Tunisie : Ennahda acculé
L'immolation par le feu en décembre 2010 du jeune Tunisien Mohamed Bouzidi fut l'acte déclencheur de la révolution du jasmin qui a emporté et mis à bas le régime dictatorial de Zine El-Abidine Ben Ali. L'assassinat mercredi dernier à Tunis de l'opposant Belaïd Chokri va-t-il être celui d'une révolte populaire cette fois contre les islamistes d'Ennahda détenteurs du pouvoir dans la Tunisie post-Ben Ali ?
L'immense indignation suscitée dans le pays par cet ignoble assassinat politique, l'impressionnante marée humaine qui a accompagné Chokri à sa dernière demeure, mais surtout les manifestations dont les slogans ont ciblé le parti islamiste au pouvoir sont les signes en tout cas que la colère populaire n'est pas près de s'éteindre dans le pays, faisant qu'Ennahda se retrouve confronté à la plus grave crise politique qu'il doit gérer depuis son arrivée au pouvoir après avoir gagné les élections législatives. Le parti de Ghannouchi semble apparemment isolé et contraint de lâcher du lest, ce à quoi l'opposition laïque et libérale s'est déclarée déterminée à lui imposer. Avant de s'y résoudre, il a opté pour tester la sympathie et les soutiens dont il dispose parmi les Tunisiens en appelant ses partisans à manifester en sa faveur. Il n'en demeurera pas moins qu'Ennahda qui a été accueilli avec sympathie par une population qui a mis ses espoirs en lui au préjugé favorable de la réputation d'intégrité et d'attachement à la résolution des problèmes socio-économiques de la Tunisie a dilapidé en quelques mois une grande partie de ce capital. Qui plus est, une fois installé au pouvoir, il fait la démonstration que sa conversion «sincère» à la démocratie et à la tolérance n'est que duplicité.
Rien n'accrédite pour l'instant la thèse que ce serait Ennahda qui serait derrière l'assassinat de l'opposant Belaïd Chokri. Mais ce crime n'aurait pas été possible si le parti de Ghannouchi n'avait pas contribué à l'apparition de la violence dans le débat et la confrontation politiques auxquels se livre la société tunisienne depuis la chute du régime de Ben Ali. Ghannouchi et ses partisans ont beau ressasser qu'ils adhèrent aux valeurs démocratiques, leurs pratiques, une fois investis du pouvoir, ont prouvé qu'ils veulent au contraire imposer un système et un régime qui en sont la négation. C'est par la violence qu'ils exercent eux-mêmes directement ou en la tolérant quand elle est le fait d'islamistes intégristes, qu'ils tentent d'étouffer le mécontentement populaire qui s'exprime contre leur gestion du pays et de museler l'opposition politique.
L'assassinat de Belaïd Chokri est peut-être la dérive de trop qui fait prendre conscience aux Tunisiens qu'Ennahda n'est pas l'acteur politique sur lequel ils peuvent compter pour réaliser les objectifs pour lesquels ils se sont soulevés contre la dictature de Ben Ali et de son régime. L'on comprend que Ghannouchi et Ennahda paniquent au réveil de la rue tunisienne. Une rue qui a fait la révolution du jasmin sans eux est effectivement à craindre quand elle fait entendre les mêmes slogans et les mêmes revendications que ceux qu'elle a scandés en 2010 mais cette fois contre Ennahda et ses dirigeants.
par Kharroubi Habib
Le Quotidien d'Oran
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