Ici est tombé Aboubakr Belkaïd le 28 septembre 1995, ancien ministre de la Communication et de la Culture. Martyr de la démocratie et de la liberté, il a été victime de son engagement au service de l’Algérie».
Ces mots sont gravés sur une plaque commémorative apposée à l’endroit même où l’ancien ministre a été assassiné, à quelques encablures du TNA, il y a 17 ans. A la rue Ahmed Ghermoul, cette autre plaque sur laquelle on peut lire (en arabe) : «Pour ne pas oublier. Ci-après la liste des citoyens innocents qui ont été victimes de l’explosion d’une bombe dans un bus le 1er juin 1997 à 5h de l’après-midi : Aïcha Haddad, 59 ans. Ahmed Behayer, 59 ans. Abdennour Messaili, 41 ans.» Sur un mur adjacent, une autre plaque de marbre avec cette inscription (toujours en arabe) : «A cet endroit est tombé Harrouche Abdelwaheb, journaliste à El Moudjahid, martyr de la démocratie et de la liberté, à la suite de l’explosion d’une bombe fabriquée par les mains du terrorisme islamiste barbare, le 1er juin 1997, à 17h.»
Ce sont là quelques-unes des rares plaques commémoratives que l’on peut voir incidemment à Alger, et qui témoignent de la folie meurtrière qui a semé le chaos au cœur de la capitale au plus fort du terrorisme. Combien sont-ils, ces mémoriaux, plaques, stèles, cénotaphes, musées et autres monuments aux morts dédiés aux victimes du terrorisme, à Alger et ailleurs ? Force est de le constater : hormis un chapelet d’épitaphes de cet acabit disséminées dans les boyaux de la capitale, rien ne donne à penser que ce pays a connu un drame d’une telle ampleur. Et, surtout, il n’existe pas de mémorial national, solennel, en hommage à ces dizaines de milliers d’anonymes sacrifiés sur l’autel de ce qu’on appelle communément la «décennie noire» (formule qui, soit dit en passant, était à l’origine usitée pour désigner les années Chadli).
Une mémoire collective gravée dans le marbre
La ville est un livre ouvert et son histoire se lit aussi (d’abord ?) à travers sa trame urbaine. On peut, en l’occurrence, parler d’une d’écriture urbaine de l’histoire. Cela pour dire que la question récurrente de la mémoire a aussi pour enjeu ce terrain-là. En témoigne le nombre de cérémonies organisées outre-mer par les anciens partisans de l’Algérie française autour de stèles et monuments, pour dire leur attachement à cette mémoire-là, comme l’illustre la stèle inaugurée le 30 juin 2012 à la Promenade des Anglais, à Nice, en forme de dalle de marbre déchirée entre deux dates-clés : 1962 et 2012.
Dans un rapport du Conseil économique et social français daté du 19 décembre 2007, cet enjeu mémoriel par stèles interposées est rappelé avec acuité : «La mémoire collective d’une nation est entre autres représentée dans des mémoriaux, des commémorations, des archives, des musées, des films, des documentaires, etc. Peu de signes tangibles viennent aujourd’hui témoigner dans notre société de l’histoire de la présence française en Algérie.» Et ce rapport de recommander la réalisation d’un mémorial à la gloire des «Français d’Algérie» : «Le Conseil économique et social demande en outre que (…) un monument aux morts, une stèle... soit édifiée à Paris en tant que capitale, qui pourrait aussi symboliser tous les monuments locaux qui ont été détruits en Algérie».
On peut évoquer, dans le même registre, le fameux Mémorial de la Shoah ou encore celui du 11 Septembre où le président des Etats-Unis, himself, officie lors de la cérémonie de recueillement organisée chaque année sur l’esplanade du World Trade Center.
A Halabja, petite ville kurde située à la frontière irako-iranienne que nous avons visitée à l’hiver 2004, l’histoire tragique de cette province nous est d’emblée livrée à travers un mémorial géant en forme de bras levé vers le ciel qui domine le paysage. On y trouve les noms et les photographies des 5000 victimes du génocide de Halabja, gazées à l’arme chimique le 16 mars 1988 par l’armée irakienne. Un musée est aménagé à l’intérieur du monument, avec de terrifiantes scènes de reconstitution du massacre.
