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Asie Centrale et Caucase: l'Islam sort des oubliettes de l'histoire

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  • Asie Centrale et Caucase: l'Islam sort des oubliettes de l'histoire

    "Au commencement vivaient sur les terres du Caucase et de l'Asie Centrale des peuples barbares dirigés par des émirs tortionnaires et des mollahs lubriques et superstitieux, ne possèdant comme culture que des traditions folkloriques. La civilisation russo-bolchévique s'est chargée de faire naître ces peuples à l'Histoire": telle est, en résumé, la version officielle de la réalité, véhiculée tant par le tsarisme que par le bolchévisme, sur cette immense région-charnière entre le monde européen-méditerranéen et l'univers asiatique.

    Le démenti de l'histoire

    Depuis plus de deux millénaires, l'Asie Centrale est un lien commercial et culturel entre le Moyen-Orient, l'Inde et la Chine, tandis que le Caucase fait office de pont entre l'Europe et l'Asie. Dès l'ère achéménide (VIième-IVième siècle av. notre ère), l'Asie Centrale est une région prospère. Elle ne va cesser d'être irriguée tout au long de son histoire par les courants de maintes civilisations, lesquels vont en outre conduire à une modification du caractère ethnique de ces régions: Scythes, Macédoniens, Huns et Touraniens succèdent aux Iraniens. Le mélange de tribus et de peuplades qui a résulté des invasions a renforcé le caractère vital joué par la région entre les continents asiatique et européen et le Moyen-Orient.

    Avant que l'étendard du Prophète ne flotte sur ces vastes territoires, zoroastrisme, bouddhisme, culte de Tengri, christianisme nestorien, judaïsme et hindouisme ont fructifié à des degrés divers. Au VIIième siècle avant notre ère, des colonies grecques de la Mer Noire étaient en contact avec le Caucase. Cette contrée montagneuse va subir, elle aussi, nombre d'invasions: Scythes, Sarmates, Huns, Avars et Khazars. Au début de l'ère chrétienne, deux royaumes chrétiens se développent, l'Arménie et la Géorgie, qui tomberont sous domination iranienne puis romaine. Ensuite, vient la montée en puissance de l'Empire sassanide. Mais déjà une nouvelle force émerge du sud lointain: l'Islam.

    Sa progression vers l'Asie centrale sera foudroyante. De 635, date des premiers raids musulmans contre les Sassanides, jusqu'en 710, prise de Boukhara et de Samarkand, moins d'un siècle suffit aux armées islamiques pour asseoir leur domination sur l'Asie Centrale. Quant au Caucase, l'Islam s'y imposera par la force de l'exemple, par le prosélytisme et non par la conquête. Donc, bient avant l'arrivée des Arabo-Musulmans, l'Asie Centrale et le Caucase ont rempli une fonction historique de première importance, tandis qu'on ne parlait pas encore du peuple russe.

    L'âge d'or

    De 874 à 999, la Transoxiane (1) vécut sous la dynastie samanide, une période à juste titre considérée comme l'âge d'or de la région. La capitale de l'Etat samanide, Boukhara (2), fut un des phares religieux et culturel de l'époque; des milliers d'élèves venaient des quatre coins du monde musulman pour recevoir un enseignement dans les prestigieuses écoles de cette ville de 300.000 habitants. Rudaki, l'un des pères de la littérature perse moderne; Avicenne, le philosophe, homme de sciences et maître soufi, dont l'érudition lui valut le titre de Sage des Sages, ou encore Biruni, savant pluridisciplinaire de génie, sont des personnages qui, parmi d'autres, ont magnifié cette période de l'Islam.

    La libéralité étonnante dont firent preuve les Samanides a permis un essor économique, culturel et spirituel jamais égalé par la suite. De plus, paix et stabilité venaient compléter le tableau. A noter aussi, l'oeuvre fondamentale d'Abou-Abdallah al-Boukhari. Son traîté, intitulé "L'Authentique", est considéré comme l'ouvrage de théologie islamique le plus important après le Coran. En y authentifiant les véritables traditions prophétiques de Mahomet, il empêche la multiplication invraisemblable de pseudo-propos du Prophète; un travail qui est capital pour une religion en quête de cohérence. Prisé par les Sunnites, son travail est également encensé par les Chiites, minoritaires en Islam (3).

    Aux Samanides, dernière famille iranienne à régner en Asie Centrale, succéderont des tribus turco-mongoles, plus ou moins heureuses dans leur déferlement conquérant. Djaghataïdes, Ghaznavides (4), Seldjoukides et autres Ghurides assumèrent les uns à la suite des autres une domination tumultueuse sur la Transoxiane et souvent au-delà.

    L'émergence russe

    Au IXième siècle, les Russes constituaient un peuple insignifiant, vivant sous le joug des Khazars convertis au judaïsme (5). Il fallut l'union des deux principales villes slaves, Kiev et Novgorod pour que cette tribu à l'origine incertaine acquiert une certaine stature et que soit fondé un premier Etat russe sous la houlette du Prince Oleg. Le nouvel Etat, cherchant un système religieux pour se légitimer, finit par adopter le christianisme orthodoxe sous Vladimir (Xième-XIième siècle). Ne voulant ni de l'Islam "religion de l'ennemi bulgare" ni du judaïsme "religion de leurs anciens maîtres khazars" ni du catholicisme, pratiqué par les Germains et d'autres de leurs ennemis, les Russes trouvèrent en l'orthodoxie, outre une spiritualité s'harmonisant avec leur nature profonde (foi fervente et rapport ambigu à l'autorité), un vecteur fantastique pour revêtir la nation russe d'une dimension messianique.

    Car l'adoption de cette spiritualité, renvoyant le paganisme antérieur dans l'oubli, investissait la puissance russe montante d'une mission sacrée de sauvegarde et d'expansion de la "vraie foi" qu'avait jusque là incarnée l'Empire byzantin (6).

    Jusqu'au début du XIIIième siècle, Russes et tribus voisines instaurèrent une trêve plus ou moins efficace. Les Turcs qui formaient des bandes de pillards venus de l'est et du sud présentaient un danger relatif malgré leurs incursions audacieuses jusqu'au coeur de la Russie.

    Le cataclysme mongol

    Russes comme Musulmans, de la Chine à l'Ukraine et de la Transoxiane au Golfe Persique, des millions d'humains et de kilomètres carrés passèrent en un rien de temps sous la domination mongole. En moins d'un demi siècle (1207-1241), l'armée de Gengis Khan et de ses généraux tailla un empire qu'aucun des clans mongols, encore en guerre quelques années auparavant, avant leur unification par Temudjin, n'aurait osé imaginer. Ces nomades jaillis des immensités de la Sibérie méridionale, radicaux dans leur entreprise d'anéantissement massif des structures politiques, économiques et administratives des régions conquises, n'en firent pas moins preuve d'une tolérance religieuse surprenante.

