Si on ne les avait pas écoutés, on ne serait pas surpris. Vous savez, ces bonnes âmes qui, en janvier 2010, allaient, nous serinant que, non, la Tunisie n'est pas l'Algérie, que le peuple tunisien est un peuple instruit et éduqué, lui, et que sa révolution de «jasmin» ne pouvait être qu'un long fleuve tranquille, paisible ; bref, une sorte de balade bucolique parfumée de senteurs agrestes.
Eh bien, non ! Quand un peuple se soulève pour provoquer une rupture, éduqué ou pas, instruit ou pas, il y a de la casse. Comment peut-il en être autrement dès lors que se télescopent des principes d'un côté, des intérêts de l'autre ? Telle est la réalité sociale et politique d'une Tunisie en pleine effervescence qui entreprend de nous rappeler ces évidences.
Et puis, nous le savons plus et mieux que quiconque, nous les Algériens, lorsque l'islamisme acquiert de la puissance, la violence s'emballe. Nous savons plus et mieux que quiconque, que les islamistes ne lâchent jamais rien à ceux d'en face, quoi qu'il leur en coûte.
L'assassinat de Chokri Belaïd, cet avocat né il y a 49 ans dans l'un des quartiers les plus pauvres de Tunis, est paradoxalement à la fois stupéfiant et prévisible.
Stupéfiant par le modus operandi, un attentat prémédité, on pourrait presque dire à l'algérienne. Ceux qui ont dit de Chokri Belaïd qu'il était le Tahar Djaout tunisien, font certainement référence à son assassinat par un ou des tueurs munis d'armes à feu, et tirant sur leur victime tandis qu'il quittait son domicile.
Prévisible car la spirale de la violence dans laquelle la surenchère salafiste, confortée par la complaisance d'un gouvernement islamiste, à tout le moins islamisant, a entraîné la Tunisie, ne pouvait pas s'interrompre subitement. Pas de miracles en la matière.
La mort est une étape malheureusement presque logique de ce processus d'aberrante «islamisation» du pouvoir et de la société tunisienne par la force.
En fait, c'est la réalité de l'attentat qui a jeté la stupeur.
Celui dont Chokri Belaïd a été la victime pourrait augurer de la montée du terrorisme, et c'est cela qui stupéfie les Tunisiens même si, vu l’enchaînement des faits de ces derniers mois, cette issue devait immanquablement advenir. Il y eut des morts sous Ben Ali. Il y en eut aussi depuis son départ comme celle, en octobre 2012 à Tataouine, de Lotfi Naguedh de Nida Tounès, un parti d’opposition. Il a été tué lors d'échauffourées entre progressistes et partisans d'Ennahda. Ce fut toujours soit lors d'affrontements, soit sous la torture mais c'est la première fois qu'un attentat prémédité réussit. En 2000, sous Ben Ali, Riadh Ben Fadhel (membre du parti d'opposition Al- Massa) avait reçu deux balles dans la poitrine à la sortie de son domicile. L'attentat n'a «jamais été ni revendiqué ni élucidé» ( Le Monde8 février 2013). C'est ce dernier qui redoute aujourd'hui le spectre de la guerre civile. Qui que soient les commanditaires et les assassins de Chokri Belaïd, ils délivrent un message par le choix de leur victime.
Avocat et numéro 2 du Front populaire, un mouvement regroupant des formations de la gauche radicale parmi lesquelles la sienne propre, le Parti des patriotes démocrates unifiés, Chokri Belaïd était depuis de longues semaines l'objet de menaces de mort sur le Net. Il savait que des listes de cibles des islamistes circulaient, encore une fois «à l'algérienne». La veille de son assassinat, il les avait publiquement dénoncées sans se douter qu'il en serait la première victime. Chokri Belaïd qui n'a jamais caché son hostilité à l'égard des islamistes, était un tribun dont la verve était enviée, même parmi ces derniers. Venu de l'extrême gauche qu'il fréquenta étudiant, il devint le porte-parole de sa formation de la gauche radicale d'obédience marxiste qui ne sera légalisée qu'en avril 2011. Avec Hamma Hammami, son complice, dirigeant du Parti communiste ouvrier de Tunisie, il rassembla plusieurs formations dans un Front populaire qui, bien que n'ayant qu'un unique député, compte un nombre respectable de militants, et s'impose comme la troisième force politique du pays. Il deviendra un débatteur redoutable envers les islamistes grâce à son talent d'élocution et à son francparler, recherché par tous les plateaux télé de Tunisie post Ben Ali. Il n'a cessé de dénoncer le climat de violence imputé au gouvernement dominé par Ennahda.
Ali Larayedh, ministre de l'Intérieur et membre d'Ennahda, est allé jusqu'à désigner nommément Chokri Belaïd comme l'un des responsables des émeutes de Siliana en novembre 2012, au cours desquelles les forces de sécurité tirèrent sur les manifestants. Montré du doigt, menacé sur plusieurs pages Facebook, Chokri Belaïd était devenu dans le même temps l'objet de prêches hostiles des imams dans les mosquées. Les appels au meurtre à son encontre, que ce soit du haut des minbars ou sur les pages de Facebook, semblent avoir été entendus.
