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L’été dans les quartiers populaires

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  • L’été dans les quartiers populaires

    En cette période de vacances, un reportage sur toutes ces personnes qui ne peuvent partir en vacances.

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    On passe l’été comme on peut dans les cités où la majorité des habitants ignore le sens des vacances. Un pouvoir d’achat grignoté parfois jusqu’à l’usure, est loin de permettre ne serait-ce que des virées sur la plage. Du coup, la chaleur, le bruit et la foule font partie du vécu d’une population qui a appris à s’y faire et même à les apprécier. Chaque matin, les quartiers populaires annoncent la couleur avec leurs vendeurs informels, leurs boutiques, leurs passants qui investissent chaque coin des rues et ruelles. La rue Mohamed Belouizdad en est un exemple frappant.

    Il est 9 heures, et c’est déjà l’animation de tous les jours. Les marchands installent déjà leur bric-à-brac, certains à même le sol et sous un soleil qui commence déjà à darder ses rayons sur la moindre petite parcelle de peau échappant de sous les vêtements. Chômeurs, travailleurs en congé, enfants, tous sont dehors, au pied de leurs immeubles. On arrose ici et là, histoire de rafraîchir un peu l’atmosphère, tout en sachant que ce sera éphémère. Le marché semble être une affaire de femmes, elles sont sur le front dès les premières heures de la matinée afin de rapporter à la maison ce qui peut convenir à leur budget et, si possible, au goût de l’époux et des enfants. Paniers et sachets en plastique s’accumulent sur les trottoirs et jusque sur la chaussée.

    Pour Malika, une mère de famille affichant la cinquantaine, il n’existe pas d’endroit plus beau. «J’adore ce quartier en été, son animation est particulière. Je me suis mariée très jeune et je suis venue ici, je ne peux pas m’imaginer ailleurs.» Elle affirme avoir besoin de sa «corvée» quotidienne qu’elle considère comme un bol d’oxygène.

    Regardant, tâtant et soupesant des objets qui semblent lui faire de l’œil, Lynda craque pour un ensemble représentant un tonneau miniature et de toutes petites tasses. «Je sors chaque matin pour faire des courses et acheter ce qui me plaît pour la maison. Je vais aussi, assez souvent, prendre une pizza ou une glace avec ma nièce ou avec mes amies. La chaleur ne me décourage pas.»

    «Je n’aime pas la plage, mais uniquement les marchés»

    Hadja Houria est une habituée du marché «T’nach». C’est comme un rituel pour cette sexagénaire qui s’est tracé un programme. «Je vais d’abord au marché où il faut chaque jour jouer des épaules pour se frayer un chemin, je reviens à la maison pour m’installer au balcon et profiter d’un peu de fraîcheur pendant que ma belle-fille prépare le déjeuner, puis je mange avant de faire ma prière et ensuite un petit somme. Mais lorsque j’ai une commande de gâteaux pour les fêtes, je sacrifie la sieste.» Pour l’heure, Hadja Houria palabre avec son voisin Madjid, dans un cagibi où il exerce son métier de cordonnier. Elle ne se défait pas de son humour face à ce jeune homme qui remet la réparation de ses chaussures aux calendes grecques. «Eté comme hiver, je suis dans ce trou. Mais je partirai ce 10 août à Jijel. C’est mon patelin, et il allie la montagne et la mer. C’est reposant.» Madjid estime que le volume de travail augmente en été. «Vous me demandez pourquoi ? C’est la production chinoise qui en est à l’origine.» En dépit de la chaleur, le jeune cordonnier déborde de gaieté.

    Son voisin Tahar entre et lui donne une cigarette. «Je passe l’été ‘mahroug’ [brûlé par la chaleur, ndlr] à la maison avec ma femme et ma fille», lance celui-ci. Mère de 4 enfants, Nadia n’aime ni la plage ni les promenades, mais
    «uniquement les marchés. Les rares fois où je suis partie au bord de la mer avec mon mari et mes enfants, j’ai souhaité que les tentes soient des étals», ironise-t-elle.

    Le rituel de Samia et de ses belles-sœurs, par contre, ce sont les promenades en fin de journée, quand le soleil est sur le point de décliner. «Nous apprécions la marche et le lèche-vitrines quand la fraîcheur commence à s’installer. C’est aussi l’occasion pour nous de sortir les enfants qui ne vont à la plage qu’une ou deux fois pendant tout l’été, les moyens faisant défaut.» Le soleil est au zénith, les vendeurs clandestins qui ne le sont pas tant que cela s’épongent le visage à l’aide de serviettes mouillées.

    Billard et baby-foot pour les enfants

    Les plus chanceux ont acquis une place à l’ombre des feuillages. Tantôt pourchassés, tantôt tolérés, ils sont entourés de clientes, les femmes étant les plus présentes. «Même si vous ne trouvez pas ma marchandise, vous me trouverez puisque c’est ici que j’habite», dit l’un d’entre eux, rassurant une femme qui se demande si la paire de chaussures choisie conviendrait à son fils. Un peu plus loin, les cageots de poisson sont toujours sur la chaussée, non loin d’un égout qui a éclaté et que des ouvriers sont en train de réparer. Ce n’est pas la longue exposition au soleil qui décourage les éventuels acheteurs ni l’emplacement, mais le prix.

    Les passants se renseignent, puis s’éloignent, alors qu’il est midi. Assis sur des bouts de carton sous un préau, à l’entrée d’un groupe d’immeubles, des jeunes n’ont que leurs bouteilles d’eau pour se rafraîchir. «Une journée au bord de la mer nécessite des dépenses, ce qui fait que nous n’y allons pas souvent. D’ailleurs, c’est plus intéressant pendant les week-end, quand il y a beaucoup de monde», déclarent-ils. Les enfants, eux, semblent avoir trouvé une alternative puisque ce genre de jeux tendent à se développer dans les quartiers. billard et baby-foot attirent les gamins, emplissant la cagnotte de ces investisseurs d’un nouveau genre, comme le jeune Derar et son ami qui ont mis 60 000 DA dans l’achat d’un billard et d’un baby-foot. «C’est notre outil de travail», affirme le jeune homme qui s’approche des petits pour remettre de l’ordre avant de s’éloigner pour observer ses «clients» de son abri. Ces derniers doivent s’acquitter de 5 DA pour jouer une partie de baby-foot et de 20 DA pour une partie de billard. Abdelhafid, Chakib, Hichem, Billal, Lotfi et les autres n’ont cure du soleil qui brûle leur tête.

    Entre le bruit des moteurs de bus en partance de la gare routière Aïssat-Idir et les relents de toutes les odeurs qui fermentent sous la chaleur, ils en oublient jusqu’au déjeuner. Comment peuvent-ils supporter tout cela ? «Encore une partie et nous rentrerons à la maison», rétorque l’un d’entre eux. «C’est ça, les vacances !» renchérit un autre. Il faut reconnaître que la magie opère toujours avec les enfants, dans un univers où ils sont les seuls à se mouvoir.

    Par La Tribune
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