    Cependant, cette ouverture avait ses limites. Les dignitaires religieux d'Asie Centrale retournèrent à une interprétation très étroite du Coran et, afin d'éviter les persécutions, Juifs, Zoroastriens et Chrétiens s'exilèrent. Partiellement en réaction à ce rigorisme des qadis, des sociétés secrètes islamiques se propagèrent en Asie Centrale.

    Originellement zoroastriennes, dès avant l'invasion arabe, les confréries devinrent le lieu de la préservation d'un Islam ouvert sur sa dimension intérieure, fortement influencée par le mazdéisme. En s'emparant du Caucase en moins de deux ans, les Mongols s'ouvraient l'une des routes qui menaient au coeur de l'Europe. Ravageant ensuite la Russie et l'Ukraine, les cavaliers de l'apocalypse se retrouvèrent en Hongrie vers 1242. Batu, petit-fils de Gengis Khan, fit demi tour, à l'annonce de la mort d'Ogodaï, successeur de son grand-père.

    La défaite qu'avaient subi les Russes fut ressentie par eux comme une terrible humiliation. Commençaient ainsi deux siècles de "Tatartchina" que le peuple de la Sainte Russie n'oublia jamais et qui restent associés à la personne mythique de l'ennemi atavique turc. Sans doute peut-on puiser dans ces deux cent ans une explication de l'attitude des Russes à l'égard des peuples musulmans voisins.

    Tamerlan ou l'espoir d'un nouvel âge d'or

    Au milieu du XIVième siècle, l'empire mongol édifié par Temudjin et ses successeurs se disloqua sous les coups de boutoirs d'un seigneur de la guerre, issu du clan tatar des Barlas, Tamerlan. Celui-ci remodela l'oeuvre de Gengis Khan et en élargit les frontières. Cette fois, le moule unificateur fut intégralement islamique. Si Tamerlan se montre aussi cruel que ses prédécesseurs, il fit de Samarkand une vitrine de l'art et de la culture islamique.

    Palais, mosquées, medersas et bibliothèques rivalisèrent de splendeur grâce au talent de milliers d'artisans venus de Syrie, d'Anatolie, d'Iran et de Mésopotamie. Encore aujourd'hui, la ville natale du conquérant tatar est un miroir de la grandeur de l'art islamique qui s'épanouit à la fin du XIVième siècle. En Ouloug Beg, Tamerlan trouva un successeur éclairé. Cependant, la dynastie timouride s'effaça vers 1500, annonçant la fin des empires tataro-mongols et la fin du rôle historique joué jusqu'alors par l'Asie Centrale.

    Les successeurs chaybanides qui tentèrent de maintenir une cohésion pendant un siècle encore dans leurs possessions ne purent rien pour empêcher la dislocation de l'ancien empire de Tamerlan. Vers le milieu du XVième siècle, le morcellement des Etats tataro-mongols marquait l'échec ultime des entreprises de Gengis Khan et Timour (7). En Iran et en Anatolie, les clans conquérants furent assimilés et le pouvoir passa aux mains des élites locales.

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  • #2
    Le messianisme impérialiste russe

    La Russie attendit deux siècles pour se libérer du joug tataro-mongol. A la différence des autres peuples occupés, les Russes conservèrent une relative autonomie sous contrôle de l'envahisseur. La noblesse locale se renforça et étoffé son emprise sur la société russe. De plus, Turcs et Russes ne se mêlèrent pas d'un point de vue ethnique, au contraire de ce qui se passa en Asie Centrale. En 1480, la Russie, profitant de l'affaiblissement du conquérant, refusa définitivement de payer tribut à la Horde d'Or.

    Mais l'événement le plus significatif fut la chute de Constantinople en 1453. En découlaient deux conséquences: non seulement l'Eglise orthodoxe russe devenait pleinement indépendante de Byzance mais aussi la Russie brandissait désormais seule l'étendard de la vraie foi et s'intrônisait protectrice de la chrétienté contre le péril islamique.

    A ce protonationalisme russe, dont les fondements sont spirituels et les connotations revanchardes, s'ajoutaient des raisons plus pratiques, mais qui renforçaient les velléités impérialistes que manifestait Moscou: les qualités médiocres des terres agricoles russes ne répondant pas à la croissance rapide de la population; et les frontières "steppiques" et désertiques. Ce qui donne une géographie empêchant toute défense efficace. La puissance russe était donc à la merci d'autres peuples. Seul le Caucase montagneux offrait une protection efficace. Bardée de ses convictions mystico-économiques, la Sainte Russie s'engage dans une expansion guerrière par étapes.

    De 1453 à 1890, année de la conquête définitive de l'Asie Centrale, les armées orthodoxes, au prix de millions de morts, vont tailler dans la chair de régions principalement musulmanes et où tout rappelle le formidable empire de l'ennemi tataro-mongol. La conquête de la Sibérie, la prise de Kazan et d'Astrakhan, l'absorption du Kazakhstan, l'annexion de la Crimée, la mise au pas des Suédois, le contrôle du Caucase, la prise de Bakou, puis de la totalité de l'Asie Centrale désormais phagocytée: autant de pierres apportées à un édifice dont le marxisme-léninisme allait préserver les fondements en en changeant l'apparence.

    L'obsession de Kazan

    Dans la longue histoire de la confrontation islamo-russe, l'épisode de la prise de Kazan occupe une place de première importance. La capture de cette ville trois fois plus grande que Moscou, capitale de nombreux khans tatars depuis plus de cent ans, fondée par l'ennemi bulgare mais surtout centre rayonnant de culture islamique (8), représentait le coup de grâce qu'il fallait impérativement asséner aux Tatars, sous peine de ne pas véritablement exorciser la période de domination mongole.

    Les Russes mirent cinq longues années pour venir à bout de la résistance acharnée de la population de Kazan. En 1552, la ville tomba et fut livrée au massacre, au pillage et tous les symboles du passé islamique furent éliminés. Célébration lugubre de l'extermination de la population de la cité: Ivan le terrible fit édifier au coeur de Moscou la cathédrale Saint-Basile, dont les dômes polychromes "symbolisent les têtes enturbanées et coupées des huit chefs musulmans morts en défendant le Croissant contre la Croix" (9).

    La Russie et les Musulmans du Caucase

    En annexant la Crimée, les portes du Caucase étaient ouvertes. La région n'avait jusqu'alors jamais été soumise à une autorité politique extérieure, bien qu'elle ait été traversée maintes fois par des envahisseurs (Scythes, Sarmates, Huns, Achéménides,...). Morcelée en Etats autonomes, le Caucace était une zone d'affrontement entre l'Empire ottoman et l'Iran. Les deux puissances s'accordèrent pour "désarméniser" le sud-ouest caucasien. Expulsions et massacres d'Arméniens se succédèrent.

