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Mali: au-delà des apparences, la crise décryptée par des experts

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  • Mali: au-delà des apparences, la crise décryptée par des experts

    Les analystes réunis lundi à Paris par le Centre d’études et de recherches internationales (Ceri) de Sciences-Po livrent une lecture décapante de l’intervention française au Mali et de ses enjeux régionaux. Best of et verbatim.


    Un mois après le déclenchement de l’intervention française au Mali, il n’est pas vain, au coeur du tumulte, de se tourner vers des experts dotés d’une réelle « profondeur de champ », histoire de prendre un peu de recul et de hauteur. Non que leur jugement soit infaillible. Mais si discutables soient-elles parfois, leurs analyses s’avèrent toujours stimulantes. Pour preuve, la conférence-débat organisée hier lundi au Centre d’études et de recherches internationales (Ceri-Sciences Po), présidée par Sandrine Perrot et intitulée « Interventions au Mali et enjeux régionaux ».
    L’impact contre-productif de toute « déclaration de guerre à Aqmi »
    Vu d’Afrique, déclarer la guerre à Aqmi signifie que c’est un mouvement puissant, digne d’être ralliéPremier orateur, Roland Marchal déplore d’emblée le « maniement irresponsable », par certains acteurs politiques, des concepts « terroristes », « djihadistes » et « islamistes ». Il observe aussi l’impact contre-productif de toute « déclaration de guerre à Aqmi »: « Vu d’Afrique, cela signifie qu’Al-Qaïda au Maghreb islamique est un mouvement puissant, digne le cas échéant d’être rallié ». « Hostile » à l’intervention militaire française, Marchal estime que deux facteurs ont pesé d’un poids décisif dans la décision d’unFrançois Hollande dont l’accession à l’Elysée, juge-t-il, « a signifié la fin d’une période vibrionnante et peu rationnelle ». D’abord, le voeu des militaires français eux-mêmes, pourvus de deux atouts: la proximité entre le tombeur de Nicolas Sarkozy et son ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian; l’influence de son chef d’état-major particulier, le général Benoît Puga. Ensuite, le plaidoyer de plusieurs chefs d’Etat africain, à commencer par le NigérienMahamadou Issoufou.
    La menace djihadiste sur Bamako: un péril surestimé
    Roland Marchal tord ensuite le cou à la thèse, de fait inepte, tendant à reléguer l’initiative hexagonale au rang de énième avatar des turpitudes de la « Françafrique ». « Depuis 2008, souligne-t-il, la France s’épuise à internationaliser le dossier sahélien, et notamment à convaincre ses partenaires européens de l’ampleur des périls tels que l’essor d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et celui du trafic de drogue. On est très loin du Gabon ou de la Côte d’Ivoire. Les -modestes- ressources naturelles du Mali échappent d’ailleurs aux opérateurs français. »
    Cela posé, l’universitaire, chargé de recherches au CNRS, tient pour excessive la dramatisation de l’attaque djihadiste sur Konna, présentée comme le prélude à la conquête de Mopti puis Bamako. « Je vois mal comment 3000 ou 4000 combattants, au grand maximum, aurait pu prétendre occuper une ville d’1,8 million d’habitants ». Pas si simple: l’alliance Aqmi-Mujao-Ansar-Eddine avait affiché son ambition de foncer sur la capitale; quelques dizaines de miliciens aguerris lui avait suffi, après l’éviction de ses « alliés » touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), pour asservir Tombouctou et Gao; nul doute enfin que les stratèges djihadistes misaient sur l’effet dévastateur des rivalités claniques patentes dans la capitale. A ce sujet, les récents affrontements entre les Bérets verts acquis au capitaine putschisteAmadou Sanogo et les Bérets rouges fidèles à l’ex-présidentAmadou Toumani Touré (ATT) attestent, comme le remarque Roland Marchal, l’impuissance sur l’échiquier bamakois d’une France qui accomplit par ailleurs le « sale boulot ».
