Va-t-on vers un âge d'or du gaz de schiste ? La question est ouverte, alors que le boom des hydrocarbures non conventionnels en Amérique du Nord bouscule la donne énergétique planétaire en affaiblissant la domination des producteurs traditionnels, comme le Moyen-Orient ou la Russie.
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit ainsi que d'ici à 2035, le gaz non conventionnel (de schiste en majorité) fournira près de 30 % de la production gazière mondiale, contre 14 % aujourd'hui. Pourtant, si de nombreux pays procèdent à des prospections et des évaluations de leurs réserves, seuls les Etats-Unis se sont aujourd'hui engouffrés dans une exploitation à grande échelle de cette ressource tant prometteuse que décriée.
S'il pourrait permettre d'accéder au Graal de l'indépendance énergétique – tout en créant des milliers d'emplois – le gaz de schiste est vertement critiqué pour ses conséquences néfastes pour l'environnement. Parmi les très nombreuses études produites à son sujet, un rapport de la Commission européenne évoquait en juin une empreinte écologique supérieure à celle du gaz conventionnel, et pointait les risques de contamination des sols et eaux souterraines liés à son exploitation, qui nécessite l'utilisation de milliers de produits chimiques et d'immenses quantités d'eau.
Lancée il y a plusieurs décennies, l'exploitation des gaz de schiste a explosé aux Etats-Unis au milieu des années 2000. Le pays renfermerait en effet les deuxièmes plus grosses ressources de la planète, à savoir 25 000 milliards de mètres cubes techniquement extractibles, selon les estimations de l'Agence d'information sur l'énergie américaine (EIA).
La production est alors passée de 20 milliards de m3 en 2005 à 220 milliards en 2011, avec plus de 100 000 puits en fonctionnement. Au point qu'en 2011, les gaz de schiste représentaient 34 % de la production de gaz américaine, selon l'AIE. Résultat de cette stratégie, largement soutenue par la Maison Blanche : les Etats-Unis sont autosuffisants depuis 2010, et deviendront le premier producteur de gaz au monde en 2015, devant la Russie.
La hausse va-t-elle se poursuivre ? Sur cette question, les projections diffèrent. Selon le scénario haut de l'AIE, dans son rapport Golden Rules for a Golden Age of Gas, la proportion de schiste dans la production de gaz pourrait grimper à 45 % en 2035. Mais dans le cas d'une opposition plus forte des Etats (comme le Vermont, qui a interdit en mai la fracturation hydraulique) et de régulations plus strictes, un scénario bas prévoit une production qui croît jusqu'en 2017, avant de revenir aux niveaux de 2010.
"La croissance de la production est déjà moins forte en 2012 que lors des cinq dernières années. Cette tendance au ralentissement pourrait se poursuivre si le prix du gaz reste très bas, ce qui incite les entreprises à forer en priorité du pétrole", explique Anne-Sophie Corbeau, responsable des marchés gaziers à l'AIE. Côté américain, l'EIA table sur une augmentation régulière de la production de gaz de schiste, avec un gain de 100 milliards de m3 entre 2011 et 2021.
A l'opposé de son voisin américain, l'exploitation des gaz de schiste au Canada est encore embryonnaire, avec 2 milliards de m3 l'an dernier. S'il n'y a pas de régulation fédérale sur leur exploitation, ces hydrocarbures font l'objet d'une forte défiance de la population, spécialement au Québec, où des fuites ont été découvertes dans 11 des 31 puits de la région l'an dernier. La demande en gaz y est par ailleurs plus faible qu'aux Etats-Unis.
Plus au sud, le Mexique possèderait les 4es plus vastes ressources au monde, après la Chine, les Etats-Unis et l'Argentine, avec 19 000 milliards de m3 récupérables, selon l'EIA. Jusqu'à présent non exploité pour des raisons économiques, ce gaz intéresse aujourd'hui le gouvernement, qui veut relancer sa production d'hydrocarbures. Le Plan national de l'énergie 2012-2026 du ministère de l'énergie prévoit ainsi une production de 34 milliards de m3 de gaz de schiste en 2026, soit 40 % de la production totale de gaz. Quelque 60 000 puits pourraient être forés dans les cinquante prochaines années, essentiellement par la compagnie pétrolière nationale Pemex.
Aucune politique commune n'existe dans le Vieux-Continent sur la question du gaz de schiste, le Parlement européen ayant seulement refusé de l'interdire. "L'Union européenne pourrait être intéressée par l'exploitation du schiste pour s'affranchir du gaz russe, dont elle dépend à 40 % pour ses importations. Mais il n'existe aucune certitude quant aux réserves disponibles, dans la mesure où seuls les nouveaux forages peuvent permettre d'estimer les gisements", prévient Bastien Alex, chercheur sur l'énergie à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Or, les inquiétudes environnementales de la population bloquent l'essentiel de l'exploration.