    De 1729, année de la première prise de Bakou, à 1888, année de l'assujettissement définitif du "Kuhe-Qaf" (10), les forces russes durent faire face à une géographie défavorable et à de multiples rébellions musulmanes, tout en se présentant comme les protecteurs des chrétiens locaux et en veillant à l'élimination progressive des présences ottomane et iranienne dans ces territoires montagneux convoités.

    Les guerres russo-iraniennes tournèrent à l'avantage des Tsars, tandis que les Ottomans durent abandonner leurs prétentions, notamment sur la Circassie. Il y eut des révoltes contre l'autorité russe. Outre celle du Tchétchène Imam Mansur Ushurmah, à la fin du XVIIIième siècle (11), le soulèvement de Chamil vers 1830 est essentiel, si l'on considère qu'il symbolise l'émergence d'un mouvement de résistance nationale, puisant une grande partie de sa force dans le soutien d'une confrérie soufie, l'Ordre des Naqshbandi, qui n'hésitaient pas à brandir l'étendard du panislamisme.

    Commencée en 1824 dans le Daghestan, la révolte se transforma en une guerre totale qui dura 25 ans; conjuguée à un soulèvement circassien, elle ébranla la domination russe sur le Caucase. Déjà, on peut remarquer la capacité étonnante des communautés musulmanes à se souder autour des confréries soufies en cas d'orage historique.

    La Russie et les Musulmans d'Asie Centrale

    Le calme relatif instauré dans le Caucase permet aux Russes de focaliser leurs efforts sur la conquête de l'Asie Centrale. En moins de 30 ans, vers 1890, l'ancienne Transoxiane est complètement sous leur contrôle. Les khanats de Kokand et de Khiva, l'émirat de Boukhara, les tribus turkmènes sont intégrées à l'Empire sans engendrer de réactions de la part des Etats musulmans limitrophes. La rapidité de la conquête s'explique par l'absence d'obstacles naturels pouvant retarder l'avance russe, la supériorité de l'artillerie, mais surtout la déglingue des différents Etats locaux, affaiblis par des guerres intestines. De plus, l'oisiveté et l'impiété des émirs indigènes rendaient d'avance caduque toute velléité de mobilisation contre l'ennemi russe, chrétien-orthodoxe.

    Tout mouvement à consonance nationaliste était voué à l'échec en raison du fractionnement ethnique. Le pôle identitaire résidait dans l'Islam et dans l'Islam seul. A cause de sa décadence économique et de son instabilité politique, l'Asie Centrale constituait une proie facile. En 1890, la Russie était une puissance économique mondiale que rien ne semblait pouvoir arrêter. L'Iran et l'Inde tenaillaient l'imaginaire russe. A la vieille de la première guerre mondiale, l'Empire des Tsars est un Etat multiethnique dans lequel les Russes ne représentent que 40% de la population. Les Musulmans sont la minorité religieuse la plus importante (16%).

    L'état de l'Islam à la fin du tsarisme

    Appel à la Djihad, révoltes plus ou moins localisées, répressions impitoyables: les Musulmans de l'Empire appliquent dès lors la seule recette qui permet de se préserver en tant qu'identité et entité culturo-spirituelle: intérieurement, on se répète que la vérité demeure islamique, envers et contre tout. Mais dès la fin du XVIIIième siècle, c'est l'ensemble du monde musulman qui s'interroge sur le déclin relatif de la religion du Prophète. D'une part, les réformateurs occidentalistes (djadid) prônent la rénovation de l'Islam en se tournant vers l'Europe; d'autre part, les traditionalistes revendiquent un retour aux sources et à la Charia. Le mot d'ordre des premiers "la modernisation" doit déboucher, dans leur esprit, à adopter un régime constitutionnel et à former des gouvernements parlementaires.

    Non monolithique, la tendance djadid n'a jamais pu "positiver" sa diversité et a fini par s'éloigner de la réalité concrète qu'est le peuple, en proposant des mesures d'européanisation, en épousant les querelles internes de la Russie, qui opposaient panslavistes et occidentalistes; les protagonistes de la tendance djadid ont fini par considérer la Russie comme une "mère-patrie" et rejeter toute idée d'autodétermination pour les Musulmans (12).

    Les traditionalistes "les qadims, littéralement, les précurseurs" rassemblent principalement le clergé. Leur attitude est guidée par la patience et la certitude de jours meilleurs. Ils veulent tenir l'Islam à l'écart des développement politiques. Ils sont radicalement hostiles aux djadid. Les fidèles sont souvent membres de confréries soufies. Les institutions russes incarnent, pour eux, l'apostasie (kufr). Le monde extérieur est possédé temporairement par les forces hostiles à la Vérité mais le fidèle reste intact, pur, grâce à "l'immigration intérieure". Les divisions inter-musulmanes quant au comportement à adopter face à l'occupant, empêchèrent les communautés de croyants de jouer un rôle dans l'agitation de 1905.

    Amir Taheri résume la période tsariste: "Malgré quelques tentatives de russification et de conversion forcée à l'orthodoxie, en général, les Tsars n'essayèrent pas de détruire l'Islam en tant que religion. L'Empire autorisait certains échanges entre ses possessions musulmanes et les Etats musulmans indépendants, permettant aux Musulmans russes de ne pas être coupés du monde islamique". Cependant, l'occupant ne dérogea jamais aux méthodes brutales de répression. Partout, les Musulmans se voyaient expropriés, colonisés et exploités. La révolte étouffée de 1916, soutenue par une coalition exceptionnelle de tribus kirghizes, khazaks, de mollahs qadim et d'intellectuels djadid, illustre parfaitement l'état de l'Islam à la fin de l'Empire des Tsars.

    Le leurre bolchévique

    Lorsque le second congrès panrusse des soviets de députés ouvriers, soldats et paysans se réunit le 7 novembre 1917, quelques heures après le coup d'Etat bolchévique, les organisations politiques musulmanes approuvent la résolution appelant à une paix immédiate. La révolution communiste, tout en ne recueillant que très peu d'échos dans les milieux ouvriers des territoires musulmans "du fait du sous-développement industriel de ses régions" suscite d'emblée des espoirs: un terme sera mis au retard économique et à la misère qui règne en Asie Centrale et dans le Caucase (13).

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    • #3
      C'est alors qu'apparaît la personnalité de Galiev, un Tatar de la Volga, qui parvint à mener sa barque dans l'univers totalitaire communiste avec une incroyable liberté pendant une période très longue (1917-1930/35). L'objectif de Galiev était non seulement de sortir la région de sa misère et de son état d'exploitation mais aussi de la faire accéder, au moins, à une véritable autonomie. Très tôt, Galiev soutint les Bolchéviques en se battant à leurs côtés contre les Blancs. En récompense, Staline le nomme responsable du Commissariat musulman aux Nationalités.

