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Le réveil économique du "dragon" indonésien

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  • Le réveil économique du "dragon" indonésien

    Le voyageur nostalgique à l'esprit encore habité par le souvenir littéraire des tribulations de Joseph Conrad sur la route des épices aura toutes les raisons d'être sidéré en débarquant dans le hall du luxueux aéroport de Makassar : rattrapée par la bouillonnante modernisation et le dynamisme économique de l'Indonésie, cette grande ville d'environ un million et demi d'habitants n'a plus rien à voir avec l'aimable et proprette capitale des anciens sultans de Gowa, où l'écrivain-voyageur accosta à la fin du XIXe siècle. Dans ses rues, les McDonalds et les cafés Starbucks côtoient désormais les échoppes locales.

    Située à 1 400 kilomètres au nord-est de Djakarta, Makassar, sur l'île de Sulawesi (l'ex-Célèbes), est l'un des symboles du réveil économique de l'Indonésie, qui affiche désormais la plus forte croissance des pays du G20 après la Chine (6,3 % en 2012). En 2012, le géant du conseil McKinsey a classé Makassar dans le peloton de tête des trois villes indonésiennes de taille moyenne en phase de décollage rapide : 8,6 % de croissance !

    Le maire de la cité, Ilham Arief Sirajuddin, n'est pas peu fier de décrire la réussite de Makassar : "Comprenez d'abord que Makassar a l'avantage de sa position géographique : nous sommes devenus le "hub" de l'Indonésie orientale en termes de transports et de flux commerciaux car nous sommes idéalement situés entre Bornéo et la Papouasie, explique cet homme replet à la fine moustache. Dès mon arrivée aux affaires, j'ai senti que Makassar représentait une opportunité pour les investisseurs." Surnommée "la porte de l'Indonésie de l'Est", Makassar doit maintenant se transformer en "salle de séjour" de la région, pour reprendre la métaphore préférée de M. Sirajuddin. "Un endroit où l'on ne fait pas que passer mais où l'on s'installe."

    LE TOURNANT A LIEU EN 1998

    L'évolution de Makassar s'inscrit, entre autres villes, dans le récent cheminement de cette nation jeune - son indépendance réelle date de 1949, quand le colonisateur hollandais a lâché pour de bon les rênes. Pour le pays, le tournant a lieu en 1998, avec le départ forcé du vieux dictateur Suharto, au pouvoir depuis 1967. L'avènement de la démocratie marque le début d'une nouvelle ère politique et économique qui a bouleversé cette nation de 246 millions d'habitants, à 88 % musulmane.

    "Notre succès date du début des années 2000, mais il s'est confirmé grâce à ces huit dernières années durant lesquelles nous avons bénéficié d'une stabilité politique inédite, raconte ainsi à Djakarta le célèbre homme d'affaires sino-indonésien Sofjan Wanandi, qui fut dans une autre vie proche de l'ancien "général président" Suharto.

    "Une cinquantaine de millions d'Indonésiens gagnent entre 3 500 et 5 000 dollars américains par an [soit moins qu'en Chine et en Thaïlande, mais beaucoup plus qu'en Inde et au Vietnam]. Nous avons une démographie dynamique, d'importantes ressources minières et agricoles. Mais notre gros problème est le manque d'infrastructures", soupire le magnat de 70 ans, sanglé dans sa chemise de batik bariolée.

    Derrière lui, comme pour renforcer le versant optimiste de son propos, la capitale de l'Indonésie dresse ses dizaines de tours dans le ciel alourdi par les nuages de la mousson de janvier. "Si nos infrastructures étaient meilleures, le pays pourrait dépasser les 8 % de croissance", prédit-il.

    UNE ENVELOPPE DE 420 MILLIARDS DE DOLLARS

    Le gouvernement du président Susilo Bambang Yudhoyono, dont le deuxième mandat s'achève en 2014, en est bien conscient. Il a débloqué l'an passé une enveloppe de 420 milliards de dollars (309 milliards d'euros) pour financer le développement d'autoroutes, d'aéroports et de ports.

