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Relation Des Préparatifs Faits Pour Surprendre Alger (1602)

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  • Relation Des Préparatifs Faits Pour Surprendre Alger (1602)

    RELATION DES PRÉPARATIFS
    FAITS
    POUR SURPRENDRE ALGER

    PAR
    JERONIMO CONESTAGGIO
    (Imprimée à Gênes, chez Gioseppe PAVONI - Réimprimée à Venise
    chez Gio. Batt. CIOTTI, â l’enseigne de l’Aurore, 1602)
    TRADUITE DE L’ITALIEN
    ET ANNOTÉE
    PAR
    H.-D. DE GRAMMONT
    ALGER
    ADOLPHE JOURDAN, LIBRAIRE-ÉDITEUR
    PLACE DU GOUVERNEMENT,
    1882

  • #2
    Rien compris !! de quoi traite le livre ??

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    • #3
      ÉTUDES ALGÉRIENNES
      AVANT-PROPOS
      La plupart des écrivains qui se sont occupés de l’histoire de l’Algérie, en parlant des tentatives que l’Espagne fi t à plusieurs reprises pour s’emparer d’Alger, n’en signalent que six : celle de Diego de Vera en 1516, celle de Hugo de Moncade en 1518, la célèbre expédition entreprise par Charles-Quint en 1541, la défaite d’O’ Reilly en 1775, et les deux bombardements
      de Don Angelo Barcelo en 1783 et 1784.
      La lettre que nous traduisons aujourd’hui vient combler une lacune regrettable; elle nous apprend qu’en 1601, Philippe III dirigea contre Alger une fl otte de soixante-dix galères et une armée de plus de dix mille
      hommes, sous le commandement du prince Andrettino Doria. On verra par la lecture de la lettre de Conestaggio combien il eût été facile de réussir, et à quels événements divers on doit attribuer l’insuccès de cette grande entreprise.
      Ce document, qui n’avait jamais été traduit en français, et qui semble être resté inconnu jusqu’ici(1), se

      _____________
      (1) De Thou est le seul historien qui ait eu connaissance
      de cette lettre : en tous cas, il est le seul qui raconte l’expédition
      de 1601. (Histoire Universelle, t. XIII, p. 627 et suiv.)


      — 4 —
      classera dorénavant parmi les plus curieux et les plus intéressants;
      non seulement il révèle des faits entièrement ignorés de la plupart de ceux qui s’occupent de l’histoire d’Alger, mais il permet en outre de se rendre compte des véritables motifs de la petite attaque faite sur Mers-el-
      Fhâm, deux ans après, par le vice-roi de Minorque.
      Le rassemblement d’une aussi formidable armada avait éveillé l’attention des contemporains ; la France, toujours en lutte avec l’Espagne, conçut la crainte que cet armement ne fût dirigé contre elle; elle en surveilla activement
      l’emploi, et nous lisons dans les lettres qu’adressait à cette époque à Henri IV le célèbre Guillaume du Vair(1), premier président du parlement de Provence : «J’avois eu advis d’Espaigne que l’armée navale rebroussoit chemin et alloit en Arger; avant-hier, il arriva bien une barque d’Arger,
      qui porte qu’elle a prins terre près d’Arger. Si nous en avons quelque autre nouvelle digne d’être escrite à Votre Majesté, je la lui feray promptement savoir.» (Lettre du 8 septembre 1601.)
      Le premier instigateur de ce projet, le hardi capitaine Roux(2), fut mal récompensé de son audace et de son esprit
      d’entreprise; après que le prince Doria l’eût écarté avec une finesse toute génoise, il se vit, à son retour en France, victime des soupçons qu’avait excités le rassemblement des troupes espagnoles. Nous lisons à ce sujet dans une lettre de du Vair du 21 mars 1602 : « Sire, je vous diray
      que j’ay continué à faire curieuse recherche des actions du capitaine Jacques Roux, pour voir s’il se pourroit tirer quelques preuves des choses dont on l’a soupçonné, attendant l’instruction qu’il plairoit à Votre Majesté nous en
      donner. Après avoir soigneusement veu et reveu tous les papiers qu’étoient parmi ses hardes et enquis tous ceux qui le connoissoient,
      _______________
      (1) Lettres inédites de Guillaume du Vair, publiées par Philippe
      Tamizey de Larroque. (Paris, 1873, Aubry,)
      (2) De Thou l’appelle Le Roux. (Loc. cit.)

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      • #4
        Tres interessant Pakis !

        Si tu as plus n'hesites pas a le poster !!

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        • #5
          — 5 —
          je l’ay de rechief fort particulièrement interrogé sur tout ce que j’ay estimé jusques icy estre à propos. J’en envoye un interrogatoire à Votre Majesté pour y faire la considération que sa prudence lui conseillera.»
          Il paraîtrait que le Roi trouva quelque chose de suspect dans les agissements du Capitaine, car il se trouvait encore en prison plus de deux ans après, ainsi que nous l’apprend une nouvelle lettre de du Vair qui réclame «pour le geôlier, qui en a faict les avances sur sa parole, le payement de la dépense du capitaine Roux icy prisonnier, faict
          deux ans et demy.»
          Peut-être l’infortuné mourut-il en prison; car depuis ce moment, nous n’en avons plus de nouvelles. La lettre de Conestaggio se divise en deux parties :
          La première est consacrée à une histoire succincte de la ville d’Alger; on y remarque quelques erreurs, qui peuvent paraître d’autant plus étonnantes qu’il n’y avait pas encore un siècle qu’avait eu lieu la fondation de la Régence, et que les Génois étaient en relations constantes avec les côtes Barbaresques ;
          La seconde partie fait l’historique de l’expédition ; elle semble être conçue dans un esprit favorable au prince Doria et destinée à le justifi er d’une partie des accusations portées contre lui. Tel qu’il est, nous espérons que ce document éveillera l’attention de tous ceux qui s’intéressent à notre histoire.


