HOCINE LAHOUEL
par Benyoucef Benkhedda
Hocine Lahouel! C’est toute une vie, mêlée à celle du PPA-MTLD, une vie consacrée entièrement à la libération de la Patrie. Ailleurs, en Occident, il aurait fait l’objet de plusieurs ouvrages. En Algérie, malheureusement il est très peu connu. Comme celui de beaucoup de militants, son nom a été occulté par tous les régimes en place depuis 1962.
Hocine Lahouel a été le deuxième personnage après Messali dans le PPA-MTLD. De nombreux dirigeants de ce parti lui doivent leur formation qui ont exercé de hautes fonctions dans le FLN au cours de la Guerre de libération..
De l’Etoile au PPA
Hocine Lahouel naquit en 1917 à Skikda (ex-Philippeville). Deux évènements clefs l’ont marqué au cours de son adolescence: la Guerre du Rif marocain conduite par le héros Abdelkrim El-Khattabi dans les années 1923 – 1926 contre la coalition franco-espagnole, et les «fêtes» du Centenaire de l’occupation française de l’Algérie en 1930. Ils ont enflammé chez lui la conscience nationale. La même année, il découvre le journal El-Ouma paraissant à Paris, où il trouve ses idées et ses sentiments parfaitement exprimés. Il le diffuse et le commente dans son entourage. Il est élève au lycée de Skikda. Il a 13 ans lorsqu’il est convoqué par le commissaire de police de Skikda pour ses «idées subversives». Sa famille quitte la ville et s’installe définitivement à Alger. Là, Hocine se met à fréquenter le groupe de l’Etoile nord-africaine chez Hadj Smaïn, coiffeur à la Casbah. Il y a là Ahmed Mézerna traminot, Brahim Gherafa petit épicier d’origine mozabite, Mohammed Mestoul serrurier, Khalifa Ben Amar orateur intarissable, natif de Biskra, Hocine Mokri taxieur; pas d’étudiant, aucun membre des professions libérales. Il est invité à une réunion de cadres où il propose l’envoi d’un délégué en France chargé d’entrer en relation avec la direction du Parti qui siège à Paris. Mohammed Mestoul est chargé de cette mission; il revient avec des directives et des orientations concernant l’implantation de l’Etoile dans la capitale. 14 sections totalisant environ 2 000 adhérents sont créées, et Lahouel est choisi pour en être le coordinateur.
Il fut le premier permanent du Parti, cadre salarié, voué entièrement à l’activité militante.
Il assiste au meeting historique du 2 août 1936 organisé par le Congrès Musulman Algérien au stade du 20 Aout 1955 (ex-El-Anasser, ex-municipal). Devant une foule nombreuse et pour la première fois en Algérie, Messali prend la parole pour revendiquer publiquement l’indépendance de l’Algérie.
Le 1er mai 1937, Fête du Travail, il est au premier rang du cortège du PPA qui défile de la Place du 1er mai (ex-Champ-de-manoeuvres) à la Place des martyrs (ex-Place du Gouvernement).
Le 2 août 1937, il est arrêté en même temps que Messali, Gherafa, Zakaria, Khalifa Ben Amar. Ils sont incarcérés à la prison de Serkadji et condamnés par le Tribunal d’Alger pour avoir réclamé l’indépendance de l’Algérie, en vertu du Décret Régnier (atteinte à la souveraineté française, l’Algérie étant considérée trois départements français, à l’image de la Corse ou de la Bretagne, et les partisans de l’indépendance des «séparatistes»). Ils sont transférés à la prison centrale d’El-Harrach (ex-Maison-Carrée). Là, ils entreprennent une grève de la faim – la première du genre en Algérie – pour protester contre le régime de droit commun qui leur est imposé. Ils obtiennent un régime carcéral avec repas amélioré, journaux, visites. La direction du Parti, établie à Paris, siège désormais à El-Harrach, sous la présidence de Messali, assisté de Lahouel. En 1939, celui-ci participe à la confection d’un nouveau périodique du PPA: Le Parlement algérien, édité à Alger.