      A l'occasion du premier congrès des communistes musulmans, Galiev expose un plan d'autonomie totale du Parti communiste musulman, de façon à ce qu'il devienne une force capable de propager la révolution dans les pays limitrophes. Mais, derrière son engagement révolutionnaire, Galiev souhaitait voir les Tatars devenir le moteur d'une authentique révolution musulmane universelle, qui verrait se regrouper tous les peuples turcs. Le nouveau pouvoir communiste avait besoin des Musulmans dans sa guerre contre les Tsaristes blancs, d'autant plus que la majeure partie des combats se déroulaient en territoire musulman. Staline ménage donc Galiev, pour mieux s'en débarrasser dans les années 30. Deux facteurs poussent en masse les Musulmans dans l'armée rouge: l'intervention militaire étrangère et le chauvinisme du haut commandement blanc.

      Ensuite, la propagande conjointe de Lénine et de Staline finit par payer. Rares étaient ceux qui soupçonnaient que les proclamations marxistes-léninistes, promettant l'autodétermination pour tous les peuples, n'étaient que pure tactique. En fait, aux yeux des marxistes-léninistes, la seule autodétermination valable était celle du prolétariat, dont la nature devait être "internationale". Toujours est-il que la guerre civile démontra l'incapacité des chefs politiques musulmans à développer une stratégie commune, leur permettant, dans un premier temps, de surmonter leurs désaccords, dans un second temps, de se rallier le soutien des masses.

      Le rouleau compresseur stalinien

      Une fois élu au poste de secrétaire général du Parti Bolchévique, Staline ne s'embarrasse plus de fioritures. Les chefs musulmans doivent soit rejoindre le parti, soit être éliminés. Mesures anti-musulmanes, purges, déportations et révoltes (14) se succèdent. La tactique du petit père des peuples semble infaillible. La création de républiques musulmanes rendait impossible l'avènement d'une nation musulmane unique; les ulemas s'exilent; quelques réformes comme la distribution de terres permettent de rassurer la paysannerie et la bourgeoisie; les autorités font passer des mesures anti-religieuses comme la suppression du kalym (15), de la polygamie et du port du voile.

      Progressivement, la politique stalinienne à l'égard de l'Asie Centrale et du Caucase musulman gagne en horreur et en perversité. Il s'agit de faire disparaître l'Islam, ceux qui le pratiquent et ceux qui, plus généralement, peuvent constituer un obstacle à la politique de Staline, même à l'intérieur du Parti.

      Génocide kazakh, déportations et massacres de moindre ampleur, russification/soviétisation, destruction de la culture musulmane, dékoulakisation, confiscation des récoltes pour nourrir les villes et l'armée, création de micro-nationalités et de langues factices, changement des noms musulmans des personnes et des lieux, exploitation économique forcenée et plan quinquennal pour la liquidation des croyances religieuses: le peuple musulman a ainsi été privé d'autonomie commerciale, de structures religieuses, sérieusement refroidi de toute velléité nationaliste et coupé de son passé.

      Le redécoupage de la carte géographique du Caucase et de l'Asie Centrale devait à long terme déboucher sur l'avènement d'une grande communauté soviétique, peuplée d'homines sovietici sans aucune référence raciale, ethnique ou religieuse.

      Le conflit russo-tatar

      Staline, en se montrant impitoyable avec le peuple tatar, tout en ayant conscience du danger incarné par cette ethnie mongole, qui voulait réaliser l'unité des Musulmans, perpétue une hostilité atavique, inextinguible, entre Russes et Tatars, que la guerre pour Kazan avait symbolisé jadis. Originaires de la région de la Volga, ayant essaimé en Asie Centrale et dans le Caucase, les Tatars ont été le peuple musulman le plus dynamique et le mieux doté d'une élite instruite. Très attachés à leur langue, leur culture et leur religion, ils sont doués pour le commerce et formaient une classe marchande puissante, trait d'union entre la Russie et l'Asie. Etant les plus instruits, ils jouent dès lors un rôle primordial dans le développement des idées panislamistes.

      Ils comprennent très vite que l'existence et la floraison de l'Islam passent par la constitution d'un Etat tatar équivalant à l'Etat russe et rassemblant sous son drapeau toute la population musulmane de l'Empire, puis de l'Union. La destruction de Kazan avait été une catastrophe pour les Tatars. Ils n'avaient encore rien vu... La politique stalinienne à leur égard est le sommet dans l'art douteux d'exterminer les peuples. Après avoir fait miroiter la création d'une république regroupant les peuples tatars, l'Etat bolchévique décide l'opposé, c'est-à-dire le fractionnement à l'extrême; une politique qui, d'ailleurs, toucha l'ensemble de la communauté musulmane. Entre 1924 et 1940, les Musulmans "se retrouvèrent divisés en 39 nations, nationalités et groupes ethniques, selon une procédure simple. Tout groupe ethnique susceptible de présenter quelques traits distinctifs devait connaître une promotion et accéder au rang de nation ou de nationalité" (16).

      Staline créa de toutes pièces avec force linguistes, historiens et ethnologues des micro-nations, des langues et des histoires nationales. La république autonome tatare du Caucase fut promptement dissoute en 1944 sous prétexte de "collaboration avec les nationaux-socialistes et sa population déportée ou massacrée. Tout au long de son règne, le Géorgien, plus grand-russien que le Tsar, fit souffler la plupart du temps un vent de terreur sur les peuples du Sud et sur les Tatars en particulier.

      Le leader soviétique avait compris que l'enracinement islamique défiait les axiomes du marxisme-léninisme et que, dès lors, un modus vivendi s'imposait: dans les persécutions. L'Islam avait bien le droit de survivre, pensait Staline, mais de façon à ne plus représenter la moindre menace. En 1943, Staline et le Mufti d'Oufa concluent un accord, autorisant les Musulmans à constituer quatre "directions spirituelles", soit des structures administratives reflétant un Islam enfermé dans une société en voie d'athéisation totale. Le rôle de ces "directions" est de préserver les monuments islamiques, de publier les écrits sacrés et d'inspirer, dans la mesure du possible, certaines lois soviétiques.