          H.-D. DE GRAMMONT.

          Commentaire


          • #6
            — 7 —
            RELATION DES PRÉPARATIFS
            FAITS
            POUR SURPRENDRE ALGER

            par Jeronimo CONESTAGGIO(1).
            A NICOLO PETROCCINO, PROVEDITOR
            DI CASA D’INDIA.


            Bien que Votre Seigneurie, dans sa lettre datée du premier octobre, se défende de me donner aucun ordre, en alléguant que j’ai d’autres occupations, Elle m’apprend toutefois qu’Elle désire savoir exactement ce qui s’est passé dans l’entreprise qui a été dirigée contre Alger; la
            raison en est qu’Elle a entendu émettre sur cette armada beaucoup d’opinions différentes; je m’empresse d’obéir. Je dirai d’abord que ceux des citadins de cette

            _______________
            (1) Ieronymo Franchi de Conestaggio, historien génois de la fi n
            du XVIe siècle et du commencement du XVIIe.

            — 8 —

            République qui n’ont ni occupation mercantile ni grande ambition, sont entièrement oisifs, comme je le suis moi-même, en sorte que je vous prie, en toute autre occasion, de ne pas craindre de me donner Vos ordres.
            Encore que Votre Seigneurie connaisse, soit par sa propre expérience, soit par les livres ou les récits, les conditions dans lesquelles se trouve Alger, sa situation géographique, et combien elle moleste la Chrétienté; comment cette ville est tombée des mains des Mores à celles des
            Turcs, et comment, favorisée par les tempêtes, elle a été victorieuse des entreprises dirigées contre elle, je veux cependant Lui raconter succinctement ces choses, afin d’éclairer mon sujet; si je dépasse les bornes fixées par votre lettre, mon récit rappellera la fable de l’Épître à la
            Lune, qui, pour être d’un grand format, ne fut pas trouvée disproportionnée à la grandeur du sujet.

            Alger, qui fut jadis Julia Cesarea(1), ou, selon les Mores, Gezeïr, est une ville et une province du royaume de Tremissenne, dans la Mauritanie Césarienne, région de la partie de l’Afrique que nous appelons Barbarie dans la nomenclature moderne. Elle est située sur le rivage de la mer Méditerranée, entre Oran et Bougie, celle-ci au Levant, l’autre au Ponant; elle présente son front de mer au Nord; ses côtés, se dirigeant au Midi, gravissent la montagne et s’étendent avec le territoire voisin vers le Grand Atlas. Elle est distante du détroit de Gibraltar de plus de quatre cents milles; sa latitude est d’environ trente-trois degrés. Elle est entièrement entourée de fossés, de murs et de boulevards, qui ne sont pas aussi forts que nous les faisons maintenant, mais qui sont moins faibles cependant qu’on ne les faisait autrefois. Hors de la ville et à peu de distance, le côté du Levant est pourvu de quelques forts, mais
            tous de peu d’importance ; seule, la partie la plus élevée de la ville possède une forteresse qu’ils appellent l’Alcasova, plus forte et plus à craindre que les autres. Devant

            _______________
            (1) Alger se nommait jadis Icosium.

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            • #7
              Alger se nommait jadis Icosium.

              Gaa had echi taaraf ouetbet ragued oua7dek ?

              Commentaire


              • #8
                — 9 —

                la ville et dans la mer, à la distance d’un trait d’arquebuse, est une petite île, sur laquelle le roi Ferdinand le Catholique, à l’époque où Alger était aux Mores, fi t faire une forteresse par Diego de Vera(1), capitaine de son armée, pour réfréner les corsaires dont le voisinage causait grand dommage à l’Espagne ; cette construction eut pour effet, non seulement d’arrêter la course, mais encore de forcer Selim Beni(2), qui en était le Seigneur, à payer tribut et à conclure une longue trêve. Mais, lorsque plus tard Horux Barberousse(3) arriva en l’an 1515 à être Seigneur d’Alger, au nom du Sultan Selin(4), les Turcs s’emparèrent de la forteresse, que commandait alors pour le Roi catholique, le capitaine Martin de Vargas. Quelques années après, Salh Arraës, gouverneur d’Alger pour le Turc, unit l’île à la terre ferme avec un môle qu’il fi t faire, et qui est celui qui se voit encore aujourd’hui(5).

                Au temps des Vandales, cette ville fut détruite, puis reconstruite plus tard; elle devint ensuite sujette du Roi de Tremissenne, qui la donna comme apanage à son second fils, et cela dura jusqu’à ce que Albufarez, roi de Tunis, s’étant fait Seigneur de Tremissenne, donna Bougie à l’un
                de ses fils avec le titre de Roi; les Algériens, après la chute de l’ancien Roi, acceptèrent volontiers le nouveau; ils reconnurent la puissance du roi de Bougie, en ne lui payant toutefois qu’un , tribut annuel, presque sans autre sujétion.

                _______________
                (1) Ceci est une erreur: le Penon d’Alger fut bâti par les soins
                de Pierre de Navarre.
                (2) Selim-et-Teumi.
                (3) Aroudj Barberousse.
                (4) Le sultan Selim. — II y a ici une nouvelle erreur : ce ne
                fut pas Aroudj, mais bien son beau-frère Kheir-ed-Din, qui prit le
                Penon aux Espagnols, et ce fut seulement en 1529.
                (5) Encore une erreur. — Ce n’est pas Salah Reïs qui fi t construire
                le mole, mais bien Kheïr-ed-Din, qui se servit à cet effet des
                débris de la forteresse espagnole : Salah Reïs ne fi t que l’agrandir et
                le réparer avec des matériaux tirés des ruines de Rusgunium,

