2012. Mohammed VI : Première année islamiste
2012 restera dans les annales comme étant la première “année islamiste” de l’histoire du Maroc. De quoi a-t-elle été faite, quels ont été ses moments forts et ses événements marquants ? TelQuel fait la récap’.
En acceptant d’associer les islamistes à l’exercice du pouvoir après leur victoire aux législatives tenues fin 2011, Mohammed VI a respecté, bien entendu, la règle démocratique. Il a aussi pris un risque. Le PJD, en effet, n’a jamais fait partie d’aucun gouvernement au préalable et, à ce niveau, il est vierge de toute expérience. D’où le parti pris adopté par Mohammed VI et qui a consisté, dans les grandes lignes, à leur concéder certaines prérogatives, à vrai dire très minimes, et à renforcer ses bases arrière via l’élargissement du cabinet royal à des personnalités hier encore au gouvernement (les El Himma, Fassi Fihri, Zenagui, etc.). Le roi a donc choisi de couper la poire en deux. Il a doublé les postes-clés (Justice, diplomatie, finances), assuré la survie de Maroc SA (en allant convaincre, lui-même, les investisseurs étrangers, arabes notamment) et laissé le PJD en prise, essentiellement, avec la rue marocaine. Une année de transition, donc, dans tous les sens du terme. Transition politique d’abord : le rôle, le poids et pour ainsi dire l’expertise des islamistes devraient aller crescendo dans les années à venir. Transition sociale, voire sociétale et culturelle, aussi : les premiers signes de la retraditionalisation de la société marocaine sont là. Ces signes, qui vont aujourd’hui de la progression du voile à la prolifération du discours religieux dans les médias et tout l’espace public.
Nous vous invitons, donc, à revisiter quelques-uns des faits les plus importants (qui ne sont pas, comme on le verra, forcément les plus visibles) de l’année 2012. Ils sont nombreux et, parfois, surprenants. Bonne lecture.
TelQuel
Circulez, il n'y a rien à voir !
La répression contre les manifestants – qu’ils s’insurgent pour des raisons sociales ou politiques – n’a pas cessé depuis l’arrivée au gouvernement des islamistes. Dernière manifestation en date à être violemment dispersée : celle du 18 novembre 2012. La police charge les militants rassemblés devant le parlement à Rabat pour dénoncer le budget alloué à la monarchie dans le projet de Loi de Finances 2013. L’année 2012 s’était ouverte sur la répression d’un rassemblement de chômeurs à Taza. En février, c’est à Beni Mellal qu’on décompte des dizaines de blessés. En mars, la police campe de manière ostentatoire dans plusieurs localités du Rif, comme Beni Bouâyach, après y avoir durement réprimé des manifestations. Le même mois, la frondeuse Sidi Ifni connaît d’importantes manifestations, auxquelles les forces de l’ordre répondent par des tirs de grenades lacrymogènes. En juin, des manifestants sont tabassés à Khouribga et Mohammedia. En octobre, une simple expulsion tourne à l’affrontement dans le quartier de Bani Makada à Tanger : des membres d’associations accusent une utilisation excessive de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Pour le Mouvement du 20 février, 2012 a été l’année des condamnations. En septembre, cinq jeunes écopent de peines de prison. Leur avocat dénonce l’utilisation d’aveux arrachés sous la torture. On évoque des viols à l’aide de manches à balai mais les enquêtes ne suivent pas. Des membres du 20 février sévèrement jugés, à l’instar de Abdelhalim Bekkali, condamné à quatre ans et 100 000 dirhams d’amende. Le gouvernement mime les trois petits singes : rien vu, rien entendu, rien à dire. Ou peut-être si : des déclarations dénuées de tout sens, comme Mustafa Ramid qui jure qu’on ne trouve plus un seul “politique” dans les prisons, alors que des associations de droits de l’homme estiment à 70 le nombre de manifestants et de militants en prison. Ou encore Abdelilah Benkirane qui, le 30 novembre, alors qu’il répond aux questions de parlementaires, lance cette saillie : “Si nous utilisons la force contre quelques manifestants dans la rue, c’est pour éviter de les traîner devant les tribunaux” (sic).
