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QATAR :Opération séduction dans les banlieues

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  • QATAR :Opération séduction dans les banlieues

    Pour attirer les jeunes talents qui lui font défaut, le Qatar procède à une offensive de charme en direction des Français originaires du Maghreb. Un projet qui n'est pas que philanthropique.



    C'est peu dire que les soirées de M. l'Ambassadeur du Qatar en France sont réservées à un tout petit nombre d'initiés. Pas les habitués du Siècle, ni la fine fleur de l'Interallié. En poste depuis 2003, Son Excellence Mohamed Jaham al-Kuwari, un homme affable aux faux airs d'Al Pacino, aime recevoir, lors de fastueuses réceptions dans son ambassade située ostensiblement place de l'Etoile à Paris, de «jeunes talents» issus... des banlieues françaises. «Un jour, j'ai reçu un carton d'invitation qui m'invitait à l'ambassade. Il était indiqué que la soirée rassemblerait les élites arabes de la France», confie Farid, la petite quarantaine, ayant baroudé dans les milieux associatif et audiovisuel. «Lors de son discours introductif, l'ambassadeur nous a expliqué que l'on était chez nous au Qatar, poursuit-il. En gros, il nous faisait comprendre que la France ne nous aimait pas ! C'était du style "Bienvenue chez nous, mes conseillers sont à votre disposition."» Un cérémonial surprenant, et qui ne date pas d'hier.



    Ainsi pouvait-on entendre, dès 2009, dans le reportage* du journaliste de Kapa Kamel Baïla, l'ambassadeur Al-Kuwari en pleine «opération séduction», lors d'une réception à l'ambassade. «Vous êtes la force qui se trouve en première ligne. Vos pays d'origine ont besoin de vous», lançait le diplomate, dans une envolée lyrique à la géographie volontairement approximative. Bien sûr, les «pays d'origine» des talents invités aux soirées de l'ambassadeur sont principalement le Maroc, l'Algérie ou la Tunisie. Mais, bon, sur un malentendu... Il faut bien trouver des arguments pour séduire ces ingénieurs, ces communicants, ces artistes, ces spécialistes en ressources humaines venus de nos banlieues. Car le Qatar en manque cruellement pour accueillir le monde entier en 2022, lors de «sa» coupe du monde de football.

    Depuis quelques années, l'émirat a donc lancé une offensive de charme à l'égard de ces Français originaires du Maghreb, bardés de diplômes, mais qui trop souvent ne trouvent pas grâce aux yeux des chefs d'entreprise français. «A Paris, tout le monde a été plus ou moins contacté par le Qatar», confirme anonymement l'une des figures de ce que certains appellent la «diversité». Pour les Qataris, leur double culture arabe et occidentale - «leur proximité culturelle et leur savoir-faire occidental», dixit un expatrié - serait un atout majeur pour la future société de la connaissance que le pays tente de construire pour remplacer l'ère du gaz naturel. En retour, la proposition n'est pas sans charme. Qu'ils se prénomment Abdel, gérant d'une chaîne de restaurants, Brahim, psychologue dans une prestigieuse clinique du sport, ou Farid, architecte en chef du nouvel aéroport de Doha construit par Aéroports de Paris (ADP), beaucoup se réjouissent de jours meilleurs sous le soleil du Qatar.

    C'est dans ce contexte que, en novembre 2011, une petite association d'élus, l'Association nationale des élus de la diversité (Aneld), qui regroupe près de 200 membres, de tous bords politiques, entreprend d'organiser un voyage d'études à Doha. «Ce n'est pas le Qatar qui est venu nous chercher», rappelle Assia Meddah, vice-présidente de l'Aneld, jeune élue de 30 ans à Sucy-en-Brie, dans le Val-de-Marne. «En tant qu'élus nous sommes régulièrement interpellés par des surdiplômés des quartiers qui ne trouvent pas de débouchés, raconte cette ex-villepiniste, ex-UMP. Depuis deux ans, nous avons donc organisé des voyages d'études aux Etats-Unis, au Canada, et dernièrement au Qatar, afin de comprendre les opportunités pour ces jeunes à l'étranger.»

    Voilà pour l'idée de départ. Après un premier rendez-vous à l'ambassade, un voyage est organisé à Doha durant cinq jours, en novembre 2011, avec dix élus de l'Aneld (cinq femmes, cinq hommes, comme le souhaitaient les Qataris). Avec, sur place, un programme chargé : rencontres avec le prince héritier, le Premier ministre et le président de la chambre de commerce, rendez-vous au palais Diwan avec l'émir du Qatar en personne, le cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, qui finit par les inviter durant deux longues heures à déjeuner : «L'émir a été touché par notre démarche et nous avons pu évoquer très librement la situation de ces diplômés et jeunes entrepreneurs de nos quartiers, témoigne Assia Meddah. C'était surréaliste ! Et il nous a invités à participer à une chasse au faucon avec son fils. Ce sont des gens très attachés à leurs traditions.»

    De retour à Paris, le journaliste du Parisien qui avait participé au voyage à Doha publie un long article intitulé «Des élus locaux reçus comme des chefs d'Etat». Quelques jours plus tard, l'ambassadeur du Qatar annonce aux élus de l'Aneld le projet d'un fonds d'investissement en direction des PME issues des banlieues à hauteur de 50 millions d'euros. Présent lors de cette rencontre, un journaliste de l'AFP écrit très vite une dépêche sur ce «fonds banlieues» : «Les élus de l'Aneld ont dû se dire que, s'ils médiatisaient leur initiative, le Qatar ne pourrait plus reculer...» persifle un investisseur lié au Qatar. «On a voulu être le plus transparent possible», se défend Kamel Hamza, conseiller municipal UMP à La Courneuve et président de l'Aneld. De son côté, Assia Meddah estime pourtant : «Nous avons été dépassés par la médiatisation d'autant plus que les modalités de ce fonds n'étaient pas définies précisément.»