Les détenus sont libérés le 27 août 1939 après avoir purgé deux ans de prison. Mais leur libération est de courte durée. En septembre de la même année éclate la Seconde Guerre mondiale. Lahouel est mobilisé, mais il est jugé «indigne de porter les armes dans l’armée française». Il est arrêté à nouveau et transbahuté d’un endroit à l’autre dans les camps de déportation du Sud oranais: Mecheria, El Aricha, Aïn Sefra. Il envoie de là, en 1944, des articles destinés à L’Action Algérienne, journal clandestin créé et animé par le groupe Taleb à Alger. Le hasard fait découvrir les manuscrits par la police dans une boulangerie de la Kasbah. Ce qui vaut à Lahouel des poursuites judiciaires, dans un climat marqué par la répression à outrance au lendemain du génocide de mai 1945. Il est condamné à 20 ans de travaux forcés par le Tribunal d’Alger. A l’annonce du verdict, et avec un sourire narquois, Lahouel, debout, lance à l’adresse du juge: «Mr le Président, dit-il, je pense que d’ici là, la France sera partie». C’était 17 ans avant l’indépendance de l’Algérie (en 1962). Il est envoyé à la prison centrale de Tazoult (ex-Lambèze) connue pour les rigueurs de son régime.
.
Au lendemain de la Guerre mondiale, en avril 1946, l’amnistie générale est proclamée par le Gouvernement français; de nombreux détenus politiques sont libérés. Lahouel fait partie du lot.
Il reprend sa place à la direction du PPA, dissous depuis 1939, mais qui n’en continuait pas moins ses activités clandestinement.
De son côté, Messali, déporté à Brazzaville depuis mai 1945, est libéré à son tour. Il est autorisé à rentrer en Algérie où il séjourne à Bouzaréah, la ville d’Alger lui étant interdite.
Du MTLD à l’OS
Le retour de Messali en Algérie a lieu en octobre 1946. Le Comité central du PPA se réunit à cette date; le problème à l’ordre du jour était les élections à l’Assemblée Nationale Française. Quelle position adopter? Messali, qui présidait la session, était pour la participation et il réussit à entraîner le Comité central dans cette option. Il soutenait que c’était là une tribune qui permettait de dénoncer les injustices et les iniquités coloniales et de poser publiquement le problème de l’Indépendance. Seul Lahouel s’opposa à cette option faisant valoir que le passage de l’illégalité à la légalité était brusque et qu’il risquait de désarçonner les militants habitués jusque-là à la clandestinité. En outre, disait-il, notre revendication de l’indépendance était incompatible avec notre présence à l’Assemblée Nationale Française dépositaire de la souveraineté française.
Et c’est ainsi que le PPA, interdit depuis 1939, s’engagea dans la voie électorale. Il le fit sous un nouveau sigle le MTLD: Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques; l’ancien: le PPA, étant irrecevable par l’Administration car frappé d’interdiction depuis le début de la Guerre.
Le MTLD remporta cinq sièges sur quinze: Mohammed-Lamine Debbaghine, Messaoud Boukaddoum et Djamel Derdour furent élus dans le Constantinois, Ahmed Mézerna et Mohammed Khider dans l’Algérois.
Le premier Congrès du PPA-MTLD tint ses assises à Alger les 15 et 16 février 1947 pour faire le bilan de son activité et définir son orientation et les principes de son organisation. Ce fut Lahouel qui établit le rapport au Congrès où il préconisait, au nom de la direction, le principe de l’organisation-mère: le PPA; sa couverture légale: le MTLD, et la préparation de la lutte armée par la création d’une organisation para-militaire dénommée Organisation spéciale (OS), appelée parfois Organisation secrète, noyau de la future ALN (Armée de libération nationale). Il ne fallait pas renouveler l’erreur de 1945 où le Parti s’était trouvé démuni d’un pareil instrument au moment où il tenta de passer à l’action armée sur tout le territoire pour soulager les populations de Sétif et de Guelma menacées de génocide.
Après deux jours de débats, le Congrès décida du principe de la libération nationale par tous les moyens, y compris la lutte armée. Les élections furent admises comme moyen de lutte, pouvant être modifié selon les circonstances: participation ou abstention. Le MTLD fut consacré comme habit légal du PPA avec mission d’encadrer les différentes couches de la population: jeunes, travailleurs, étudiants, femmes dans des organisations satellites qui deviendront plus tard organisations nationales ou organisations de masse.
En fait, MTLD et PPA formaient un tout, le MTLD en étant la face publique, la partie visible de l’iceberg; la partie cachée: le PPA, étant de loin la plus importante; l’OS, clandestin, recrute dans le PPA; le tout sous la même direction du PPA-MTLD.
