Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Le bonheur et les souffrances

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Le bonheur et les souffrances

    Qui n’a jamais eu d’insomnie ? Qui n’a pas cherché, des heures durant, la réponse à une question qui le tourmentait ? Et qui n’a pas reconnu qu’il s’était inquiété à tort ou que la fin de son tourment ne correspondait nullement à ce qu’il avait imaginé ? C’est une expérience quasi générale et c’est pourquoi il vaut la peine d’écouter ce que François Roustang nous en dit.

    Philosophe, psychanalyste, aujourd’hui thérapeute par l’hypnose, l’auteur de Savoir attendre(1) nous explique pourquoi notre façon de réagir quand nous avons un «problème», loin de nous en délivrer, le rend encore plus insurmontable. Le plus souvent, ce «problème» occupe le centre de nos pensées, nous l’examinons sous tous ses aspects, envisageons une solution, puis une autre, n’en trouvons aucune qui nous satisfasse et continuons à ruminer. Ce faisant, nous l’entretenons et le rendons plus insoluble encore. Nous le savons et, pourtant, nous nous obstinons.

    La raison ? Inconsciemment, nous voulons souffrir, estime F. Roustang. «Les humains tiennent plus à leurs souffrances qu’à leur bonheur, ils sont capables des plus subtiles inventions pour les entretenir. S’ils cherchaient le bonheur, il y a longtemps que cela se saurait.»

    La souffrance apporte de nombreux «bénéfices secondaires», comme le dit Freud : elle distingue l’individu et lui confère un statut qui suscite l’intérêt ou la compassion. Qui prêterait attention à cette personne âgée si elle ne se plaignait pas constamment de sa sciatique, de ses névralgies, de l’indifférence de ses proches ?

    Pourquoi cette jeune femme se plaint-elle régulièrement de n’avoir pas été aimée par sa mère et se déclare-t-elle inapte au bonheur, sinon pour susciter l’intérêt de son entourage ? Ses amis la plaignent, son mari l’entoure comme une petite fille perdue. Pourquoi changerait-elle ? Désir de provoquer intérêt et sympathie ou de se venger d’un conjoint à qui, par ses jérémiades, on rend la vie impossible, façon de retenir un mari qui souhaite divorcer mais ne quittera pas sa femme, dépressive et suicidaire, peur du changement que provoquerait la guérison : les raisons d’entretenir ses angoisses et de ressasser ses plaintes sont multiples ; et que la réalité montre, après coup, leur inanité n’apaise pas pour autant la personne.

    Telle cette femme, la cinquantaine, qui, des années durant, a vécu dans la crainte que sa vieille tante ne meure : que ferait-elle du cousin, handicapé profond, que cette tante hébergeait ? Vaine inquiétude : une crise cardiaque a emporté le cousin. «Oui, mais s’il n’était pas mort...» Et la plainte recommence. Qui veut retrouver la sérénité doit renoncer à «cette rumination qui occupe constamment l’esprit, à ce ressassement de nos griefs, de nos prétentions et de nos désirs inassouvis, à cette plainte inépuisable qui se répand sur nos misères et nos frustrations».

    Mais que faut-il faire ? La réponse de F. Roustang est radicale : cesser de réfléchir –de gratter sa plaie –, cesser de s’interroger sur le pourquoi et le comment, ne pas psychologiser, ne pas s’appesantir sur son mal ou son malheur. Jamais une réflexion n’apaise l’angoisse, jamais une démarche intellectuelle n’a de prise sur des affects. Aucune souffrance n’est soluble dans un concept. Il ne faut donc pas essayer de résoudre intellectuellement la difficulté qui nous angoisse, estime F. Roustang, mais faire le vide en soi, se mettre en état de disponibilité, d’attente. «Une attente sans contenu» qui doit «nous mettre en état de souplesse à l’égard des choses, des personnes ou des événements», une attente qui est «une mobilisation de forces». Comme le remarquait déjà Hegel, «nous avons en nous une multitude de relations et de connexions» qui sont d’une «infinie richesse» et la distance qu’on peut prendre à l’égard du vécu immédiat permet à ces connexions de se manifester, d’orienter autrement le cours de nos affects et de nos pensées.

    Il s’agit donc de mettre entre parenthèses le vécu immédiat, s’en détacher, l’oublier, pour libérer de nouvelles capacités d’adaptation, «rebondir» et faire peau neuve. Ce peut être très difficile, sans doute. Telle cette mère qui vient de perdre sa fille unique et décide de garder sa chambre en l’état. Puis elle affronte la réalité, réussit «à traiter et à transformer l’événement qui a provoqué sa souffrance» et «réintroduit» l’ex-chambre de sa fille dans l’appartement, en en faisant partie intégrante de l’espace. C’est en agissant, et donc en vivant autrement, qu’elle a réussi à se réadapter. Si l’angoisse rend la vie insupportable, il peut être utile de consulter un analyste. Mais après avoir tout mis en œuvre soi-même, pour s’extraire de cette glue psychique qui paralyse : sortir et, surtout, entreprendre, faire, car toute activité nous détourne de nous-même et nous réintègre dans le flux de la vie. Comme l’écrit le philosophe Ludwig Wittgenstein, «la solution d’un problème de vie, c’est une manière de vivre qui fasse disparaître le problème». 



    1- Poches (Ed. Odile Jacob). Lire également La Fin de la plainte et Il suffit d’un geste.
    Maurice Tarik Maschino- El Watan
Chargement...
X