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La réconciliation franco-allemande, un exemple pour l’Algérie ?

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  • La réconciliation franco-allemande, un exemple pour l’Algérie ?

    Un éditorial du journal Le Monde explique doctement que, la France ayant fait sa part du travail en reconnaissant « les souffrances engendrées par un système colonial injuste », l’Algérie doit à présent faire son devoir en reconnaissant les souffrances infligées aux harkis et les violences à l’encontre de la France ! On a beau se dire qu’on a décidément tout entendu, on tombe des nues… Osons un parallèle. La France a connu l’occupation en 1940. Une minorité de Français a pris le maquis pour la combattre. Pour cette minorité, la violence était légitime et elle l’a exercée sans états d’âme. Cette violence a reçu l’onction de nombreux intellectuels, artistes et écrivains. Parmi ces derniers, Maurice Druon et Joseph Kessel, académiciens distingués, ont fourni aux résistants une sorte de bréviaire du bon maquisard, sous la forme d’un poème célèbre intitulé «Le chant des partisans»:
    Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines
    Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu'on enchaîne
    Ohé, partisans, ouvriers et paysans c'est l'alarme
    Ce soir l'ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes...

    Montez de la mine, descendez des collines, camarades,
    Sortez de la paille les fusils, la mitraille, les grenades,
    Ohé, les tueurs, à vos armes et vos couteaux, tirez vite,
    Ohé, saboteurs, attention à ton fardeau, dynamite..

    C'est nous qui brisons les barreaux des prisons pour nos frères
    La haine à nos trousses et la faim qui nous pousse, la misère
    II y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves
    Ici, nous, vois-tu, nous on marche, nous on tue ou on crève.

    Ici, chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe
    Ami, si tu tombes, un ami sort de l'ombre à ta place,
    Demain du sang noir séchera au grand soleil sur nos routes
    Chantez, compagnons, dans la nuit la liberté nous écoute...
    Saboteurs, dynamite, couteaux, grenades, tels étaient les arguments des partisans. Ce poème a fait partie durant des décennies de ceux que les enfants devaient apprendre par cœur à l’école avec la Marseillaise. Alors même que l’Allemagne s’est largement repentie de son passé nazi, est-il venu à l’esprit d’un quelconque responsable français de présenter des excuses à ce pays pour la violence qu’il a subie ? Si une petite minorité de Français a choisi de résister, une proportion appréciable est entrée en collaboration avec l’ennemi, la majorité de la population ayant choisi une prudente neutralité, l’autre nom de la lâcheté. Mais que sont devenus ces collabos à la Libération ? Eh bien, des dizaines de milliers d’entre eux ont été massacrés sans avoir bénéficié d’un procès. En novembre 1944, le ministre de l’intérieur Adrien Tixier avance le chiffre de 100 000 victimes de l’épuration. Raymond Aron retient le chiffre de 40.000 (Bourdrel Philippe, L’épuration sauvage, 1944-1945, Deux tomes, Perrin, Paris, 1988, et 1991.

    On lira aussi avec profit l’ouvrage de Coston Henry, Le livre noir de l’épuration, Lectures françaises, août-septembre 1964.). Est-il venu à l’esprit d’un responsable français de reconnaître et de s’excuser pour le mal fait aux collabos ? Non seulement, la réponse est négative, mais encore, ils continuent d’être pourchassés aujourd’hui. De temps à autre, on apprend la disgrâce, voire l’incarcération d’un haut responsable convaincu de faits de collaboration.

    Et l’Algérie là-dedans ?
    Les harkis, au nombre de 160 000 combattants, toutes catégories confondues, ont combattu aux côtés de l'armée française pour le maintien de l'Algérie au sein de la France. A ce titre, dès l'indépendance proclamée, ils furent considérés en Algérie comme des traîtres ou des collaborateurs. Après le cessez-le-feu, ceux qui restèrent sur place, parce que refoulés par la Nation pour laquelle ils avaient servi, furent victimes de représailles de la part de la population. Beaucoup d’entre eux, après avoir été désarmés par les militaires français, furent exécutés. Les historiens estiment le nombre de victimes entre 60 et 70 000. Selon les ordres, l'armée française au courant des massacres n'intervint pas. Un petit nombre seulement (90 000 personnes, familles comprises) fut autorisé à venir en France, De Gaulle leur refusant le qualificatif de véritables "rapatriés" et craignant une « menace pour l'identité française ». Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, alla jusqu'à publier, le 12 mai 1962, une directive secrète menaçant de sanctions disciplinaires les militaires français organisant le repli en métropole des harkis en dehors du plan général de rapatriement.