à suivre
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par Benyoucef Benkhedda
Hocine Lahouel! C’est toute une vie, mêlée à celle du PPA-MTLD, une vie consacrée entièrement à la libération de la Patrie. Ailleurs, en Occident, il aurait fait l’objet de plusieurs ouvrages. En Algérie, malheureusement il est très peu connu. Comme celui de beaucoup de militants, son nom a été occulté par tous les régimes en place depuis 1962.
Hocine Lahouel a été le deuxième personnage après Messali dans le PPA-MTLD. De nombreux dirigeants de ce parti lui doivent leur formation qui ont exercé de hautes fonctions dans le FLN au cours de la Guerre de libération..
De l’Etoile au PPA
Hocine Lahouel naquit en 1917 à Skikda (ex-Philippeville). Deux évènements clefs l’ont marqué au cours de son adolescence: la Guerre du Rif marocain conduite par le héros Abdelkrim El-Khattabi dans les années 1923 – 1926 contre la coalition franco-espagnole, et les «fêtes» du Centenaire de l’occupation française de l’Algérie en 1930. Ils ont enflammé chez lui la conscience nationale. La même année, il découvre le journal El-Ouma paraissant à Paris, où il trouve ses idées et ses sentiments parfaitement exprimés. Il le diffuse et le commente dans son entourage. Il est élève au lycée de Skikda. Il a 13 ans lorsqu’il est convoqué par le commissaire de police de Skikda pour ses «idées subversives». Sa famille quitte la ville et s’installe définitivement à Alger. Là, Hocine se met à fréquenter le groupe de l’Etoile nord-africaine chez Hadj Smaïn, coiffeur à la Casbah. Il y a là Ahmed Mézerna traminot, Brahim Gherafa petit épicier d’origine mozabite, Mohammed Mestoul serrurier, Khalifa Ben Amar orateur intarissable, natif de Biskra, Hocine Mokri taxieur; pas d’étudiant, aucun membre des professions libérales. Il est invité à une réunion de cadres où il propose l’envoi d’un délégué en France chargé d’entrer en relation avec la direction du Parti qui siège à Paris. Mohammed Mestoul est chargé de cette mission; il revient avec des directives et des orientations concernant l’implantation de l’Etoile dans la capitale. 14 sections totalisant environ 2 000 adhérents sont créées, et Lahouel est choisi pour en être le coordinateur.
Il fut le premier permanent du Parti, cadre salarié, voué entièrement à l’activité militante.
Il assiste au meeting historique du 2 août 1936 organisé par le Congrès Musulman Algérien au stade du 20 Aout 1955 (ex-El-Anasser, ex-municipal). Devant une foule nombreuse et pour la première fois en Algérie, Messali prend la parole pour revendiquer publiquement l’indépendance de l’Algérie.
Le 1er mai 1937, Fête du Travail, il est au premier rang du cortège du PPA qui défile de la Place du 1er mai (ex-Champ-de-manoeuvres) à la Place des martyrs (ex-Place du Gouvernement).
Le 2 août 1937, il est arrêté en même temps que Messali, Gherafa, Zakaria, Khalifa Ben Amar. Ils sont incarcérés à la prison de Serkadji et condamnés par le Tribunal d’Alger pour avoir réclamé l’indépendance de l’Algérie, en vertu du Décret Régnier (atteinte à la souveraineté française, l’Algérie étant considérée trois départements français, à l’image de la Corse ou de la Bretagne, et les partisans de l’indépendance des «séparatistes»). Ils sont transférés à la prison centrale d’El-Harrach (ex-Maison-Carrée). Là, ils entreprennent une grève de la faim – la première du genre en Algérie – pour protester contre le régime de droit commun qui leur est imposé. Ils obtiennent un régime carcéral avec repas amélioré, journaux, visites. La direction du Parti, établie à Paris, siège désormais à El-Harrach, sous la présidence de Messali, assisté de Lahouel. En 1939, celui-ci participe à la confection d’un nouveau périodique du PPA: Le Parlement algérien, édité à Alger.
