Alain Rodier et Eric Denécé
La katiba Al Mouakaoun be dam (« Les signataires par le sang »), qui s'est emparée du site gazier de Tiguentourine, le 16 janvier, prenant plusieurs centaines d'employés de la base-vie en otages, a été créée en décembre 2012 par Mokhtar Belmokhtar, suite à sa rupture avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Toutefois, il n'est pas sûr qu'il s'agisse d'une nouvelle unité, mais plus probablement d'un changement de nom de son ancienne katiba El Moulathamine[1].
Un individu de sinistre réputation
Mokhtar Belmokhtar (MBM) - alias Khaled Abou El Abbès, « Le borgne » (Belaouer) ou Mister Marlboro - est né en 1972. Il est originaire d'un village de la vallée du M'Zab[2]. Il rejoint l'Afghanistan en 1991, à l'âge de 19 ans. Contrairement à sa légende savamment entretenue, il n'a pas combattu les Soviétiques - lesquels ont quitté le pays en 1989 - et n'a vraisemblablement jamais rencontré Ben Laden qui était alors installé au Soudan. Par contre, il a fréquenté des camps d'entraînement djihadistes et combattu les autres factions afghanes, qualifiées d'« apostats » (les traîtres à la cause musulmane, parmi lesquels le commandant Massoud) dans les rangs des islamistes qui ont permis aux taliban de prendre le pouvoir à Kaboul.
MBM quitte l'Afghanistan au moment où un accord de paix (précaire) est signé à Islamabad. Il rentre en Algérie en 1993 et rejoint les Groupes islamiques armées (GIA) afin de poursuivre le djihad contre les autorités algériennes, accusées d'avoir « volé la victoire » aux islamistes en annulant les élections de 1991. Son expérience afghane lui permet de prendre la responsabilité de la zone saharienne. C'est sa connaissance du sud-algérien qui lui a fait préférer ce lieu de djihad, alors moins « prisé » que l'est-algérois. A la création du GSPC en 1998, il est nommé « émir » de la 9e région, qui couvre tout le Sud-algérien. Rapidement, il va transformer ce commandement en fief personnel.
Entre 2003 et 2011, son groupe se livre à de nombreuses prises d'otages de citoyens occidentaux et d'Algériens notamment dans la région d'Hassi'r Mel où sont implantés de nombreux sites d'exploitation gazière[3]. Les otages étaient généralement relâchés contre le versement de rançons. Toutefois, des employés de la SONATRACH de SONELGAZ et d'ENTP ont rapporté que MBM et son groupe avaient pour pratique de d'établir des barrages sur les routes d'accès aux sites d'exploitation gazière et d'égorger les voyageurs. Leur bilan serait au moins de 80 victimes. Toutefois, selon certaines sources, l'armée algérienne - tout au moins les unités locales - ne l'aurait guère combattu, profitant de ses trafics (trabendo) entre l'Algérie, le Niger et le Nigéria.
Pourtant MBM s'en prend également à des représentants de l'ordre. Il est d'ailleurs condamné à mort en 2008 par le tribunal de Guardaïa pour le meurtre de 13 douaniers en février 2006. Cependant, il est légitime de s'interroger sur les raisons réelles de cette opération : politique ou crapuleuse. Car MBM développe de nombreuses activités criminelles et fait passer le business (trafics, kidnappings, etc.) avant ses convictions politico-religieuses, ce que lui reproche régulièrement la direction du GSPC, puis d'AQMI.
Mais, pragmatique, MBM a rapidement compris que la seule façon de financer sa lutte était de protéger les caravanes de trafiquants qui sillonnent les vastes étendues saharo-sahéliennes. De plus, afin de pouvoir parcourir librement le Sahel avec ses hommes et y disposer de complicités, Belmokhtar contracte plusieurs mariages avec des femmes de tribus touarègues[4], lesquels lui ont ouvert de juteuses opportunités dans le domaine de la contrebande.
Un terroriste soutenu par le Qatar
Si Mokhtar Belmokhtar est un actif trafiquant, il n'en demeure pas moins un islamiste convaincu déterminé à imposer ses idées par la force. Il a toujours eu beaucoup d'admiration pour les moudjahiddines afghans dont le récit des exploits contre l'Armée rouge a bercé sa jeunesse. D'ailleurs, il a toujours bénéficié du soutien l'émir du Qatar en personne[5]. En contrepartie, avec son groupe, il aurait parfois assuré la protection monarque qatari, de ses amis et de sa famille, lors de leurs chasses au faucon dans le désert algérien[6].