    Car les projets demandant des subsides affluent à l'Aneld et à l'ambassade du Qatar. Et la plupart - à l'instar d'une association qui demande la réfection d'une cage d'escalier d'un immeuble ! - ne correspondent, hélas, guère aux souhaits des Qataris. Maintenance en ascenseurs, garde d'enfants, salles de sport, boulangeries... Tout y passe, et révèle l'état de détresse sociale dans ces quartiers populaires. Bien sûr, dans le lot, on trouve des projets plus «pro», comme la commercialisation de produits achetés aux Etats-Unis, ou la conception de technologies de construction, susceptibles d'intéresser le Qatar qui cherche à développer un tissu de PME pour se rendre autonome des grands groupes internationaux. «L'image des Qataris qui viendraient distribuer de l'argent en banlieue est fausse. Ce sont d'abord des businessmen !» s'exclame Aziz Senni, jeune entrepreneur à Mantes-la-Jolie, qui a lancé depuis 2007 un fonds d'investissement tourné vers la banlieue doté de 15 millions d'euros, dénommé, en forme de clin d'œil, BAC (Business Angel des cités), et qui a reçu le soutien de Claude Bébéar, ancien président d'Axa, et de Michel-David Weill, président de la Banque Lazard. «En 2005, on ne pensait pas "PME" quand on parlait des banlieues», se félicite-t-il.

  • #2
    Suite

    Inquiétude des politiques


    Mais, à droite comme à gauche, le projet des Qataris inquiète. Jean-Luc Mélenchon tonne contre une «colonisation par l'argent», Marine Le Pen dénonce le «cheval de Troie de l'islamisme». Quant à l'intellectuel Bernard-Henri Lévy, il s'indigne : «On dit toujours que l'argent n'a pas d'odeur. C'est faux. Car l'argent qatari a la couleur, qu'on le veuille ou non, d'un Etat qui prive ses citoyens de libertés publiques. Il a la couleur d'un pays où l'on traite les immigrés (indiens, pakistanais, philippins) comme des sous-citoyens, quand ce n'est pas comme des sous-hommes ou des esclaves. Ce n'est pas, comme ont dit certains, un argent "sale". Mais c'est un argent (et c'est presque pire) gagné par des autocrates dans un pays non démocratique dont les banlieues sont des Villiers-le-Bel ou des Trappes à la puissance 10.»

    A l'UMP, plusieurs voix ont souhaité une commission d'enquête parlementaire sur ses investissements, notamment le député Lionnel Luca, pourtant un ancien membre du groupe d'amitié France-Qatar à l'Assemblée nationale. Au PS, Julien Dray, vice-président du conseil régional d'Ile-de-France, en fait de même. «Pourtant, à aucun moment, il n'a été question de religion», assure Assia Meddah. La jeune élue rappelle par ailleurs que la Suède a décidé de lancer en France le projet Yump (pour Young Urban Movement Project), en direction des jeunes entrepreneurs des quartiers sans que cela suscite une quelconque polémique. Mobilisant 800 000 €, le projet suédois n'est toutefois pas de la même ampleur...

    Résultat, après la mise en sommeil du projet qatari durant la campagne présidentielle, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, annonce que le futur fonds sera désormais piloté par la Caisse des dépôts, financé à parts égales par la France et le Qatar (on évoque aujourd'hui le chiffre de 300 millions d'euros au total) et destiné à l'ensemble des territoires et pas uniquement aux banlieues. «Les décisions seront prises ensemble. Ce n'est pas un pays qui va choisir le talent», s'est félicité François Hollande le 11 octobre dernier sur France 24.

    Mais, selon nos informations, dès 2011, le Qatar souhaitait développer un fonds d'investissement en direction des PME françaises, s'inspirant du fonds franco-chinois de 150 millions d'euros que la Caisse des dépôts et la China Development Bank viennent de créer, «destiné à accompagner les PME françaises et chinoises». En 2008, le directeur de la Caisse des dépôts d'alors, Augustin de Romanet, s'était rendu à Doha pour proposer aux Qataris de participer au Fonds stratégique d'investissement (FSI) lancé par le gouvernement Fillon. Une proposition qui, à l'époque, n'avait pas abouti. On le voit, le Qatar n'a donc pas attendu les élus de la «diversité» pour s'intéresser aux PME françaises...

    «J'ai été contacté en novembre 2011 par l'ambassade du Qatar, qui voulait savoir quels étaient les porteurs de projets potentiels», confie d'ailleurs Abdel Basset Zitouni, président de l'Association nationale des jeunes entrepreneurs (Anje). Ils ne voulaient pas de petits projets, et ils souhaitaient une rentabilité en retour. Avant le printemps arabe, c'était la Qatar Foundation, qui recherchait des partenaires pour investir en Afrique du Nord, qui m'avait contacté.»

    Aujourd'hui, M. Zitouni espère que les Qataris aideront l'inventeur du Sacosec, sac étanche qui fait également fonction de gilet de sauvetage, ainsi qu'une entreprise de sauces halal : «Pour moi, c'était une erreur de passer par l'Aneld. La "diversité", c'est une étiquette que je refuse. Je m'estime français. Je pense que la polémique aurait été moins forte si les Qataris étaient passés par des structures de développement économique traditionnelles». L'ambassadeur Al-Kuwari semble avoir compris le message, lui qui, après avoir parcouru la France entière pour remettre les prix «de la diversité» à des entrepreneurs et des associatifs, se fait d'un coup bien discret.
    MARIANNE

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