      Le fidèle n'a nul besoin de clerc dans la pratique de sa foi religieuse et peut donc exercer celle-ci hors des "directions spirituelles". L'incomplétude de ces structures islamiques officielles, le discours anti-islamique répété à satiété et souvent concrétisé par des actes hostiles à l'égard des fidèles ou des symboles (destruction de mosquées, noms de lieux ou de sites sacrés bolchévisés d'autorité) ont contribué, en réaction, à vivifier d'autres structures, plus profondément religieuses et remontant à l'époque perse, se donnent pour mission de conserver les traditions populaires, de maintenir les liens unissant le peuple musulman à son passé, d'aménager un espace intérieur étanche au totalitarisme bolchévique. Face à la politique de déracinement et de dépolitisation des masses musulmanes, pratiquée par les communistes, les confréries soufies, après avoir connu quarante ans de déclin (entre 1880 et 1920), retrouvent leur place déterminante dans la vie des sociétés islamiques d'Asie Centrale et du Caucase.

      Ces confréries ont donné aux peuples islamiques de l'ex-URSS des figures marquantes de guerriers, en lutte, successivement, contre les Mongols, les Tsars et les communistes. Mais les tariqats et leurs guides (murshid) ont surtout comme mission essentielle de protéger l'identité islamique de conserver son authenticité. Face au stalinisme, au "Taghut", les confréries instaurent un double jeu, imparable: "Ceux qui pratiquent l'art de la taqiya s'assurent la vie en ce bas monde en adhérant au Parti communiste et celle dans l'au-delà en appartenant à une cellule clandestine soufie", explique un Musulman (17).

      Du dernier voile au dernier communiste

      Tandis qu'il était apprécié par les inoxydables de la gauche ouest-européenne, Khroutchev ne s'inscrit pas en porte-à-faux par rapport à la politique des nationalités de son prédecesseur. La lutte anti-islamique se traduisit notamment pas la réactivation de l'Union des Sans-Dieu (18) et par la destruction des voiles par le feu en public. En 1959, on proclame la "fin de l'ère du voile", en brûlant une pièce d'étoffe censée être le dernier voile, lors d'une cérémonie à Boukhara. La soviétisation politique, accompagnée de la russification linguistique, les actions multiples contre les écoles et les monuments de l'Islam, débouchent sur une rupture du modus vivendi de 1943: les chefs religieux vont désormais soutenir les révoltes.

      L'arrivée de Brejnev inaugure une politique plus ambigüe que jamais. Comme ces prédécesseurs du Kremlin, Brejnev détestait l'Islam mais avait bien compris que l'idéologie n'en viendrait pas à bout et qu'avec de l'argent, on pouvait obtenir le soutien des dirigeants locaux. On rapatrie certains déportés, on reconstruit Tachkent dé-vastée par un tremblement de terre, on réanime l'Islam officiel, on disculpe Tatars, Turcs, Kurdes et autres "crypto-fascistes".

      Il n'en demeure pas moins vrai que l'élément déterminant de la politique brejnevienne est la corruption des strates dirigeantes, appuyée, au cours des années 70, sur le boom économique dû aux revenus du pétrole et du gaz naturel. Le "socialisme réel" de l'ancien maître du Kazakhstan est indissociable du phénomène mafieux, ancré dans les couches économico-politiques dirigeantes des républiques musulmanes. Les retentissants procès de la période de transition post-brejnevienne, mondialement médiatisés, ont permis de mettre en évidence le scandaleux traitement infligé pendant des décennies de communisme à l'Asie Centrale et au Caucase et le degré de délabrement des institutions locales.

      Quant à la glasnost gorbatchévienne, elle nous a permis de jeter un regard sur les autres facettes terrifiantes du monstre engendré par le matérialisme quinquennaliste: désastre économique, social, sanitaire, écologique... Mieux: le réformisme enclenché par l'idole de l'Occident aura sans aucun doute comme conséquence l'avènement du... dernier communiste!

      La suite...
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      • #4
        La "Maison Commune" musulmane

        Les émeutes qui ont secoué l'Asie Centrale et le Caucase dans la deuxième moitié des années 80 révèlent cruellement l'incompréhension totale du communisme pour l'Islam. Les idéologues russes n'ont jamais pu cerner de manière acceptable le phénomène musulman. D'où l'incohérence du discours anti-islamique: l'Islam est tour à tour accusé de nationalisme, de féodalisme, d'être une "superstition", de "classisme" ou d'opportunisme. Frustrés, les peuples musulmans de l'ex-Union Soviétique, coupés du reste du monde musulman et maintenus dans le sous-développement économique, colonisés, formulent brusquement des revendications sociales et culturelles, puis politiques, parce que les problèmes deviennent de plus en plus aigus et parce que le souffle de la révolution iranienne se fait sentir.

        Gorbatchev fait les yeux doux à l'Europe et à l'Amérique mais organise simultanément une répression infiniment plus violente en zone musulmane que dans les Pays Baltes, ce qui renforce la conviction de nombreux intellectuels musulmans: la politique des futurs maîtres du Kremlin leur restera défavorable. D'une certaine manière, ils perçoivent en face d'eux à nouveau la Russie au lieu de l'URSS et l'ennemi chrétien au lieu d'une masse athée qui les oppresse. Les intellectuels musulmans appréhendent désormais différemment l'extérieur, ce qui renforce les tendances panislamiques à l'oeuvre de Bakou à Alma Ata.

        Début 1990, Gorbatchev envoie ses troupes mater la rébellion azérie pour remettre en selle "mais sur un cheval de bois" le PC local et étouffer les velléités indépendantistes dans une république pourtant traditionnellement communisante. Les importantes manifestations de soutien aux "frères azéris", qui secouent les autres républiques peu après, sont un signal limpide: il indique où se situent les forces souterraines oeuvrant désormais dans la région pour unifier le peuple musulman. Le matraquage des médias iraniens à destination des voisins du Nord, de même que le financement par l'Arabie Saoudite du pélérinage de milliers de citoyens ex-soviétiques vers les lieux saints de l'Islam lèvent toute équivoque quant à la volonté d'une réintégration générale de tous les peuples musulmans dans la Maison Commune islamique, que ces peuples résident dans l'ex-URSS ou qu'ils vivent sous la houlette du fondamentalisme chiite ou wahabite.

        Points de repère

        L'avenir des peuples musulmans d'URSS se joue en même temps que celui de l'Ours affaibli, dont la mendicité pitoyable fait se tortiller de plaisir, devant une proie facile, la haute finance capitaliste.

        Voici énoncés rapidement quelques faits et aspects de la question qui permettent de comprendre le présent et surtout de supputer la cartographie du futur:

        - Gorgés d'illusions, les Bolchéviques s'étaient convaincus que l'Islam disparaîtrait dès la mise en application de réformes socio-économiques, qui l'amputeraient de son soutien séculaire et détruirait son implantation.

        - Le communisme, malgré un formidable appareil de propagande et une palette inégalée de moyens de pression, n'a jamais pu investir l'espace privé du Musulman; son attachement à l'Islam n'a jamais cessé.

