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Institutions de l’État : entre dysfonctionnements et hybernation

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  • Institutions de l’État : entre dysfonctionnements et hybernation

    La Cour des comptes a hiberné de 1997 à 2010. Le président de la République la réhabilite après que le Syndicat national des magistrats de cette institution dénonce sa marginalisation et ses dysfonctionnements. Le Conseil supérieur de la magistrature ne s’est pas réuni pendant 14 mois. Le Conseil national de l’énergie est bloqué depuis 1999. Le Conseil constitutionnel a fonctionné avec des membres et un président en fin de mandat pendant quatre mois. Le Conseil national de la concurrence n’existe que dans ses textes fondateurs de 2003… à fin 2012.

    Le dernier rapport de la Cour des comptes sur la gestion des finances publiques a été transmis, lors de la session parlementaire d'automne, aux députés pour l’examiner. Aucun d’eux n’était, toutefois, en mesure de s’avancer sur la procédure que devra suivre ce document à l’Assemblée nationale. Pour cause, c’est la première fois que le rapport annuel de la Cour des comptes parvient jusqu’au Parlement. Pourtant les relations entre les deux institutions doivent, dans l’absolu, être plus étroites. L’article 18 de l’ordonnance n°95-20 du 17 juillet 1995 stipule que “la Cour des comptes est consultée sur les projets de loi de règlement budgétaire. Les rapports d’appréciation qu’elle établit à cet effet sont transmis par le gouvernement à l’institution législative avec le projet de loi y afférent”. Rien d’étonnant que cette disposition ne soit pas respectée depuis 1997. Le projet de loi sur le règlement budgétaire de l’exercice en cours moins deux ans, qui doit être soumis à la validation du Parlement avec ses deux Chambres, annuellement, “à l’effet d’exercer son contrôle sur l’exécution des lois de finances de l’année” (article 5 de la loi 84-17 du 17 juillet 1984 relative aux lois de finances), n’est porté à la connaissance des parlementaires que depuis l’année dernière.

    Par ailleurs, il est clairement consigné dans les statuts de la Cour des comptes que cette dernière établit annuellement un rapport sur les constatations, observations et appréciations résultant des travaux de ses investigations. Un résumé de ce rapport, assimilé à un contrôle a posteriori des dépenses publiques, est adressé au président de la République, conformément aux dispositions de l’article 170 de la Constitution, qui définissent aussi l'organisation et le fonctionnement de la Cour des comptes et la sanction de ses investigations. “Le rapport est publié totalement ou partiellement au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire sur décision du président de la République. Une copie du rapport est transmise à l’institution législative.” À vrai dire, le dernier rapport de cet organisme, publié dans le Journal officiel et par là même rendu public, date de 1997.

    Pendant près de 14 ans, l’institution a hiberné littéralement


    En mai 2010, le Syndicat national des magistrats de la Cour des comptes dénonce, dans une lettre ouverte au président de la République, “l’étouffement de l’institution”. Tout en se disant déterminés à ne plus se taire, ses magistrats soulignent que “la mission de contrôle au sein de la cour est reléguée au second plan, en marginalisant le corps des magistrats. Le rôle de l’institution est minimisé en la dévoyant de sa mission fondamentale (…) Le dysfonctionnement ou plutôt la non-gestion de notre institution va compromettre les missions pour lesquelles nous sommes mandatés. D’autant que cela se passe au moment où le pays est plongé dans une corruption à grande échelle”. Trois mois plus tard, le 25 août 2010, la démarche des magistrats obtient un écho. Ce jour-là, le Conseil des ministres entreprend la réactivation de la Cour des comptes en adoptant une ordonnance modifiant et complétant l'ordonnance n°95-20. Dans le nouveau texte, les missions et le rôle de l’institution sont révisés à telle enseigne qu’il lui est conféré la prérogative d’enquêter sur les actes de fraudes, de pratiques illégales ou illicites, portant atteinte au patrimoine et aux deniers publics. Le champ de contrôle de cette institution sera également étendu aux entreprises publiques et celles dans le capital desquelles l'État est majoritaire. L’année suivante, soit à la fin de 2011, l’organisme, sans aucune tutelle et complètement autonome financièrement au regard de la loi fondamentale, diffuse timidement ses conclusions sur une utilisation opaque des fonds spéciaux. Le ministère de la Culture est particulièrement mis en cause pour ses allocations “jugées anormales” du Fonds national pour la préparation et l’organisation du Festival panafricain en 2009, ainsi que le ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière pour sa gestion équivoque du Fonds spécial pour les urgences et les activités de soins médicaux. En novembre 2012, la Cour des comptes publie un rapport, accablant le gouvernement, sur son administration des finances publiques, notamment son incapacité à lutter contre la fraude fiscale. Cette sortie médiatique inattendue a surpris les observateurs avertis de l’actualité nationale. “On ne peut que s’en réjouir, mais regretter que ses conclusions ou recommandations (Cour des comptes, ndlr) ne soient pas suivies d’effet”, commente Abdelaziz Rahabi, ancien ministre de la Culture et de la Communication et ancien diplomate. De son point de vue, l’institution souffre “d’un double handicap. Le premier est d’avoir été longtemps neutralisée. Ce qui a eu pour effet de la rendre invisible aux yeux des administrations publiques qui se sont accommodées des contrôles interne et hiérarchique. Le second est lié au fait qu’elle ne bénéficie pas, dans ses missions, d’un franc soutien politique”. Lakhdar Benkhelef, député du parti El-Adala présidé par Abdallah Djaballah, attribue le réveil de la Cour des comptes à une volonté politique.
    “Depuis 1999, elle n’a pas fonctionné car le président de la République n’a pas désigné ses représentants. Dès que c’est fait, l’organisme publie un rapport, qui a montré des insuffisances dans la gestion des dépenses publiques”, affirme-t-il. Il confirme que c’est la première fois que les parlementaires reçoivent le rapport de la Cour des comptes, alors qu’il “doit accompagner, chaque année, la loi sur le règlement budgétaire. Nous allons le débattre en plénière”. Pour Me Mustapha Bouchachi, député FFS et ex-président de la Ligue algérienne des droits de l’Homme, il estime que le rapport de la Cour des comptes “devient un détail quand on est loin d’un État de droit”.

