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Dans la lutte contre le terrorisme islamiste, il y a des discours mais pas d’actes

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  • Dans la lutte contre le terrorisme islamiste, il y a des discours mais pas d’actes

    Marc Trévidic est juge d’instruction au pôle antiterroriste du tribunal de Grande Instance de Paris et un fin connaisseur du terrorisme islamiste. Dans Terroristes. Les sept piliers de la déraison, aux éditions J.-C. Lattès, il explique, à partir de portraits, pourquoi et comment on devient terroriste, décortiquant les motivations des candidats au djihad. Son premier ouvrage s’intitule Au Cœur de l’antiterrorisme (J.-C. Lattès, 2010).

    Quelle distinction faites-vous entre un acte de guerre et un crime terroriste ?

    La guerre est définie par les conventions internationales. Le terrorisme, théoriquement, est le fait de voir imposer à un pays ses vues par la violence et non par la voie démocratique. Cela peut être le fait d’utiliser des moyens eux-mêmes terroristes, en s’en prenant volontairement à des populations civiles. Et, sur cette deuxième définition, on est très proche du crime de guerre. On est dans des frontières (terminologiques) très délicates, les définitions juridiques sont assez pauvres, on a plus tendance à stigmatiser l’ennemi en l’appelant terroriste.

    Le président François Hollande, en annonçant l’intervention militaire française contre les groupes islamistes au Mali, a parlé de «guerre contre le terrorisme». Qu’en pensez-vous ?

    Si la lutte contre le terrorisme se mène à l’extérieur par une armée, les moyens ne sont pas judiciaires mais militaires. Et je pense que c’est dans ce sens-là que le terme «guerre» est utilisé. François Hollande utilise le mot «guerre» parce que c’est une armée française qui est engagée sur le terrain. La formule la plus neutre, c’est de dire «lutte contre le terrorisme».


    Les Algériens ont-ils bien fait d’intervenir militairement sur le site gazier d’In Amenas pour neutraliser les terroristes et libérer les otages ?


    C’est très compliqué. Si l’on se met du côté des familles des otages tués, je comprends qu’elles puissent dire : «On aurait pu faire autrement». Elles ont leur douleur, mais selon une vue logique, rationnelle et cynique, on dira : «Cela ne sert à rien de prendre des otages chez nous, on ne négocie pas». Et cela peut dissuader les groupes terroristes de prendre des otages c’est vrai, alors que payer des rançons n’a jamais dissuadé les prises d’otages ; cela encourage à en reprendre d’autres.

    Avec l’opération terroriste d’In Amenas, de par la multiplicité des nationalités de la composante du groupe qui en est à l’origine et de ses otages, n’y a-t-il pas un dessein d’internationalisation ?


    La stratégie d’AQMI n’a jamais été de limiter le djihad à l’Algérie ni à un seul ennemi. C’est sûr qu’il y a une différence entre Ançar Eddine et le Mujao – composés de populations plus locales, ou en tout cas plus d’Afrique subsaharienne qui souhaitent avant tout prendre le contrôle du Mali – et les émirs historiques d’AQMI, comme Belmokhtar, qui ont toujours prôné le djihad international.


    Ne pensez-vous pas que malgré leurs dissensions, ces différents groupes pourront faire jonction ?


    Ce n’est pas le signe donné par Belmokhtar, je pense que pour le Mujao et Ançar Eddine, ce n’était pas une bonne idée de se mettre tout l’Occident à dos. Ces groupes n’ont pas la même stratégie, ils font des alliances de circonstance. Mais il faut voir aussi comment Ançar Eddine et le Mujao recrutent ; ce n’est pas en endoctrinant leurs recrues mais en les payant.


    N’assiste-t-on pas à un déplacement du terrorisme islamiste d’Afghanistan vers le Sahel ?


    On a laissé les groupes extrémistes noyauter la région, prendre des contacts, payer des Touareg grâce aux rançons, recomposer leurs rangs alors qu’ils avaient été éradiqués en Algérie. Il y a eu un déplacement qui a été forcé.


    Y a-t-il moyen de conjuguer les efforts internationaux pour faire face à ce terrorisme qui est planétaire ?