        - La structure totalitaire russo-communiste, face à la présence islamique, sa pérennité et sa réappropriation de l'espace public depuis les années 80, n'a jamais pu trouver de nouvelles sources de légitimité (par exemple une élévation effective du niveau de vie).

        - L'URSS constitue, aux yeux des Musulmans, le prolongement de l'empire des Tsars, mais en pire.

        - Le départ, le 15 février 1989, du dernier régiment soviétique d'Afghanistan marque un tournant dans la perception que les protagonistes ont l'un de l'autre et dans le rapport de force russo-musulman. Pour la première fois depuis 1552, la Russie abandonne une terre musulmane conquise.

        - La reconquête de l'espace public revêt plusieurs formes: publication d'ouvrages sur le passé islamique, présentation d'une vision islamique de la réalité dans les programmes d'université, ouverture aux littératures islamiques extérieures, volonté de faire renaître les langues turque, arabe, perse ou de forger des mots indigènes pour remplacer les emprunts européens (russes, allemands ou anglais).

        A côté de l'Islam officiel, plusieurs structures d'importance variable oeuvrent à la résurgence: ceux qu'Amir Tahéri nomme les serviteurs de la foi non officiels (mollahs, derviches, prédicateurs, récitants du Coran, etc.); ensuite les tariquats soufies qui recrutent dans les milieux socio-professionnels, dans l'armée et la police, les Wahabites, les Frères musulmans et les fondamentalistes iraniens. L'évolution démographique, conjuguée au départ des Slaves implantés massivement depuis 1917, devrait permettre une réislamisation des républiques musulmanes, passant par la reconquête des villes slavisées. Les affrontements inter-ethniques qui enflamment, depuis le milieu des années 80, les cités soviétiques d'Asie Centrale et du Caucase, signalent l'urgence d'une clarification de la politique communiste. "La glasnost a ouvert ce qui était sans doute la plus grande boîte de Pandore de toute l'histoire", déclare A. Tahéri.

        Le gorbatchévisme est une idéologie de péripatéticienne qui se refuse en permanence, après s'être montrée sous ses plus beaux atours. Réformisme verbal, libération des détenus politiques, danse du ventre à l'intention des pontes de la BERD: Gorbatchev a voilé la vitrine rutilante aux yeux des Soviétiques, tout en laissant miroiter aux ouailles des démocraties bourgeoises d'Europe que les choses allaient changer. Depuis quelques mois, la vitrine est brisée "et Gorbatchev aussi, en tant qu'idole" et cette brisure affecte plus encore les Musulmans que les Russes. La répression est impitoyable et les notions de pluralisme, de démocratie, de "maison commune européenne" ont un goût amer pour les fidèles d'Allah.

        Dans l'esprit et le coeur de beaucoup de Musulmans, les propos du maître du Kremlin en 1986 ont laissé des marques indélébiles. L'Islam y était qualifié d'ennemi du progrès et du socialisme et un appel était lancé à une lutte totale contre la religion sous toutes ses formes. Le comportement des premiers réformateurs trahit une fois de plus l'incompréhension radicale entretenue par les néo-communistes à l'égard de l'Islam.

        Les descendants des Turco-Mongols veulent être eux-mêmes, retrouver leur identité historique. Ils entendent renforcer leur combat, notamment grâce à une élite cultivée qui pourra accélérer le processus. Les ressources spirituelles, humaines, linguistiques et scientifiques existent pour contrer le cataclysme écologique et sanitaire latent et magnifier une histoire pluriséculaire, bafouée par la monologique d'un totalitarisme araseur.

        La multiplicité ethno-culturelle au sein de l'espace musulman soviétique implique un redécoupage des frontières dans le respect des identités locales. Le dépassement par le bas "par le régionalisme" et par le haut "par la création d'une fédération des peuples musulmans ex-soviétiques" de la structure factice des nationalismes artificiels d'inspiration stalino-française est une condition sine qua non d'une réémergence pluridimensionnelle de l'Asie Centrale et du Caucase, de son accession à une authentique autonomie. Deux URSS s'avancent vers le futur: l'une est musulmane et jeune, poussée en avant par un dynamisme démographique et spirituel; l'autre est russe, vieillissante, perclue d'angoisses et de cet étrange engourdissement qui se manifeste chez l'Européen communisé, lorsqu'il s'est dégagé de la gangue bolchévique.

        Cependant, la nation russe, si elle s'inspirait de la renaissance culturelle et spirituelle des Musulmans d'Asie Centrale ou du Caucase, ou si elle voulait bien se ressourcer en se réappropriant son histoire anté-marxiste, aurait en main de nombreux atouts pour échapper à la macdonaldisation ou à la tiers-mondisation. Les pélérinages aux mecques capitalistes d'Eltsine et consorts, les hommages vibrants au libéralisme, prononcés par ces ex-communistes et l'effondrement accéléré de l'économie locale font craindre, malheureusement, un mélange des deux...

        Nous vivons une époque formidable. Les journalistes et autres théoriciens de l'actualité, qui croyaient une fois pour toutes détenir les clefs donnant accès à tous les coins et recoins de la réalité et le shibboleth capable d'expliquer tous les phénomènes de l'univers, en font constamment les frais. Tout article, analytique ou non, présentant une certaine amplitude risque très rapidement d'être affecté de désuétude, tant les soubresauts du monde bouleversent en permanence le grand jeu du monde.

        Le revers de la médaille, c'est ce flot de penseurs spécialisés dans les arcanes de la guerre froide, trônant aux unes des médias, qui sont largués corps et âme et ne parviennent plus qu'à divaguer autour de leurs bouées de sauvetage idéologique: le Nouvel Ordre Mondial et l'antiracisme. Cet article sur l'Islam soviétique avait été terminé au son des premiers coups de canon dans l'ex-Yougoslavie. Il laissait le Caucase et l'Asie Centrale musulmane confrontés aux défis de la libéralisation obligée, activée par Gorbatchev. Six mois plus tard, exit l'idole des Occidentaux! A l'instar du reste de l'URSS, les républiques musulmanes sont face au cataclysme de la crise économique. Outre celle-ci: la guerre entre Musulmans et colons slaves menace, tandis que le sort des chrétiens arméniens semble scellé à moyen terme, étant donné que du point de vue humanitaire la conscience occidentale est repue.

        L'antagonisme slavo-turc est ravivé en dépit des assurances mutuelles et de la participation des Etats musulmans à la CEI. Enfin, plus fondamentalement, les anciennes terres d'Islam, martyrisées par la folie bolchévique, subissent d'une manière de plus en plus sensible "et pour l'instant plus au niveau du peuple et des religieux" l'attraction envoûtante des fondamentalismes iranien et saoudien, lesquels pourraient transmuter radicalement et très rapidement les caractères spécifiques du renouveau islamique centre-asiatique (importance du soufisme et des figures charismatiques politico-religieuses, statut de la femme, etc.).

