Depuis la victoire de Mitterrand en 1981, le PS n'aura cessé de s'éloigner du peuple. Bertrand Rothé retrace l'histoire de ce divorce dans un livre implacable à paraître ce jeudi 10 janvier : «De l'abandon au mépris». Extraits.
De l'abandon au mépris, c'est un bon titre pour raconter comment le PS a tout fait pour que la classe ouvrière n'aille pas au paradis. Sur ce sujet douloureux, notre collaborateur Bertrand Rothé a écrit un livre simple, direct, efficace, construit comme un documentaire de Dziga Vertov (1896-1954), mêlant coupures de presse et études approfondies, pour nous remettre en mémoire l'histoire du «réalisme de gauche», cette maladie infantile des modernisateurs qui rognent sur l'idéal pour ne plus avoir à se soucier de la justice sociale et pour renvoyer le peuple dans les cordes.
Il a écrit un livre sur la traîtrise de cette «gauche divine» qui, en deux générations à peine, est passée, comme disait avec humour Jean Baudrillard, de «la lutte enchantée à la flûte finale». Car il aura fallu jouer bien des airs pour en arriver à trahir à ce point la classe ouvrière et à se mettre à dos les classes populaires – qui, contrairement à une idée reçue, ne sont pas majoritaires au sein de l'électorat FN –, pour être sûr de ne pas désespérer Bruxelles et les actionnaires des firmes mondialisées.
Bertrand Rothé pratique avec tact cet art de la superposition. Il fait converger les éléments factuels, les fermetures d'usines depuis le 10 mai 1981, par exemple, avec les choix stratégiques des hiérarques socialistes, sans oublier la cohorte d'intellectuels, d'économistes, de communicants – Alain Touraine, Michel Wieviorka, Daniel Cohen, pour ne citer qu'eux –, qui ont laissé croire que la désindustrialisation de la France était inéluctable, avant que le ministre du Redressement productif n'affirme le contraire. Aussi est-ce avec un certain vague à l'âme que l'on referme son livre en gardant à l'esprit les noms de la Chiers dans les Ardennes, Vilvorde, Lejaby, Cellatex, et maintenant Florange et PSA, comme autant de symboles d'un monde ouvrier déchu, trahi par les siens, cette gauche sans le peuple, incapable de gouverner avec lui, mais qui se fait simplement élire encore grâce à lui en 2012. Jusqu'à quand ?
Philippe Petit
EXTRAITS
Vilvorde, le point de rupture
L'histoire commence alors que le Parti socialiste est encore dans l'opposition. En février 1997, Renault annonce la fermeture de son usine de Vilvorde, en Belgique. L'événement est très médiatisé. «Trois mille travailleurs... jetés à la rue», «Renault Vilvorde l'intolérable», titre le Soir de Bruxelles. Dès le lendemain, la presse française emboîte le pas. Le Monde lui consacre 43 articles entre mars et juin, Libération, un peu plus. Il faut dire que Louis Schweitzer, l'ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius devenu le patron de la Régie, ne fait pas dans la dentelle (l'homme dont l'actuel gouvernement aurait souhaité qu'il représente l'Etat chez PSA...). Quelques jours après l'annonce de la fermeture de l'usine belge, il remet le couvert : 3 000 suppressions de postes en France.
La réaction du premier secrétaire du PS est instantanée. Lionel Jospin, en charge de l'opposition, demande que l'entreprise et le gouvernement reconsidèrent leurs positions. Cette décision est «financièrement, industriellement et socialement aberrante, alors que le groupe Renault a récemment investi 1,4 milliard de francs [210 millions d'euros] dans la modernisation» de l'usine belge. Se rend-il compte que ses déclarations vont l'engager, pour ne pas dire l'obliger ? Le PS a besoin de renforcer son ancrage à gauche pour les prochaines batailles électorales. Lionel Jospin décide donc de mouiller sa chemise. Le 16 mars, il participe à la manifestation européenne pour l'emploi à Bruxelles. «On a été trop loin dans le sens du libéralisme. On prend en compte les contraintes économiques et on oublie les contraintes sociales... Il faut faire une place au social dans la bataille économique que l'Europe doit conduire», déclare-t-il à la télé.