    Beaucoup de commentateurs, y compris des Algériens, prennent exemple sur le précédent de la réconciliation franco-allemande pour appeler de leurs vœux une opération similaire entre la France et l’Algérie. Voilà qui ne manque pas de saveur ! Récapitulons un instant : Alors que la violence contre l’occupant allemand était considérée comme légitime au temps de l’occupation, celle exercée par les résistants algériens contre l’occupant français est considérée comme illégitime. La France demande même la reconnaissance de cette « violence » par la partie algérienne comme élément d’un éventuel deal. De même, le massacre des collabos français à la Libération est considéré comme allant de soi en France alors que celui subi par les harkis en Algérie est couvert d’opprobre.
    Paradoxe ? Nullement. Cela renvoie à cette sempiternelle grille de lecture essentialiste. L’idée que la colonisation était justifiée par la « supériorité intrinsèque » de l’Europe est toujours aussi vivace. Se rebeller contre le principe même de la colonisation est donc ressenti comme une violence choquante, voire condamnable ! On peut concéder, comme l’a fait Hollande, que des souffrances ont été infligées à la population. Cela ne remet pas en cause le paradigme de la supériorité de l’homme blanc, celle-là même qui fait qu’il se perçoit comme le propriétaire légitime des richesses naturelles, y compris quand elles ne se trouvent pas sur son propre sol ! De même, concernant les harkis, il estime que le ralliement à sa bannière de sujets colonisés est dans l’ordre des choses, tout comme l’obéissance de l’esclave. A ses yeux, les harkis sont légitimes parce que, par leur choix (le mot « choix » n’est peut-être pas très heureux, s’agissant de pauvres bougres que la misère et la peur ont poussés à s’engager), ils s’inscrivent dans la logique de subordination naturelle de l’ « autre » à l’Occident. Il lui paraît non moins naturel que, la défaite consommée, il les abandonne en rase campagne. Jamais, au grand jamais, il n’a eu la conviction ou la volonté de les hisser au rang d’égaux.

    Le sort fait aux harkis par la France est l’illustration éclatante de la pertinence de l’essentialisme comme grille de lecture de la présence française en Algérie et en Afrique. Alors, une réconciliation algéro-française calquée sur la réconciliation franco-allemande ? Ceux qui le suggèrent pèchent par un excès de simplisme, pour ne pas dire plus. Entre l’Algérie et la France, il ne s’agissait pas d’un contentieux militaire ou économique que la guerre dénoue et que la proximité civilisationnelle finit par recouvrir. Entre l’Algérie et la France, il s’agit d’un viol, de la destruction du tissu social, d’une entreprise méthodique d’acculturation et de massacre à grande échelle d’un peuple, dans l’unique but de s’assurer de la possession de sa terre et de ses biens. Cette entreprise a été menée sous les auspices d’une classe d’intellectuels qui, dans leur immense majorité, lui ont donné l’onction morale qu’ils fondèrent sur l’infériorité intrinsèque des peuplades qui en ont été les victimes. C’est cela qu’il faut reconnaître et non les souffrances qui en ont été la conséquence. Que la France le fasse ou pas deviendra de toutes façons de plus en plus accessoire. Le mouvement d’émancipation des peuples du Sud est irrésistible. Le tête-à-tête mortifère entre les anciennes puissances coloniales et leurs ex sujets ne sera sans doute plus de mise quand les promesses du printemps du monde seront réalisées et que ces pays, jeunes, potentiellement riches, accèderont à une citoyenneté pleine et entière.

    Brahim Senouci
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence
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