                — 10 —

                Ce pouvoir déclina peu à peu et les Algériens s’en affranchirent; quelques nobles citadins la gouvernèrent alors à l’aide des Arabes, et c’est en cette situation que la trouva Horux Barberousse quand il s’en rendit maître. Les villes de cet État sont peu importantes, parce que beaucoup furent détruites dans les guerres des Arabes; les unes sont presque en ruines et les autres ne présentent plus que des décombres sans nom. Le pays est tempéré et arrosé de nombreuses rivières, qui descendent des montagnes voisines et fertilisent la campagne; une fois qu’on a dépassé les collines qui sont derrière la ville, le territoire est des plus fertiles, et abonde presque en toutes choses. Le peuple est mahométan, de même que les anciens Africains, et que la race arabe qui a envahi le pays il y a six cents ans; ce sont tous des Barbares ; une partie vit dans la ville, une autre à la campagne sous des tentes, dont la réunion forme des villages qu’ils nomment aduar; ils ont beaucoup de cavalerie
                et de gens à pied sobres et durs à la fatigue. — Cette ville est célèbre par les prises que font ses corsaires sur les Chrétiens, et par le naufrage de l’armada espagnole qui tenta de l’occuper, en l’an 1516, alors que le cardinal François Ximenes, archevêque de Tolède, était ministre d’État de l’Espagne. Il venait de réussir à s’emparer d’Oran, et, sur la demande de Bû Hamû, roi de Tremissenne, qui lui promettait grande aide, il envoya attaquer Alger par une flotte et une armée de dix mille hommes, commandée par Diego de Vera. Mais avant qu’ils eussent fi ni de débarquer, n’étant pas secourus par le Roi More, ils furent attaqués par Horux Barberousse, à la tête de ses Turcs, et par les Arabes; ils furent défaits et mis en pièces ; le sort de ceux qui étaient restés sur les navires ne fut pas meilleur; la fureur de la mer et des vents les jeta à terre en proie à l’ennemi, et il y eut plus de navires qui se perdirent qu’il ne s’en sauva. —
                L’année suivante(1), la guerre ayant été heureuse en Afrique,

                _______________
                (1) Deux ans après.


                — 11 —

                et Martin de Argote ayant tué Horux Barberousse et rendu le royaume de Tremissenne à Bû Hamû, qui l’avait perdu, Ugo de Moncade attaqua Ariaden Barberousse, qui avait succédé à son frère Horux. Avec une assez forte armada espagnole, et se confi ant aux promesses qu’il avait d’être aidé du Roi de Tremissenne et du Caid de Tenes, il alla débarquer à Alger du côté du Ponant, presque certain de s’en emparer. L’armée, une fois débarquée, passa quelques jours en de chaudes escarmouches, sans voir aucun More venir à son aide ; et, comme Ariaden recevait chaque jour de nouveaux renforts de Turcs, de Mores et d’Arabes, le rembarquement fut résolu ; mais il n’était pas encore commencé, qu’une tempête impétueuse et subitement venue jeta nombre de vaisseaux à la côte; ils furent la proie des Barbares, ainsi que l’armée. Quelques valeureux soldats espagnols, s’étant retranchés derrière des débris de navires, s’y défendirent vigoureusement, attendant que les vaisseaux restés intacts vinssent les délivrer; mais, trompés par Ariaden qui leur promit la liberté, ils furent, malgré la foi jurée, faits esclaves par l’Infi dèle barbare(1). — Charles-Quint, après avoir chassé Ariaden de Tunis, et restitué cet État à Mulei Hascenan(2), débarqua de sa personne à Alger
                avec une puissante armada, au mois d’octobre de l’année 1541. Le Gouverneur pour les Turcs était alors Hascen- Aga, renégat Sarde ; l’armée débarqua, non sans résistance, à la partie du Levant qui confi ne la ville. Mais, le quatrième jour, la mer commença à grossir de telle sorte que, les navires et les galères ne pouvant plus lutter, beaucoup
                furent jetés à terre et fracassés. L’armée, victime du mauvais temps, des pluies, ayant l’ennemi à ses flancs et peu de


                _______________
                (1) Kheïr-ed-Din suivit l’exemple que lui avaient donne les
                Espagnols, qui avaient fait tuer son frère, auquel on avait promis la
                vie sauve, à la capitulation de la Kalaa des Beni-Rachid.
                (2) Muley Hassan.



                — 12 —

                vivres, souffrit beaucoup; le prince André Doria, ayant rassemblé
                les galères restées intactes, s’en fut à Metafus, lieu vers lequel l’armée s’achemina avec grande incommodité, à cause des fl euves qu’il fallait traverser, et des Arabes, qui, avec une grande masse de cavalerie, la harcelèrent sans cesse. L’Empereur s’embarqua avec son armée, et regagna l’Espagne(1), non sans avoir eu à affronter une nouvelle
                tempête et de nouveaux périls. Tels furent les naufrages qui ont rendu Alger célèbre ; c’en est assez pour faire juger des dangers de l’expédition qui vient d’être entreprise.
                Pour parler du présent, Votre Seigneurie doit savoir que la première chose que demandent à leur Roi les délégués des États d’Espagne, c’est qu’il s’empare d’Alger; disant que, faute par lui de le faire, ils ne pourront lui payer ni contributions ni subsides, attendu qu’à cause du voisinage de l’Afrique, les Turcs sont continuellement avec leurs galiotes à piller les côtes; en quoi ils sont aidés et bien accueillis par les Mores, descendants de ceux de la grande invasion faite au temps du roi Roderic; ils se conduisent ainsi par haine des Espagnols, et aussi parce que la plupart sont originaires d’Alger(2). Et, de fait, les grands dangers que font courir à l’Espagne le voisinage d’Alger et l’audace de ses vaisseaux se manifestèrent clairement en l’an 1570, alors que les Mores de Grenade se soulevèrent, et que leur révolte fut fomentée et soutenue par les armes de l’Afrique. — C’est pour cela que le Roi catholique et tout

                _______________
                (1) Après avoir été forcé de séjourner quelque temps à
                Bougie.
                (2) Il est au moins très contestable que les Mores en question
                aient été originaires d’Alger : mais il est certain qu’à l’époque de la
                révolte de 1570, ils fussent aidés par les Algériens: quarante vaisseaux
                se rendirent à Alméria le mercredi saint, par ordre d’El Euldj
                Ali ; ils y débarquèrent des armes, et ne se retirèrent que lorsque
                tout espoir fut perdu.