        La suite...
        Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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        • #5
          Se dérussifier économiquement

          L'adhésion des républiques musulmanes à la confédération concoctée par les Etats slaves (Russie, Ukraine, Bélarusse) tient plus du réflexe traditionnel que d'un réel attachement aux bricolages institutionnels produits par leurs voisins du Nord. Elles ont tant et plus subi l'impact colonial russe que se débarrasser des automatismes psychologiques n'est pas une mince affaire.

          Mais, nous, en Europe centrale et occidentale, nous devons également nous rendre compte de la nécessité, pour les nouveaux Etats musulmans d'Asie centrale, de maintenir de très étroites relations économiques avec la Russie, étant entendu que, sans elle, la désorganisation sociale et commerciale serait généralisée. Les nouveaux Etats musulmans dépendent trop de la sphère slave de la CEI, que couper les ponts brutalement et sans substitition de partenaires reviendrait à se suicider.

          Mais cette allégeance matérielle qui demeure vis-à-vis de Moscou ne les empêche pas de tenir compte de la nouvelle donne géopolitique, résultant du décès de l'URSS stalinienne et brejnévienne: les républiques musulmanes de l'ancien empire rouge n'ont pas tardé à ébaucher un "espace économique islamique commun", malgré l'ampleur de la tâche. De même, l'Iran a proposé à ses coreligionnaires du Nord de participer à un autre espace économique, déjà composé de l'ancienne Perse, de la Turquie et du Pakistan. Des signes qui ne trompent pas...

          Se dérussifier ethniquement

          Fortement minoritaires ou même majoritaires comme au Kazakhstan "lors des dernières comptabilisations démographiques mais avant l'exode actuel" les Russes représentent pour les Turco-Tatars la marque indélébile d'un passé d'oppression et d'exploitation.

          Physiquement et culturellement, le Slave a, depuis les Tsars, modelé le visage de l'Asie Centrale. La colonisation raciale s'est intensifiée sous le bolchévisme, accompagnée de la généralisation du cyrillique, du fonctionnalisme sur le plan architectural et du quinquénnalisme dans le domaine économique. Les Russes, par leur présence, étaient, jusqu'à la perestroïka, les gardes-chiourmes du centralisme impérial rouge. Ils régnaient sur ces terres d'Islam artificiellement balkanisées par Staline afin de rendre impossible une unification sous la bannière verte du Prophète. Cette entreprise a si bien réussi qu'elle influencera encore longtemps l'évolution des événements dans cette région.

          Le nationalisme est devenu un sentiment bien ancré dans le cadre des républiques musulmanes soviétiques, qui ne correspond pas, ou si peu, aux réalités ethniques. Les pseudo-nations d'Asie Centrale sont prêtes à s'entre-étriper pour des frontières absurdes. Cette mentalité sera, ou est déjà, attisée ou renforcée par des puissances qui ont tout intérêt à ce que le Caucase et l'Asie Centrale demeurent une zone découpée géographiquement et faible politiquement.

          La dérussification ethnique ne sera effective que lorsque les nationalismes locaux auront été sublimés en une idée supérieure.

          Se dérussifier religieusement

          L'un des faits marquants de ces derniers mois en Islam ex-soviétique "mais n'était-ce pas inévitable ?" est la perte de pouvoir et de signification des quatre directions créées par Staline. En réalité, il se produit une fragmentation de ces structures institutionnelles religieuses officielles ainsi que l'émergence hors de la clandestinité de cléricaux populaires qui provoquent très rapidement la gravitation d'un grand nombre de croyants autour de leur personne.

          A priori, cette évolution peut sembler aller dans le sens de la balkanisation que nous avons évoquée. Mais la réalité est tout autre, tout au moins sur ce plan religieux. L'ébranlement des directions signifie la mise à mal et la liquidation à court terme de la construction imaginée par les communistes pour contrôler l'Islam afin d'ensuite l'éliminer. Devant la faillite du communisme et du néo-léninisme gorbatchévien, les regards se tournent désormais essentiellement vers le Sud et la Turquie, avec laquelle existent également des affinités ethniques. L'Islam redevient l'idée supérieure capable de sortir les républiques de leur statut de colonies.

          A tort ou à raison, l'Islam de l'Arabie Saoudite et de l'Iran incarne la réussite économique, le bien-être et la conformité de la société humaine aux injonctions divines. Cette image, les Turco-Mongols peuvent s'en gaver médiatiquement à longueur de journée: les radios et télévisions iraniennes couvrent la région. Mais ils peuvent aussi constater que des centaines de mosquées sont érigées, des millions d'exemplaires du Coran sont disponibles, que les flux économiques avec le Sud se renforcent. Qu'en un mot, la manne énergétique arabe commence à leur apporter des bénéfices.

          L'Axe Ankara-Teheran-Islamabad

          Les prévisions valent ce qu'elles valent, c'est-à-dire pas grand'chose en ces temps de balkanisation planétaire. Cependant nous pouvons prendre le risque de suggérer le scénario suivant: dans quelques années, un curieux ensemble géographique va très concrètement s'unifier; il sera traversé par un axe central turco-irano-pakistanais, grosso modo de Nord-Ouest en Sud-Est, lui-même traversé d'un axe secondaire, en forme de croissant, Ryad-Bagdad-Tachkent.

          Cet ensemble pourra être greffé d'excroissances, au gré du renforcement de l'Islam. Plus important: la zone décrite sera la première puissance économique et politique dès l'an 2000. Première puissance financière du monde, première puissance énergétique, première puissance militaire, puissance démographique (plus de 300 millions d'âmes en l'an 2000), le "Turkiran" a toutes les chances de rentrer dans l'histoire alors que l'Europe, si la réalité revêt la même peau qu'aujourd'hui, sera une sorte de bâtarde hideuse, née de l'abominable accouplement du matérialisme et du judéo-christianisme, clopinant sur ses moignons vers les poubelles de l'Odyssée humaine...