Ainsi, la France, qui disposerait des plus importantes réserves du continent avec 5 100 milliards de m3 exploitables, a voté une loi, le 13 juillet 2011, interdisant la principale technique d'extraction, la fracturation hydraulique, et gelé les permis d'exploitation pendant cinq ans, sous la pression de l'opinion publique.
Néanmoins, le gouvernement n'a pas fermé la porte à la recherche sur des techniques alternatives. "La recherche est possible sur d'autres techniques que celle de la fracturation hydraulique. Pour l'instant, cette recherche n'a pas abouti, je ne peux pas l'interdire, elle n'est pas interdite pas la loi", avait déclaré le président de la République à la mi-novembre.
Au contraire, la Pologne, le pays européen le plus pro-gaz de schiste, dopé par des premières estimations mirobolantes de l'EIA (qui parlait initialement de gisements de 5 300 milliards de m3) a déjà effectué une trentaine de forages exploratoires sur trois sites. Les réserves ont cependant été revues à la baisse en mars, divisées par un facteur dix par l'Institut national de géologie.
Le géant ExxonMobil vient par ailleurs d'annoncer son retrait du pays, déclarant les gisements explorés inexploitables – même si la décision pourrait aussi s'expliquer par ses intérêts concurrents en Russie. Le gouvernement de Varsovie maintient néanmoins son projet d'une exploitation commerciale en 2014, afin de s'affranchir des ressources gazières de son voisin russe, sur lesquelles il s'appuie à hauteur de 60 %.
La Grande-Bretagne, pays européen qui consomme le plus de gaz (il y produit 40 % de l'électricité), a aussi décidé de reprendre, le 14 décembre, la fracturation hydraulique, un an et demi après deux séismes qui avaient inquiété les Britanniques. Les promesses de ressources de gaz de schiste avancées par la firme britannique Cuadrilla Resources (3 000 milliards de m3) sont pour le pays un gage d'indépendance énergétique accrue. "Même si nous ne parvenions à en exploiter que 10 %, cela suffirait à fournir le quart de la demande britannique pendant trente ans", a fait miroiter Francis Egan, son directeur. Mais rien ne dit à ce jour que les réserves se concrétiseront.
L'Agence internationale de l'énergie (AIE) prévoit ainsi que d'ici à 2035, le gaz non conventionnel (de schiste en majorité) fournira près de 30 % de la production gazière mondiale, contre 14 % aujourd'hui. Pourtant, si de nombreux pays procèdent à des prospections et des évaluations de leurs réserves, seuls les Etats-Unis se sont aujourd'hui engouffrés dans une exploitation à grande échelle de cette ressource tant prometteuse que décriée.
S'il pourrait permettre d'accéder au Graal de l'indépendance énergétique – tout en créant des milliers d'emplois – le gaz de schiste est vertement critiqué pour ses conséquences néfastes pour l'environnement. Parmi les très nombreuses études produites à son sujet, un rapport de la Commission européenne évoquait en juin une empreinte écologique supérieure à celle du gaz conventionnel, et pointait les risques de contamination des sols et eaux souterraines liés à son exploitation, qui nécessite l'utilisation de milliers de produits chimiques et d'immenses quantités d'eau.
- Amérique du Nord
Lancée il y a plusieurs décennies, l'exploitation des gaz de schiste a explosé aux Etats-Unis au milieu des années 2000. Le pays renfermerait en effet les deuxièmes plus grosses ressources de la planète, à savoir 25 000 milliards de mètres cubes techniquement extractibles, selon les estimations de l'Agence d'information sur l'énergie américaine (EIA).
La production est alors passée de 20 milliards de m3 en 2005 à 220 milliards en 2011, avec plus de 100 000 puits en fonctionnement. Au point qu'en 2011, les gaz de schiste représentaient 34 % de la production de gaz américaine, selon l'AIE. Résultat de cette stratégie, largement soutenue par la Maison Blanche : les Etats-Unis sont autosuffisants depuis 2010, et deviendront le premier producteur de gaz au monde en 2015, devant la Russie.
La hausse va-t-elle se poursuivre ? Sur cette question, les projections diffèrent. Selon le scénario haut de l'AIE, dans son rapport Golden Rules for a Golden Age of Gas, la proportion de schiste dans la production de gaz pourrait grimper à 45 % en 2035. Mais dans le cas d'une opposition plus forte des Etats (comme le Vermont, qui a interdit en mai la fracturation hydraulique) et de régulations plus strictes, un scénario bas prévoit une production qui croît jusqu'en 2017, avant de revenir aux niveaux de 2010.