                — 13 —

                son peuple regardent sans cesse Alger d’un mauvais oeil ; mais, distraits par des guerres plus importantes, ils ont jusqu’ici négligé cette entreprise; comme s’il y avait quelque chose qui eût plus sa raison d’être que de combattre les Hérétiques et les Infidèles!
                Il y a deux ans, et au moment où l’on ne pensait aucunement à attaquer Alger, un Français, nommé le capitaine Roux, se présenta au prince Doria qui se trouvait alors ici comme, Capitaine Général des armées du Roi. Ce Français était celui qui, dans ces dernières années, commanda les
                galères du Grand Duc dans l’Archipel lors de la prise de file de Chio. Se montrant bien informé des affaires de la Barbarie, il chercha à persuader au Prince(1) que ce serait chose facile que d’enlever Alger aux Turcs. Les raisons sur lesquelles il s’appuyait étaient les suivantes : — Que la garde de la ville était négligée; parce que, se fiant à leurs fortifications, la plupart des Janissaires se gardent mal et ne mettent pas de sentinelles; - qu’au milieu de juin, cette troupe, qui est habituellement composée de sept à huit mille Turcs, commence à sortir d’Alger en divers corps et à aller dans l’intérieur pour y percevoir le tribut, qu’ils appellent garama, et qu’il n’en reste en ce .moment dans la ville qu’environ deux mille. - Secondement, que beaucoup de ces derniers vont en voyage à divers endroits et à diverses époques, mais avec l’obligation d’être revenus au commencement de septembre, auquel temps ils se réunissent autour de la ville en campant sous leurs tentes, et en attendant qu’ils soient tous réunis pour faire leur entrée; d’où il s’en suit qu’on est certain de trouver au mois d’août la ville presque dépourvue de défenseurs. De plus; que, dans ce mois, la majeure partie des principaux citadins sont


                _______________
                (1) Il est évident qu’il ne s’agit point ici du grand André
                Doria, qui était mort en 1560, âgé de 93 ans. Celui-ci portait le
                nom de Jean André, et les Génois l’appelaient Andrettino, nom sous
                lequel il est souvent désigné.

                Commentaire


                • #9
                  — 14 —

                  dans leurs propriétés, occupés à faire les récoltes ; et que les corsaires sont partis en course avec les galiotes. Il en résulte, qu’avec quatre navires chargés d’armes et de soldats, se déguisant en vaisseaux marchands, il serait aisé de s’introduire dans le petit port; facile de s’emparer à l’improviste de la porte qui est près de la Marine, et, par suite, de la ville; surtout en appelant aux armes les esclaves chrétiens, qui y sont toujours en très grand nombre. — Telle était la substance de son raisonnement; au point de vue militaire, il entrait dans d’autres détails de moindre conséquence. Le Prince, qui ne connaissait pas très bien l’homme auquel il avait affaire, conçut des doutes sur l’exactitude de ses affirmations; toutefois, il lui semblait qu’il y avait quelque chose de bon au fond de tout cela ; bref, il était plein d’hésitation et d’incertitude sur ce qu’il devait faire. Néanmoins, jugeant que c’était une aventure où on ne risquait qu’une petite perte contre un gros gain, il envoya le Français en Espagne pour qu’il y expliquât son projet au Roi(1); mais, en outre, il envoya un émissaire à Alger pour en prendre le plan, et recueillir des informations particulières sur tout ce qu’avait dit le Français; il cacha cependant à cet envoyé de qui il tenait ces renseignements et l’usage qu’il en voulait faire. Après avoir été entendu en Espagne, le capitaine Roux fut renvoyé au Prince ; il lui apportait l’ordre de se préparer à l’entreprise contre Alger; on laissait à son choix le temps, la manière de s’y prendre et les détails de l’expédition ; il lui était recommandé d’être
                  tellement discret, que les, premiers Ministres eux-mêmes devaient tout ignorer. Le Prince commença immédiatement ses préparatifs ; et, tout d’abord, comme le Français était très loquace, et qu’il ne le jugeait pas capable de garder un secret, il le renvoya de Gênes quelques jours après, en lui disant que son projet était séduisant, mais que le Roi ne pouvait

                  _______________
                  (1) Philippe III.

                  Commentaire


                  • #10
                    — 15 —

                    pas aventurer ses troupes dans une entreprise aussi incertaine, et il partit, après avoir reçu une récompense. Ensuite, le Prince chercha un soldat espagnol, ayant l’expérience de la guerre, pour l’envoyer à Alger s’occuper de nouveaux soins et prendre de plus sûres informations. A cette fin, il choisit Antonio de Rojas, alferèz de Inigo di Borgia, maure
                    de camp en Lombardie, et le fit passer en Afrique, avec ordre d’aller de là en Espagne, et d’y rendre compte au Roi de tout ce qu’il aurait vu. Cet homme, ayant (ainsi que l’autre) rempli sa mission, fi t à son retour un rapport qui augmenta beaucoup le désir qu’avait le Roi de tenter la
                    prise d’Alger, en lui affi rmant qu’il était vrai qu’au mois d’août la ville était mal gardée. — Puis, le temps s’écoulant toujours, le Prince voulut saisir l’occasion de s’acquitter de sa mission avec le plus de sécurité et le moins de dépenses possible pour Sa Majesté. Une partie des troupes espagnoles reçut l’ordre de s’embarquer à Naples et en Sicile,
                    avec quelques Italiens. Le Roi, au commencement de cette année 1501, avait réuni une grosse armée dans le Milanais, non pour la sûreté de cet État, mais pour venir en aide au duc de Savoie, qui était alors en guerre avec le roi de France, ou pour d’autres causes dont je ne veux pas m’occuper présentement. Mais, un accord était survenu entre la France et la Savoie, et, cette armée inquiétant les Princes italiens, le Roi avait l’intention de la licencier. Le Prince prit de là occasion d’en demander et d’en obtenir quelques régiments, et le reste fut envoyé, partie en Flandre
                    à l’Archiduc Albert, partie en Carinthie à l’Archiduc Ferdinand, cousin du Roi, commandant alors l’armée contre les Turcs, qui lui avaient pris Canissa. — Composer une armée propre à cette entreprise, l’approvisionner, embarquer les soldats et les aventuriers, et faire tout cela en secret, était, pour maintes raisons, chose bien difficile. Les galères du Roi étaient en petit nombre; une partie se trouvait en mauvais
                    état et demandait des réparations ; il fallut prier les Princes





