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Je lis ton corps et me cultive

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  • Je lis ton corps et me cultive

    Le jour où s'est arrêté
    Le dialogue entre tes seins
    Dans l'eau prenant leur bain
    Et les tribus s'affrontant pour l'eau
    L'ère de la décadence a commencé,
    Alors la guerre de la pluie fut déclarée
    Par les nuages
    Pour une très longue durée,
    La grève des vols fut déclenchée
    Par la gente ailée,
    Les épis ont refusé
    De porter leurs semences
    Et la terre a pris la ressemblance
    D'une lampe à gaz.

    II
    Le jour où ils m'ont de la tribu chassé
    Parce qu'à l'entrée de la tente j'ai déposé
    Un poème
    L'heure de la déchéance a sonné.
    L'ère de la décadence
    N'est pas celle de l'ignorance
    Des règles grammaticales et de conjugaison,
    Mais celle de l'ignorance
    Des principes qui régissent le genre féminin,
    Celle de la rature des noms de toutes les femmes
    De la mémoire de la patrie.

    III
    O ma bien aimée,
    Qu'est-ce donc que cette patrie
    Qui se comporte avec l'Amour
    En agent de la circulation ?
    Cette patrie qui considère que la Rose
    Est un complot dirigé contre le régime,
    Que le Poème est un tract clandestin
    Rédigé contre le régime ?
    Qu'est-ce donc que ce pays
    Façonné sous forme de criquet pèlerin
    Sur son ventre rampant
    De l'Atlantique au Golfe
    Et du Golfe à l'Atlantique,
    Parlant le jour comme un saint
    Et qui, la nuit tombant,
    Est pris de tourbillon
    Autour d'un nombril féminin ?

    IV
    Qu'est-ce donc cette patrie
    Qui exerce son infamie
    Contre tout nuage de pluie chargé,
    Qui ouvre une fiche secrète
    Pour chaque sein de femme,
    Qui établit un PV de police
    Contre chaque rose ?

    V
    O bien aimée
    Que faisons-nous encore dans cette patrie
    Qui craint de regarder
    Son corps dans un miroir
    Pour ne pas le désirer ?
    Qui craint d'entendre au téléphone
    Une vois féminine
    De peur de rompre ses ablutions ?
    Que faisons-nous dans cette patrie égarée
    Entre les œuvres de Chafi'i et de Lénine,
    Entre le matérialisme dialectique
    Et les photos pornos,
    Entre les exégèses coraniques
    Et les revues Play Boy,
    Entre le groupe mu'tazélite
    Et le groupe des Beattles,
    Entre Rabi'a-l-'Adaouya
    Et Emmanuelle ?

    VI
    O toi être étonnant
    Comme un jouet d'enfant
    Je me considère comme homme civilisé
    Parce que je suis ton Amant,
    Et je considère mes vers comme historiques
    Parce qu'ils sont tes contemporains.
    Toute époque avant tes yeux
    Ne peut être qu'hypothétique,
    Toute époque après tes yeux
    N'est que déchirement ;
    Ne demande donc pas pourquoi
    Je suis avec toi :
    Je veux sortir de mon sous-développement
    Pour vivre l'ère de l'Eau,
    Je veux fuir la République de la Soif
    Pour pénétrer dans celle du Magnolia,
    Je veux quitter mon état de Bédouin
    Pour m'asseoir à l'ombre des arbres,
    Je veux me laver dans l'eau des Sources
    Et apprendre les noms des Fleurs.
    Je veux que tu m'enseignes
    La lecture et l'écriture
    Car l'écriture sur ton corps
    Est le début de la connaissance
    S'y engager de la connaissance
    S'y engager est s'engager
    Sur la voie de la civilisation
    Ton corps n'est pas ennemi de la Culture,
    Mais la culture même.
    Celui qui ne sait pas faire la lecture
    De l'Alphabet de ton corps
    Restera analphabète sa vie durant





    NIZAR KABBANI


    " Regarde le ciel c'est marqué dedans , toi et moi. Il suffit de regarder les étoiles et tu comprendra notre destinée "♥ღ♥
    M/SR
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