Ainsi, au printemps 2011, c'est financé et encouragé par l'émir du Qatar qu'il est allé prêter main forte aux rebelles libyens. Après l'effondrement du régime du colonel Kadhafi, il en a profité pour « faire son marché » dans les entrepôts d'armements abandonnés. Des informations laissent penser qu'au cours d'un voyage effectué fin 2011, il a eu des contacts avec des djihadistes internationalistes ayant établi trois camps dans l'ouest de la Libye, à proximité de la frontière algérienne. Ces camps étant situés hors du contrôle des « autorités » de Tripoli, ils peuvent parfaitement avoir servi de base arrière au commando à l'origine de la prise d'otages de Tiguentourine.
La rupture avec AQMI
Mokhtar Belmokhtar était en conflit larvé depuis des années avec le chef d'AQMI Abdlemalek Droukdel. La direction du mouvement lui reprochait son indépendance excessive et de se livrer à de nombreuses activités criminelles le détournant du djihad contre « Les juifs, les croisés et les mécréants ». Par ailleurs, sa katiba El Moulathamine était en concurrence dans le Sud-algérien avec celle d'Abou Zeid, la katiba El Fatihine.
Le différend ayant atteint un point de non-retour, MBM a été démis de ses fonctions de commandant de katiba en octobre 2012. Furieux, il a « démissionné » d'AQMI en décembre, afin de retrouver toute sa liberté. Certaines sources affirment qu'il aurait alors rejoint le MUJAO, mais l'information n'a pas été confirmée.
Le 5 décembre 2012, il créé finalement la katiba El Moulathamine. Il aurait été rejoint rapidement par d'autres djihadistes, parmi lesquels Oumar Ould Hamaha[7] un personnage haut en couleurs ayant appartenu auparavant conjointement au MUJAO et à Ansar Dine.
MBM a cependant clamé haut et fort que s'il n'obéissait plus à AQMI, il restait à la disposition d'Al-Qaïda « historique» dirigée par le docteur Al-Zawahiri, réfugié dans les zones tribales pakistanaises. Le commandement central d'Al-Qaïda ne lui a pas retiré sa confiance, car MBM demeure l'homme incontournable de la région. En effet, ses activités de contrebande lui permettent d'approvisionner de nombreux groupes en armes, munitions, véhicules, carburant et vivres, grâce à ses réseaux.
La prise d'otage de Tiguentourine
La katiba Al Mouakaoun be dam (« Les signataires par le sang »), qui s'est emparée du site gazier de Tiguentourine, le 16 janvier, prenant plusieurs centaines d'employés de la base-vie en otages, a été créée en décembre 2012 par Mokhtar Belmokhtar, suite à sa rupture avec Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI). Toutefois, il n'est pas sûr qu'il s'agisse d'une nouvelle unité, mais plus probablement d'un changement de nom de son ancienne katiba El Moulathamine[1].
Un individu de sinistre réputation
Mokhtar Belmokhtar (MBM) - alias Khaled Abou El Abbès, « Le borgne » (Belaouer) ou Mister Marlboro - est né en 1972. Il est originaire d'un village de la vallée du M'Zab[2]. Il rejoint l'Afghanistan en 1991, à l'âge de 19 ans. Contrairement à sa légende savamment entretenue, il n'a pas combattu les Soviétiques - lesquels ont quitté le pays en 1989 - et n'a vraisemblablement jamais rencontré Ben Laden qui était alors installé au Soudan. Par contre, il a fréquenté des camps d'entraînement djihadistes et combattu les autres factions afghanes, qualifiées d'« apostats » (les traîtres à la cause musulmane, parmi lesquels le commandant Massoud) dans les rangs des islamistes qui ont permis aux taliban de prendre le pouvoir à Kaboul.
MBM quitte l'Afghanistan au moment où un accord de paix (précaire) est signé à Islamabad. Il rentre en Algérie en 1993 et rejoint les Groupes islamiques armées (GIA) afin de poursuivre le djihad contre les autorités algériennes, accusées d'avoir « volé la victoire » aux islamistes en annulant les élections de 1991. Son expérience afghane lui permet de prendre la responsabilité de la zone saharienne. C'est sa connaissance du sud-algérien qui lui a fait préférer ce lieu de djihad, alors moins « prisé » que l'est-algérois. A la création du GSPC en 1998, il est nommé « émir » de la 9e région, qui couvre tout le Sud-algérien. Rapidement, il va transformer ce commandement en fief personnel.