                    — 16 —

                    voisins de prêter les leurs, commander aux Vices-Roi de Naples et de Sicile d’apprêter, non seulement les galères et les troupes à embarquer, mais encore les vivres et les munitions nécessaires. Pour avoir tout cela à temps, le Prince avait reçu des lettres du Roi, qui devaient lui servir
                    à hâter l’appareillage aussitôt que cela lui plairait; comme il savait combien la côte de Barbarie est dangereuse depuis l’automne jusqu’à la fi n de février, il pria tous les Ministres de vouloir bien apporter la plus grande activité à exécuter les ordres du Roi. Il faut ajouter qu’il avait l’intention de faire une longue traversée; car, bien que la route directe
                    eût été d’aller d’ici à Majorque, pour mieux dissimuler, et afin que les Turcs ne pensassent pas à se défendre, il avait résolu d’aller d’ici à Naples et en Sicile; et de là, traversant le golfe, de se rendre à Majorque par cette voie détournée.
                    Mais, malgré tous ces soins, comme le Diable s’oppose volontiers aux projets faits pour la gloire de Dieu, il ne manqua pas de lui arriver mille choses propres à contrarier ses desseins.
                    Le comte de Fuentès, gouverneur de Milan et général en Italie, où il commandait l’armée du Roi, ne se contenta pas des premières instructions qu’il avait reçues pour donner au Prince une partie de ses troupes ; il exigea qu’on lui envoyât d’Espagne un nouvel ordre, qui arriva, à la vérité, peu de temps après; mais ce n’en fut pas moins une
                    cause de retard.
                    A Naples, où on devait tenir prêtes les galères de ce royaume, avec commandement exprès du Prince qu’elles ne quittâssent point les côtes, on leur ordonna ou on leur permit d’aller en course dans le Levant, d’où elles ne revinrent que le 7 juillet, fatiguées et ayant besoin de nombreuses réparations.
                    Le nombre des galères de Sicile se trouva avoir diminué au lieu de s’être accru, et elles restèrent oisives dans les différents ports de fi le, au lieu de se. rendre à Messine, où



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                    devait se faire le rassemblement; elles n’y arrivèrent que le 1er août.
                    Celles d’Espagne vinrent si tard, qu’elles ne seraient pas arrivées à temps pour partir, si les autres se fussent conformées aux ordres donnés.
                    Quoique le Prince, qui était alors à Gênes, ne connût pas encore cette mauvaise exécution de ses ordres, il expédia des courriers pour commander qu’on se hâtât d’apprêter et de charger les navires; ensuite, ayant appris peu à peu combien ses intentions étaient mal secondées, il vit bien, qu’en présence de cette désobéissance, il lui était presque
                    impossible de réunir en un temps limité, une telle quantité de galères et de troupes. Mais, comme le désir de la gloire était plus puissant chez lui que l’amour même de la vie, le Prince (pourtant bien vieux), avide de renommée, voulut vaincre toutes les diffi cultés possibles par son activité et son courage; il embarqua donc le 27 juin les soldats espagnols
                    et italiens qui venaient du Milanais, sur les galères commandées par Carlo Doria, son fils ; il manda ensuite à Naples d’accélérer le mouvement et partit le 4 juillet avec la Reale, cinq galères du Pape, six de la République de Gênes, quatre du Grand Duc, et le reste des troupes du corps qu’il emmenait avec lui. Arrivé à Naples le 15, il s’y arrêta jusqu’au 17 ; il arriva à Messine le 19, et reconnut partout qu’on n’avait obéi ni aux ordres du Roi, ni aux siens.
                    Comme les galères de Sicile ne se trouvèrent pas à Messine, que celles de Naples ne purent le suivre à cause de la nécessité où elles se trouvaient de réparer les avaries causées par le voyage du Levant, et par les autres raisons dont j’ai parlé plus haut, dix-huit d’entre elles ne rejoignirent à Messine que le 24, sans être espalmées et amenant leurs provisions dans des barques. On peut juger des maux qu’entraînèrent tous ces retards, en pensant qu’il arriva tout le contraire de ce qui aurait dû être et de ce qui se voit dans toutes les autres occasions ; à savoir, que l’armée






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                    auxiliaire fut prête plus à temps et se montra plus exacte que l’armée régulière; que les escadres des Princes alliés ne dépassèrent pas d’une heure les délais fixés par les ordres; les galères qui parurent peu nécessaires pour attaquer vigoureusement l’ennemi, furent envoyées dans les mers du Levant pour y occuper les Turcs par leurs, incursions,
                    afin qu’ils pensâssent moins aux affaires de Barbarie.