    Il faut prendre les problèmes là où ils sont. Par exemple, le problème des rançons est crucial pour la région du Sahel. Il faut que les pays occidentaux non seulement passent un accord, mais s’y tiennent sur le non-paiement des rançons et qu’il n’y ait pas de cavalier seul. Tout le monde est concerné, et si l’on veut arrêter ce phénomène de prise d’otages, il faut qu’il y ait un message fort. C’est toute la communauté internationale qui doit s’engager par convention à ne jamais négocier de rançon.

    Cela conforte la position algérienne qui a toujours plaidé pour le non-paiement de rançon…


    Absolument. L’objectif est qu’à moyen terme, il n’y ait plus de prise d’otages parce qu’il n’y aura plus d’intérêt pour les groupes terroristes.

    N’y a-t-il pas d’autre moyen de lutter contre le terrorisme ?

    Il faut que l’entraide soit la plus fluide possible. Les pays, en matière de terrorisme, sont hypocrites tout le temps ; ce sont d’abord eux qu’ils épargnent et pensent s’en tirer, parce que ce ne sont pas eux qui sont visés. On l’a vu avec l’Angleterre, cela a duré ce que cela a duré. On sait aussi qu’il y a une certaine faiblesse de l’Allemagne, des pays qui n’ont pas été touchés par le terrorisme. Quand la France a décidé d’aider l’Espagne contre l’ETA, elle a pris des risques. C’est ce genre d’exemple qui doit être suivi par tous les pays dans la lutte contre le terrorisme islamiste. Or, il n’y a pas assez de bonne volonté, il y a des discours mais pas d’actes.

    - Belmokhtar a menacé la France en disant qu’il y aura des dizaines de Khaled Kelkal et de Mohamed Merah. Cette menace vous semble-t-elle crédible ? Pourquoi fait-il référence à Kelkal et Merah, alors que ce n’est ni le même contexte ni le même cas de figure ?

    Belmokhtar connaît bien la France. Il connaît les noms magiques, les deux noms qui nous ont le plus fait peur ces dernières années. Il s’adresse à la population française. Il y a d’autant moins à voir entre Kelkal et Merah que l’appel au djihad individuel, aujourd’hui, est d’abord un aveu de faiblesse des groupes terroristes qui sont incapables d’organiser une action structurée en France et qui disent aux jeunes Français : «Faites le djihad là où vous êtes, mais débrouillez-vous.» A l’époque de Kelkal, cela ne se passait pas ainsi. De toutes les façons, les menaces contre la France sont proférées depuis plusieurs années. Un peu plus maintenant. Toujours les mêmes termes. La France est leur ennemie et s’ils peuvent la frapper, ils la frapperont.


    La situation au Mali ne risque-t-elle pas de susciter des «vocations» en France ?

    Dans la petite frange extrémiste en France, il y a effectivement une motivation, il y a un nouveau djihad qui est né au Mali, une terre d’Islam agressée, où on applique la charia. Et l’agresseur, c’est la France.


    B]- Quel est le profil du candidat terroriste français susceptible de passer à l’acte ?[/B]


    Le candidat susceptible de passer à l’acte est d’abord candidat à faire le djihad et, théoriquement, ce qui l’intéresse, c’est d’aller faire le djihad sur une terre de martyrs. Mais là, il va avoir du mal à partir. La question est de savoir si ces candidats vont passer au stade de faire le djihad chez eux, en France. Ce sont des gens qui ont, pour ce que j’en voie, beaucoup moins d’envergure qu’avant, une culture religieuse très basse, embrigadés beaucoup plus vite qu’avant à force d’images d’internet.

    - Des Merah, est-ce encore possible ?

    Merah était quelqu’un de rusé. Des gens qui voudraient passer à l’acte, c’est possible, mais il faut aussi être intelligent, avoir du sang-froid, dissimuler.

    Pensez-vous que la législation française sur laquelle vous vous appuyez est suffisante ? Est-elle adaptée ?


    La législation est suffisante parce qu’on ne peut pas aller plus loin, cela ne veut pas dire qu’on ne soit pas débordés, qu’on n’ait pas de difficultés. On arrête les gens pour ce qu’ils ont préparé. Je dis souvent que je préfère qu’on soit faillible en respectant les droits de la défense, les droits de l’homme, qu’infaillible en ne les respectant pas. La loi est préventive dans la répression, on arrête des gens qui passent à l’acte, il faut prouver qu’il y a eu entente pour préparer des actes terroristes.