La Tunisie sombre dans le basculement. Si cet assassinat n'est pas élucidé, et si ses auteurs ne sont pas châtiés, on sait à peu près ce qui va se produire. La mobilisation antii-slamiste («Ennahda, dégage !»), («Rendez-nous notre révolution») impressionnante que ses funérailles ont rendue possible pourrait signifier l’autre basculement, celui de l’éveil enfin de la conscience et du combat démocratique phagocytés par les islamistes
Arezki Metref, Le Soir
Eh bien, non ! Quand un peuple se soulève pour provoquer une rupture, éduqué ou pas, instruit ou pas, il y a de la casse. Comment peut-il en être autrement dès lors que se télescopent des principes d'un côté, des intérêts de l'autre ? Telle est la réalité sociale et politique d'une Tunisie en pleine effervescence qui entreprend de nous rappeler ces évidences.
Et puis, nous le savons plus et mieux que quiconque, nous les Algériens, lorsque l'islamisme acquiert de la puissance, la violence s'emballe. Nous savons plus et mieux que quiconque, que les islamistes ne lâchent jamais rien à ceux d'en face, quoi qu'il leur en coûte.
L'assassinat de Chokri Belaïd, cet avocat né il y a 49 ans dans l'un des quartiers les plus pauvres de Tunis, est paradoxalement à la fois stupéfiant et prévisible.
Stupéfiant par le modus operandi, un attentat prémédité, on pourrait presque dire à l'algérienne. Ceux qui ont dit de Chokri Belaïd qu'il était le Tahar Djaout tunisien, font certainement référence à son assassinat par un ou des tueurs munis d'armes à feu, et tirant sur leur victime tandis qu'il quittait son domicile.
Prévisible car la spirale de la violence dans laquelle la surenchère salafiste, confortée par la complaisance d'un gouvernement islamiste, à tout le moins islamisant, a entraîné la Tunisie, ne pouvait pas s'interrompre subitement. Pas de miracles en la matière.
La mort est une étape malheureusement presque logique de ce processus d'aberrante «islamisation» du pouvoir et de la société tunisienne par la force.
En fait, c'est la réalité de l'attentat qui a jeté la stupeur.
Celui dont Chokri Belaïd a été la victime pourrait augurer de la montée du terrorisme, et c'est cela qui stupéfie les Tunisiens même si, vu l’enchaînement des faits de ces derniers mois, cette issue devait immanquablement advenir. Il y eut des morts sous Ben Ali. Il y en eut aussi depuis son départ comme celle, en octobre 2012 à Tataouine, de Lotfi Naguedh de Nida Tounès, un parti d’opposition. Il a été tué lors d'échauffourées entre progressistes et partisans d'Ennahda. Ce fut toujours soit lors d'affrontements, soit sous la torture mais c'est la première fois qu'un attentat prémédité réussit. En 2000, sous Ben Ali, Riadh Ben Fadhel (membre du parti d'opposition Al- Massa) avait reçu deux balles dans la poitrine à la sortie de son domicile. L'attentat n'a «jamais été ni revendiqué ni élucidé» ( Le Monde8 février 2013). C'est ce dernier qui redoute aujourd'hui le spectre de la guerre civile. Qui que soient les commanditaires et les assassins de Chokri Belaïd, ils délivrent un message par le choix de leur victime.
Avocat et numéro 2 du Front populaire, un mouvement regroupant des formations de la gauche radicale parmi lesquelles la sienne propre, le Parti des patriotes démocrates unifiés, Chokri Belaïd était depuis de longues semaines l'objet de menaces de mort sur le Net. Il savait que des listes de cibles des islamistes circulaient, encore une fois «à l'algérienne». La veille de son assassinat, il les avait publiquement dénoncées sans se douter qu'il en serait la première victime. Chokri Belaïd qui n'a jamais caché son hostilité à l'égard des islamistes, était un tribun dont la verve était enviée, même parmi ces derniers. Venu de l'extrême gauche qu'il fréquenta étudiant, il devint le porte-parole de sa formation de la gauche radicale d'obédience marxiste qui ne sera légalisée qu'en avril 2011. Avec Hamma Hammami, son complice, dirigeant du Parti communiste ouvrier de Tunisie, il rassembla plusieurs formations dans un Front populaire qui, bien que n'ayant qu'un unique député, compte un nombre respectable de militants, et s'impose comme la troisième force politique du pays. Il deviendra un débatteur redoutable envers les islamistes grâce à son talent d'élocution et à son francparler, recherché par tous les plateaux télé de Tunisie post Ben Ali. Il n'a cessé de dénoncer le climat de violence imputé au gouvernement dominé par Ennahda.
Ali Larayedh, ministre de l'Intérieur et membre d'Ennahda, est allé jusqu'à désigner nommément Chokri Belaïd comme l'un des responsables des émeutes de Siliana en novembre 2012, au cours desquelles les forces de sécurité tirèrent sur les manifestants. Montré du doigt, menacé sur plusieurs pages Facebook, Chokri Belaïd était devenu dans le même temps l'objet de prêches hostiles des imams dans les mosquées. Les appels au meurtre à son encontre, que ce soit du haut des minbars ou sur les pages de Facebook, semblent avoir été entendus.
La Tunisie sombre dans le basculement. Si cet assassinat n'est pas élucidé, et si ses auteurs ne sont pas châtiés, on sait à peu près ce qui va se produire. La mobilisation antii-slamiste («Ennahda, dégage !»), («Rendez-nous notre révolution») impressionnante que ses funérailles ont rendue possible pourrait signifier l’autre basculement, celui de l’éveil enfin de la conscience et du combat démocratique phagocytés par les islamistes
Arezki Metref, Le Soir
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