Droit à la vie… que sur papier
Les abolitionnistes, et notamment la vingtaine d’ONG constituant la Coalition marocaine contre la peine de mort, se sont réjouis quand l’article 20 de la nouvelle Constitution a consacré le droit à la vie. Pour eux, le royaume allait enfin franchir le pas et abolir la peine capitale. Mais ils ont vite déchanté. Les tribunaux du pays continuent de prononcer des condamnations à mort : on n’en recense pas moins de sept, au cours de cette année, dont deux prononcées par la Cour d’appel de Meknès, le 10 octobre… journée mondiale contre la peine de mort. Pire encore, les islamistes du PJD au pouvoir semblent opérer un virage à 180 degrés dans la voie de l’abolition sur laquelle le Maroc semblait être engagé. Aux premières semaines de leur mandat, ils adoptaient une certaine neutralité sur ce sujet de fond. “L’abolition de la peine de mort devait faire l’objet d’un consensus, voire d’un référendum”, affirmaient-ils. Leurs faits et gestes des dernières semaines sont encore plus inquiétants. L’abstention du Maroc, le 19 novembre dernier, à voter un moratoire sur la peine de mort de l’ONU a été reçu comme une gifle par les milieux des droits de l’homme. “Cela ne nous honore en rien, s’insurge ce dirigeant de l’AMDH. La seule explication est que le royaume cherche à faire plaisir à des pays comme la Chine, les Etats-Unis ou encore les monarchies du Golfe”. L’attitude du Maroc est d’autant plus incompréhensible qu’il n’avait rien à perdre : il s’agissait simplement de s’engager à suspendre l’application de cette peine, ce que fait déjà le royaume puisqu’aucune exécution n’a plus eu lieu depuis 1993. Mustafa Ramid, le ministre de la Justice, a néanmoins durci le discours dans sa réponse à une question au parlement : “Je n’hésiterais pas à signer l’autorisation d’une exécution de la peine de mort si jamais on me le demandait”, affirmait-il en substance. Ça craint pour les 116 condamnés actuellement dans les couloirs de la mort !
Le gouvernement fait la “grimate”
Mars 2012, Aziz Rabbah prend tout le monde de court, y compris ses collègues du gouvernement. Le jeune ministre de l'Equipement et du Transport avait alors mis sur Internet la liste intégrale des détenteurs d'agréments relatifs au transport de voyageurs. Jadis tenue secrète, la liste des grimate a révélé bien des surprises. Les Marocains ont ainsi découvert, parfois avec stupeur, que des stars de foot ou de la chanson avait bénéficié des largesses du régime en obtenant parfois jusqu'à trois agréments par personne. Des personnalités aussi diverses que Baddou Zaki, Abdelbari Zemzmi, ou encore des ex-tortionnaires des “années de plomb”, ont vu leur noms faire le tour des réseaux sociaux. C'est que le PJD avait fait de la publication des listes de grimate son cheval de bataille. Pourtant, il aura suffi de quelques sorties médiatiques pour que l'équipe pjdiste fasse machine arrière. Face au large tollé suscité par l'initiative de Rabbah, un certain nombre de personnalités sont montées au créneau pour dénoncer ce qu'elles avaient alors qualifié de décision “unilatérale”, y compris par Nabil Benabdallah, pourtant membre du gouvernement Benkirane. Mais après de longs mois d'attente, le même Aziz Rabbah revient sur le devant de la scène et publie la liste des bénéficiaires de licences d'exploitations de carrières de sable. Une liste bien moins révélatrice que la première, puisqu'elle comporte des noms de sociétés en lieu et place des noms des propriétaires. Toutefois, ces publications ne forment que la partie visible de l'iceberg. Ni Aziz Akhannouch, ni Mohand Laenser n'ont osé publier la liste des agréments en leur possession, que ce soit ceux liés à la pêche en haute mer ou à l'exploitation des petits et grands taxis. De vraies bombes !