"La croissance de la production est déjà moins forte en 2012 que lors des cinq dernières années. Cette tendance au ralentissement pourrait se poursuivre si le prix du gaz reste très bas, ce qui incite les entreprises à forer en priorité du pétrole", explique Anne-Sophie Corbeau, responsable des marchés gaziers à l'AIE. Côté américain, l'EIA table sur une augmentation régulière de la production de gaz de schiste, avec un gain de 100 milliards de m3 entre 2011 et 2021.
A l'opposé de son voisin américain, l'exploitation des gaz de schiste au Canada est encore embryonnaire, avec 2 milliards de m3 l'an dernier. S'il n'y a pas de régulation fédérale sur leur exploitation, ces hydrocarbures font l'objet d'une forte défiance de la population, spécialement au Québec, où des fuites ont été découvertes dans 11 des 31 puits de la région l'an dernier. La demande en gaz y est par ailleurs plus faible qu'aux Etats-Unis.
Plus au sud, le Mexique possèderait les 4es plus vastes ressources au monde, après la Chine, les Etats-Unis et l'Argentine, avec 19 000 milliards de m3 récupérables, selon l'EIA. Jusqu'à présent non exploité pour des raisons économiques, ce gaz intéresse aujourd'hui le gouvernement, qui veut relancer sa production d'hydrocarbures. Le Plan national de l'énergie 2012-2026 du ministère de l'énergie prévoit ainsi une production de 34 milliards de m3 de gaz de schiste en 2026, soit 40 % de la production totale de gaz. Quelque 60 000 puits pourraient être forés dans les cinquante prochaines années, essentiellement par la compagnie pétrolière nationale Pemex.
- Europe
Aucune politique commune n'existe dans le Vieux-Continent sur la question du gaz de schiste, le Parlement européen ayant seulement refusé de l'interdire. "L'Union européenne pourrait être intéressée par l'exploitation du schiste pour s'affranchir du gaz russe, dont elle dépend à 40 % pour ses importations. Mais il n'existe aucune certitude quant aux réserves disponibles, dans la mesure où seuls les nouveaux forages peuvent permettre d'estimer les gisements", prévient Bastien Alex, chercheur sur l'énergie à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS). Or, les inquiétudes environnementales de la population bloquent l'essentiel de l'exploration.
Ainsi, la France, qui disposerait des plus importantes réserves du continent avec 5 100 milliards de m3 exploitables, a voté une loi, le 13 juillet 2011, interdisant la principale technique d'extraction, la fracturation hydraulique, et gelé les permis d'exploitation pendant cinq ans, sous la pression de l'opinion publique.
Néanmoins, le gouvernement n'a pas fermé la porte à la recherche sur des techniques alternatives. "La recherche est possible sur d'autres techniques que celle de la fracturation hydraulique. Pour l'instant, cette recherche n'a pas abouti, je ne peux pas l'interdire, elle n'est pas interdite pas la loi", avait déclaré le président de la République à la mi-novembre.
Au contraire, la Pologne, le pays européen le plus pro-gaz de schiste, dopé par des premières estimations mirobolantes de l'EIA (qui parlait initialement de gisements de 5 300 milliards de m3) a déjà effectué une trentaine de forages exploratoires sur trois sites. Les réserves ont cependant été revues à la baisse en mars, divisées par un facteur dix par l'Institut national de géologie.
Le géant ExxonMobil vient par ailleurs d'annoncer son retrait du pays, déclarant les gisements explorés inexploitables – même si la décision pourrait aussi s'expliquer par ses intérêts concurrents en Russie. Le gouvernement de Varsovie maintient néanmoins son projet d'une exploitation commerciale en 2014, afin de s'affranchir des ressources gazières de son voisin russe, sur lesquelles il s'appuie à hauteur de 60 %.
La Grande-Bretagne, pays européen qui consomme le plus de gaz (il y produit 40 % de l'électricité), a aussi décidé de reprendre, le 14 décembre, la fracturation hydraulique, un an et demi après deux séismes qui avaient inquiété les Britanniques. Les promesses de ressources de gaz de schiste avancées par la firme britannique Cuadrilla Resources (3 000 milliards de m3) sont pour le pays un gage d'indépendance énergétique accrue. "Même si nous ne parvenions à en exploiter que 10 %, cela suffirait à fournir le quart de la demande britannique pendant trente ans", a fait miroiter Francis Egan, son directeur. Mais rien ne dit à ce jour que les réserves se concrétiseront.
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