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Ils sont des milliers à arpenter rues des villes : SDF sans abri et sans visage

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  • Ils sont des milliers à arpenter rues des villes : SDF sans abri et sans visage

    L’errance le jour, des morceaux de carton ou un matelas et une couverture usés pour s’y allonger la nuit, le ventre creux, le cœur lourd, des femmes, des enfants, des vieux et des hommes en ont fait la triste expérience. Dans l’indifférence la plus totale, des Algériennes et des Algériens sont désormais réduits à un sigle de trois lettres : SDF. Sans domicile fixe. Pourtant, ils ne sont pas tous semblables. Ils ne peuvent être résumés qu’à cela. Chacun est une histoire en soi. Chacun est un drame qui… ne porte plus de nom.



    Tous les jours, un peu partout en Algérie, les maux de la société s’échouent sur les trottoirs des grandes villes. Alger, capitale du pays, n’échappe pas à cette déplorable situation. Elle en est même le rivage d’échouage de tous les infortunés de la société.
    Dans la journée, ils sillonnent les artères de la capitale. La nuit venue, ils se recroquevillent sous les arcades, dans les cages d’escaliers ou aux abords des mosquées, des hôpitaux et commissariats. Ils viennent de toutes les régions du pays à la recherche d’une vie meilleure ou tout simplement pour fuir un environnement familial ou social hostiles.



    Hommes, femmes et enfants, de tout âge et de toutes les classes sociales, les sans-logis sont des centaines à peupler les rues d’Alger. En l’absence de statistiques officielles, on ne peut que constater l’augmentation vertigineuse de leur nombre. C’est comme si la société était habituée à se défaire des siens. C’est comme si leur présence dans la rue ne dérangeait plus personne.
    Le visage émacié, le regard vitreux, Mourad couche tous les soirs sur des chiffons humides avec le chimérique espoir de retrouver jour du travail et un logis. Cela fait exactement six mois qu’il a quitté sa Kabylie natale. Agriculteur de père en fils, il a égrené ses années dans son village à seconder son père dans le travail de la terre. Jusqu’au jour de son trentième anniversaire. «Je n’ai jamais aimé le travail de la terre et encore moins la monotonie des jours, des mois et des années qui passent sans que rien change.

    J’ai quitté le village pour commencer une autre vie à Alger.

    Trouver du travail et vivre comme tous les jeunes de mon âge.» Son père, qui désapprouvait cette décision, lui a interdit de revenir au foyer familial en cas d’échec.
    «Six mois à remuer ciel et terre pour trouver un emploi, en vain», poursuit-il son récit. Ses économies rétrécirent comme une peau de chagrin jusqu’au jour fatidique où le propriétaire de la pension où il a trouvé abri lui réclame de payer ses redevances ou de quitter la chambre. La mort dans l’âme, il ramasse ses affaires et ne trouve d’autre refuge que la rue. Il rejoint alors le rang des sans-logis, des SDF.

    Sous cette appellation lapidaire se cachent des réalités multiples, faites de ruptures et d’errance, entre rue, squats et autres abris de fortune. Les places et rues d’Alger abondent de miséreux définitivement désespérés et irrémédiablement vomis de la société. Front de mer, boulevard Amirouche, tunnel des Facultés, Didouche Mourad, Port Saïd, square Sofia, Bab El Oued... Partout au grand jour et sous les yeux de millions d’indifférents, des vies se consument lentement.

    La faim, le froid… et l’insécurité

    Samia a élu domicile pas loin des deux Chambres du Parlement. C’est une jeune femme, à peine sortie de l’adolescence, avec un bébé sur les bras. Elle est dans la rue depuis la naissance de son fils. «J’étais une jeune fille comme toutes les autres. Mes parents m’ont mariée à notre voisin. Elle avait 22 ans et lui 23. Il voulait une femme pieuse tout comme lui», nous raconte-t-elle. Un «djilbab» et un «kamis» sont les seules bases sur lesquelles a été fondée cette relation. Une relation qui ne résistera pas à la première épreuve de la vie. La naissance d’Islam viendra rappeler aux uns et aux autres que n’est pas pieux qui le prétend. L’enfant est trisomique. Le père n’acceptera pas ce «cadeau du ciel». Il répudie sa femme à l’hôpital même. Ses parents accepteront de la reprendre, mais seulement si elle abandonnait son fils. «Je ne pouvais pas l’abandonner.