Maqam Echahid et les martyrs post-1962
20 ans après l’indépendance, un imposant monument de 92 mètres de haut, constitué de trois feuilles de palmier en béton, s’élève dans le ciel d’Alger : c’est Maqam Echahid, inauguré en 1982. Alger tenait enfin son mémorial de la guerre de Libération nationale. «El Monument» comme le désignent les Algérois, revient sur toutes les cartes postales et devient très vite le symbole de tout un pays. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour revendiquer un mémorial national de la dimension du Maqam pour les victimes du terrorisme. A Alger, l’histoire s’invite par à-coups, par effraction, en un déroutant télescopage des dates, avec leur pendant de pierres tombales.
A la rue Ben M’hidi, on est interpellé par cette épitaphe : «Ici est tombé à l’âge de 22 ans sous les balles de l’ennemi, le jeune héros ’El Haffaf’ Mohamed El Ghazali. Il fut parmi le groupe de tête des grandes manifestations patriotiques du 1er mai 1945». Un peu plus loin se dresse, sur un mur latéral du MaMa, une dalle de marbre à l’effigie de Ben M’hidi. Vous avancez un petit peu et vous êtes happé par l’emblématique statue équestre de l’Emir Abdelkader. En empruntant sur votre droite les escaliers qui donnent sur le Palais du gouvernement, vous ne pouvez manquer cette émouvante plaque : « Ici est tombé Cherkit Ferhat, journaliste au journal El Moudjahid, le 7 juin 1994 à 8h30, martyr de la liberté et de la démocratie, assassiné par les islamistes intégristes.»
Au boulevard Amirouche qui s’ouvre (côté Grande-Poste) par une page de marbre dédiée à la vie du légendaire chef de la Wilaya III, nous observons une halte devant le commissariat central, siège de la sûreté de wilaya d’Alger. Une inscription gravée à l’entrée du commissariat se veut une pensée aux victimes de l’attentat du 30 janvier 1995, qui avait fait 40 morts et quelque 300 blessés. Nous nous arrêtons pour prendre une photo. Le policier en faction nous en dissuade gentiment d’un souriant et néanmoins intransigeant «mamn’ou». Mémoire interdite. Le moins que l’on puisse dire est que cette attitude contredit la fonction d’une œuvre commémorative dont la raison d’être est, précisément, le partage.
Le mémorial des journalistes
L’écrasante majorité des éléments urbains dédiés à la mémoire des victimes du terrorisme, il convient de le souligner, se limite à une seule forme : des plaques commémoratives. Autre fait à relever : la plupart de ces plaques sont consacrées aux victimes de la presse.De fait, la corporation journalistique est celle qui se sera la plus mobilisée pour défendre la mémoire des siens. Un travail auquel ont pris activement part les familles des journalistes à travers, notamment, l’Association nationale des familles de journalistes assassinés par le terrorisme (AN-Fajat).
A ce propos, il faut mentionner le mémorial trônant place de la Liberté de la presse, rue Hassiba Ben Bouali, qui est, au final, le seul monument commémoratif de cette dimension dans tout Alger. Il a été érigé à la mémoire de 100 journalistes et travailleurs des médias froidement exécutés, dont les noms sont gravés sur deux colonnes de marbre entourant une stèle se déclinant sous la forme d’une plume.
Un rapport de la Fédération internationale des journalistes, (FIJ) daté du 31 décembre 1999, fournit des indications précises quant à la genèse de ce projet qui a été inauguré, rappelle-t-on, le 3 mai 2000 : «En collaboration avec l’Association nationale des familles de journalistes assassinés par le terrorisme, le centre de la FIJ à Alger a établi cette nouvelle liste de 100 journalistes et travailleurs des médias qui révèle l’ampleur de la tragédie qui a touché une grande partie de la corporation. Afin que leurs noms et leur lutte ne tombent pas dans l’oubli, la fondation Tahar Djaout (FTD), l’AN-Fajat, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et le centre de la FIJ à Alger, soutenus et aidés matériellement par les responsables du gouvernorat du Grand-Alger et à leur tête, Cherif Rahmani, ministre-gouverneur, ont pris l’initiative de leur rendre un hommage particulier en leur consacrant un mémorial sur la ‘place de la Liberté de la presse’ qui sera inaugurée au début de cette année 2000.»
Hormis donc ces initiatives, nos villes, Alger en tête, accusent un réel déficit en stèles commémoratives célébrant ces nouveaux contingents de martyrs. Il est curieux de noter, par exemple, que l’effroyable attentat du 11 avril 2007 qui avait ciblé le Palais du gouvernement, n’ait pas laissé de «trace», pas même une tablette de marbre, à moins qu’elle ne soit soustraite au regard des passants.
