S’il fallait trouver une image représentative de ce que représentent les conflits moyen-orientaux, je choisirais celle du champ magnétique ou celle du pôle d’attraction, la métaphore du champ de mines, plus classique, étant porteuse d’une connotation en l’occurrence réductionniste. Figurez-vous, chers auditeurs, un immense espace traversé de part et d’autre de correspondance bellicistes, s’étendant de la Syrie au Caucase du Nord via les territoires attenants.
Certains experts de taille tel le politologue Vadim Doubnov ne partagent guère cet avis, considérant que les problèmes de la Transcaucasie et du Caucase russe ne tiennent qu’à leur géopolitique interne. Pourtant, force est de constater que l’entropie syrienne est sur le point de gagner les états voisins au cœur desquels de nettes perturbations sont à relever.
Ce point de vue est laconiquement repris par l’expert Feodor Loukianov dans le Courrier international. Il y explique l’attitude pro-Bachar de Poutine par le « réalisme structurel » de ce dernier, soucieux de garantir la Russie du tournant expansionniste que pourrait prendre la guerre civile syrienne. Même unilatérale, cette vision a tout de pertinent dans la mesure où «l’affrontement des sunnites et des chiites » à la frontière d’un Iran déjà suffisamment déstabilisé pourrait remonter jusqu’au Haut-Karabagh, opposant Arménie et Azerbaïdjan. On se souvient encore de ces quelques 16.000 morts en l’espace de six ans (1988-1994) et du désastre que constituerait l’exacerbation du conflit pour les forces en présence russes soutenant la partie arménienne. Or, voici qu’on recommence à avoir des nuits blanches à la frontière arméno-azerbaïdjanaise, des tirailleurs azéris ayant tenté de se défouler sur une famille arménienne longeant la frontière en voiture. Bien heureusement, l’attentat n’a pas fait de victimes. En revanche, on sait que le gazoduc situé à proximité de l’incident avait été lourdement endommagé. Je vous laisse cerner les prémisses de l’histoire …
L’analyse de M. Loukianov, quoique lucide dans son ensemble, s’achève cependant par une erreur flagrante. Selon lui, Israël pourrait devenir à terme « le principal partenaire » de la Russie si l’on arrive à exclure l’Iran du jeu, ce qui est archifaux si l’on se penche sur la crudité de certains faits.
Primo, la duplicité janusienne de l’Azerbaïdjan a toujours joué et continue à jouer de très mauvais tours aussi bien à l’Arménie qu’à la Russie, aussi bien à la Syrie qu’à l’Iran. On sait de source sûre que Bakou avait aidé à armer l’opposition syrienne sournoisement baptisée d’ASL malgré sa forte composante al-Qaidienne. Le soutien apporté aux rebelles est aujourd’hui estimé à près de 500.000 dollars. Cela suffit à mettre Téhéran dans un état de rage lourd de conséquences pour cet allié avéré de Tel-Aviv. Washington Post, loin d’être porté aux exagérations et aux exercices de style, n’a pas hésité à qualifier Bakou d’ « anti-Iran ».
Secundo, il est bien connu qu’Israël est le deuxième plus grand consommateur de gaz et de pétrole azéris. Ces intérêts mutuels rapprochent on ne peut plus étroitement les deux états sous l’aile providentielle des USA.
Une sorte de Triple Alliance s’est ainsi constituée qui fait progressivement remonter le conflit vers la Géorgie dont les vexations antirusses héritées de l’époque postsoviétique contribuent à verser de l’huile sur le feu. Cet axe explosif que nous venons de mettre en évidence confronte directement Bakou à Téhéran en semant le désordre à la frontière géorgienne et en fragilisant l’économie arménienne étant donné un important flux migratoire arménien en provenance de la Syrie et de l’Iran.
Un deuxième axe transparaît non moins nettement et pourrait à la longue envenimer le Caucase russe : l’axe musulman fondamentaliste qui rêve de renverser Assad et qui jouit du soutien de 6000 islamistes tchétchènes. Sans être exorbitant, ce chiffre révèle néanmoins cette réalité indéniable que le djihadisme n’a pas de frontières et que rien ne l’arrête dans sa lutte. Le facteur caucasien islamiste coûte bien cher puisque, même si la deuxième campagne tchétchène a été déclarée définitivement close en 2009, de fortes humeurs indépendantistes persistent dans la région. On sait comment les USA jouent indirectement sur celles-ci et on imagine quel impact colossal pourrait représenter pour la Russie le très éventuel retour de 100.000 Tchétchènes jusque là installés en Syrie et imprégnés, de un, des différends intraconfessionnels qui déchirent cruellement l’islam, de deux, de ce sentiment d’injustice indélébile remontant aux répressions tsaristes.