    Une manne pour l'industrie indonésienne qui a vu, en quelques années, émerger des groupes très puissants, tel celui de l'ancien vice-président Jusuf Kalla, qui a notamment construit le nouvel aéroport de Makassar.

    A leurs côtés, les étrangers aussi se précipitent : leurs investissements ont bondi de 37 % en 2011, pour atteindre un total de 19 milliards de dollars, et le Fonds monétaire international estime qu'ils dépasseront les 21 milliards cette année. "Les Japonais et les Coréens sont de loin les premiers investisseurs, mais les Européens commencent à se réveiller, précise Jean-Pierre Felenbok, associé du cabinet de conseil Bain & Company, qui vient d'ouvrir un bureau à Djakarta. Echaudés par la crise asiatique de 1997, les Français sont un peu en retard mais les positions sont loin d'être figées."

    Parmi ceux qui ont fait très tôt le pari de l'Indonésie : Alstom, Schneider, Total, Lafarge, Danone ou encore L'Oréal, qui a inauguré, en novembre 2012, près de Djakarta sa plus grande usine au monde.

    Pour tous les groupes installés dans l'archipel, l'objectif est double : profiter bien sûr de l'explosion de la demande intérieure, mais aussi faire du pays une base d'exportation pour rayonner dans l'ensemble de la région. Avec un atout : le coût de sa main-d'oeuvre, encore relativement faible par rapport à celui d'autres pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est et même de la Chine. "Aujourd'hui, la main-d'oeuvre indonésienne coûte moitié moins cher que la main-d'oeuvre chinoise employée dans les grandes zones industrielles de l'est de la Chine", constate M. Felenbok.

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  • #2
    LOURDEURS BUREAUCRATIQUES

    Seul frein à cet enthousiasme : l'apparition avec la démocratie de lourdeurs bureaucratiques dont la dictature ne souffrait pas autant. "Nous avons été trop rapides dans le processus de décentralisation, regrette encore M. Wanandi. Il n'aurait pas fallu l'imposer dans nos quelque 500 districts. Le processus de décision est trop lent, trop compliqué désormais. Tout projet doit être approuvé depuis le gouvernement central jusqu'aux gouvernements locaux en passant par le Parlement." M. Wanandi a beau vanter les mérites de la démocratie, on sent que les difficultés liées à son essor le dérangent un peu.

    Fauzi Ichsan, l'un des directeurs de la Standard Chartered Bank, à Djakarta, est plus nuancé : "Pour évoluer, nous avions le choix entre deux modèles : l'Inde ou la Chine. Nous avons choisi l'Inde, en essayant de combiner démocratie et économie libérale. Ce type de modèle a inévitablement des effets induits, telle l'inefficacité bureaucratique de gouvernements locaux", souligne ce banquier, en insistant aussi sur les efforts faits par le pays pour se restructurer après la crise économique asiatique de 1997.

    Egalement optimiste, Philippe Courrouyan, président à Djakarta de la branche indonésienne du comité des conseillers du commerce extérieur français, assure que "l'Indonésie est un pays en marche, au rythme souvent chaotique, mais qui bouge et où tout reste à faire !".

    Tous les investisseurs, en revanche, pointent du doigt le fléau de la corruption. Malgré les efforts affichés par le gouvernement, le mal demeure endémique. Dans son classement 2012, l'ONG Transparency International a même rétrogradé le pays de 18 places, l'Indonésie étant maintenant 118e sur 176.

    A Makassar, le maire balaie d'un revers de la main ces critiques : "Ici, martèle M. Sirajuddin, on va vite. On fait accélérer les choses, on peut vous donner un permis de construire en trois jours, là où ça en prend douze ailleurs ; et une licence d'import-export en un mois, là où ça traîne dans d'autres provinces." Des réflexes hérités d'une longue histoire de carrefour commercial : dès le XVIe siècle, commerçants portugais, chinois, arabes, indiens, javanais, siamois et malais accostaient à Makassar pour acheter l'or, les perles, le cuivre et les épices, dont le clou de girofle et la noix de muscade.