    Présidentielle: mirage électoral
    « Paris, poursuit-il, espérait la marginalisation définitive desputschistes de mars 2012. Mais l’échéance fixée pour le prochain scrutin présidentiel -le 31 juillet- n’est pas raisonnable. Maints acteurs politiques maliens désirent un retour au statu quo ante, la restauration d’un système politique générateur de crises. A quoi rimerait une élection à laquelle participerait, comme hier, 25% du corps électoral? Et qui risque d’aggraver les divisions plutôt que de hâter l’émergence d’un nouveau contrat social. « A ce stade, avance le chercheur, le président par intérim Dioncounda Traoré apparaît comme l’un des hommes les plus ouverts au dialogue national. Mais il doit se sentir un peu seul. » Reste que, au lendemain de la séquence militaire, toute formule politique novatrice devra être validée au niveau régional, et notamment passer pour acceptable aux yeux d’Alger.
    Les valeurs à géométrie variable de l’Occident
    Quant à la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), elle se sera montrée « au mieux dysfonctionnelle ». « Nombre de chefs d’Etat ouest-africains, relève Marchal, ont avant tout utilisé la crise malienne pour améliorer leurs relations avec Paris. »
    Sur le front européen, souligne-t-il, l’Elysée traîne l’héritage de l’ère Sarkozy et reste suspect de vouloir « mutualiser » les coûts de ses aventures africaines. Même si l’Union européenne a fini par bouger, avec l’envoi de 500 instructeurs -non-Français en majorité- censés former la nouvelle armée malienne; et même si l’irruption au Nord-Mali d’un contingent de 2000 soldats tchadiens -dont un millier formé par les Américains et un autre venu de la Garde présidentielle d’Idris Déby Itno- doit moins à Marianne qu’à l’Oncle Sam.
    L’Occident, Etats-Unis en tête, tend à s’en remettre à des « Etats-pivots », quitte à fermer les yeux sur leurs travers. Tel est le cas de l’Ethiopie, dictature volontiers célébrée, ou du Rwanda, assuré de l’indulgence de Washington et de Londres. S’agissant du Tchad, « on ne peut que noter le silence quasiment total sur la politique intérieure et la gouvernance économique. Sur 23 régies financières, 18 sont aux mains du clan présidentiel… Il y aura pour le régime de Déby de l’argent à la clé, et ça risque de coûter cher à la France ». Enfin, Marchal nuance les éloges dont on gratifie d’ordinaires les soldats tchadiens, virtuoses de la guerre en terrain désertique. « Il est vrai qu’ils ont battu l’armée libyenne en 1987. Mais qu’en est-il 25 ans après? » D’ailleurs, insiste-t-il, on ne peut pas parler d’armée tchadienne, mais de contingents d’ethnies zaghawa -celle de Déby- et gorane.
    Les djihadistes bénéficient de soutiens significatifs à l’échelon local
    Si le touareg Iyad ag-Ghali revient avec un discours politique plus nuancé, il sera en mesure d’élargir son assise populaireGare aux raccourcis simplistes et au triomphalisme en vogue dans les médias. Selon Roland Marchal, les groupes djihadistes bénéficient de soutiens significatifs à l’échelon local. Même si leur cruauté, que reflètent les amputations, les ont privés d’une base sociale plus large. « La terreur doit être vue comme un moyen de gouvernement. Elle contraint les dissidents éventuels à rester dans le rang. Si le touareg malien Iyad ag-Ghali-fondateur et chef d’Ansar-Eddine- revient avec un discours politique plus nuancé, il sera en mesure d’élargir son assise populaire. »
    Qu’adviendra-t-il demain des combattants djihadistes et islamistes? » L’Histoire n’est pas écrite et cette guerre peut durer longtemps. Elle ne se joue pas aujourd’hui à Gao. Patientons quelques mois pour voir ou non le retour d’une opposition armée. Et il faut s’attendre à une effervescence soutenue dans des pays tels que l’Algérie, la Tunisie, le Niger ou le Burkina Faso. ».... À suivre....


    lexpress.fr/ Par Vincent Hugeux, publié le 12/02/2013 à 16:39, mis à jour à 17:27
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