Entre 2003 et 2011, son groupe se livre à de nombreuses prises d'otages de citoyens occidentaux et d'Algériens notamment dans la région d'Hassi'r Mel où sont implantés de nombreux sites d'exploitation gazière[3]. Les otages étaient généralement relâchés contre le versement de rançons. Toutefois, des employés de la SONATRACH de SONELGAZ et d'ENTP ont rapporté que MBM et son groupe avaient pour pratique de d'établir des barrages sur les routes d'accès aux sites d'exploitation gazière et d'égorger les voyageurs. Leur bilan serait au moins de 80 victimes. Toutefois, selon certaines sources, l'armée algérienne - tout au moins les unités locales - ne l'aurait guère combattu, profitant de ses trafics (trabendo) entre l'Algérie, le Niger et le Nigéria.
Pourtant MBM s'en prend également à des représentants de l'ordre. Il est d'ailleurs condamné à mort en 2008 par le tribunal de Guardaïa pour le meurtre de 13 douaniers en février 2006. Cependant, il est légitime de s'interroger sur les raisons réelles de cette opération : politique ou crapuleuse. Car MBM développe de nombreuses activités criminelles et fait passer le business (trafics, kidnappings, etc.) avant ses convictions politico-religieuses, ce que lui reproche régulièrement la direction du GSPC, puis d'AQMI.
Mais, pragmatique, MBM a rapidement compris que la seule façon de financer sa lutte était de protéger les caravanes de trafiquants qui sillonnent les vastes étendues saharo-sahéliennes. De plus, afin de pouvoir parcourir librement le Sahel avec ses hommes et y disposer de complicités, Belmokhtar contracte plusieurs mariages avec des femmes de tribus touarègues[4], lesquels lui ont ouvert de juteuses opportunités dans le domaine de la contrebande.
Un terroriste soutenu par le Qatar
Si Mokhtar Belmokhtar est un actif trafiquant, il n'en demeure pas moins un islamiste convaincu déterminé à imposer ses idées par la force. Il a toujours eu beaucoup d'admiration pour les moudjahiddines afghans dont le récit des exploits contre l'Armée rouge a bercé sa jeunesse. D'ailleurs, il a toujours bénéficié du soutien l'émir du Qatar en personne[5]. En contrepartie, avec son groupe, il aurait parfois assuré la protection monarque qatari, de ses amis et de sa famille, lors de leurs chasses au faucon dans le désert algérien[6].
Ainsi, au printemps 2011, c'est financé et encouragé par l'émir du Qatar qu'il est allé prêter main forte aux rebelles libyens. Après l'effondrement du régime du colonel Kadhafi, il en a profité pour « faire son marché » dans les entrepôts d'armements abandonnés. Des informations laissent penser qu'au cours d'un voyage effectué fin 2011, il a eu des contacts avec des djihadistes internationalistes ayant établi trois camps dans l'ouest de la Libye, à proximité de la frontière algérienne. Ces camps étant situés hors du contrôle des « autorités » de Tripoli, ils peuvent parfaitement avoir servi de base arrière au commando à l'origine de la prise d'otages de Tiguentourine.
La rupture avec AQMI
Mokhtar Belmokhtar était en conflit larvé depuis des années avec le chef d'AQMI Abdlemalek Droukdel. La direction du mouvement lui reprochait son indépendance excessive et de se livrer à de nombreuses activités criminelles le détournant du djihad contre « Les juifs, les croisés et les mécréants ». Par ailleurs, sa katiba El Moulathamine était en concurrence dans le Sud-algérien avec celle d'Abou Zeid, la katiba El Fatihine.
Le différend ayant atteint un point de non-retour, MBM a été démis de ses fonctions de commandant de katiba en octobre 2012. Furieux, il a « démissionné » d'AQMI en décembre, afin de retrouver toute sa liberté. Certaines sources affirment qu'il aurait alors rejoint le MUJAO, mais l'information n'a pas été confirmée.
Le 5 décembre 2012, il créé finalement la katiba El Moulathamine. Il aurait été rejoint rapidement par d'autres djihadistes, parmi lesquels Oumar Ould Hamaha[7] un personnage haut en couleurs ayant appartenu auparavant conjointement au MUJAO et à Ansar Dine.
MBM a cependant clamé haut et fort que s'il n'obéissait plus à AQMI, il restait à la disposition d'Al-Qaïda « historique» dirigée par le docteur Al-Zawahiri, réfugié dans les zones tribales pakistanaises. Le commandement central d'Al-Qaïda ne lui a pas retiré sa confiance, car MBM demeure l'homme incontournable de la région. En effet, ses activités de contrebande lui permettent d'approvisionner de nombreux groupes en armes, munitions, véhicules, carburant et vivres, grâce à ses réseaux.
La prise d'otage de Tiguentourine
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