                    Dans le même but, le Prince pria le Grand-Maître de Malte(1) d’envoyer ses galères en course dans ces mers. De plus, pour gagner du temps, pendant qu’il était arrêté avec dépit par le retard des galères de Sicile, il envoya son fils Carlo à la tête de son escadre, de celles du Pape et de la
                    République, avec injonction de se rendre à Majorque en passant devant Palerme et la Sardaigne, et de mettre ordre à toutes les choses qui en auraient besoin. Il commanda aux galères de Naples d’aller à Palerme, où les galères d’Espagne devaient venir compléter, leurs approvisionnements selon l’ordre qu’il avait donné, en leur enjoignant
                    de remorquer les vivres qu’elles avaient apportés à cet effet. Enfin, les galères de Sicile arrivèrent le 4er août ; le nombre de celles du Roi avait diminué, et le nombre de celles des auxiliaires augmenté; on y embarqua mille soldats du bataillon de Calabre, et on partit pour Palerme, où
                    on arriva le 4. De là, les galères de Naples et celles d’Espagne furent à Trapani, où elles se rejoignirent à celles de Toscane ; celles de Naples avaient dû retourner en arrière pour embarquer leurs soldats. De là, ils partirent pour la Sardaigne, et, du 5 au 10, ils arrivèrent à l’île de St-Pierre, où le mauvais temps les força de séjourner le 12 et le 13, jour
                    où on reprit la mer avec une grande bourrasque ; (qui fut cause de la perte d’une felouque; mais on en sauva l’équipage).

                    Il fallut aller s’abriter en Sardaigne dans le port de

                    _______________
                    (1) Le Grand-Maître était alors Alof de Vignacourt.

                    Commentaire


                    • #11
                      — 19 —

                      Gonti, lieu inhabité ; on partit de nouveau, et le 19 on fit jonction à Majorque.
                      Le Prince voyait que la saison s’avançait; et, sachant qu’aucune chose ne s’envole plus vite que l’occasion, et que les lenteurs causent la ruine des entreprises les mieux combinées, le moindre retard le faisait souffrir; aussi ne passa-t-il là que cinq jours, pendant lesquels il fit exécuter tout ce qui était nécessaire, chose qui paraissait impossible en aussi peu de temps. Il se pourvut des pilotes les plus experts et les plus célèbres parmi ceux des Majorquins qui vont journellement à Alger. Il consacra une journée entière à tenir un conseil de guerre, et il fi t annoncer à toute l’armée : que, de ce lieu, et à partir du 28, ils avaient le bénéfice du Jubilé concédé par Sa Sainteté le Pape ClémentVIII, avec la bénédiction de l’Évêque Légat, qui venait avec eux en Barbarie. L’armada et l’armée embarquées étaient composées de la manière suivante :
                      Il y avait soixante-dix galères; savoir: la Réale avec seize bâtiments de l’escadre de Gênes et deux du Duc de Savoie à la solde du Roi, le tout commandé par Carlo Doria, Duc de Tursi, leur général ; seize de Naples commandées par Pierre de Tolède ; douze de Sicile, dont neuf du Roi et trois du Duc de Macheda, conduites par Pierre de Leïva ; onze d’Espagne, commandées par le Comte de Buendia ; cinq du Pape sous les ordres du Commandeur Magnolotto, son lieutenant; six de la République de Gênes, sous les ordres du Comte Gio, avec Tomaso Doria pour général; et quatre de Toscane que commandait Marc- Antonio Calafatto, amiral des galères de l’Ordre de SaintÉtienne.
                      Mais celles de Naples, de Sicile et d’Espagne étaient mal en ordre, et si pauvres en rameurs qu’il fallut à Majorque prendre la chiourme d’une des escadres pour que les autres fussent pourvues convenablement. Les soldats étaient plus de dix mille.







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                      Les Espagnols, répartis alors en terces(1), étaient commandés ainsi qu’il suit : seize cents de Lombardie, commandés par Jnigo di Borgia ; mille de Bretagne, par Pedro di Toledo di Anaya ; deux mille de Naples, par Pietro Vivero; douze cents de Sicile par Salazar Castellano, de Palermi;
                      cinq cents de l’armée du Gouverneur Antonio Quinones; deux mille cinq cents Italiens, obéissant aux ordres de Barnaba Barbo ; et mille cinq cents du bataillon du royaume de Naples, sous le commandement du Maître de Camp Annibale Macedonico ; en outre, les galères de Sa Sainteté avaient offert de mettre à terre trois cent cinquante bons soldats et celles de Toscane quatre cents; de plus, beaucoup de Chevaliers de Saint-Étienne s’étaient joints à l’expédition.
                      Le Prince avait donné le commandement général à son Maître de Camp Manuel de Veda Capo di Vacca, capitaine expérimenté et d’une grande bravoure. Il y avait encore des aventuriers, gens dont on devait faire grand compte; parmi lesquels, outre le Duc de Parme, qui, avec deux cents cavaliers, ses vassaux, vieux soldats de Flandre, s’embarqua sur la Capitane de Carlo Doria, on remarquait : Virginio Orsino, duc de Bracciano, sur la Capitane de Florence ; sur la Reale, le Marquis d’Elche, premier né du Duc de Macheda ; Alo Idiaqués, général de la cavalerie
                      légère de l’État de Milan, qu’avait choisi le Prince comme son lieutenant ; Diego Pimentel, Manuel Mantiques, grand commandeur d’Aragon, le comte de Celano, le marquis de Garesfi , Hercule Gonzague, Gio Geromino Doria, Aurelio Tagliacarne et quelques autres capitaines et personnes de qualité, parmi lesquels sept ou huit gentilshommes romains. Le plan d’attaque était le suivant : on devait s’avancer ensemble vers la ville et s’arrêter à une assez grande distance pour ne pas être vus de la terre: là, on devait mettre dans de petites embarcations trois cents

