Entretien avec Yacine Zaïd, blogueur et militant des droits de l’Homme
"En prison, à Ouargla, j’entendais parler de sécession du Sud"
"En prison, à Ouargla, j’entendais parler de sécession du Sud"
Comment expliquez‑vous la multiplication des mouvements de protestation des chômeurs, ces derniers mois, dans le sud du pays, et particulièrement à Ouargla ?
Dans le sud du pays, le système pratique une sorte de politique de marginalisation des habitants, quand il s’agit de recruter dans les compagnies et dans les structures pétrolières de la région. C’est la seule explication que je peux donner. Il y a pourtant une loi qui stipule que les habitants de la région sont prioritaires, quand il s’agit de recruter. La compagnie envoie un bulletin au bureau de main‑d’œuvre. Si ce dernier n’est pas en mesure de lui envoyer des personnes qualifiées, elle peut procéder autrement. Et puis le Sud, ce n’est pas Alger, Sidi Bel Abbès, Constantine ou Oran. Les jeunes de Ouargla, Touggourt ou Illizi qui n’ont pas eu la chance d’être recrutés par ces entreprises [pétrolières] n’ont pas d’autre alternative que de s’adonner à la contrebande ou au trafic d’armes.
Pourquoi les autorités voudraient‑elles exclure les enfants de la région des compagnies pétrolières ?
Elles ne voudraient pas qu’ils constituent une force. Imaginez un seul instant que les habitants de Ouargla soient majoritaires dans les compagnies pétrolières et qu’ils se mobilisent et manifestent pour exiger du gouvernement une meilleure prise en charge de leur région…
Pourquoi a‑t‑on arrêté Tahar Belabès ?
Parce que quelqu’un comme lui peut constituer un danger. Il est connu à Ouargla, à Touggourt et à Illizi. Les chômeurs lui font confiance. Avant la création du Comité national pour la défense des droits des chômeurs (CNDDC), il y avait le Comité national des chômeurs du Sud. Ils étaient marginalisés. On ne parlait pas souvent d’eux. Et quand certains journaux le faisaient, c’était pour dire que les jeunes de Ouargla mettent le feu [à des pneus] et font ceci et cela. Ces jeunes se sont organisés. Ils ont commencé à communiquer avec les médias. Tahar faisait entendre la voix des déshérités. Le chômage touche de nombreux jeunes partout en Algérie.
Pourquoi en entend‑on parler au Sud plus qu’ailleurs, selon vous ?
Au sud, les gens souffrent. Ils voient les pipelines devant chez eux et les bus venant de Sidi Bel Abbès, d’Oran ou d’Alger transporter des gens employés comme agents de sécurité, agents polyvalents, ou manœuvres. Alors qu’eux, demeurent sans emploi. Ils n’ont rien que la canicule. En été, là‑bas, il fait parfois 56 degrés. Il n’y a pas de maison de jeunes digne de ce nom, d’espaces verts, des jardins ou de centre‑ville comme ailleurs. Ils disent souvent que la vache [puits de pétrole], est chez nous, mais que ses mamelles sont au nord. Ils n’ont d’autre choix que de faire dans la contrebande, le trafic d’armes ou de rejoindre Al Qaïda. Ces jeunes pourront, d’ailleurs, être facilement manipulés par les groupes armés.
En prison, à Ouargla, j’entendais parler de sécession du Sud. Avant, je pensais qu’une minorité de personnes seulement tenait ce discours, car dans ma famille et dans mon entourage, nous sommes hostiles à cette idée. Mais en prison, j’ai appris qu’une partie des Algériens éprouvent de la haine non seulement envers le pouvoir algérien mais aussi envers les autres Algériens, parce qu’ils en ont marre. Les détenus me disaient : « quand on sortira d’ici, on va rejoindre les groupes armés et on saura comment faire pour se défendre ». Je ne sais pas s’ils [les autorités] mesurent la gravité des choses.
On évoque souvent le problème de la sous‑qualification des jeunes du Sud…
C’est tout à fait le contraire ! Les jeunes que nous avons rencontrés nous montraient leurs diplômes et disaient ne pas réussir à trouver du travail. Parfois, il leur est demandé dix ans d’expérience. Un jeune qui voulait travailler comme jardinier dans une compagnie s’est vu exiger la maîtrise du français !
Y a‑t‑il eu des changements après les visites de hauts responsables dans la région, notamment à Ouargla, dernièrement ?
Il y a de plus en plus de manifestations. Les responsables qui sont venus n’ont pas le sens de la responsabilité, ils font des discours et rencontrent une société civile fabriquée par le pouvoir. Parfois, ils ramènent des gens des zaouïas qui récitent la Fatiha et disent "Dieu merci, tout va bien ici, et vive Bouteflika".
TSA
Propos recueillis par Hadjer Guenanfa
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