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Ces mots sont gravés sur une plaque commémorative apposée à l’endroit même où l’ancien ministre a été assassiné, à quelques encablures du TNA, il y a 17 ans. A la rue Ahmed Ghermoul, cette autre plaque sur laquelle on peut lire (en arabe) : «Pour ne pas oublier. Ci-après la liste des citoyens innocents qui ont été victimes de l’explosion d’une bombe dans un bus le 1er juin 1997 à 5h de l’après-midi : Aïcha Haddad, 59 ans. Ahmed Behayer, 59 ans. Abdennour Messaili, 41 ans.» Sur un mur adjacent, une autre plaque de marbre avec cette inscription (toujours en arabe) : «A cet endroit est tombé Harrouche Abdelwaheb, journaliste à El Moudjahid, martyr de la démocratie et de la liberté, à la suite de l’explosion d’une bombe fabriquée par les mains du terrorisme islamiste barbare, le 1er juin 1997, à 17h.»
Ce sont là quelques-unes des rares plaques commémoratives que l’on peut voir incidemment à Alger, et qui témoignent de la folie meurtrière qui a semé le chaos au cœur de la capitale au plus fort du terrorisme. Combien sont-ils, ces mémoriaux, plaques, stèles, cénotaphes, musées et autres monuments aux morts dédiés aux victimes du terrorisme, à Alger et ailleurs ? Force est de le constater : hormis un chapelet d’épitaphes de cet acabit disséminées dans les boyaux de la capitale, rien ne donne à penser que ce pays a connu un drame d’une telle ampleur. Et, surtout, il n’existe pas de mémorial national, solennel, en hommage à ces dizaines de milliers d’anonymes sacrifiés sur l’autel de ce qu’on appelle communément la «décennie noire» (formule qui, soit dit en passant, était à l’origine usitée pour désigner les années Chadli).
Une mémoire collective gravée dans le marbre
La ville est un livre ouvert et son histoire se lit aussi (d’abord ?) à travers sa trame urbaine. On peut, en l’occurrence, parler d’une d’écriture urbaine de l’histoire. Cela pour dire que la question récurrente de la mémoire a aussi pour enjeu ce terrain-là. En témoigne le nombre de cérémonies organisées outre-mer par les anciens partisans de l’Algérie française autour de stèles et monuments, pour dire leur attachement à cette mémoire-là, comme l’illustre la stèle inaugurée le 30 juin 2012 à la Promenade des Anglais, à Nice, en forme de dalle de marbre déchirée entre deux dates-clés : 1962 et 2012.
Dans un rapport du Conseil économique et social français daté du 19 décembre 2007, cet enjeu mémoriel par stèles interposées est rappelé avec acuité : «La mémoire collective d’une nation est entre autres représentée dans des mémoriaux, des commémorations, des archives, des musées, des films, des documentaires, etc. Peu de signes tangibles viennent aujourd’hui témoigner dans notre société de l’histoire de la présence française en Algérie.» Et ce rapport de recommander la réalisation d’un mémorial à la gloire des «Français d’Algérie» : «Le Conseil économique et social demande en outre que (…) un monument aux morts, une stèle... soit édifiée à Paris en tant que capitale, qui pourrait aussi symboliser tous les monuments locaux qui ont été détruits en Algérie».
On peut évoquer, dans le même registre, le fameux Mémorial de la Shoah ou encore celui du 11 Septembre où le président des Etats-Unis, himself, officie lors de la cérémonie de recueillement organisée chaque année sur l’esplanade du World Trade Center.
A Halabja, petite ville kurde située à la frontière irako-iranienne que nous avons visitée à l’hiver 2004, l’histoire tragique de cette province nous est d’emblée livrée à travers un mémorial géant en forme de bras levé vers le ciel qui domine le paysage. On y trouve les noms et les photographies des 5000 victimes du génocide de Halabja, gazées à l’arme chimique le 16 mars 1988 par l’armée irakienne. Un musée est aménagé à l’intérieur du monument, avec de terrifiantes scènes de reconstitution du massacre.