Les détenus sont libérés le 27 août 1939 après avoir purgé deux ans de prison. Mais leur libération est de courte durée. En septembre de la même année éclate la Seconde Guerre mondiale. Lahouel est mobilisé, mais il est jugé «indigne de porter les armes dans l’armée française». Il est arrêté à nouveau et transbahuté d’un endroit à l’autre dans les camps de déportation du Sud oranais: Mecheria, El Aricha, Aïn Sefra. Il envoie de là, en 1944, des articles destinés à L’Action Algérienne, journal clandestin créé et animé par le groupe Taleb à Alger. Le hasard fait découvrir les manuscrits par la police dans une boulangerie de la Kasbah. Ce qui vaut à Lahouel des poursuites judiciaires, dans un climat marqué par la répression à outrance au lendemain du génocide de mai 1945. Il est condamné à 20 ans de travaux forcés par le Tribunal d’Alger. A l’annonce du verdict, et avec un sourire narquois, Lahouel, debout, lance à l’adresse du juge: «Mr le Président, dit-il, je pense que d’ici là, la France sera partie». C’était 17 ans avant l’indépendance de l’Algérie (en 1962). Il est envoyé à la prison centrale de Tazoult (ex-Lambèze) connue pour les rigueurs de son régime.
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Au lendemain de la Guerre mondiale, en avril 1946, l’amnistie générale est proclamée par le Gouvernement français; de nombreux détenus politiques sont libérés. Lahouel fait partie du lot.
Il reprend sa place à la direction du PPA, dissous depuis 1939, mais qui n’en continuait pas moins ses activités clandestinement.
De son côté, Messali, déporté à Brazzaville depuis mai 1945, est libéré à son tour. Il est autorisé à rentrer en Algérie où il séjourne à Bouzaréah, la ville d’Alger lui étant interdite.
Du MTLD à l’OS
Le retour de Messali en Algérie a lieu en octobre 1946. Le Comité central du PPA se réunit à cette date; le problème à l’ordre du jour était les élections à l’Assemblée Nationale Française. Quelle position adopter? Messali, qui présidait la session, était pour la participation et il réussit à entraîner le Comité central dans cette option. Il soutenait que c’était là une tribune qui permettait de dénoncer les injustices et les iniquités coloniales et de poser publiquement le problème de l’Indépendance. Seul Lahouel s’opposa à cette option faisant valoir que le passage de l’illégalité à la légalité était brusque et qu’il risquait de désarçonner les militants habitués jusque-là à la clandestinité. En outre, disait-il, notre revendication de l’indépendance était incompatible avec notre présence à l’Assemblée Nationale Française dépositaire de la souveraineté française.
Et c’est ainsi que le PPA, interdit depuis 1939, s’engagea dans la voie électorale. Il le fit sous un nouveau sigle le MTLD: Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques; l’ancien: le PPA, étant irrecevable par l’Administration car frappé d’interdiction depuis le début de la Guerre.
Le MTLD remporta cinq sièges sur quinze: Mohammed-Lamine Debbaghine, Messaoud Boukaddoum et Djamel Derdour furent élus dans le Constantinois, Ahmed Mézerna et Mohammed Khider dans l’Algérois.
Le premier Congrès du PPA-MTLD tint ses assises à Alger les 15 et 16 février 1947 pour faire le bilan de son activité et définir son orientation et les principes de son organisation. Ce fut Lahouel qui établit le rapport au Congrès où il préconisait, au nom de la direction, le principe de l’organisation-mère: le PPA; sa couverture légale: le MTLD, et la préparation de la lutte armée par la création d’une organisation para-militaire dénommée Organisation spéciale (OS), appelée parfois Organisation secrète, noyau de la future ALN (Armée de libération nationale). Il ne fallait pas renouveler l’erreur de 1945 où le Parti s’était trouvé démuni d’un pareil instrument au moment où il tenta de passer à l’action armée sur tout le territoire pour soulager les populations de Sétif et de Guelma menacées de génocide.
Après deux jours de débats, le Congrès décida du principe de la libération nationale par tous les moyens, y compris la lutte armée. Les élections furent admises comme moyen de lutte, pouvant être modifié selon les circonstances: participation ou abstention. Le MTLD fut consacré comme habit légal du PPA avec mission d’encadrer les différentes couches de la population: jeunes, travailleurs, étudiants, femmes dans des organisations satellites qui deviendront plus tard organisations nationales ou organisations de masse.
En fait, MTLD et PPA formaient un tout, le MTLD en étant la face publique, la partie visible de l’iceberg; la partie cachée: le PPA, étant de loin la plus importante; l’OS, clandestin, recrute dans le PPA; le tout sous la même direction du PPA-MTLD.
à suivre
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