Globalement, la façon dont est exploité le conflit syrien par la nouvelle Triple Alliance fait du Caucase du Sud une sorte de monnaie d’échange, ce que Bakou se refuse à comprendre, voyant en l’état hébreu un allié stratégique et économique de confiance. La Transcaucasie se pose ainsi en case intermédiaire entre les intérêts du continent eurasiatique, solidaire de ces états en ébullition dangereuse que sont la Syrie et l’Iran d’une part, et les intérêts du bloc USA-Israël, de l’autre.
Clara Weiss, journaliste indépendante, traite fort bien de ce problème dans un article repris par french.irib.ir (« La guerre, en Syrie, pour déstabiliser le Caucase » ?). Voici un extrait qui ponctue son analyse : « Avec l’intensification de la guerre civile syrienne et les préparatifs de guerre contre l’Iran, les impérialistes jouent délibérément avec le feu. Le conflit syrien et une guerre contre l’Iran embraseraient l’ensemble du Moyen-Orient, du Caucase et de l’Asie centrale. L’objectif de deux guerres est de déstabiliser la région entière et d’inciter à des conflits ethniques dans le but d’affaiblir la position de la Chine et de la Russie (…) ». Je vous laisse découvrir l’intégralité du texte.
Je donnerais tout à fait raison à Mme. Weiss, en notant qu’il est des objectifs réalisables à long terme comme le sont ceux qu’a relevés la journaliste. Il est, en parallèle, des objectifs ancrés dans l’immédiat comme l’est l’affaiblissement des puissances arabes autonomes constituant un véritable bloc d’opposition à l’Israël.
Ce qui compte maintenant, c’est de tenter de prévenir la fusion, à long terme, de ces deux objectifs. Reprenant la remarque de M. Loukianov sur le réalisme pragmatique de M. Poutine, j’en nuancerais les effets en constatant que la Russie ne peut s’impliquer plus qu’elle ne le fait déjà dans la triste épopée syrienne sans qu’une nouvelle série d’équivoques ne vienne embraser le Caucase russe.
Françoise Compoint
La Voix de Russie
Certains experts de taille tel le politologue Vadim Doubnov ne partagent guère cet avis, considérant que les problèmes de la Transcaucasie et du Caucase russe ne tiennent qu’à leur géopolitique interne. Pourtant, force est de constater que l’entropie syrienne est sur le point de gagner les états voisins au cœur desquels de nettes perturbations sont à relever.
Ce point de vue est laconiquement repris par l’expert Feodor Loukianov dans le Courrier international. Il y explique l’attitude pro-Bachar de Poutine par le « réalisme structurel » de ce dernier, soucieux de garantir la Russie du tournant expansionniste que pourrait prendre la guerre civile syrienne. Même unilatérale, cette vision a tout de pertinent dans la mesure où «l’affrontement des sunnites et des chiites » à la frontière d’un Iran déjà suffisamment déstabilisé pourrait remonter jusqu’au Haut-Karabagh, opposant Arménie et Azerbaïdjan. On se souvient encore de ces quelques 16.000 morts en l’espace de six ans (1988-1994) et du désastre que constituerait l’exacerbation du conflit pour les forces en présence russes soutenant la partie arménienne. Or, voici qu’on recommence à avoir des nuits blanches à la frontière arméno-azerbaïdjanaise, des tirailleurs azéris ayant tenté de se défouler sur une famille arménienne longeant la frontière en voiture. Bien heureusement, l’attentat n’a pas fait de victimes. En revanche, on sait que le gazoduc situé à proximité de l’incident avait été lourdement endommagé. Je vous laisse cerner les prémisses de l’histoire …
L’analyse de M. Loukianov, quoique lucide dans son ensemble, s’achève cependant par une erreur flagrante. Selon lui, Israël pourrait devenir à terme « le principal partenaire » de la Russie si l’on arrive à exclure l’Iran du jeu, ce qui est archifaux si l’on se penche sur la crudité de certains faits.