                      _______________
                      (1) La terza était l’unité tactique des vieilles bandes espagnoles.

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                      • #12
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                        arquebusiers avec deux pétards et s’avancer vers le rivage, pour attaquer la porte de la Cité qui est à la Marine, et, quand elle aurait été brisée et prise par les soldats, la fl otte devait se porter rapidement et courageusement en avant et débarquer l’armée. On avait prévu ce qu’on devait faire pour secourir ces arquebusiers dans le cas où ils ne réussiraient pas à s’emparer de la porte, et pour s’opposer à d’autres éventualités fâcheuses ; la Reale, avec quinze autres des meilleures galères, étaient désignées pour marcher les premières à leur secours.
                        Le 30 août, l’armada arriva en vue de l’Afrique ; mais débandée, parce que, bien que l’ordre eut été donné qu’au moment où on commencerait à avoir connaissance de la terre, toutes les galères vinssent rallier la Reale, elles avaient si mal navigué, et avec tant de mollesse, qu’au point du jour elles se trouvèrent toutes dispersées ; la Capitane de Sicile, entre autres, se trouva tellement en arrière qu’on ne la voyait plus; en sorte que l’heure où les ordres eussent dû être le plus rigoureusement observés, fut celle où ils le furent le moins ; il fallut perdre plus de trois heures à rassembler la fl otte. Les mâts furent ensuite abattus et les voiles carguées ; on atterrit à trente milles de la ville, et, comme les pilotes ne reconnaissaient pas le pays avec certitude, il sembla peu prudent de rester dans cette position.

                        Le Prince jugea convenable de faire reconnaître la terre par de petites barques, pour y chercher un point de la côte plus rapproché où il se trouvât un ancrage pour de grands vaisseaux; aller plus loin eût été une faute parce qu’il avait, dès lors, pour plus de commodité, fait mettre des troupes dans les petites felouques, et se disposait à ramener l’Armada en
                        vue d’Alger. Les pilotes chargés de reconnaître la côte ne revinrent pas avant le soir, à la grande colère du Prince qui ne savait qu’en penser, appréhendant qu’ils ne se fussent laissé faire prisonniers, ou qu’ils n’eussent pris la fuite ;



                        — 22 —

                        il n’était pas croyable qu’ils se fussent volontairement rendus aux Turcs ; car, lors même qu’ils l’eussent voulu, les équipages des felouques, bien supérieurs en nombre, ne s’y seraient pas accordés ; il n’y avait rien à craindre de la mer qui était très tranquille, et pourtant un tel retard, arrivant à ce moment, était étrange et funeste. Le soir venu, les pilotes
                        rejoignirent la fl otte, rapportant que le courant les avait entraînés dans le Levant, à cinquante milles d’Alger, et, qu’en raison de cet éloignement (ce ne fut pas un petit mal), ils n’avaient pu s’approcher de la terre, parce qu’il y avait trop à craindre d’être découvert. L’armée partit de là le jour
                        suivant, entièrement réunie, pour se rendre au lieu désigné ; déjà chacun s’apprêtait pour le débarquement; on avait fait descendre dans les frégates et les felouques les troupes qui devaient frapper le premier coup, et tous les ordres nécessaires avaient été donnés. C’était une belle chose que de voir l’honorable émulation des soldats; chacun d’eux montrait
                        la plus noble ardeur; comme c’était parmi les Espagnols qu’avaient été choisis les trois cents hommes embarqués sur les frégates pour marcher les premiers, les Italiens se plaignaient de ce qu’on ne leur laissait pas prendre aussi leur part de la première gloire; ils envoyèrent le Duc de Parme au Prince pour lui demander avec instance de faire partie de cette avant-garde; mais lui, ne voulant pas mélanger les nations, promit de leur donner satisfaction à un autre débarquement.
                        A la fin de la nuit, et comme ils n’étaient plus éloignés de la terre de plus de vingt milles (pour dernier contre-temps), le vent Grec commença à souffler du Levant, et il fut toujours en s’accroissant, avec une telle violence, que l’on ne pouvait, sans un risque manifeste de se perdre, ni rester en panne en pleine mer, ni débarquer; il fallut donc, non seulement retirer les soldats qui étaient descendus sur les frégates, mais encore laisser porter les galères là où le maudit vent le voulait, et on commença

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                        • #13
                          — 23 —

                          à fuir devant le temps. La flotte se rejoignit à Majorque le 3 septembre; ce triste temps continua pendant plusieurs jours, et le Prince l’observait avec le, plus grand soin, pour voir s’il lui serait possible de retourner en Barbarie ; car, il lui était douloureux de se voir enlever des mains une si
                          glorieuse entreprise par l’inclémence de la saison. Et, pendant qu’il se demandait ce qu’il convenait de faire, quantité d’avis différents s’émettaient dans l’armada; comme les jugements des hommes sont variés, les uns eussent voulu une chose et les autres une autre; les simples soldats, avides de butin, eussent voulu retourner à tout risque et malgré le vent ; tandis que les plus expérimentés, considérant l’état
                          des choses, se montraient plus judicieux, sachant bien qu’il n’était possible, ni de naviguer, ni de débarquer avec un vent contraire. Enfin, le Prince, ayant tout bien considéré, ne se résolut pas à continuer l’entreprise; il faut ajouter que la saison était tellement avancée, qu’au moment où le vent parut commencer à vouloir se calmer, on n’aurait pu arriver qu’après le 10 septembre, jour où les milices turques sont déjà rentrées à Alger ; ce qui faisait écrouler la base sur laquelle on avait fondé l’entreprise. En outre, la tentative se trouvant ébruitée, les Turcs avaient facilement pu en avoir connaissance, et on n’aurait plus eu sur eux l’avantage de la surprise ; l’armada n’avait de biscuits que pour le mois de septembre ; toutes ces raisons fi rent penser au Prince qu’il n’était pas raisonnable d’aller témérairement à sa perte, comme l’avaient déjà fait trois armadas plus considérables que la sienne; qu’il valait mieux conserver celle-ci pour un meilleur temps et une meilleure occasion ; il licencia donc les galères des Potentats(1) et renvoya celles du Roi dans leurs ports respectifs ; c’est ce qu’il y avait de mieux à faire; et aussi bien, dans les choses humaines, celui qui ne sait pas se résoudre à laisser blâmer
                          _______________
                          (1) Les Princes souverains de l’Italie.