2012 restera dans les annales comme étant la première “année islamiste” de l’histoire du Maroc. De quoi a-t-elle été faite, quels ont été ses moments forts et ses événements marquants ? TelQuel fait la récap’.
En acceptant d’associer les islamistes à l’exercice du pouvoir après leur victoire aux législatives tenues fin 2011, Mohammed VI a respecté, bien entendu, la règle démocratique. Il a aussi pris un risque. Le PJD, en effet, n’a jamais fait partie d’aucun gouvernement au préalable et, à ce niveau, il est vierge de toute expérience. D’où le parti pris adopté par Mohammed VI et qui a consisté, dans les grandes lignes, à leur concéder certaines prérogatives, à vrai dire très minimes, et à renforcer ses bases arrière via l’élargissement du cabinet royal à des personnalités hier encore au gouvernement (les El Himma, Fassi Fihri, Zenagui, etc.). Le roi a donc choisi de couper la poire en deux. Il a doublé les postes-clés (Justice, diplomatie, finances), assuré la survie de Maroc SA (en allant convaincre, lui-même, les investisseurs étrangers, arabes notamment) et laissé le PJD en prise, essentiellement, avec la rue marocaine. Une année de transition, donc, dans tous les sens du terme. Transition politique d’abord : le rôle, le poids et pour ainsi dire l’expertise des islamistes devraient aller crescendo dans les années à venir. Transition sociale, voire sociétale et culturelle, aussi : les premiers signes de la retraditionalisation de la société marocaine sont là. Ces signes, qui vont aujourd’hui de la progression du voile à la prolifération du discours religieux dans les médias et tout l’espace public.
Nous vous invitons, donc, à revisiter quelques-uns des faits les plus importants (qui ne sont pas, comme on le verra, forcément les plus visibles) de l’année 2012. Ils sont nombreux et, parfois, surprenants. Bonne lecture.
TelQuel
Circulez, il n'y a rien à voir !
La répression contre les manifestants – qu’ils s’insurgent pour des raisons sociales ou politiques – n’a pas cessé depuis l’arrivée au gouvernement des islamistes. Dernière manifestation en date à être violemment dispersée : celle du 18 novembre 2012. La police charge les militants rassemblés devant le parlement à Rabat pour dénoncer le budget alloué à la monarchie dans le projet de Loi de Finances 2013. L’année 2012 s’était ouverte sur la répression d’un rassemblement de chômeurs à Taza. En février, c’est à Beni Mellal qu’on décompte des dizaines de blessés. En mars, la police campe de manière ostentatoire dans plusieurs localités du Rif, comme Beni Bouâyach, après y avoir durement réprimé des manifestations. Le même mois, la frondeuse Sidi Ifni connaît d’importantes manifestations, auxquelles les forces de l’ordre répondent par des tirs de grenades lacrymogènes. En juin, des manifestants sont tabassés à Khouribga et Mohammedia. En octobre, une simple expulsion tourne à l’affrontement dans le quartier de Bani Makada à Tanger : des membres d’associations accusent une utilisation excessive de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Pour le Mouvement du 20 février, 2012 a été l’année des condamnations. En septembre, cinq jeunes écopent de peines de prison. Leur avocat dénonce l’utilisation d’aveux arrachés sous la torture. On évoque des viols à l’aide de manches à balai mais les enquêtes ne suivent pas. Des membres du 20 février sévèrement jugés, à l’instar de Abdelhalim Bekkali, condamné à quatre ans et 100 000 dirhams d’amende. Le gouvernement mime les trois petits singes : rien vu, rien entendu, rien à dire. Ou peut-être si : des déclarations dénuées de tout sens, comme Mustafa Ramid qui jure qu’on ne trouve plus un seul “politique” dans les prisons, alors que des associations de droits de l’homme estiment à 70 le nombre de manifestants et de militants en prison. Ou encore Abdelilah Benkirane qui, le 30 novembre, alors qu’il répond aux questions de parlementaires, lance cette saillie : “Si nous utilisons la force contre quelques manifestants dans la rue, c’est pour éviter de les traîner devant les tribunaux” (sic).