    Conseil supérieur de la magistrature : pas de réunion depuis plus d’une année
    Son collègue du parti El-Adala, Lakhdar Benkhelef, extrapole la problématique posée pour la Cour des comptes à d’autres organismes, instances et institutions de l’État. Il cite l’exemple du Conseil supérieur de la magistrature, qui ne s’est pas réuni depuis quatorze mois.

    l évoque, en outre, le Conseil des ministres qui ne s’est pas tenu du mois d’avril au mois d’octobre de l’année en cours. Abdelaziz Rahabi abonde dans le même sens en affirmant que “le réveil de la Cour des comptes ne doit pas occulter la paralysie décennale du Conseil supérieur de la magistrature, ce qui a réduit le juge au statut précaire d’un fonctionnaire soumis à l’autorité de la chancellerie, pas à celle de la loi”. L’ancien ministre du gouvernement, Ahmed Benbitour, parle, pour sa part, du gel des activités du Conseil national de l’énergie, depuis 1999. Son arbitrage aurait empêché l’ancien ministre de l’Énergie, Chakib Khelil, de faire aboutir la loi sur les hydrocarbures en 2006, qui donne de larges avantages aux groupes pétroliers étrangers. Cette loi a été révisée à peine une année après. Une énième version sera
    incessamment soumise à l’approbation des députés.

    Les décisions et avis du Conseil constitutionnel, émis entre janvier et avril 2012, sont théoriquement nuls et non-avenus. La raison ? Une partie de ses membres, dont le président Boualem Bessaïeh, était, pendant cette période, en fin de mandat. Un mois avant les élections législatives du 10 mai 2012, le président Bouteflika a procédé à la nomination de Tayeb Belaïz, alors ministre de la Justice, garde des Sceaux, à la tête de l’institution. Il évite ainsi de compromettre la régularité des législatives, dont les résultats officiels sont proclamés par le Conseil constitutionnel.

    Quand les émeutes font réactiver les promesses


    Autre cas édifiant, le Conseil national de la concurrence, qui a une existence légale depuis 2003, mais dont les activités n’ont jamais démarré. En janvier 2010, au moment où des émeutes contre la flambée soudaine des prix des produits alimentaires de base embrasaient le pays, le ministre du Commerce, Mustapha Benbada, annonce comme une mesure urgente, la réactivation de ce conseil, appelé à réguler le marché national et à lutter contre le commerce informel, mis à l’index dans la spéculation et la fluctuation des prix des produits de large consommation.

    “Nous tiendrons bientôt un Conseil interministériel pour mettre au point les textes qui régiront le fonctionnement du Conseil national de la concurrence”, a-t-il soutenu à l’époque. Quelques mois plus tard, il s’engage à donner vie à cet organisme avant la fin de l’année 2011. Promesse non tenue à cette échéance. En mai 2012, il revient à la charge et informe que “l'installation du Conseil national de la concurrence (CNC) attend l'aval
    de la Présidence pour la liste des futurs membres. Toutes les formalités relatives à l'installation du Conseil national de la concurrence ont été accomplies et le dossier est ficelé”. Ce n'est que plusieurs mois plus tard, à la fin de l'année 2012, que l'organisme est enfin installé. Il lui aura fallu deux ans.

    Les cas de dysfonctionnement et blocage des institutions et organismes de l’État se déclinent nombreux et édifiants. “C’est très simple, nous ne sommes pas dans un État de droit. Les institutions de l’État, apparentes et occultes, ne respectent ni la Constitution ni les lois de la République. Le pays ne pourra pas avancer, s’il n’y a pas de transparence dans la conduite des affaires de l’État, sans une vraie démocratie et sans une réelle séparation des pouvoirs”, analyse Me Bouchachi.

    Souhila HAMMADI- Liberté
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