    INSTALLATION PORTUAIRE EN PLEIN ESSOR

    Makassar, lovée dans une crique, offre désormais le spectacle d'une ville moderne, ouverte sur le détroit qui porte son nom. Une mosquée un peu futuriste, bleu et blanc, dresse ses minarets pointus sur le front de mer, bétonné de neuf. Le long de la jetée, de grandes et orgueilleuses lettres rouges fixées sur la rambarde affichent en grand le nom de Makassar et la couleur de ses ambitions.

    Dans le port, sitôt quittée la rue qui le longe et où s'alignent bars louches et maisons de passe déguisées en karaoké, on prend la mesure d'une installation portuaire en plein essor : d'immenses grues montées sur roues chargent des conteneurs dans des cargos quand, un peu plus loin, des passagers venus de Java, de Papouasie, des Moluques débarquent d'un bateau de ligne.

    "Depuis Makassar, nous commandons un réseau couvrant 24 ports de l'Indonésie de l'Est, explique dans son bureau du port Abdul Azis, l'un des responsables de l'administration. Nous sommes le troisième port du pays après Djakarta et Surabaya, avec un mouvement de 800 000 conteneurs par an. Nos capacités en termes de stockage de conteneurs augmentent de 15 % annuellement depuis 2007."

    Un appel d'offres a été lancé pour la construction d'un port encore plus grand, qui pourra relier directement Makassar au reste de l'Asie et du monde - ce qui n'est pas encore le cas. Les nouvelles installations devraient voir le jour d'ici une dizaine d'années, non loin de l'actuel port de pêche où la houle fait encore danser sur les vagues de nombreuses goélettes blanches traditionnelles...

    PÉTROLE, GAZ, OR, NICKEL, COBALT...

    Dans les cargos qui quittent l'Indonésie, on trouve du charbon, (l'Indonésie est le premier exportateur mondial), du pétrole, du gaz, de l'or, du nickel, du cobalt, du caoutchouc et, bien sûr, de l'huile de palme. Autant de richesses qui dopent la croissance économique du pays, avec des géants mondiaux comme Sinar Mas, Wilmar, Golden Agri-Resources (tous trois dans l'huile de palme), Bumi Resources ou Adaro Energy (charbon). A lui seul, Wilmar, qui emploie près de 90000 personnes, est l'un des plus grands groupes agroalimentaires d'Asie. En 2011, son chiffre d'affaires a dépassé les 44 milliards de dollars.

    Les exportations ne représentent cependant que 25 % du produit intérieur brut indonésien, comparé aux 70 % en moyenne dans les autres pays de l'Asie du Sud-Est. Résultat : bien qu'elles aient chuté de 8,5 % au deuxième trimestre 2012, la croissance économique indonésienne n'a pas fléchi.

    Son véritable moteur ? Un gigantesque marché intérieur dopé par le développement rapide de sa classe moyenne, ces 50 millions d'Indonésiens qui gagnent plus de 4 000 dollars par an. "Et ce chiffre progresse de 3 % à 5 % par an!", souligne M. Felenbok.

    On voit aujourd'hui ces Indonésiens aux revenus plus confortables se bousculer dans ces malls gigantesques qui se multiplient partout. A Makassar, il vient de s'en ouvrir un, fréquenté par une population encore assez maigrelette en ce dimanche pluvieux de fin janvier. Mais tous les ingrédients du succès sont là : chaînes de restauration rapide américaines, magasins d'électronique, supermarché Carrefour... Comme dit M. le Maire : "Mon but, c'est de faire évoluer la marque Makassar." Le souvenir de Joseph Conrad et des sultans assoupis de Gowa s'est dissipé dans les brumes du détroit.

    Bruno Philip avec Chloé Hecketsweiler - Makassar (Indonésie), envoyé spécial

    Le Monde
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