Droit à la vie… que sur papier
Les abolitionnistes, et notamment la vingtaine d’ONG constituant la Coalition marocaine contre la peine de mort, se sont réjouis quand l’article 20 de la nouvelle Constitution a consacré le droit à la vie. Pour eux, le royaume allait enfin franchir le pas et abolir la peine capitale. Mais ils ont vite déchanté. Les tribunaux du pays continuent de prononcer des condamnations à mort : on n’en recense pas moins de sept, au cours de cette année, dont deux prononcées par la Cour d’appel de Meknès, le 10 octobre… journée mondiale contre la peine de mort. Pire encore, les islamistes du PJD au pouvoir semblent opérer un virage à 180 degrés dans la voie de l’abolition sur laquelle le Maroc semblait être engagé. Aux premières semaines de leur mandat, ils adoptaient une certaine neutralité sur ce sujet de fond. “L’abolition de la peine de mort devait faire l’objet d’un consensus, voire d’un référendum”, affirmaient-ils. Leurs faits et gestes des dernières semaines sont encore plus inquiétants. L’abstention du Maroc, le 19 novembre dernier, à voter un moratoire sur la peine de mort de l’ONU a été reçu comme une gifle par les milieux des droits de l’homme. “Cela ne nous honore en rien, s’insurge ce dirigeant de l’AMDH. La seule explication est que le royaume cherche à faire plaisir à des pays comme la Chine, les Etats-Unis ou encore les monarchies du Golfe”. L’attitude du Maroc est d’autant plus incompréhensible qu’il n’avait rien à perdre : il s’agissait simplement de s’engager à suspendre l’application de cette peine, ce que fait déjà le royaume puisqu’aucune exécution n’a plus eu lieu depuis 1993. Mustafa Ramid, le ministre de la Justice, a néanmoins durci le discours dans sa réponse à une question au parlement : “Je n’hésiterais pas à signer l’autorisation d’une exécution de la peine de mort si jamais on me le demandait”, affirmait-il en substance. Ça craint pour les 116 condamnés actuellement dans les couloirs de la mort !
Le gouvernement fait la “grimate”
Mars 2012, Aziz Rabbah prend tout le monde de court, y compris ses collègues du gouvernement. Le jeune ministre de l'Equipement et du Transport avait alors mis sur Internet la liste intégrale des détenteurs d'agréments relatifs au transport de voyageurs. Jadis tenue secrète, la liste des grimate a révélé bien des surprises. Les Marocains ont ainsi découvert, parfois avec stupeur, que des stars de foot ou de la chanson avait bénéficié des largesses du régime en obtenant parfois jusqu'à trois agréments par personne. Des personnalités aussi diverses que Baddou Zaki, Abdelbari Zemzmi, ou encore des ex-tortionnaires des “années de plomb”, ont vu leur noms faire le tour des réseaux sociaux. C'est que le PJD avait fait de la publication des listes de grimate son cheval de bataille. Pourtant, il aura suffi de quelques sorties médiatiques pour que l'équipe pjdiste fasse machine arrière. Face au large tollé suscité par l'initiative de Rabbah, un certain nombre de personnalités sont montées au créneau pour dénoncer ce qu'elles avaient alors qualifié de décision “unilatérale”, y compris par Nabil Benabdallah, pourtant membre du gouvernement Benkirane. Mais après de longs mois d'attente, le même Aziz Rabbah revient sur le devant de la scène et publie la liste des bénéficiaires de licences d'exploitations de carrières de sable. Une liste bien moins révélatrice que la première, puisqu'elle comporte des noms de sociétés en lieu et place des noms des propriétaires. Toutefois, ces publications ne forment que la partie visible de l'iceberg. Ni Aziz Akhannouch, ni Mohand Laenser n'ont osé publier la liste des agréments en leur possession, que ce soit ceux liés à la pêche en haute mer ou à l'exploitation des petits et grands taxis. De vraies bombes !
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