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L'argent et l'éthique Le capitalisme profite d'une démocratie nécrosée

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  • L'argent et l'éthique Le capitalisme profite d'une démocratie nécrosée

    A l’occasion de notre « Assemblée » sur l'Argent et l'Ethique qui réunira à Nice du 14 au 16 février une cinquantaine de personnalités, Marianne a sollicité la plume des intervenants aux différents débats. Le journaliste et essayiste, Laurent Mauduit, ouvre la réflexion sur le thème «le monde de la finance est-il soluble dans la démocratie ?»
    La confrontation à laquelle Marianne me convie face à Gilles Finchelstein sur le thème « Le monde de la finance est-il soluble dans la démocratie » me pousse à un regard critique sur moi-même. Car je dois dire que j’ai longtemps pêché par optimisme. Et, en d’autres temps, j’aurais répondu par l’affirmative, faisant valoir que les mutations du capitalisme, sa financiarisation progressive, pouvaient aller de pair avec des avancées de l’Etat de droit. Or, je crois que je me suis beaucoup trompé dans le passé sur ce sujet. Et le regard que j’ai aujourd’hui sur cette question est très différent de celui que j’avais hier.

    Pour aller vite, dans mon activité de journaliste comme dans mon activité d’écrivain, j’ai chroniqué pendant près de trois décennies les mutations du capitalisme français. Et j’ai longtemps pensé que ce que nous vivions était le passage du vieux modèle de capitalisme à la Française – le capitalisme rhénan, ou si l’on préfère, le « capitalisme de la barbichette », à un nouveau modèle de capitalisme, régi par des règles anglo-saxonnes. Et dans ce basculement, j’ai longtemps vu de graves dangers sociaux : la remise en cause de logiques collectives au profit d’un système beaucoup plus individualiste. Mais je n’ai pas vu de véritables dangers démocratiques. J’ai même longtemps pensé que cette importation du libéralisme à l’américaine, si elle n’était pas seulement économique mais aussi politique, aurait au moins cet avantage de vacciner la France contre ses vieux penchants, celui de la monarchie républicaine ou du néo-bonapartisme. Cet avantage de lui faire découvrir les mérites de véritables contre-pouvoirs, à la manière de ce que sont, chacun dans leurs domaines, le Congrès américain, ou la SEC, l’autorité de tutelle des marchés.

    Puis, dans un second temps, j’ai amendé mon jugement. J’ai pensé que la France vivait une mutation imparfaite. Et que le capitalisme français relevait en fait d’une variété hybride, qui avait importé du modèle anglo-saxon ce qui l’arrangeait (pour l’essentiel, les règles les plus sulfureuses, celles qui contribuent à un enrichissement des mandataires sociaux proche de l’abus de biens), mais sans importer dans le même temps les règles de la transparence et des contre-pouvoirs. Le capitalisme du Fouquet’s, dont Nicolas Sarkozy a été le champion était, à mon sens, la forme la plus aboutie de ce capitalisme hybride.

    Et puis, pour finir, j’ai encore un peu changé mon regard. Car cette vision du capitalisme hybride, pour être partiellement exacte, m’est apparue encore un peu trop ingénue, par rapport aux évolutions que nous avons vécues. D’abord, parce que la finance exerce une véritable tyrannie sur les politiques publiques. Mais plus encore, pour des raisons spécifiquement françaises : parce que la mutation à l’anglo-saxonne du capitalisme français a été de pair avec une transgression de plus en plus ouverte des règles de ce que devrait être un Etat de droit.

    Que l’on songe en effet au flot permanent des « affaires » qui ont éclaté ces dernières années. De l’affaire Takieddine jusqu’à l’affaire Tapie, du scandale Bettencourt jusqu’au scandale Wildenstein, et tant d’autres, elles ont toutes pour point commun une transgression des règles de l’Etat de droit. Une sorte de mithridatisation de l’Etat qui s’accoutume à ce que la loi aussi bien la morale prohibent, qu’il s’agisse de la fraude fiscale ou de l’évasion fiscale, des conflits d’intérêt ou de l’affairisme, et de tant d’autres dérèglements encore. Au point que le capitalisme français a des relents qu’il faut regarder en face et oser qualifier. Quel est le bon terme : un tantinet néo-mafieux ? Ou alors un peu poutinien ? J’hésite sur la meilleure formule mais j’ai désormais la conviction profonde que le capitalisme financiarisé à la Française s’accommode d’une démocratie nécrosée, ou même la favorise. Tant et si bien que la France n’est à mon sens clairement pas un Etat de droit.

    Et si ces dérives-là ont pollué en permanence le quinquennat Sarkozy, la gauche y succombe aussi. Ou du moins une certaine gauche, celle qui cohabite sans trop de gène avec le monde de l’argent et qui défend perpétuellement qu’il n’y a qu’une seule politique économique possible. La gauche de l’oligarchie parisienne qui a fait des affaires sous Nicolas Sarkozy et qui en fait toujours sous François Hollande. La gauche de l’oligarchie parisienne qui se moque des alternances démocratiques et qui a fait sienne le sinistre principe que Tancredi professe à l’oreille de son oncle, le Prince de Salina, dans le Guépard de Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».
    Marianne
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