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Quand la Chine déplace les montagnes pour créer ses villes

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  • Quand la Chine déplace les montagnes pour créer ses villes

    Le ballet des pelleteuses et des camions est incessant. On croirait des jouets sur un tas de sable géant. A Baidaoping, à quelques kilomètres au nord-est des faubourgs de Lanzhou, la capitale du Gansu, dans le Grand-Ouest chinois, on arase les montagnes pour construire une ville nouvelle qui s'étendra sur 25 km2.

    "C'est comme si toutes les montagnes que vous voyez en pivotant sur vous-même allaient être aplaties", assure Li Guanghui, le chef du chantier. Plusieurs centaines de mètres séparent les sommets des vallons les plus profonds. Ce paysage de ravines et de collines de loess – sorte de limon – est typique de la région, où la densité de population est très faible : le Gansu abrite seulement 25 millions d'habitants sur un territoire presque aussi grand que l'Espagne, qui, elle, en compte près du double.

    Le chiffre qu'aiment donner les représentants du Pacific Construction Group, l'entreprise de BTP qui dirige ces travaux pharaoniques, c'est celui des 700 sommets qui vont être littéralement pulvérisés tout au long du processus. Chaque jour, 100 000 m3 de terre sont déplacés, 600 engins mobilisés. Pour tasser les zones aplanies, il faut déverser des dizaines de mètres cubes d'eau. Le plus imprévisible des paramètres, note Li Guanghui, c'est le délai nécessaire au déménagement des sépultures et des huit villages qui existaient déjà : "C'est la mission du gouvernement, ça ne dépend pas de nous...", se défend-il.

    Le Pacific Construction Group est une entreprise pressée : "Notre point fort, c'est de construire très vite. On finit en général un tiers de temps plus tôt que la date fixée pour l'achèvement des travaux", affirme Chen Jian, un responsable de la communication. Les terres qui appartiennent à Lanzhou étaient classées comme désertiques. Elles vont devenir constructibles, sans que Baidaoping n'empiète sur le quota de terres arables à respecter. Une belle opération financière pour la capitale du Gansu, puisqu'en Chine les municipalités se financent sur la vente de terrains.

    AVENUES À 10 VOIES, FORÊT D'IMMEUBLES ET BUREAUX À GOGO

    Le montage financier de la ville nouvelle de Baidaoping reste assez mystérieux. Dans la presse chinoise, le fondateur du groupe, Yan Jiehe, surnommé "kuang ren" ("le fou") pour sa passion du gigantisme, explique qu'il investit 22 milliards de yuans (2,6 milliards d'euros) pour livrer à Lanzhou le site "prêt à construire". En réalité, la société se fait rembourser petit à petit et bénéficie de prêts, précise Chen Jian. La prudence est de mise, car le Pacific Construction Group traîne quelques casseroles dans sa province d'origine, le Jiangsu. Il fut au centre d'une dispute avec les banques en 2006 pour des crédits non remboursés.

    Le pôle urbain de Baidaoping est une sorte de satellite d'un autre projet gigantesque, déjà réalisé par le Pacific Construction Group, en 2010 : la Nouvelle Zone de Lanzhou, située à 80 km au nord de la métropole sur un plateau à 2 000 m d'altitude. D'immenses avenues à deux fois cinq voies traversent cette ville fantôme de plusieurs dizaines de kilomètres carrés de superficie. Une forêt d'immeubles et plusieurs complexes de bureaux sont sortis de terre. Autour, la campagne aride et quelques villages. La Nouvelle Zone sera une véritable cité qui pourrait abriter 500 000 habitants en 2020 contre 30 000 environ aujourd'hui. Elle aura une mairie. Plusieurs entreprises chinoises ont déjà pris des options fermes pour s'y installer comme Geely, le constructeur automobile chinois, ou Sany, le fabricant de matériel de chantier.

    Deux dynamiques puissantes portent l'ensemble de ces projets. Celle de l'urbanisation chinoise à marche forcée, "sésame" qui doit permettre au pays de basculer vers une consommation intérieure robuste, soutenue par une large classe moyenne citadine. Et celle du "Grand Plan de développement" des régions de l'ouest de la Chine, qui assigne depuis les années 1990 des objectifs ambitieux d'investissement public dans la Chine sous-développée de l'intérieur.