    Vous est-il arrivé, personnellement, de vous tromper ?


    Il y a deux façons de se tromper. Quand on décide d’un non-lieu à l’encontre d’un individu qui est en fait plus dangereux qu’on le croit. Cela ne m’est pas arrivé, sinon je ne serai pas encore là à faire mon métier. L’autre erreur potentielle, c’est d’être sur-réactif et d’incarcérer des gens qui, dans leur tête, n’avaient pas l’intention de passer à l’acte. Là, c’est un gros problème, celui de créer des terroristes en les confortant alors qu’ils ne le sont pas encore.


    Y a-t-il une collaboration entre magistrats instructeurs français et leurs homologues algériens sur certaines affaires ?

    Avec l’Algérie, c’est particulier par rapport aux autres pays, 98% de la coopération franco-algérienne se fait entre services de renseignement, et 2% entre le judiciaire.

  • #2
    - Pourquoi ?

    Entre la DST, la CDRI et les services algériens, il s’est noué des relations où, apparemment, il faut donner la priorité au renseignement sur le judiciaire. C’est peut-être lié à l’Algérie aussi, c’est-à-dire qu’elle, qui est puissante en matière de renseignement, n’accorde pas suffisamment de considération au judiciaire. En France, c’est un peu pareil. Tout mon credo, c’est de dire que la justice en France a sa place et ce n’est pas qu’à la DCRI et au ministère de l’Intérieur de décider comment cela doit se faire. Il n’y a pas une fluidité de l’entraide judiciaire entre l’Algérie et la France, pas comme avec d’autres pays où c’est habituel, où des magistrats viennent à Paris, moi je vais chez eux. Cependant, il y a eu des entraides judiciaires qui ont marché, mais c’est vraiment à la marge.

    - Vous-même avez-vous eu à demander une entraide ?

    Oui, il y a des entraides qui ont été exécutées, le problème c’est qu’à chaque fois j’ai toujours demandé à venir assister aux auditions en Algérie, mais elles ont été faites sans que j’y sois présent et on me les a envoyées après. Alors qu’il est prévu que le magistrat qui le demande puisse venir, selon la convention franco-algérienne, il y a cette difficulté que l’Algérie a d’admettre qu’un juge français participe à une audition de prévenu auprès de son collègue algérien. Si on le demande, c’est parce qu’après, en France, quand l’audition du prévenu arrive et qu’il y a un certain nombre d’éléments de preuves, les avocats disent : «Ils utilisent la torture là-bas, et comme ils font cela n’importe comment, c’est pour cela qu’ils ne veulent pas que les magistrats français prennent part aux auditions de leurs confrères algériens», pour décrédibiliser les éléments recueillis en Algérie. C’est un moyen de défense pour les avocats français qui est d’autant plus facile pour eux que le juge d’instruction français n’a pas pu faire le déplacement. C’est cela qui n’est pas très bien compris du côté algérien, c’est qu’en fait c’est la porte ouverte, à chaque fois, pour les critiques de la façon dont la justice algérienne a pu recueillir les éléments à charge. Quand on reçoit une audition qui est toute faite, on ne peut pas être réactif, rebondir aux questions que l’on a transmises, creuser un point. Un collègue algérien qui viendrait à Paris pour un dossier concernant la France et l’Algérie serait le bienvenu.

    - Des magistrats algériens sont-ils venus en France à ces mêmes fins ?

    Je n’en ai jamais connu qui soient venu et c’est bien dommage. J’avais des dossiers en commun, je sais qu’ils avaient une procédure chez eux, on avait des gens qui auraient été intéressants à entendre pour eux.


    Allez-vous vous rendre en Algérie pour poursuivre l’instruction de l’affaire de l’assassinat des moines de Tibhirine ?

    J’espère pouvoir m’y rendre puisque je l’ai demandé. J’ai eu de bons signes, mais l’important c’est comment cela va se faire. C’est très délicat comme dossier. Il est important de savoir comment cela va se faire, avec quels experts. Ce n’est pas rien. Même d’un point de vue scientifique, ce n’est pas rien sur certains aspects.


    Qu’est-ce que vous demandez exactement ?

    Je ne peux pas entrer dans le fond, la loi me l’interdit.

    Nadjia Bouzeghrane- El Watan

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