Primo, la duplicité janusienne de l’Azerbaïdjan a toujours joué et continue à jouer de très mauvais tours aussi bien à l’Arménie qu’à la Russie, aussi bien à la Syrie qu’à l’Iran. On sait de source sûre que Bakou avait aidé à armer l’opposition syrienne sournoisement baptisée d’ASL malgré sa forte composante al-Qaidienne. Le soutien apporté aux rebelles est aujourd’hui estimé à près de 500.000 dollars. Cela suffit à mettre Téhéran dans un état de rage lourd de conséquences pour cet allié avéré de Tel-Aviv. Washington Post, loin d’être porté aux exagérations et aux exercices de style, n’a pas hésité à qualifier Bakou d’ « anti-Iran ».
Secundo, il est bien connu qu’Israël est le deuxième plus grand consommateur de gaz et de pétrole azéris. Ces intérêts mutuels rapprochent on ne peut plus étroitement les deux états sous l’aile providentielle des USA.
Une sorte de Triple Alliance s’est ainsi constituée qui fait progressivement remonter le conflit vers la Géorgie dont les vexations antirusses héritées de l’époque postsoviétique contribuent à verser de l’huile sur le feu. Cet axe explosif que nous venons de mettre en évidence confronte directement Bakou à Téhéran en semant le désordre à la frontière géorgienne et en fragilisant l’économie arménienne étant donné un important flux migratoire arménien en provenance de la Syrie et de l’Iran.
Un deuxième axe transparaît non moins nettement et pourrait à la longue envenimer le Caucase russe : l’axe musulman fondamentaliste qui rêve de renverser Assad et qui jouit du soutien de 6000 islamistes tchétchènes. Sans être exorbitant, ce chiffre révèle néanmoins cette réalité indéniable que le djihadisme n’a pas de frontières et que rien ne l’arrête dans sa lutte. Le facteur caucasien islamiste coûte bien cher puisque, même si la deuxième campagne tchétchène a été déclarée définitivement close en 2009, de fortes humeurs indépendantistes persistent dans la région. On sait comment les USA jouent indirectement sur celles-ci et on imagine quel impact colossal pourrait représenter pour la Russie le très éventuel retour de 100.000 Tchétchènes jusque là installés en Syrie et imprégnés, de un, des différends intraconfessionnels qui déchirent cruellement l’islam, de deux, de ce sentiment d’injustice indélébile remontant aux répressions tsaristes.
Globalement, la façon dont est exploité le conflit syrien par la nouvelle Triple Alliance fait du Caucase du Sud une sorte de monnaie d’échange, ce que Bakou se refuse à comprendre, voyant en l’état hébreu un allié stratégique et économique de confiance. La Transcaucasie se pose ainsi en case intermédiaire entre les intérêts du continent eurasiatique, solidaire de ces états en ébullition dangereuse que sont la Syrie et l’Iran d’une part, et les intérêts du bloc USA-Israël, de l’autre.
Clara Weiss, journaliste indépendante, traite fort bien de ce problème dans un article repris par french.irib.ir (« La guerre, en Syrie, pour déstabiliser le Caucase » ?). Voici un extrait qui ponctue son analyse : « Avec l’intensification de la guerre civile syrienne et les préparatifs de guerre contre l’Iran, les impérialistes jouent délibérément avec le feu. Le conflit syrien et une guerre contre l’Iran embraseraient l’ensemble du Moyen-Orient, du Caucase et de l’Asie centrale. L’objectif de deux guerres est de déstabiliser la région entière et d’inciter à des conflits ethniques dans le but d’affaiblir la position de la Chine et de la Russie (…) ». Je vous laisse découvrir l’intégralité du texte.
Je donnerais tout à fait raison à Mme. Weiss, en notant qu’il est des objectifs réalisables à long terme comme le sont ceux qu’a relevés la journaliste. Il est, en parallèle, des objectifs ancrés dans l’immédiat comme l’est l’affaiblissement des puissances arabes autonomes constituant un véritable bloc d’opposition à l’Israël.
Ce qui compte maintenant, c’est de tenter de prévenir la fusion, à long terme, de ces deux objectifs. Reprenant la remarque de M. Loukianov sur le réalisme pragmatique de M. Poutine, j’en nuancerais les effets en constatant que la Russie ne peut s’impliquer plus qu’elle ne le fait déjà dans la triste épopée syrienne sans qu’une nouvelle série d’équivoques ne vienne embraser le Caucase russe.
Françoise Compoint
La Voix de Russie
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