur les plans culturel, social et économique ».
Un autre facteur plus complexe de la relative atonie est lié à l'encadrement policier de la société algérienne, ainsi qu'à la présence à la tête de l'Etat depuis 1999 d'Abdelaziz Bouteflika, qui « incarne une sorte de valeur refuge », selon l'expression de Barah Mikail. Sa disparition ouvrirait vraisemblablement une période d'incertitude. Car si l'Algérie n'a pas suivi le printemps arabe, rien n'exclut un sursaut brutal. La rente gazière a ses limites et il n'est pas certain que le gaz de schiste dont le sol regorgerait permette d'assurer demain sa pérennité. De plus, la société reste profondément inégalitaire, minée par une corruption endémique comme vient de le démontrer le récent scandale touchant la compagnie pétrogazière nationale, la Sonatrach. La faiblesse des partis politiques d'opposition ne doit pas faire oublier non plus que les Algériens sont profondément politisés. Du reste, qui avait prévu le réveil du monde arabe en 2010 ?
Par Jacques Hubert-Rodier Editorialiste aux « Echos »-19/12/2012
Le traumatisme de la guerre civile explique en partie la relative atonie d'une population algérienne manifestant un très fort sentiment sécuritaire.
http://www.lesechos.fr/medias/2012/1...8_web_tete.jpg
« Une révolution est une émeute réussie. Une émeute est une révolution qui a échoué. » L'Algérie, où se rend aujourd'hui le président François Hollande, a raté, une nouvelle fois depuis 1990, son rendez-vous avec l'histoire : celui du printemps arabe. A l'image de l'Arabie saoudite, elle est largement restée en dehors des convulsions qui ont bouleversé le monde arabe et conduit à la chute en janvier 2011 de Zine el-Abidine ben Ali en Tunisie, en février de Hosni Moubarak en Egypte, en octobre de Mouammar Kadhafi en Libye, en février 2012 d'Ali Abdallah Saleh au Yémen et, selon toute vraisemblance, dans les semaines à venir à celle de Bachar Al-Assad en Syrie.
Paradoxalement pourtant, tous les ingrédients d'un changement de régime sont réunis en Algérie. Comme en Egypte et dans de nombreux autres pays arabes, « l'Algérie est confrontée à une pression démographique, un Etat policier, une société fermée, et n'a connu aucune réforme importante », notait récemment Bruce Riedel de la Brookings Institution, un ancien de la CIA et ex-conseiller de la Maison-Blanche.
Mais ces ingrédients ont été insuffisants pour insuffler un mouvement d'ampleur. La contestation de janvier et de février 2011 en Algérie contre la flambée des prix des denrées alimentaires a certes été marquée par des émeutes et des manifestations malgré une forte présence policière. Mais elle n'a abouti à aucun changement institutionnel en profondeur, si ce n'est la levée de l'Etat d'urgence. A l'image de ce qu'a fait le roi du Maroc, le président Bouteflika a surtout donné « l'illusion de réformes » mais sans aucun bouleversement fondamental dans le pays, souligne Barah Mikail, de la Fride (1). Et si des mouvements sociaux sont fréquents (plus de 10.000 en 2012), « ils sont de courte durée, de faible intensité et géographiquement limités », soulignait dans une étude Louisa Dris-Aït Hamadouche (2). D'après cette politologue de l'université d'Alger, « ils peuvent naître sous n'importe quel prétexte : un match de football, la distribution de logements, une panne d'électricité ou simplement le retrait d'un permis de conduire ». Mais sans prendre finalement l'ampleur connue dans nombre de pays arabes.
La première raison de cette relative retenue tient évidemment au traumatisme de la « décennie noire » : cette guerre civile entre le gouvernement et les islamistes ayant coûté la vie à plus de 100.000 Algériens après l'annulation des élections de 1991, qui auraient dû être remportées par le FIS (Front islamique du salut). Raison pour laquelle, sans doute, il existe aujourd'hui en Algérie un si fort désir sécuritaire. La guerre en Libye et ses conséquences, avec le renforcement de cellules terroristes dans le Sahel comme au nord du Mali, ont encore renforcé ce sentiment. « Les Algériens préfèrent la stabilité. Ce qui explique une certaine adhésion de la population au régime actuel », affirme Barah Milkai. En témoigne la nette victoire de l'ancien parti unique, le FLN, aux élections de mai dernier.
Mais cela est insuffisant pour expliquer le relatif quiétisme de la population. L'Algérie reste un pays riche. D'après le Fonds monétaire international, qui vient de lui emprunter 5 milliards de dollars pour refinancer son fonds de secours d'urgence, ses réserves de change devraient se situer à la fin décembre à plus de 205 milliards de dollars, avec une dette publique inférieure à 9 % du PIB. Une situation financière qui permet au gouvernement d'assurer un matelas important de subventions à la population et de « s'acheter » ainsi - comme l'Arabie saoudite - une relative paix sociale. Pour nombre d'analystes, la situation des Algériens est meilleure, en moyenne, que celle des Marocains, même si cela ne masque pas d'immenses disparités notamment chez les jeunes, les plus touchés par le chômage.
L'atomisation de la représentation de la société joue aussi. Le gouvernement algérien a encouragé la multiplication des associations, des syndicats, sans qu'ils parviennent à se structurer en force commune. Un écrivain comme Mohamed Kacimi mettait aussi en cause l'absence de véritable élite en dépit de « l'existence de voix éparses et isolées qui s'expriment çà et là ». La société algérienne, disait-il dans une interview au journal « El Watan », « a été déstabilisée, démantibulée par la présence coloniale », puis par la guerre civile « qui a disloqué la société civile et décimé l'intelligentsia ». Une différence avec la Tunisie et l'Egypte, où « la charpente de la société est plus solide sur les plans culturel, social et économique ».
Un autre facteur plus complexe de la relative atonie est lié à l'encadrement policier de la société algérienne, ainsi qu'à la présence à la tête de l'Etat depuis 1999 d'Abdelaziz Bouteflika, qui « incarne une sorte de valeur refuge », selon l'expression de Barah Mikail. Sa disparition ouvrirait vraisemblablement une période d'incertitude. Car si l'Algérie n'a pas suivi le printemps arabe, rien n'exclut un sursaut brutal. La rente gazière a ses limites et il n'est pas certain que le gaz de schiste dont le sol regorgerait permette d'assurer demain sa pérennité. De plus, la société reste profondément inégalitaire, minée par une corruption endémique comme vient de le démontrer le récent scandale touchant la compagnie pétrogazière nationale, la Sonatrach. La faiblesse des partis politiques d'opposition ne doit pas faire oublier non plus que les Algériens sont profondément politisés. Du reste, qui avait prévu le réveil du monde arabe en 2010 ?
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