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De l'abandon au mépris, c'est un bon titre pour raconter comment le PS a tout fait pour que la classe ouvrière n'aille pas au paradis. Sur ce sujet douloureux, notre collaborateur Bertrand Rothé a écrit un livre simple, direct, efficace, construit comme un documentaire de Dziga Vertov (1896-1954), mêlant coupures de presse et études approfondies, pour nous remettre en mémoire l'histoire du «réalisme de gauche», cette maladie infantile des modernisateurs qui rognent sur l'idéal pour ne plus avoir à se soucier de la justice sociale et pour renvoyer le peuple dans les cordes.
Il a écrit un livre sur la traîtrise de cette «gauche divine» qui, en deux générations à peine, est passée, comme disait avec humour Jean Baudrillard, de «la lutte enchantée à la flûte finale». Car il aura fallu jouer bien des airs pour en arriver à trahir à ce point la classe ouvrière et à se mettre à dos les classes populaires – qui, contrairement à une idée reçue, ne sont pas majoritaires au sein de l'électorat FN –, pour être sûr de ne pas désespérer Bruxelles et les actionnaires des firmes mondialisées.
Bertrand Rothé pratique avec tact cet art de la superposition. Il fait converger les éléments factuels, les fermetures d'usines depuis le 10 mai 1981, par exemple, avec les choix stratégiques des hiérarques socialistes, sans oublier la cohorte d'intellectuels, d'économistes, de communicants – Alain Touraine, Michel Wieviorka, Daniel Cohen, pour ne citer qu'eux –, qui ont laissé croire que la désindustrialisation de la France était inéluctable, avant que le ministre du Redressement productif n'affirme le contraire. Aussi est-ce avec un certain vague à l'âme que l'on referme son livre en gardant à l'esprit les noms de la Chiers dans les Ardennes, Vilvorde, Lejaby, Cellatex, et maintenant Florange et PSA, comme autant de symboles d'un monde ouvrier déchu, trahi par les siens, cette gauche sans le peuple, incapable de gouverner avec lui, mais qui se fait simplement élire encore grâce à lui en 2012. Jusqu'à quand ?
Philippe Petit
EXTRAITS
Vilvorde, le point de rupture
L'histoire commence alors que le Parti socialiste est encore dans l'opposition. En février 1997, Renault annonce la fermeture de son usine de Vilvorde, en Belgique. L'événement est très médiatisé. «Trois mille travailleurs... jetés à la rue», «Renault Vilvorde l'intolérable», titre le Soir de Bruxelles. Dès le lendemain, la presse française emboîte le pas. Le Monde lui consacre 43 articles entre mars et juin, Libération, un peu plus. Il faut dire que Louis Schweitzer, l'ancien directeur de cabinet de Laurent Fabius devenu le patron de la Régie, ne fait pas dans la dentelle (l'homme dont l'actuel gouvernement aurait souhaité qu'il représente l'Etat chez PSA...). Quelques jours après l'annonce de la fermeture de l'usine belge, il remet le couvert : 3 000 suppressions de postes en France.
La réaction du premier secrétaire du PS est instantanée. Lionel Jospin, en charge de l'opposition, demande que l'entreprise et le gouvernement reconsidèrent leurs positions. Cette décision est «financièrement, industriellement et socialement aberrante, alors que le groupe Renault a récemment investi 1,4 milliard de francs [210 millions d'euros] dans la modernisation» de l'usine belge. Se rend-il compte que ses déclarations vont l'engager, pour ne pas dire l'obliger ? Le PS a besoin de renforcer son ancrage à gauche pour les prochaines batailles électorales. Lionel Jospin décide donc de mouiller sa chemise. Le 16 mars, il participe à la manifestation européenne pour l'emploi à Bruxelles. «On a été trop loin dans le sens du libéralisme. On prend en compte les contraintes économiques et on oublie les contraintes sociales... Il faut faire une place au social dans la bataille économique que l'Europe doit conduire», déclare-t-il à la télé.
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