    C’était plus que je ne pouvais supporter», raconte-t-elle en sanglotant. Et c’est comme cela qu’elle rejoint ce monde de la rue. On apprendra qu’elle a été emmenée par le Samu au centre de Birkhadem. «Personne ne peut rester là-bas. Il y a des voleurs, des délinquants. On se sent beaucoup plus en insécurité que dans la rue !», assène-t-elle. On apprendra au fil du contact établi avec ces laissés-pour-compte de la société que leur souci majeur reste leur propre sécurité. Non loin de l’hôpital Mustapha Pacha, des femmes squattent les cages d’escalier. «Nous dormons ici quand les habitants ne nous chassent pas», disent-elles. D’autres attendent le milieu de la nuit pour se faufiler à l’intérieur de l’hôpital et pouvoir se reposer enfin quelques heures. L’expression «dormir à la belle étoile» est déplacée pour ces sans-domicile qui hantent les arcades et les entrées d’immeubles à la nuit tombée, sur une literie de fortune et sur des cartons. Ce sont des femmes, des enfants et des hommes, des vieillards aussi, qui se retrouvent livrés à la rue et pour qui le mot confort n’a plus aucun sens. «Ce ne sont pas tant la faim et le froid qui nous tenaillent, mais la peur.

    La peur d’autrui. Vous n’imaginerez jamais le danger qui vous guette dehors», confie une quinquagénaire. On apprendra que les sans-abris élisent domicile auprès des institutions étatiques pour pouvoir se réfugier quand ils se sentent en danger. On apprendra aussi que les équipes mobiles du Samu multiplient leurs sorties nocturnes par ce temps de grand froid. «Ils offrent une soupe chaude, souvent des lentilles, du pain et des oranges. Barak allahou fihoum», nous dira une autre femme d’un âge incertain. Elle congratulera leur travail «charitable». «Ils sont mieux qu’une certaine progéniture», ajoutera-t-elle en désignant du montant un mas de cartons. «C’est un couple de vieux qui ont été jetés à la rue par leur fils. Il habite dans la rue voisine. Cette génération n’a plus de cœur», conclut-elle.

    Une enfance gâchée

    Plus que le sort des adultes, celui des enfants est plus déchirant. L’innocence est sacrifiée sur l’autel de l’irresponsabilité et de la cruauté de certains. Lâchés dans la nature, ils deviennent alcooliques, toxicomanes ou délinquants. On les croise en bandes aux alentours du square Port Saïd. Victime d’un beau-père cruel, et de sa mère qui ne le défendait pas, Samir est dans la rue depuis l’âge de 11 ans. «J’étais battu tous les jours», dit-il pour justifier sa fugue qui dure depuis cinq ans maintenant. De la vie de famille, il n’en garde que les séquelles des sévices corporels. Le handicap de sa main gauche et ses crises d’épilepsie en seraient la résultante. «Pourquoi on se drogue ? On ferait quoi alors pour supporter tout ça ?», interroge-t-il. Les couvertures de Samir sont totalement imbibées d’eau. Plus tard, dans la soirée, elles deviendront glaciales. C’est au creux de la glace qu’il passera cette nuit de décembre.

    Une nuit qui ressemblera à tant d’autres en hiver. Il n’est pas seul dans cette situation. Ils seraient 20 000 à peupler nos rues. Sans études et sans la moindre perspective de formation à quel avenir peuvent-ils aspirer ? Si ce n’est de venir allonger le nombre des délinquants, ils ne peuvent prétendre à rien de bon. Cette intrusion d’un jour dans le monde des sans-logis dévoilera que ceux que la vie a exposés au regard des autres n’aspirent qu’à se reposer, échapper au monde de la rue, oublier les regards obliques des passants quelques heures. Ceux qui ont investi la rue un jour de grand désarroi ne sont pas des gens anormaux. Les recalés du destin, apprend-on, sont victimes de ceux qui n’éprouvent aucun remords à jeter femme et enfants dans la rue après le divorce. D’autres ont connu ce triste sort lorsqu’un des leurs a décidé se «soulager» d’un proche ou d’un parent qui ne se rangeait pas dans le moule des convenances. Des conflits familiaux s’achèvent souvent dans la dislocation de la famille. Un membre prend définitivement ses distances avec ses parents, ses enfants ou sa fratrie. Une déchirure et en même temps un calvaire quotidien. Un mal inguérissable. La rupture de tout lien social est alors consommée. Nulle possibilité de faire marche arrière. Quelles que soient les causes de ces drames, le droit au logement est une obligation humaine. Elle est même consacrée par la charte universelle des droits de l’Homme. Personne ne se retrouve dans la rue par hasard.
    Par Radia Abdelmoumene
    reporters.dz
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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