Maqam Echahid et les martyrs post-1962
20 ans après l’indépendance, un imposant monument de 92 mètres de haut, constitué de trois feuilles de palmier en béton, s’élève dans le ciel d’Alger : c’est Maqam Echahid, inauguré en 1982. Alger tenait enfin son mémorial de la guerre de Libération nationale. «El Monument» comme le désignent les Algérois, revient sur toutes les cartes postales et devient très vite le symbole de tout un pays. Aujourd’hui, des voix s’élèvent pour revendiquer un mémorial national de la dimension du Maqam pour les victimes du terrorisme. A Alger, l’histoire s’invite par à-coups, par effraction, en un déroutant télescopage des dates, avec leur pendant de pierres tombales.
A la rue Ben M’hidi, on est interpellé par cette épitaphe : «Ici est tombé à l’âge de 22 ans sous les balles de l’ennemi, le jeune héros ’El Haffaf’ Mohamed El Ghazali. Il fut parmi le groupe de tête des grandes manifestations patriotiques du 1er mai 1945». Un peu plus loin se dresse, sur un mur latéral du MaMa, une dalle de marbre à l’effigie de Ben M’hidi. Vous avancez un petit peu et vous êtes happé par l’emblématique statue équestre de l’Emir Abdelkader. En empruntant sur votre droite les escaliers qui donnent sur le Palais du gouvernement, vous ne pouvez manquer cette émouvante plaque : « Ici est tombé Cherkit Ferhat, journaliste au journal El Moudjahid, le 7 juin 1994 à 8h30, martyr de la liberté et de la démocratie, assassiné par les islamistes intégristes.»
Au boulevard Amirouche qui s’ouvre (côté Grande-Poste) par une page de marbre dédiée à la vie du légendaire chef de la Wilaya III, nous observons une halte devant le commissariat central, siège de la sûreté de wilaya d’Alger. Une inscription gravée à l’entrée du commissariat se veut une pensée aux victimes de l’attentat du 30 janvier 1995, qui avait fait 40 morts et quelque 300 blessés. Nous nous arrêtons pour prendre une photo. Le policier en faction nous en dissuade gentiment d’un souriant et néanmoins intransigeant «mamn’ou». Mémoire interdite. Le moins que l’on puisse dire est que cette attitude contredit la fonction d’une œuvre commémorative dont la raison d’être est, précisément, le partage.
Le mémorial des journalistes
L’écrasante majorité des éléments urbains dédiés à la mémoire des victimes du terrorisme, il convient de le souligner, se limite à une seule forme : des plaques commémoratives. Autre fait à relever : la plupart de ces plaques sont consacrées aux victimes de la presse.De fait, la corporation journalistique est celle qui se sera la plus mobilisée pour défendre la mémoire des siens. Un travail auquel ont pris activement part les familles des journalistes à travers, notamment, l’Association nationale des familles de journalistes assassinés par le terrorisme (AN-Fajat).
A ce propos, il faut mentionner le mémorial trônant place de la Liberté de la presse, rue Hassiba Ben Bouali, qui est, au final, le seul monument commémoratif de cette dimension dans tout Alger. Il a été érigé à la mémoire de 100 journalistes et travailleurs des médias froidement exécutés, dont les noms sont gravés sur deux colonnes de marbre entourant une stèle se déclinant sous la forme d’une plume.
Un rapport de la Fédération internationale des journalistes, (FIJ) daté du 31 décembre 1999, fournit des indications précises quant à la genèse de ce projet qui a été inauguré, rappelle-t-on, le 3 mai 2000 : «En collaboration avec l’Association nationale des familles de journalistes assassinés par le terrorisme, le centre de la FIJ à Alger a établi cette nouvelle liste de 100 journalistes et travailleurs des médias qui révèle l’ampleur de la tragédie qui a touché une grande partie de la corporation. Afin que leurs noms et leur lutte ne tombent pas dans l’oubli, la fondation Tahar Djaout (FTD), l’AN-Fajat, le Syndicat national des journalistes (SNJ) et le centre de la FIJ à Alger, soutenus et aidés matériellement par les responsables du gouvernorat du Grand-Alger et à leur tête, Cherif Rahmani, ministre-gouverneur, ont pris l’initiative de leur rendre un hommage particulier en leur consacrant un mémorial sur la ‘place de la Liberté de la presse’ qui sera inaugurée au début de cette année 2000.»
Hormis donc ces initiatives, nos villes, Alger en tête, accusent un réel déficit en stèles commémoratives célébrant ces nouveaux contingents de martyrs. Il est curieux de noter, par exemple, que l’effroyable attentat du 11 avril 2007 qui avait ciblé le Palais du gouvernement, n’ait pas laissé de «trace», pas même une tablette de marbre, à moins qu’elle ne soit soustraite au regard des passants.
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