                          — 24 —

                          sa conduite par quelques-uns, ne saura jamais se décider à faire le bien. Beaucoup de gens, qui, avec grand désir de voir détruire cette caverne de bandits, avaient fondé de grandes espérances sur cette armada, se voyant désillusionnés, tombèrent dans un excès assez commun à tous les hommes; lorsqu’ils se sont fl attés trop facilement de la réussite de leurs désirs, quand les événements ne les favorisent pas, ils ne savent pas considérer de sang-froid tout ce qui s’est opposé au succès, et se trouvent portés par un malheureux instinct à attribuer à de faux motifs la ruine de
                          leurs espérances ; mais les hommes de jugement sont plus lents à se prononcer; et les Capitaines prudents craignent plus le jugement de quelques-uns de ceux-là que celui de toute la multitude ignorante. Beaucoup de gens sont plus diligents à blâmer des erreurs douteuses qu’à louer des exploits certains. Vous avez vu que le Prince fut amené
                          à partir dans des circonstances contraires ; mais s’il avait pu savoir que son retour servirait à l’accabler, peut-être aurait-il risqué et perdu son armée. Ce qu’on peut dire véritablement et qui doit sembler étrange, en considérant l’obéissance à laquelle est accoutumé le Roi Catholique, si grand et si puissant, c’est que, dans cette entreprise, ses ministres n’observèrent pas ses ordres; la désobéissance des galères de Naples et de Sicile fut la véritable cause qui, par la perte de temps, empêcha de conduire à bonne fin une expédition dont le succès importait tant à toute la Chrétienté. J’en ai entendu donner des raisons bien diverses.
                          Les uns veulent que la lenteur naturelle aux Espagnols en soit cause, disant qu’il ne faut pas essayer de demander de l’activité à ces troupes sûres et disciplinées, et qu’on ne doit attendre d’elles que de la solidité et du courage. Les autres disent que les Vice-Rois de Naples et de Sicile furent offensés qu’on ne leur eût pas communiqué le secret de cette
                          entreprise; et, qu’indignés de voir que le Roi avait montré plus de confiance à un autre qu’à eux, ils avaient suscité

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                          • #14
                            —25 —

                            toutes les diffi cultés possibles. Il ne manque pas de gens qui, familiers avec les intrigues de Cour, affirment que les principaux ministres des Rois se coupent volontiers les uns aux autres, autant qu’ils le peuvent, le chemin de la gloire et des honneurs, encore que ce soit au dam de leur
                            Seigneur ; ils en citent plusieurs exemples, et ne se montrent pas étonnés de ce que les ministres de Naples et de Sicile n’aient pas obéi promptement à des ordres qui ne pouvaient qu’accroître la gloire d’un autre(1).

                            _______________
                            1 Les conclusions de Conestaggio sont fort justes en ce qui concerne
                            l’hostilité manifestée au prince Doria par les Potentats et par les
                            Vice-Rois de Naples et de Sicile; l’histoire nous apprend, d’ailleurs,
                            combien de fois cette mauvaise volonté jalouse entrava les entreprises
                            des Dorias. Il est intéressant pour l’observateur d’assister au spectacle de
                            cette désobéissance et de ce désordre qui signalent les commencements
                            de l’abaissement et de la ruine de la puissance espagnole. Il faut ajouter
                            que l’expédition fut mal conçue. Le plan de l’aventurier français était
                            bon et pouvait réussi : cinq cents hommes résolus, déguisés en matelots
                            marchands, débarquaient un soir dans le port d’Alger, à la saison où la
                            ville était sans défenseurs, égorgeaient le poste de la Marine, pétardaient
                            la porte et se précipitaient dans la ville en appelant aux armes les vingt
                            mille esclaves chrétiens qui s’y trouvaient; c’était hardi, mais faisable.
                            Doria voulut modifi er le projet, et appuyer la surprise par une fl otte et
                            une armée; il ne vit pas, qu’indépendamment des retards que devait fatalement
                            entraîner la concentration de semblables forces, il serait impossible
                            de faire naviguer cette armada sur la Méditerranée sans que tout le
                            monde en eût connaissance, avant même qu’elle n’eût quitté le port; que,
                            par suite, la surprise serait manquée, et se transformerait en une attaque
                            régulière. Quand on en fut arrivé là, et qu’on s’aperçut que l’ennemi
                            était prévenu, on ne put même pas tenter cette entreprise, parce qu’on
                            n’avait embarqué qu’un mois de vivres. Il fallut donc revenir sur ses pas,
                            et les grosses dépenses qui avaient été faites ne servirent absolument à
                            rien. Combien eût-il été préférable de confi er au capitaine Roux la petite
                            troupe dont il demandait le commandement, tout en rassemblant aux
                            Baléares des forces qui eussent appuyé le mouvement en cas de succès
                            ! Le dénouement de l’affaire fut la démission de Jean André Doria, profondément
                            dégoûté par les intrigues qui s’agitaient autour de lui, et par
                            les injustes accusations auxquelles il avait été en butte. — Il fut remplacé
                            par Don Juan de Cardona. (H. de G.)




                            — 26 —

                            Mais, quoiqu’il en soit, on ne devrait pas aujourd’hui voir Alger continuer ses déprédations accoutumées au détriment et à la honte de la Chrétienté.




                            De Gênes, le 5 novembre 1601.
                            I. CONESTAGGIO.

                            _______________
                            ALGER.— TYPOGRAPHIE ADOLPHE JOURDAN.

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                            • #15
                              Gaa had echi taaraf ouetbet ragued oua7dek ?
                              Wa3leche, thab tougued bahdaya...Allah ghaleb je touche pas aux mecs.
                              Va terminer ton tricotage ailleurs.

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