          Notes:

          (1) Mavara al-Nahr: nom de l'Asie Centrale à l'époque.
          (2) L'Etat samanide était composé du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan actuels, d'une partie de l'Afghanistan et d'une vaste portion de l'Iran.
          (3) On a recensé plus d'un million de traditions prophétiques!
          (4) Le Général Mahmud, qui avait établi sa capitale à Ghazni, était turcophone d'origine et s'est comporté en mécène des lettres persanes. A sa cour, il y avait Firdusi, l'auteur du Livre des Rois, dans lequel est relatée l'origine mythique des peuples iranien et touranien.
          (5) Branche d'une ethnie appelée Venedi ou Venetii par Pline l'Ancien et Tacite, les premiers Russes se seraient installés au Nord des Carpathes, entre la Vistule, l'Oder et l'actuelle Biélorussie (région des Marais du Pripet); mentionné par des chroniqueurs au IXième siècle, un peuple nommé Rus ou Russe aurait émigré de l'ouest entre 500 et 1000 après J.C.
          (6) Avant leur "orthodoxisation" volontaire, les Russes adoraient entre autres dieux le dieu de la foudre, Groznyi, sommet de leur panthéon, ainsi que le Loup, seigneur du Mal.
          (7) Le tribalisme tataro-mongol finit par triompher des volontés unificatrices. Des clans se sont même alliés aux Russes pour lutter contre d'autres clans. Seule, Kazan est demeurée encore quelques temps comme symbole ou trace de l'éclat intellectuel et artistique des Etats tataro-mongols.
          (8) Fondée au Xième siècle, Kazan devint un centre important de communication Est-Ouest, mais surtout le siège de trente medersas et 150 mosquées. Dans la bibliothèque de la ville, était disponible le Coran du Calife Othman, le premier manuscrit du livre saint des Musulmans, rédigé trente ans après la mort de Mahomet. A noter la présence d'importantes minorités religieuses: juifs, chrétiens, bouddhistes et chamans.
          (9) Amir Taheri, Islam-URSS, p. 7.
          (10) "Montagne Qaf"; le Caucase est traversé par une chaîne de montagnes de 1200 km, depuis la Mer Noire jusqu'à la Mer Caspienne. C'est également "l'autre côté du monde" des Perses, la terre où fut enchaîné Prométhée selon les Grecs. Alexandre Ier décrira l'endroit comme "une Sibérie chaude".
          (11) Il jouissait d'un tel prestige que lorsqu'il fut fait prisonnier après neuf ans de luttes, il ne fut pas exécuté.
          (12) A contrario, le panturquisme, sous la houlette intellectuelle de Youssef Aq-Churaoglu, émergea au début de ce siècle. Aq-Churaoglu, fondateur du périodique Türk et enseignant à Kazan, affirme l'unicité nationale des peuples turcs de l'Egypte à la Chine; son panturquisme intègre totalement l'Islam. Sous Gorbatchev, le panturquisme et le panislamisme connaissent une résurgence considérable dont les signes les plus notables sont le développement fulgurant d'un parti islamiste à l'échelon de l'ensemble des républiques musulmanes soviétiques, la volonté de créer un espace politico-économique commun à ces républiques et le recours de plus en plus intensif au concept géographico-historique de Turkestan.
          (13) Le 15 novembre 1917, le gouvernement soviétique publie une déclaration des droits des peuples de Russie qui permettait notamment l'égalité, la souveraineté et le droit à l'autodétermination des peuples de l'ex-Empire russe.
          (14) Dès 1919, des milliers de Tadjiks et de Kirghizes entrent en rébellion. L'émir de Boukhara lance la guerre sainte. Les révoltés seront appelés Basmatchi (= diseurs demensonges) par les Bolchéviques.
          (15) Achat de la fiancée.
          (16) Amir Taheri, Islam-URSS, p. 167.
          (17) Amir Taheri, Ibid., p. 166.
          (18) Tombée dans l'oubli depuis 1940, elle avait été créée par Staline pour éliminer toute forme de religiosité, si ce n'est le "culte prolétarien".

          Synergies Européennes, Vouloir / Robert Ervin, Juin, 1992
          Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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          • #6
            Ufa ( Уфа ) - Republic of Bashkortostan - Islam Capital of Russia

            Ufa, the capital and largest city of Bashkiria.
            also the industrial, economic, scientific and
            cultural center of the republic.

            founded as a small tribal settlement
            but was made a town fortress and outpost on the
            14th Century built on the orders of Ivan the Terrible
            during which the Bashkirs voluntarily agreed to
            be under Russian protection and served with their battalion under the Tsarist Army.

            the 18th century, progress and industrialization of Ufa evolved into an administrative, trading, manufacturing and cultural center. During World War II, following eastward Soviet retreat in 1941 because of the Nazis invasion, Ufa became the wartime seat of the Soviet Ukrainian government.

            now Ufa is a major industrial and Manufacturing
            hub and is one of the biggest producers of Oil and Gas
            in the whole of Russia regions.

            City Population ( 2010 ) : 1,062,300

            Ethnic Groups:
            Russians, Bashkirs, Tatars, Chuvash, Mari, Ukrainian , Udmurt, Mordovian, Jews, Belorussian, Uzbeks, Armenian, Azeris, Kazakhs

            Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin

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            • #7
              Je ne vois pas qui est l'auteur de ces écrits douteux où apparait une haine certaine envers la révolution bolchevique...

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              • #8
                Je ne vois pas qui est l'auteur de ces écrits douteux où apparait une haine certaine envers la révolution bolchevique...
                Ceux qui ont mécru, n'ont-ils pas vu que les cieux et la terre formaient une masse compacte? Ensuite Nous les avons séparés et fait de l'eau toute chose vivante. Ne croiront-ils donc pas? S21 V30

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                • #9
                  alors que l'Europe, si la réalité revêt la même peau qu'aujourd'hui, sera une sorte de bâtarde hideuse, née de l'abominable accouplement du matérialisme et du judéo-christianisme, clopinant sur ses moignons vers les poubelles de l'Odyssée humaine...
                  -----------------

                  Oh que j'aime bien cette phrase
                  La haine aveugle

                  Commentaire


                  • #10
                    certains feraient mieux de s'occuper du genocide des indiens et des milliers de morts en Irak ...au lieu de diaboliser la Federation de Russie ( certes pas parfaite mais un bien moindre mal que ces diables , ces sanguinaires d'US neo cons et de Wahabbis

                    Zek ..cet Article est de ...1992 et il decrit une situation de cette periode


                    ni les wahhabites , ni les US neo cons, ni les neo nazis .. alliés objectifs ou pantins des 2 premiers .ne parviendront à semer le trouble en Federation de Russie . Et d'abord les Russes et les Tatars d'aujourd'hui n'y ont aucun intérêt à voir des troubles dans un pays en convalescence , en croissance economique


                    Si le bouchon criminel magouilleur comploteur et attiseur de guerre est poussé trop loin pour la paix civile en Federation de Russie ........la Federation de Russie transformera les missiles Patriot de l'oTan en chocolat....bousculera l'espace Otan et demontera les wahabbites dans leur region ( la Federation de Russie est à pres de 1000 km seulement à vol d'oiseau de frontiere Irakienne...et goulaguisera tous les trublions dangereux en interne ( neo nazis, porteur d'eau des CIA mode Bush le vieux, Kissinger, Cheney , islamistes radicaux revolutionnaires transnationaux infiltrés ou du cru ) ..

                    .
                    Dernière modification par Sioux foughali, 14 février 2013, 21h32.

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