    En août 2012, la Nouvelle Zone a reçu le statut de zone nationale de développement – comme six autres, dont Pudong à Shanghaï et Binhai à Tianjin, qui ont d'énormes foyers d'activité. Lanzhou, 2,5 millions d'habitants, est la première ville du Grand-Ouest à en être dotée. La Nouvelle Zone est un projet de longue date, explique le professeur Zhang Mingquan, de l'Institut de l'environnement (université de Lanzhou), qui a participé aux études de faisabilité depuis les années 1990. "Lanzhou est prisonnière des montagnes. Il n'y a pas d'espace pour l'étendre. De tous les endroits possibles, la Nouvelle Zone offre une géologie adaptée et est bien placée en termes de logistique, avec l'aéroport à proximité", avance-t-il.

    L'entreprise de BTP Pacific Construction Group dirige les travaux pharaoniques de la Nouvelle Zone, près de la ville de Lanzhou, dans la province Gansu : 700 sommets vont être littéralement pulvérisés pour faire surgir la ville. Chaque jour, 100 000 m3 de terre sont déplacés et 600 engins, mobilisés.

    "ICI, LA PRIORITÉ RESTE LE DÉVELOPPEMENT À TOUT PRIX"

    L'idée est aussi de mettre à profit un canal de dérivation de la rivière Datong, long de 120 km, construit dans les années 1990 pour les besoins agricoles. "L'inconvénient, c'est que c'est une zone très sèche, les nappes phréatiques sont trop salées, et l'altitude élevée", modère M. Zhang. Wang Xiaowen, professeur d'économie de l'université de Lanzhou, s'interroge, lui, sur la viabilité économique du projet : "La réussite d'un tel pari économique dépend des facteurs humains : est-ce que la Zone saura attirer des gens qui auront les capacités suffisantes à la faire fonctionner ?"

    La concomitance des deux projets – Baidaoping et la Nouvelle Zone – intrigue à Lanzhou. "Il n'y a aucune transparence. J'ai pris connaissance des travaux à Baidaoping par la presse étrangère !", confie le responsable d'une ONG environnementale de Lanzhou. "Ici, la priorité reste le développement à tout prix", note-t-il.

    En réalité, la ville nouvelle de Baidaoping serait une sorte de prix de consolation pour la capitale du Gansu. Car la Nouvelle Zone sera gérée de manière autonome, avec le même rang administratif que Lanzhou.

    Tout n'est pas gagné pour autant. Lanzhou, dont l'alimentation en eau provient du fleuve Jaune, est une région très sèche. Pour Guillaume Dourdin, responsable du Nord-Ouest chinois pour Veolia Water China, qui gère en contrat de concession les eaux de Lanzhou depuis 2007, l'équation de l'urbanisation ne semble pas insoluble. "Ce qui est encourageant, c'est la prise de conscience des Chinois de l'importance du cycle de l'eau et de la sécurisation des ressources", explique-t-il. Le réseau initial, construit avec des technologies soviétiques, était insuffisant. "Le développement économique exerce une très forte pression sur les ressources en eau", convient-il.

    La ville nouvelle de Baidaoping étant toute proche, la raccorder au réseau existant ne sera pas un problème, selon lui. Pour la Nouvelle Zone, "les gestionnaires de la ville réfléchissent à plusieurs solutions. Il faudra certainement élargir le canal actuel et construire des réservoirs. La Zone a un statut national, donc le gouvernement va investir sous différentes formes", avance M. Dourdin.

    "Que les deux projets se fassent en même temps est quand même incroyable", médite Wang Nai'ang, doyen du Collège des sciences de l'environnement de l'université de Lanzhou. Sur le site de la ville nouvelle de Baidaoping, "les travaux peuvent nuire à la végétation, créer des vents de sable, voire des tempêtes noires comme aux Etats-Unis dans les années 1930 et en Union soviétique dans les années 1950, insiste-t-il.

    Et la biodiversité, l'écosystème, l'érosion des sols et la pression combinée sur les ressources en eau ? Cela demande plus d'études scientifiques !"

    Dans la Chine de l'urbanisation à grande vitesse, les gestionnaires de Lanzhou n'ont pas le temps d'y penser – ou si peu.

    Par Brice Pedroletti
    Le Monde
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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